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Une pratique consciente de l'orthographe

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Février 1980
Du mot au système, du système au fonctionnement social :
UNE PRATIQUE CONSCIENTE DE L'ORTHOGRAPHE*
 
Il est possible à des élèves du 1er cycle de découvrir en quoi l'orthographe est un système, pourquoi ce système est malcommode et comment il fonctionne socialement. A partir de là, enseignants et élèves peuvent situer leur propre comportement dans cette pratique sociale qu'est l'orthographe.
Parallèlement, ces mises en place et les désinhibitions qui en résultent facilitent l'apprentissage des automatismes orthographiques.
L'exercice qui est au centre de notre pratique, et que nous appelons “analyse de l'orthographe”, consiste à répartir dans quelques grandes catégories les informations fournies par les lettres d'un mot. Soit reconnaissants :
 
1
2
3
4
5
sons   dist
 
/R/
 
/k/
IÉ l
/n/
 
 
/e/
/s/
 
 
/ã/
lettres
 
 
r
e
c
o
n
n
a
i
s
s
a
n
t
s
sens
 
 
 
 
 
 
 
"reconnaissant"
 
 
 
 
 
 
 
"pluriel"
dériv
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
reconnaissante
Hist
 
 
 
e
 
 
 
n
 
 
Colonne I: Les sons distinctifs et la façon dont les lettres y correspondent.
Colonne 2 : Les lettres du mot analysé.
Colonne 3 : Les unités de sens, lexical ou grammatical, isolables à partir des lettres.
Colonne 4 : Le cas échéant, les “lettres de dérivation”, chacune dans un dérivé où on la retrouve.
Colonne 5 : Le cas échéant, les “lettres historiques”.
 
En essayant d'établir dans le domaine de l'orthographe un lien entre enseignement, recherche théorique et pratique sociale, nous risquons de ne pas satisfaire le chercheur réfugié dans sa tour d'ivoire ou l'enseignant qui confondrait objectivité et neutralité. Nous risquons surtout de rebuter l'enseignant qui n'est pas familiarisé avec une approche linguistique. Celui-ci peut, dans un premier temps, passer la présentation de l'exercice du point de vue linguistique et lire plus loin ce qui concerne sa pratique en classe et sa place dans une pédagogie visant non seulement à adapter l'enfant aux pratiques sociales, mais aussi à lui permettre de réfléchir et d'agir sur elles. L'essentiel sera ensuite de “se lancer”, d'utiliser l'outil d'observation présenté ici, de tâtonner soi-même avec ses élèves, de vaincre peu à peu la traditionnelle timidité des “littéraires” devant les outils méthodologiques et les notions linguistiques de base.
 
L'“ANALYSE DE L'ORTHOGRAPHE” DU POINT DE VUE LINGUISTIQUE
On a placé l'entrée horizontale du tableau, par les lettres, en colonne 2 pour rapprocher le mot graphique de son analyse en unités de sens (col. 3). Quant à l'entrée verticale, par les catégories d'informations (col. 1, 3, 4, 5), l'ordre de succession et la définition des colonnes tiennent compte de l'hypothèse que le scripteur ou le lecteur hiérarchise les informations selon leur utilité pour la communication : viennent donc d'abord les informations synchroniques (col. 1, 3, 4) et, parmi elles, les seules indispensables, celles qui concernent les sons distinctifs (col. 1), tandis que les colonnes 4 et 5 sont remplies restrictivement, la 4 seulement pour les lettres qui ne notent pas par elles-mêmes de sons distinctifs en col. 1, la 5 seulement pour celles qui n'ont aucune fonction en col. 1 et 4.
 
COLONNE 1 : LES CORRESPONDANCES PHONO-GRAPHIQUES
On entend par son distinctif le phonème au sens d'André Martinet (v. bibliographie 3) : on le note entre barres obliques, à l'aide de l'alphabet phonétique international (v. note I). On appelle variante orthographique une graphie (lettre ou groupe de lettres) qui note, dans le mot analysé, un phonème, ou plusieurs contigus.
 
Pour inscrire chaque phonème en colonne 1, on doit décider si la variante orthographique correspondante est une lettre ou un “groupe de lettres inséparables” :
I. Une lettre : deux cas se présentent :
a) une lettre seule” : elle apparaît avec sa valeur de base, celle qui dépend le moins' du contexte: r, c, o, n pour /R/, /k/, IÉ l, /n/ dans reconnaissants ; i pour /i/ (petit), s pour /s/ (sur), g pour /g/ (gare), x pour /ks/ (taxi)..
 
b) une lettre “accompagnée” d'une ou plusieurs autres à fonction sélective: il s'agit en général d'une lettre apparaissant avec une valeur de position, valeur liée à un contexte définissable de façon plus restrictive. Ainsi, dans usagé, s est accompagné de u et de a, voyelles graphiques qui “sélectionnent” pour lui la valeur /z/. Le contexte à valeur sélective peut être défini graphiquement: s pour /z/ et x pour /gz/ “entre a, e, i, o, u, y...” (usagé, exact), g pour /z/ et c pour /s/ “devant e, i... ” (geai, cire), e pour /e/ “devant t final ” (jarret), e pour /e/ “devant d, z final” (pied, chantez)..., ou en même temps grammaticalement: e pour /e/ “devant s dans les déterminants monosyllabes” (les) et “devant r à l'infinitif” (chanter)... La lettre “accompagnée” peut aussi apparaître avec sa valeur de base: s pour /s / dans reconnaissants, casse, où l'un des deux s (le second, par convention) a pour seule fonction de maintenir la valeur de base en annulant l'effet de la position “entre voyelles graphiques” (case). De même g pour /g/ dans gui “à cause de u”.
Que la lettre posée comme variante orthographique soit seule ou “accompagnée”, on inscrit le phonème en regard, et on a recours à une accolade si plusieurs phonèmes. contigus sont notés par une même lettre :
 
/ s/
/ U/
/ R/
s
u
r
 
 
 
/ y/
/ z/
/ a/
/ z/
/ e/
u
s
a
g
é
 
/ t/
/ a/
/ k/
/ s/
/ i/
t
a
 
x
 
i
 
2. Un “groupe de lettres inséparables” : ce groupe peut apparaître “seul” : an pour /â/ dans reconnaissants, ou pour /u/ (cou), oi pour /wa/ (toi), ch pour /S/ (chou)..., ou “accompagné” : ch pour /k/ “devant I, r et à la finale” (chromé), ch pour /S/ dans tâcheron “à cause de e”...
Dans les deux cas, on utilise une accolade pour marquer la correspondance du groupe de lettres au phonème, et deux accolades dos à dos si un groupe de lettres correspond globalement à plusieurs phonèmes contigus :
 

 
Il reste à signaler la fonction sélective, c'est-à-dire indirectement phono-graphique, de certaines lettres :
I. Si la graphie à fonction sélective note elle-même un autre phonème (u et a dans usagé, qui notent respectivement /y/ et /a/), on ne charge pas la colonne 1 d'une marque supplémentaire. Si besoin est, on signalera la fonction sélective de u et de a oralement (v. plus bas “hors tableau”). On évite notamment ainsi de s'encombrer des cas où une variante orthographique pourrait être considérée comme “maintenant” une valeur de base : le t de caste opposé à case.
 
II. Si la graphie à fonction sélective ne note pas par elle-même de phonème (z de chantez, qui sélectionne pour e la valeur /e/ : comparer avec chante), on utilise une marque en forme de parenthèse pour signaler qu'elle contribue néanmoins à l'identification d'un phonème :
 

 
On signale ainsi la fonction sélective de d, r, t, z dans pied, oranger, chanter, jarret, clairet, violet, chantez, opposés graphiquement à pie, orange, chante, jarre, claire, viole ; e final après consonne, quand il entraîne la prononciation de celle-ci : dans grise, rate, plombe, chante, crise, opposés à gris, rat, plomb, chant, crise “anticoagulant” de caneton, contraient, opposés à canton, contraint ; e de geai, u de guise, opposés à gai, gise ; le second s de casse, opposé à case ; s de les, opposé à le... Bien sûr, il n'est pas toujours possible de s'appuyer sur des “paires” de mots graphiques pour repérer une fonction sélective : léger, rondelet, chantaient, causerie, douceâtre, gui, reconnaissants...
Comment décide-t-on entre “lettres” et “groupes de lettres inséparables ” et entre “variantes orthographiques” et “lettres à fonction sélective” ? Les élèves se réfèrent intuitivement à leur apprentissage antérieur et au critère de fréquence. Il n'est pas question de leur faire apprendre des listes de valeur de base et des “règles de conditionnement par position” ! Nous les aidons seulement à poser des variantes probables en utilisant les ouvrages let 2 cités en bibliographie : nous devons beaucoup au premier, notamment les “types de correspondance phono-graphiques” (p. 135) ; le second présente d'importantes statistiques de fréquence. Mais nous agissons prudemment : les critères retenus, les listes proposées divergent d'un ouvrage à l'autre et n'emportent pas toujours l'adhésion ; d'autre part, les notions maniées sont difficiles à délimiter, surtout celle de conditionnement par position, et de toutes manières étroitement interdépendantes. C'est pourquoi, au début, et généralement en 6e, nous n'exigeons pas que la fonction sélective soit notée, quitte à augmenter indûment le nombre des groupes de lettres (casse) ou des lettres historiques (crise).
On peut hésiter. Faut-il par exemple inclure u de gui, e de geai, le second s de tissu, dans des groupes posés comme variantes orthographiques (comme on fait pour h de ch parce que ce groupe est la notation la plus fréquente de /S/ ) ou les considérer comme des lettres sélectives :
 
De même, dans beaucoup de trigrammes, la première lettre fait-elle partie d'une variante orthographique ou est-elle une lettre de dérivation (main), éventuellement sélective (gain), ou une lettre historique (demain) :
 

 
 ou :
 
De même pour le e de château, variante eau pour /o/ou lettre de dérivation (castel) ? Pour le e de cadeau, variante eau ou lettre historique ?
 
Dans tous ces cas on préférera la seconde solution pour ne pas multiplier les variantes orthographiques, surtout à faible rendement (ain 21 %, eau 9 %), mais on n'exclura pas la première. Nous ne visons pas, en effet, à dresser la liste des valeurs de base et des valeurs de position, ni à remonter des graphèmes et des diagrammes aux archigraphèmes. Nous ne procédons pas non plus déductivement, à partir de listes préétablies.
Notre but est seulement de faire découvrir qu'à chaque phonème d'un mot correspond une variante orthographique (colonne 1), qu'à un même phonème peuvent correspondre plusieurs variantes orthographiques, dans d'autres mots (v. plus bas “Hors-tableau”), et que ces correspondances peuvent être abordées rationnellement : qu'on peut hésiter, trouver de nouveaux arguments, abandonner une première hypothèse, se heurter enfin, comme dans les exemples ci-dessus, à la coexistence de principes orthographiques hétérogènes...
 
COLONNE 3 : LES UNITES DE SENS ISOLABLES A PARTIR DES LETTRES
 
Pour la segmentation en unités de sens minimales successives, on se réfère aux principes de l'analyse des énoncés (bibliogr. 3). L'analyse du mot graphique diffère de celle du mot phonique (v. note 2), mais repose sur le même principe : on s'appuie autant que possible sur des “paires”, ici graphiques, pour dégager les oppositions. Le mot graphique peut ne pas se segmenter : lac, violet... La segmentation peut à l'inverse être facile entre la partie lexicale et la partie grammaticale (reconnaissant-s opposé à violet-s et à reconnaissant, dorm-i opposé à sort-i et à dorm-ant), et même au-delà, entre préfixe, base et suffixe (im-pren-able opposé à pren-able, à in-surmont-able et à pren-eur), ou entre deux marques grammaticales successives (chant-i-ons opposé à dorm-i-ons, à chant-ons et à chant-i-ez). Une unité de sens peut correspondre à une seule lettre : reconnaissant-s, gris-e, chant-i-ons. Pour un ensemble de lettres correspondant à une même unité de sens, lexical ou grammatical, on a recours à une accolade :
 
 
 

 
Pour les “variantes de signifiant”, v. note 3.
On ne distingue pas ici entre les variantes orthographiques, les lettres à fonction sélective et les autres, puisqu'elles font toutes partie de l'image graphique correspondant à chaque unité de sens. Notamment, certains des ensembles ainsi dégagés renvoient à des paradigmes faciles à identifier: qu'ils soient constitués uniquement de variantes orthographiques (chante-r-a) ou de lettres à fonction sélective (gris-e, chant-e, chant-ez), ou de lettres ne fournissant aucune information sur les phonèmes (reconnaissant-s, bijou-x, mat-e, chanté-e, dor-s, pren-d, chantai-t), ou qu'ils résultent d'un mélange de ces trois sortes de lettres (chant-es, chant-ons, chant-ent, chantai-ent), tous ces ensembles constituent des marques grammaticales écrites appartenant à des sous-codes orthographiques relativement cohérents : marques de nombre, de genre, de personne, de temps, d'aspect, de mode... Le cas échéant, l'absence de phonème en colonne 1, en regard de certaines lettres, manifeste que la marque est, en tout ou en partie, “purement écrite”.
 
Pour identifier les unités de sens, on ne s'arrête pas aux variantes de signifié. On ne définit pas reconnaissant, lac, dorm- de dormi, on se contente d'inscrire “reconnaissant”, “lac”, “dormir”, entre guillemets, marque conventionnelle des signifiés. Sans encourager la confusion, on évite tout purisme dans l'étiquetage des signifiés grammaticaux: l'accord est loin d'être fait sur la liste des données grammaticales dont il serait utile aux élèves, au moins pour l'orthographe, d'acquérir une connaissance explicite.
Il faut bien entendu savoir s'arrêter dans la segmentation :
1. Quand un dérivé est, synchroniquement, trop engagé sur la voie de la lexicalisation (indolent “indolent” ; “indifférent” indifférent).
2. Quand il y a amalgame de “signifiants graphiques” pour plusieurs signifiés grammaticaux (-i pour “participe” et “passé” dans dormi ; -ons pour “1ère personne” et “pluriel” ; -ont pour “3e personne” et “pluriel), ou pour un signifié lexical et un signifié grammatical (animaux pour “animal” et “pluriel”, légère pour “léger” et “féminin”, fassi- pour “faire” et “subjonctif” dans fassions).
 
COLONNE 4 : LES LETTRES DE DERIVATION
 
On entend par lettres de dérivation les lettres qui ne notent aucun phonème dans le mot analysé, mais se retrouvent comme variantes orthographiques dans un dérivé, donc fournissent une information sur les structures phoniques du lexique: le t de chants, à cause de chanteur. On admet comme dérivés les formes féminines (reconnaissante pour le t de reconnaissants, lointaine pour le a de lointain) et les formes verbales (prendre pour le d de prends) :
 
 

 
On admet comme lettre de dérivation x de heureux en regard de heureuse. Les lettres de dérivation peuvent remplir une fonction sélective. Ainsi, parmi les exemples cités plus haut: pied, oranger, léger, jarret, clairet, violet, rondelet, gain (dérivés : piédestal, orangeraie, légère, jarretière, clairette, violette, rondelette, gagner).
 
Le point de vue sur les structures du lexique est exclusivement synchronique: le t de chant est une lettre de dérivation à cause de chanteur, celui de sergent n'en est pas une, faute de dérivé actuellement utilisé en français et comportant ce t comme variante orthographique. Ni l'étymologie, ni l'histoire de l'orthographe n'interviennent dans ce classement. En revanche, il n'est pas toujours facile d'apprécier en synchronie le degré de lexicalisation d'un dérivé. D'autre part, on respecte les divergences liées au lexique de chacun: l'élève qui ignore boulevardier, temporel et intempestif, n'a aucune raison de classer le d de boulevard, ni le p et le s de temps, comme lettres de dérivation... Enfin, les -e muets à la finale peuvent faire hésiter celui de : génie, lettre de dérivation à cause de ingénieux ?
 
COLONNE 5 : LES LETTRES HISTORIQUES
 
Comment classer les informations fournies par les lettres qui ne notent aucun phonème dans le mot analysé, ni dans ses dérivés ? On compte quatre de ces lettres dans reconnaissants.
 
Quand ces lettres remplissent une fonction sélective, celle-ci a été signalée en colonne I : le second s de reconnaissants. Si elles ne remplissent aucune fonction sélective, elles peuvent encore constituer, ou contribuer à constituer, une marque grammaticale écrite, fonction qui a été signalée en colonne 3 par l'inscription des unités de sens grammatical: le s de pluriel dans reconnaissants. Ces lettres purement “ sélectives ” ou “grammaticales”, fournissant d'une manière assez systématique des renseignements valables synchroniquement, ne sont pas considérées comme lettres historiques.
 
On appelle lettres historiques les lettres qui ne notent aucun phonème dans le mot analysé, ni dans ses dérivés, ne remplissent aucune fonction sélective et ne fournissent aucune information sur les marques grammaticales : le e et le second n de reconnaissants (v. note 4). De même: les bizarreries août, saoul, sculpteur ; mais aussi : théâtre, homme, hangar, vivement, semis, la seconde des “consonnes doubles” (allure) sauf dans ll notant /j/ et ss, les “e muets” de boulevard, imprenable, semis, cadeau, soie, sole, sable...
 
Dans tous ces cas, on inscrit en colonne 5 la lettre elle-même :
 
 

 
Il arrive qu'on hésite : on a vu le cas du a de demain, du e de cadeau. D'autre part, certaines lettres ont pour seule fonction de distinguer des homophones : les cas aberrants paon, taon (opposés à pan, tan) ; mais aussi : aire, souffre (opposés à air, soufre)... Ces lettres peuvent sans doute fournir une information sémantique valable synchroniquement, mais elles la livrent par des procédés qui n'ont rien de systématique, à la différence des marques grammaticales et même des lettres de dérivation. C'est pourquoi on les classe parmi les lettres historiques, quitte à signaler hors-tableau les homophones qu'elles servent à distinguer (v. ci-dessous).
Enfin, pour simplifier, on ne réserve aucun sort particulier, parmi les lettres historiques, à ceux des “e muets” qui peuvent correspondre à une prononciation d'insistance ou à une diction poétique: on se contente de signaler oralement ces possibilités, de telles réalisations phoniques ne correspondant jamais à une fonction distinctive.
 
HORS-TABLEAU
 
Oralement ou par écrit, on peut dresser pour mémoire divers inventaires: variantes orthographiques possibles pour un même phonème, paradigme grammatical en regard d'une marque écrite, famille de dérivés en regard d'une lettre de dérivation (ou en regard d'une variante : glacial “comme dans” glace, glacer, glacier...), liste des homophones distingués par une “ lettre historique désambiguïsante” (ou par une variante: ère-aire, ou par une lettre de dérivation: saint-sain).
 
L'“ANALYSE DE L'ORTHOGRAPHE” DU POINT DE VUE PEDAGOGIQUE
 
Si nous venons de procéder déductivement pour montrer le lien entre la théorie et la pratique, en revanche la démarche adoptée en classe est inductive : l'exercice se lance directement: “On va voir à quoi sert chaque lettre de ... tel mot”, sans préalable théorique, afin de laisser les élèves découvrir les problèmes de la transcription et prendre en même temps conscience de leur compétence de sujets parlants. On construit le tableau par tâtonnements. Quand il est fixé, les élèves
prennent vite l'habitude de tracer les colonnes (3 traits suffisent si on utilise la marge du cahier), d'inscrire le mot verticalement (une lettre par ligne) en colonne 2, puis de poser les sons distinctifs et les correspondances avec les lettres, etc. On pratique l'exercice au tableau ou sur les cahiers, en équipes ou individuellement, pendant toute l'année, mais de temps à autre et, à chaque fois, pour deux ou trois mots seulement, le plus souvent tirés d'un texte et fréquents: ainsi, l'analyse de l'orthographe prend peu de temps relativement aux exercices plus “mécaniques” (dont elle ne dispense pas), malgré le rôle central qu'elle joue vis-à-vis d'eux (v. plus bas paragraphe 2).
Ce classement sur critères fonctionnels des informations fournies par l'orthographe ne dépasse pas la compétence des élèves du 1er cycle: on constate dès la 6e la sûreté de leur comportement linguistique, aidé d'un “outil” adéquat, pourvu qu'on leur épargne la “fiche technique” ci-dessus et tout jargon (v. note 5). La répartition des informations en~re les colonnes ne paraît pas aux élèves une activité difficile, sans doute parce qu'on n'exige jamais d'eux un choix qu'ils n'aient pas les moyens de justifier (v. par exemple les divergences admises pour les sons distinctifs et pour les lettres de dérivation). Le maître guide l'élève dans sa démarche, d'abord intuitive : on l'a vu en particulier pour les correspondances phono-graphiques (sur ce point, l'introduction des caractères phonétiques ne fait aucune difficulté ; les élèves n'ont d'ailleurs pas à les “apprendre”, un tableau des phonèmes du trançais restant toujours à leur disposition). En cas de difficulté que l'élève ne peut pas résoudre, notamment à propos de fonction sélective, l'essentiel est de poser le problème ; les raisons du choix que ferait l'enseignant, s'il est important qu'il puisse les donner, ne sont fournies que dans la mesure où l'élève les demande : l'exercice permet de découvrir un système, non de le décrire exhaustivement.
 
Selon leurs goûts et leurs curiosités, les élèves préfèrent la démarche inductive en elle-même, l'activité de classement, le maniement d'un code phonétique nouveau ou le dégagement des structures du lexique.
Beaucoup découvrent, à propos de la colonne 1, que leur prononciation occitanisante constitue un usage fort répandu et à part entière, non une “déformation du français”, comme on le leur avait fait croire jusque là (v. note 1). Tous se sentent concernés dans la mesure où leur relation au langage et à la société devient plus consciente.
 
En effet, l'analyse de l'orthographe n'est pas un moyen nouveau de sacraliser le système orthographique, ni de sélectionner les élèves sur leur aptitude à le justifier (même s'il est évidemment possible de la récupérer à cette fin...). Partant d'une approche linguistique (v. note 6), notre pratique vise à fournir à l'enfant de quoi structurer son expérience de l'orthographe à tous les niveaux où il la vit : celui de l'apprentissage du code, mais aussi celui de son fonctionnement social, aspect systématiquement occulté par l'enseignement traditionnel.
 
1. L'exercice est d'abord l'occasion de situer l'orthographe comme un aspect de l'activité de transcription : les phonèmes notés par l'orthographe ne sont qu'une partie de ce qu'il faut conserver pour une communication différée. Avant de parler orthographe, et dès la 6e, nous relions les conventions de la mise en page et de la ponctuation aux caractéristiques de la communication orale (courbe mélodique, insistances, hésitations, reprises...) et à certaines structures du discours : ensemble d'un texte comme tel et sous-ensembles de ce texte ; plans d'énonciation; titres, chapitres, paragraphes, strophes, vers ; types de phrases, enfin et unités inférieures à la phrase... jusqu'à celles que notent le mot graphique et la lettre.
 
Cette remise en place de l'orthographe aide les élèves à situer leur parole comme préexistant à toute transcription et fonde chez l'enseignant une attitude d'accueil à l'égard des textes qu'ils apportent : au lieu de les bloquer par le préalable de la correction orthographique, s'intéresser d'abord au contenu et à ses structures. On rejoint ici les efforts actuels pour donner sa place à l'oral (v. bibliogr. 6).
 
2. Par elle-même, l'analyse de l'orthographe dégage un ordre derrière la poussière des détails : son but spécifique est de faire prendre conscience des relations entre les structures de l'orthographe et celles de la langue, en dégageant d'abord les constantes: la correspondance fondamentale entre variantes orthographiques et phonèmes, les régularités dans les marques grammaticales et dans la dérivation. Sa pratique familiarise avec une “grille de lecture” de l'orthographe, instrument grâce auquel on situera toutes les difficultés rencontrées dans les autres, activités, spécifiques ou non, liées à l'apprentissage de l'orthographe, qu'il s'agisse de la dictée ou du diamino, du pendu ou des jeux sur les paronymes ou les dérivés... Dans une pédagogie de l'orthographe, cet exercice d'analyse n'a pas une fonction directe d'acquisition, mais de structuration des acquisitions.
Pour les élèves, la découverte d'un système est sécurisante : elle contribue à dédramatiser leur relation à l'orthographe.
 
3. Mais les élèves découvrent aussi en quoi l'orthographe est un système malcommode : absence de relation bi-univoque entre variantes orthographiques et phonèmes, complexité des cas de tonction sélective, divergences entre marques écrites et marques orales, irrégularités à J'intérieur de chaque famille de dérivés ; généralement, présence d'informations grammaticales, dérivationnelles ou historiques, largement inutiles pour la communication. L'interprétation de chaque mot étant assurée essentiellement, à la lecture comme à l'audition, par le contexte pertinent, les désambiguïsations multipliées par l'orthographe sont le plus souvent superflues, donc gênantes. L'exercice fait apparaître clairement cet inconvénient si, au lieu de partir du mot graphique (col. 2) pour dégager les informations qu'il fournit (sens de la lecture), on part du mot phonique (col. 1) pour en chercher d'abord la transcription (sens de l'écriture) : beaucoup de ces informations apparaissent alors comme exigées inutilement par l'orthographe, et, si on essaie de transcrire un passage d'un enregistrement d'élèves ou d'enseignants qui ne se “surveillent” pas, ces difficultés aboutissent à des impasses. L'école dissimule, trop de spécialistes oublient, ce que dénoncent Claire Blanche-Benveniste et André Chervel (bibliogr. 1, p. 156-157), la “paralysie” de l'orthographe quand il s'agit de transcrire l'usage populaire. Notre exercice n'est pas une “recette pour trouver l'orthographe des mots” : il permet seulement de comprendre pourquoi il n'y en a pas. Plus généralement, découvrir une structure n'est pas la justifier : constater que le t de chant se retrouve, dans chanteur pour y noter un phonème n'implique pas que sa présence dans chant soit utile du point de vue de la communication, sauf à faire intervenir, ouvertement ou non, des préjugés conservateurs qui n'ont rien à voir avec une approche objective (v. bibliogr. 1, p. 153-154 du compte rendu d'A. Martinet).
 
La découverte de ces inconvénients est déculpabilisante : les générations de “rebelles à l'orthographe”, rejetés comme cancres... ou récupérés comme génies, avaient donc raison ? On peut imaginer des simplifications du système actuel ? Il existe des systèmes plus commodes ?
 
4. On découvre ensuite que la maîtrise d'un tel système serait extrêmement coûteuse, en raison du poids de l'histoire de l'orthographe, seule à rendre compte non seulement de la présence des lettres qui ne correspondent à aucun phonème, mais aussi de tous les choix entre variantes orthographiques. On sait les limites des exercices mécaniques; quant à la connaissance de l'histoire de l'orthographe, qui ne se réduit pas à celle de l'étymologie, son rendement est encore plus faible...
Mais les élèves ne s'arrêtent pas au découragement qu'engendre cette prise de conscience.
 
5. L'orthographe ayant cessé de s'imposer à eux comme un absolu, ils posent des questions:  “ Pourquoi on garde ce système ? Pourkoi on l sinplifi pa ? Purkwa pa lalfabe fonolozik ? ”. Pourquoi tant de difficultés pour transcrire l'usage courant, c'est-à-dire l'usage familier de la langue (v. note 7) ? Ne s'agit-il pas de leur usage, du nôtre, usage à part entière puisqu'il fonctionne à la satisfaction de ses utilisateurs, exprimant nos points de vue, incluant la précision technique quand nous en avons besoin ?
Les élèves attendent des informations, de quoi comprendre une situation qu'ils vivent tous d'une façon plus ou moins obsédante, de quoi voir clair dans le fonctionnement social de l'orthographe : lieu d'imposition d'un arbitraire culturel, moyen de sélection à l'école et à l'embauche, instrument parmi d'autres du blocage de l'écriture populaire, monté à l'école et réactivé plus tard, à chaque occasion d'écriture (lettre, tract, compte rendu, article, livre...). Une question, souvent posée aussi, implique l'enseignant: “Pourquoi vous, vous nous sélectionnez sur l'orthographe ? ”.
Autrement dit : “Quel compromis est-ce que vous vivez dans votre pratique professionnelle ? ”.
 
6. Il reste à l'enseignant comme aux élèves à situer socialement leur comportement quant à l'orthographe, sachant qu'ils n'en sont plus au culte, ni à la révolte aveugle : le va-et-vient entre une approche pratique et une approche théorique n'abolit pas magiquement la réalité, il permet de la vivre autrement que dans la peur.
La démarche décrite jusqu'ici trouve naturellement sa place dans une pédagogie du langage comme pratique sociale, qui ne prétend pas “apprendre le français” à des francophones, ni leur dissimuler les implications socio-culturelles inhérentes à toute pratique du langage (v. Manifeste de l'A.F.E.F. 1977, bibliogr. 5).
Plus généralement, nous croyons utile de mettre au point des outils méthodologiques (v. note 5) qui nous aident à nous situer, enfants et adultes, comme acteurs sociaux, c'est-à-dire en position d'intégration relative et de rupture sur des points précis. Ainsi, les enfants ont intérêt à comprendre, donc à démonter, les mécanismes linguistiques et sociaux auxquels est lié le mode de transcription usuel de leur langue, pour se rendre capables à la fois d'utiliser ce moyen et d'en changer s'il ne leur convient pas: ils seront majeurs demain et ils sont les premiers intéressés. Les adultes le sont moins : on peut supposer que, même en cas de changement radical, la liberté d'utiliser le système existant leur serait conservée, comme naguère aux bouilleurs de cru leur privilège...
S'il s'agit, comme nous le croyons, de remplacer l'orthographe par un système qui permette à la masse des francophones, sans difficultés inutiles, de s'exprimer par écrit avec leur usage de la langue, aussi bien que d'accéder à tous les textes écrits en français, on sait que les blocages sont profonds. “ Que les longues heures consacrées à l'école, à la dictée et à la grammaire puissent avoir été du temps lamentablement perdu est une pensée absolument intolérable. Tous ceux qui ont été soumis, à un âge tendre, au dressage grammatical en restent marqués pour la vie et sentent confusément qu'ils se renieraient eux-mêmes s'ils acceptaient de remettre ce dressage en question” (A. Martinet, bibliogr. 4, p. 82-83). Mais les jeunes n'ont pas ces raisons de baisser les bras. L'un des facteurs déterminants de la situation actuelle ne serait-il pas le comportement de “ceux qui ont le savoir” (parmi lesquels les lecteurs du présent article) ? On peut, avec les spécialistes de l'orthographe, de la pédagogie et de la politique, préparer d'excellents décrets de réforme (v. note 8), c'est-à-dire rester fidèle aux schémas de la dominance : “L'autorité sait ce qui est bon pour vous”... on peut aussi, sans mépriser les plus modestes réformes, laisser aux intéressés le soin de décider de. ce qui leur convient, donc les informer, s'inscrire dans un mouvement d'appropriation par tous des approches théoriques jusqu'ici confisquées ou récupérées. C'est le sens de notre pratique (v. note 9).
 
Mais l'information abstraite ne suffit pas. A quand une action concertée à la base, entre adultes et enfants, sur quelques secteurs géographiques, pour en finir, ne serait-ce qu'avec les consonnes doubles inutiles ? Sans gros inconvénients, on affaiblirait un tabou, on créerait un précédent. Qu'on pense à la tactique des mouvements de femmes pour imposer l'abandon de la loi de 1920.,.
Mars 1979            François SEBASTIANOFF 15000 Aurillac
 
P.S. Ce texte - paru dans le dossier “Et vous, pour l'orthographe, qu'est-ce que vous faites ?” du Français aujourd'hui no 48, décembre 79 - a déjà profité des observations d'une dizaine de collègues, mais nous sommes deux seulement à avoir pratiqué l'exercice d'une façon suivie depuis quelques années. Il faudrait comparer des expériences, améliorer l'exercice et sa présentation, le diffuser dans l'esprit défini ci-dessus.
Notamment, par quels tâtonnements les élèves arrivent-ils à admettre, ou à modifier, le tableau ici proposé ? Comment s'y référer à l'occasion d'upe dictée ou d'un jeu ou d'un exercice de transformation de nombre, de genre, de temps ?
Quel intérêt y a-t-il pour les élèves à l'utiliser comme cadre pour des sondages statistiques “ Comptez, dans un texte, les variantes orthographiques qui ont, et celles qui n'ont pas, leur “valeur de base”, les marques grammaticales, les lettres de dérivation et les lettres historiques, puis calculez leurs proportions respectives en pourcentage"” ? Peut-on en tirer des fiches pour le travail autonome ? Peut-il rendre des services dans le 1er degré ? Dans l'enseignement aux adultes ? Aux étrangers ?
 
BIBLIOGRAPHIE (entre parenthèses, la position des auteurs sur la “question de l'orthographe”),
I. Claire Blanche-Benveniste et André Chervel, L'orthographe. Maspero 1969. Rééd. 1974. Compte rendu par A. Martinet dans “ La linguistique ” 1970 n° 6 (Pour un système phonologique dans son principe, mais souple),
2, Nina Catach. L'orthographe. P.U.F. “Que sais-je ?” 1978. (Pour une réforme modérée du système actuel),
3. André Martinet. Eléments de linguistique générale, Colin 1967, Nombreuses rééd.
4. André Martinet. Le français sans fard. P.U.F. “SUP” 1969. Chap. V : La réforme de l'orthographe française d'un point de vue fonctionnel. Chap, XI:
L'évolution contemporaine du système phonologique français, Chap, XIII: Qu'est-ce que le “e muet” ? (Pour une tachygraphie notant les phonèmes et d ' abord limités à certains usages).
5. “ Le français aujourd'hui ” supp. au n° 39. 1977 : Aujourd 'hui le français. Association Française des Enseignants de Français. Sept. 1977.
6. “Le français aujourd'hui” n° 41. L'oral à Limoges. A.F.E.F. mars 1978.
 
Notes :
I. Pour la majorité de nos élèves, fortement influencés par l'occitan, le “e muet” semble être une notation de /f /, parfois de /œ/, tandis que pour l'auteur de ces lignes et quelques-uns de ses élèves, le “e muet” ne correspond à aucune fonction distinctive, sauf dans les rares cas du type dehors /d∂ÉR/ opposé à /dÉR/ (v. bibliogr. 4, chap. XIII). On admet d'autres divergences entre les choix des élèves, notamment pour /e/ ou /e/ et /o/ ou /É/ (v. bibliogr. 4, chap. XI). Ainsi, pour reconnaissants l'inventaire des phonèmes pourra osciller de /RkÉnesâ/ à /Rf konesâ/ .
Pour simplifier, on ne note pas les “consonnes de liaison ” (même dans les cas où on pourrait leur attribuer une valeur distinctive), et on s'abstient de parler d'archiphonème.
2) On sait que le mot phonique ne s'analyse pas isolément, mais en syntagme: l'analyse des énoncés a souvent recours à la notion de signifiant discontinu.
Dans les pauvres sont reconnaissants /lepovRsôRkÉnesâ/ le signifié “pluriel” correspond à un signifiant discontinu /le...s É^/, qui ne comporte pas d'élément dans /RkÉnesâ/, pas plus que dans /povR/ . Au contraire, “l'orthographe, multipliant sur le mot les marques qui l'individualisent et le rattachent à une série, en propose une interprétation sur l'axe des paradigmes: la finale du mot champ l'apparente à champêtre et l'inscrit sur un paradigme qui le fait reconnaître” (bibliogr. I, p. 197). Ainsi, le cadre du mot graphique (colonne 2) suffit le plus souvent pour son analyse en unités de sens (col. 3). Certes, on n'aboutira jamais à isoler dans le mot graphique une unité de sens qui n'ait pas son signifiant quelque part dans le contexte pertinent, mais on n'a pas besoin de l'y chercher: elle a, par définition, son correspondant graphique dans le mot lui-même (Ie s du pluriel dans reconnaissants).
 
Bien entendu, l'analyse du mot graphique n'est jamais totalement indépendante du contexte; cette dépendance apparaît clairement en cas d'homographie (fils, fermes). D'autres part, même quand des unités de sens identiques s'isolent dans le mot phonique et dans le mot graphique, les limites de leurs signifiants respectifs peuvent ne pas coïncider :
 
mot phonique
 
                            / g /
"gris"                    / R /
                            / i /
"féminin"              / z /
mot graphique
g
r
i          "gris"
s
e         "féminin"
 
Enfin, pour simplifier, on ne parle pas de “signifiant zéro” dans l'analyse du mot graphique.
 
3) Quand on passe de dormi-i à dor-t, de im-pren-able à in-divis-ible, de chant-i-ons à chant-ai-ent, on découvre sans difficultés, à travers les lettres, la notion de “variantes de signifiants” : dorm/dor- pour “dormir”, -able/-ible pour “possibilité + passif”, -i-/-ai- pour “imparfait”.
4) On peut présenter en tableau la succession des choix qui font classer une lettre comme historique :
 
CATEGORIES D'INFORMATIONS           
               
(col. 1)
(col. 4)
(col.1)
(col.3)
(col. 5)
phonèmes
+
 
-
 
 
Dérivation
 
+
 
-
sélection
 
 
+
 
-
grammaire
 
 
 
+
 
-
Histoire
-
-
-
-
 
+
               
5) Quand il s'agit d'utiliser des outils méthodologiques donnant une “prise” sur les réalités sociales que nous vivons, parmi lesquelles les activités de langage, l'un des obstacles qui inquiètent le plus les “littéraires” est celui de la terminologie. On peut ne pas jargonner: pas de “phonèmes”,de “pertinence”, de “signifiants”, de “mo-nèmes” ou de “morphèmes”, ni de “segmentation”, pas plus que de “graphèmes” ou de “digrammes”... On dira “sons distinctifs, c'est-à-dire qui servent à distinguer les mots les uns des autres”, “unités de sens”, “analyse des unités dont le mot est composé”, “lettres” et “groupes de lettres inséparables”... Plus généralement, on peut ne pas poser pour les élèves comme préalable à leur approche théorique et pratique du concret, c'est-à-dire des grands problèmes qu'il pose, l'acquisition d'un méta-langage hautement spécialisé. A une approche des activités de langage déjà difficile du fait que l'école ne favorise pas les situations authentiques de communication et coupe la réflexion de l'action, n'ajoutons pas l'obstacle d'un langage inutilement précis. On sait à quels échecs aboutit l'accumulation de ces difficultés dans l'enseignement actuel des sciences mathématiques et expérimentales.
Si on respecte ces précautions, les enfants découvrent avec satisfaction qu'une “prise”, limitée mais non illusoire, sur un fait social qui les concerne, ici l'orthographe, implique le recours à un “outil” à leur portée, mais en relation avec une approche théorique, donc à la fois “productif” et révisable : ni une recette, ni un absolu.
Quant aux notions de base elles-mêmes, elles ne sont pas plus “abstraites” en sciences humaines qu'ailleurs, et, comparées aux notions de “voyelle” ou de “français correct” du discours scolaire traditionnel, les notions de “son distinctif” ou d'“arbitraire culturel” ne sont pas plus difficiles: elles sont seulement moins confuses... et moins mystifiantes.
 
6) L'analyse de l'orthographe donne aux élèves comme à l'enseignant l'occasion d'exercices pratiques sur des notions linguistiques de base. En retour, elle est évidemment facilitée par une pédagogie des structures de la langue. Ainsi, nous réduisons notre enseignement grammatical explicite au maniement d'un petit nombre de tableaux simples et productifs sur les sons distinctifs, les structures phoniques et sémantiques du lexique, les oppositions de temps et d'aspect dans l'usage courant, les usages de la langue (v. note suivante), les types de phrases, leurs “transformations”... La familiarisation ainsi réalisée avec la notion de système fait reculer, en orthographe comme ailleurs, l'obsession du manuel, de la progression linéaire et du “niveau”, au profit d'une progression en étoile ou en spirale, tout système pouvant être abordé ou ré-abordé par n'importe quel bout, au gré des besoins de l'enfant.
 
7) On sait ce qu'a de fallacieux la tripartition, prônée par les instructions officielles, entre trois “ niveaux ” ou “registres” : soutenu, courant et familier.
 
8) On trouvera en bibliographie 2, p. 93-95, “les points communs à l'ensemble des projets les plus récents”. Certaines de ces propositions sont dans l'air... depuis plus d'un siècle.
 
9) Voir C. Blanche-Benveniste et A. Chervel (bibliogr. 1, p. 222) : “L'introduction d'une nouvelle écriture suppose que soient associés dans une même entreprise de larges masses de la population, engagées dans un processus de rénovation politique et culturel, et des spécialistes des problèmes du langage qui définissent cette écriture et ses modalités d'application ”.

 

* La typiste ne disposant pas d'une police de caractères permettant de transcrire correctement les caractères de l'alphabet phonétique international (voir tableau / image ci-contre pour références ), les caractères suivants ont été utilisés, au plus près des graphies (manuelles) utilisées par l'auteur :
 
dans la police "symbol" :



/ É  /  pour le son [o] de  dormir.
 
 ^
/ É  /  pour le son [on] de maison.
 
   ^
/ e  /pour le son [in] de pin./ U/ (parfois /y/, l'auteur ayant varié ses graphies)  pour le son [u] de sur.
/ ã / (parfois /â /, l'auteur ayant varié ses graphies) pour le son [an] de chanter.
/e/pour le son [è] de bel, geai.
/f / pour le son [eu] de deux
 
dans la police "artisan" :
/ z / pour le son [j] de jour, geai.
 
dans la police "comic sans" :
/S/pour le son [ch] de chat.