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Apprendre ? C’est vivre !

 
 Apprendre est inhérent à tout être vivant, c’est une fonction vitale. Mais pour l’être humain, être de langage, « apprendre » a permis de développer un « fonds commun de connaissances »1 depuis des millions d’années, un fonds sans cesse enrichi de génération en génération, un fonds essentiel pour le devenir de l’humanité. Si apprendre doit préparer l’individu à des tâches immédiates, pratiques, cela doit aussi assurer le développement de ce fonds de connaissances tout en permettant à tous de se l’approprier, d’agir sur lui, d’en être coauteur : une boucle récursive indispensable à l’avenir de l’humanité.
Or, les processus d’apprentissage mis en œuvre dans notre société ne permettent pas cette appropriation qui reste réservée à une petite partie : l’« élite » qu’elle soit intellectuelle, politique, scientifique, artistique ou religieuse… qui décide ce qu’il est bon de savoir ou non.
« Apprendre » n’est plus qu’« apprendre à » quelqu’un : le savant apprend à l’ignorant, le professeur apprend à l’élève, l’économiste apprend au consommateur…
Le devenir de l’humanité et de son « fonds commun de connaissances » est le dernier des soucis de nos gouvernants qui se concentrent sur le maintien de leurs nombreux privilèges et héritages (accès aux savoirs, au pouvoir et à l’argent). Ainsi, est-il nécessaire de sélectionner l’élite, dès l’école, pour assurer la survie du système économique et politique. Fidèles, les démarches pédagogiques mises en œuvre continuent de renforcer cette politique éducative : découpage des savoirs (du plus simple au plus compliqué), programmation par paliers (du plus facile au plus difficile), transmission par la parole de celui qui sait (cours et manuels), mémorisation (exercices et leçons), compétition et évaluation qui sanctionne ou récompense celui qui a bien « appris ».
Comme si Montaigne, Rousseau et les pédagogues de l’Éducation nouvelle n’avaient jamais existé, écrit ou pratiqué !
Heureusement, le mouvement Freinet fort de ses expériences résiste et persiste. Tournés vers l’avenir, ses praticiens proposent des démarches pédagogiques bien vivantes.
 
La pédagogie Freinet, une conception humaniste de l’éducation : pour Célestin Freinet, l’éducation doit remettre « en lumière un principe que la science analytique avait tendance à croire dépassé le besoin souverain de croitre, de monter, d’acquérir la puissance pour réaliser sa destinée. La vie devient alors un processus complexe de recherche active de cette puissance essentielle et indispensable »2
 
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la complexité : « Votre exemple, vos explications, vos leçons, vos images, seront sans véritable influence éducative si elles ne sont l’aliment désiré de la dynamique expérience tâtonnée »3, c’est le tâtonnement expérimental, processus universel d’apprentissage, d’action et de pensée qui permet d’inverser le rapport au savoir.
 
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la participation et de la coopération : apprendre avec les autres et vivre ensemble dans une communauté de travail où chacun donne, aide et partage, l’enseignant comme l’élève ; une coopérative qui organise démocratiquement le travail et la vie scolaire. Ainsi, « vous pourrez pousser au maximum l’organisation, l’obéissance au règlement, la conscience scrupuleuse des responsables parce que la Coopérative scolaire sera devenue la nécessité vivante de votre travail. »4
 
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la communication dans laquelle les savoirs sont partagés pour être mutualisés et consolidés : « Les techniques de l’organisation générale des activités scolaires n’auront de sens que lorsqu’elles s’intègreront à une communication, lorsqu‘elles feront l’objet d’une relation aux autres. »5
 
La pédagogie Freinet, une pédagogie de la création, de l’expression : des situations pédagogiques enracinées dans le vécu qui permettent à tous d’exprimer ses idées, ses désirs et ses rêves et d’expérimenter le passage de l’ouvrage à l’œuvre. « Au lieu de considérer, comme le fait l’école traditionnelle, que l’enfant ne sait rien et qu’il appartient à l’éducateur de tout lui apprendre – ce qui est prétentieux et irréalisable – nous partons, pour notre enseignement, des tendances naturelles à l’action, à la création, à l’amour du beau, au besoin de s’exprimer et de s’extérioriser. […] Nous préservons en lui et cultivons son sens littéraire, poétique, scientifique, mathématique ; et par ce biais, nous allons toujours plus haut et plus loin que ne le fait la scolastique »6
 
La pédagogie Freinet, un choix politique à faire aujourd’hui pour la société de demain.

« Apprendre, c’est vivre », alors, allons-y, apprenons ! Par la vie, dans la vie et toute la vie !
 
Catherine Chabrun
 
1 C. Freinet, L’éducation du travail, Delachaux et Niestlé, 1967, p116.
2 C. Freinet, Essai de psychologie sensible, Delachaux et Niestlé, 1978.
3 Ibid.
4 C. Freinet, « La coopération à l’école » in Brochure d’Éducation Nouvelle Populaire (BENP), n° 22, juin 1946
5 Ibid.
6 C. Freinet,« L’apprentissage de la langue » in La méthode naturelle, Delachaux et Niestlé, 1968.