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Dans notre jardin extraordinaire, les élèves prennent racine


Véronique Decker, ma directrice-témoin de mon école-en-Zep-témoin, nous livre ici un nouvel épisode-témoin. Il y est notamment question de la culture de l'artichaut en milieu scolaire, pendant que se préparent les premières REE de l'année (réunions d'équipe éducative) L.C.

Beaucoup de gens, y compris des enseignants, sont persuadés que l'école ne se fait que tous bien assis, bien rangés, bien ordonnés. Il faudrait des enfants toujours silencieux, obéissants, soumis. En réalité, une école, en tout cas celle que je pratique, est une ruche, bruissant de toutes les activités qui permettent d'apprendre.

Il existe en chacun de nous une image d’Epinal de la « belle leçon » écrite au tableau noir, merveille de nostalgie. Mais c’est l’activité réelle qui permet aux enfants d’apprendre et de grandir. C’est en mettant un pied devant l’autre que l’enfant marche (et tombe, et se relève courageusement).

Il faut aussi tomber et se relever pour le vélo, les maths ou l’orthographe. Il faut écrire des milliers de ligne et faire des milliers de « fautes » avant de s’améliorer. A l’université, on peut avoir des cours magistraux lumineux, mais à l’université les élèves ne sont pas des enfants.

Le lundi, en fin d'après midi, depuis plusieurs années, quelques enseignants de notre école regroupent leurs classes pour organiser des « ateliers jardin ». Les grands et les petits se mélangent, grattent, plantent, bricolent des épouvantails, des structures musicales qui bougent au vent, et s'initient à la biologie en se noircissant les ongles dans la terre.

Précision : je n'ai pas dit qu’ils apprennent de la biologie car ils se noircissent les ongles, mais en se noircissant les ongles. Leurs enseignants sont là, près d'eux, et de chaque questionnement est fait leçon véritable.

Nos enfants viennent de la Terre entière, descendent d’un peu toutes les peuplades possibles et imaginables hormis des Gaulois, et n'ont pas, ou pas encore, de "terre" à eux. Ils ne sont pas encore vraiment d'ici et doivent d’abord prendre racine pour prospérer avec nous.

Rien ne vaut le jardinage pour prendre conscience du temps, des saisons, et du fait que le travail produit un résultat. Rien ne vaut les amitiés nouées entre le parfum du romarin, le goût de la menthe sur la langue et la fierté de l'unique artichaut que nous ne mangerons sûrement pas : il est tellement beau.

Entre le territoire de l'école et la ligne de chemin de fer qui le borde, il y a une bande de terre, que nous avons colonisée petit à petit. D'abord, ce sont les jardiniers municipaux qui sont venus retourner quelques carrés. Puis les maîtres s'y sont mis sur le temps de midi, et les carrés sont devenus rectangles. Puis, nous nous sommes agrandis.

Le long de la grille, nous avons aujourd'hui des framboisiers, des capucines fleuries, du romarin, de la sauge, et l'artichaut, roi de l'endroit. Franchement, je n’aurais jamais espéré le voir grandir si haut.

La première année, des voyous étaient venus et avaient tout brisé, même les semis de capucines. Il faut dire que cette bande de terre n'était pas fermée et que tout le monde pouvait y accéder depuis la rue.

Mais maintenant, notre jardin « tient ».

Aujourd'hui, nous avons planté des choux. Passant près de « l'atelier jardin », je lance : « et avec quoi vous les plantez ? » Aucun enfant n'avait fait le lien avec la comptine, qu’ils avaient pourtant tous apprise en maternelle… Comme quoi il ne suffit ni d’enseigner, ni même d’apprendre : il faut aussi pratiquer, et aussi faire le lien…

Il nous faut planter les choux en quinconce. En quoi ? Voilà un mot nouveau expérimenté en direct.

Le maître a rapporté de chez lui du lombricompost, car notre jardin, figurez-vous, est bio : pas d'engrais, pas de désherbant. À l'automne, nous allons acheter un composteur et ramasser les feuilles d'arbres de la cour pour créer nous même notre compost.

Je retourne à mon bureau, car nous avons déjà des Réunions d'équipe éducative (des « REE », ne riez pas) à organiser.

Ces réunions sont destinées à rechercher collectivement des solutions appropriées aux cas des enfants qui n'apprennent pas, pas assez ou pas assez vite. Il en faut pour organiser les orientations dans les classes spécialisées. Il en faut aussi pour, simplement, parler avec les parents dans un cadre plus institutionnel qu'un simple rendez-vous.

Mais avec une seule psychologue pour plusieurs groupes scolaires de plusieurs écoles chacun, et tant de difficultés sociales et humaines, nous manquons de temps et d’expertise pour construire ces réunions de manière efficace.

Nous avons beau, grâce à notre jardin extraordinaire, cultiver bio, nos enfants n’en sont pas moins élevés en batterie et en stabulation, avec des normes de productivité qui nuisent à la qualité de leur enfance.

Véronique Decker