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BTR n°33 - 34 : Aspects de la vie affective et du dessin de l'enfant

Mars 1979

Bibliothèque de Travail et de Recherches n°33-34

Mars 1979

 

Aspects de la vie affective et du dessin de l’enfant

 

Essai de psychopédagogie à l’Ecole Moderne (techniques Freinet)

 

Maurice Pigeon

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SOMMAIRE

 

Avant-propos

Introduction

 

PREMIERE PARTIE

 

L’affectivité à l’Ecole Moderne

Le dessin et la sensibilité

Bibliographie

 

DEUXIEME PARTIE

 

L’enfant, ses problèmes et leur représentation graphique :

 

Témoignage d’épanouissement physiologique et affectif

Le dessin, traduction d’un sentiment d’insécurité agressive, de culpabilité ou reflet d’un style d’éducation

Evolution d’un sentiment de jalousie chez un jeune enfant

Expression transitoire d’un vif sentiment de frustration affective

Traumatisme sexuel incestueux chez deux sœurs

Liquidation partielle d’une série de situations anxiogènes chez un jeune garçon 

Instabilité et fugues chez un jeune anxieux

Suite d’observation sur Pierre T.

Une expérience vécue … ailleurs

Pour terminer

Complément bibliographique chronologique

Documents

 

 

 

Avant-propos

 

Encore tout jeune instituteur chargé d’une école à classe unique en Pays de Retz (Loire Atlantique actuellement), avec une petite vingtaine de garçons de quatre à douze-treize ans, je me suis tourné à partir de l’année scolaire 1933-34 vers l’expérience de l’Ecole Moderne menée par C. Freinet et Elise. Pour travailler dans des conditions favorables, j’avais appelé les parents de mes élèves à des réunions régulières. Ainsi étaient-ils informés de notre orientation éducative et associés à un effort de rénovation  pédagogique, pour eux insolite au départ. Il n’était, dès lors, guère de joies, d’événements heureux ou pénibles dont on me faisait part, guère de difficultés scolaires et autres que nous ne tentions de résoudre en commun. Aussi je me suis senti, le plus souvent de plain-pied avec l’intimité de la vie affective de mes élèves.

 

Et je n’ai pas manqué d’être frappé – avant même de les analyser, puis de les interpréter – par l’effet produit sur le comportement global des enfants, sur le retentissement scolaire, voire sur l’état de leur santé par les troubles affectifs, les échecs, certains événements familiaux puis, plus tard par les désarrois de la guerre 1939-1945.

 

Les techniques d’expression libre, plus singulièrement le dessin se sont vite imposées à nous comme des moyens de choix permettant de passer de la compréhension intuitive et empirique des enfants, à une connaissance plus précise, plus affinée, plus efficace quant au projet éducatif. En se renouvelant, en s’éclairant de cette manière, la psychologie de l’enfant, théorique et terne du programme des Ecoles Normales des années 1920, s’imposait à nous comme un outil magistral et indispensable désormais.

 

Après treize années de pédagogie Freinet dans une petite école rurale, treize années de réflexion souvent enthousiaste, mon expérience s’est mieux assise, approfondie, élargie dans ses perspectives à la faveur de situations offertes. D’abord au  Centre Sanitaire Scolaire de la Turmelière en Liré (Maine-et-Loire) (Il s'agit du "Petit lycée" de Joachim du Bellay; Le domaine de la Turmelière; acaheté par la Fédération des Amicales Laïques de Loire-Inférieure comprend les écuries du château de du Bellay)) dont on m’avait confié la mise en route et la Direction Générale au lendemain de la Libération. Là, de rudes contacts avec d’émouvantes ou sordides réalités, m’ont amené à découvrir des vérités parfois inquiétantes au cours de quatre années, sur le malmenage de l’âme enfantine. L’équipe des enseignants tout entière, avec l’accord de l’administration académique et sur ma demande, appartenait au groupe Freinet (1946-1950).

 

Ensuite, à Nantes, la Direction d’une Ecole à treize classes, école excentrique à la fois par sa position suburbaine et par le caractère particulier d’une solide minorité de sa clientèle (forains, nomades, gitans, enfants d’une zone « bidonville ») m’a proposé de fréquents et parfois pénibles problèmes.

 

Cependant qu’en 1951, ma nomination comme Juge-assesseur titulaire auprès du Tribunal départemental pour enfants et adolescents m’offrait un champ extraordinaire d’investigations, grâce à quoi j’ai pu entrer en relation directe avec de jeunes délinquants dans des Centres d’accueil et d’observation, parfois même à la Maison d’arrêt. Il m’a été loisible d’étudier de très nombreux dossiers, d’y relever les éléments d’enquête sociale, d’expertise psychologique et de noter comme un leitmotiv la quasi permanence du facteur affectif perturbé dans la genèse de l’acte délictuel. De près ou de loin, j’ai suivi l’évolution de certains de ces adolescents, entretenant parfois des relations amicales durables.

 

*

 

Depuis 1961, mes rapports avec la pédagogie praticienne se sont radicalement modifiés du fait de nouvelles situations : direction pédagogique du Centre médico-pédagogique Henri Wallon, direction des études C.A.E.I. au Centre Régional de pédagogie spéciale à l’Ecole Normale de Nantes, chargé de cours en section de psychologie à la Faculté de lettres, enfin chargé de cours en section d’orthophonie à l’U.E.R. de Médecine et techniques médicales. Désormais les observations se faisaient rarement « en direct ». Elles prenaient fond sur les recherches d’étudiants dont beaucoup ont tracé des pistes intéressantes pour se concrétiser en un certain nombre de Mémoires de fin d’études universitaires. Presque toujours et presque partout l’affectivité dominait les tableaux tant dans le domaine de l’investigation que dans celui de la thérapie éventuelle.

 

Pour terminer, je n’aurai garde d’omettre mon rôle de père de famille, puis de grand-père. Je me suis constitué une collection de dessins de mes enfants et n’enrichis celle de mes petits-enfants qui ne me privent guère de leurs productions.

 

*

 

Puisse cette B.T.R. susciter des observations nombreuses de recherches originales et plus approfondies à partir de matériels graphiques récents obtenus suivant des perspectives différentes et plus originales. A la suite, par exemple, des travaux de Roland Barthes sur la sémiologie ou de Panofsky dans ses essais d’iconologie.

 

                                                                                         Décembre 1977

 

 

 Introduction

 

Avant de les comprendre, il m’a fallu réunir et étudier de nombreux dessins de mes élèves. C’est ainsi que, spontanément, j’ai employé une technique s’apparentant à la méthode biographique.

 

Tous les jours, pendant des années parfois (lorsque j’enseignais dans mon école à classe unique de campagne), j’ai recueilli les dessins fournis par chaque enfant. Puis je les classais dans le dossier réservé à chacun, au fur et à mesure de l’exécution, ayant noté la date, les circonstances, et surtout le commentaire verbal. Le dossier portait mention de la date de la naissance, la situation des parents, l’existence de frères et de sœurs, la place de l’enfant dans l’éventuelle fratrie et quand j’avais pu les connaître, les phases de l’évolution du développement psycho-moteur avec ses particularités.

 

Le soir, dans le calme, j’ai rarement manqué de revoir les dessins de la journée, de les comparer à ceux déjà réalisés, de noter les rapports que j’avais pu remarquer entre la vie psychique dans son déroulement et le tracé graphique. J’en ai tiré des conclusions souvent utiles sous l’angle éducatif personnalisé.

 

Comme il s’est toujours agi d’enfants de ma propre classe ou d’enfants avec qui je me trouvais en contact familier et confiant, que je les avais vus dessiner, cette technique n’a pas connu l’erreur qu’on lui a reproché à juste titre lorsque l’expérimentateur doit réagir sur des résultats acquis hors de sa présence, sans qu’il ait pu avoir connaissance des circonstances extérieures déterminantes ni de la verbalisation des dessins.

 

De plus, mes élèves, mes jeunes amis, mes propres enfants, ont dessiné pour  leur plaisir. Ils ont ainsi ignoré la situation « face à face » d’un examen psychologique avec ce qu’elle comporte d’angoissant. Le cadre et le climat affectif d’une classe Freinet constituée en un collectif établi sur des pratiques de liberté, d’expression médiate et de coopération vécue, permettent d’éviter un achoppement majeur en matière de psychologie de l’enfant : la situation artificielle.

 

L’interprétation des tracés et des contenus manifestes – de nos jours on parlerait en termes de traitement de l’information – se réalisait en fonction d’une série de dessins du même enfant. Il s’agissait de saisir les modifications de structure, de forme, de contenu témoignant de la modification de la situation vécue par l’enfant, même fantasmée inconsciemment en s’intériorisant.

 

L’analyse systématisée d’un dessin unique peut présenter un extrême intérêt pour le psychologue spécialisé. Elle n’et pas à la portée de l’enseignant s’il n’a pas été formé à cet effet.

 

Dans une classe Freinet, il ne saurait d’ailleurs être question d’appréhender les production grapho-plastiques des enfants à la manière de tests, même expressifs. C’est pourquoi cette B.T.R. ne comportera aucune indication méthodologique comme on en trouve en particulier dans le C.A.T. ou le T.A.T. ou le 3Patte noire » du docteur Louis Corman.

 

Le classement biographique paraît suffisant. Il permet à l’œil affectueux et vigilant d’acquérir et d’affiner, suivant son propre processus tâtonné, une riche expérience sans risquer des interprétations sauvages fâcheuses qui pourraient, par maladresse, provoquer de véritables désastres.

 

En ce qui me concerne, les conclusions interprétatives sont toujours demeurées rigoureusement discrètes et à mon seul usage.

 

Une trentaine d’années d’observations lucidement vécues m’ont permis, sa,ns intention investigatrice, le plus souvent grâce à des suites de dessins d’expression libre éclairés par leur verbalisation :

1 – de mieux situer un enfant dans son milieu familial (ou le substitut du dit milieu), donc de mieux comprendre le sens de ses réactions et de certaines de ses conduites,

2 – de percevoir l’origine des blocages, des tensions affectives, des perturbations se développant à bas bruit ou par explosions brutales.

3 – de vérifier la dédramatisation fréquente, la liquidation plus ou moins complète des tensions et des conflits.

 

*

 

Même si la documentation iconographique présentée dans la seconde partie paraît « dater » aux yeux de certains, de nouvelles expériences dans le sens de la recherche devraient permettre, dans la perspective et sous l’éclairage de la pédagogie Freinet de l’Ecole Moderne, l’étude critique des conclusions précédentes abordées cette fois comme des hypothèses de travail.

 

 

 

 

Première partie :

 

L’affectivité à l’Ecole Moderne

 

Pour le lecteur soucieux d’une définition de l’affectivité dense et claire à la fois, celle que propose Philippe Malrieu dans son petit ouvrage « La vie affective de l’enfant » édition du Scarabée 1956, devrait s’imposer. Elle s’énonce comme :

 

« un système complexe de régulations complémentaires où la disposition à s’ouvrir aux influences du milieu et le repliement sur soi, l’impulsivité et la passion alternent en fonction des états psychologiques et des  stimulations du milieu ».

 

Disciple d’Henri Wallon, Philippe Malrieu accorde une importance capitale aux émotions dans le processus éducatif. Et, bien que peu intéressé par les thèmes psychanalytiques, il retrouve un des soucis marquants de Bruno Bettelheim qui assure que si l’école traditionnelle transmet des connaissances, elle échoue totalement sur le plan émotionnel. (cf. Le Monde de l’Education n° 22 Nov. 76).

 

Freinet n’a pas manqué d’introduire intuitivement, puis logiquement, la dimension émotive dans la pédagogie de L’Ecole Moderne. Charles Baudouin, dans « L’Ame enfantine et la psychanalyse » Edition Delachaux-Niestlé (1951) rappelle à ce propose que, vers 1931, il était déjà en relation avec Freinet qui cherchait quelques applications des connaissances psychanalytiques à l’éducation scolaire.

 

« L’essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation », édité en 1950, au cours de ses dix-sept chapitres manifeste le souci constant de Freinet de fonder sa thèse en termes dynamiques. En particulier, il rejette « le schéma unilatéral, l’abstraction métaphysique pour faire surgir de l’instant vécu le processus historique dans son double aspect individuel et social ». Suivant un aspect relationnel et affectif, deux des principes énoncés dans l’ouvrage attirent l’attention.

 

Celui de l’expérience tâtonnée où la mère, au contact de son bébé, se place sur un plan privilégié : « L’enfant, mû par ses besoins, tâtonne pour les satisfaire. Si la mère aide à la satisfaction de ces besoins, il sera orienté vers une solution réussie qui aura tendance à se répéter, à infléchir le comportement et à s’instaurer en règle de vie. Si au contraire, la mère refuse à être l’outil docile aux désirs de son enfant, celui-ci devra tâtonner à nouveau vers d’autres recours. »

 

Second principe retenu ici : celui des « recours-barrières ». « Tout le secret, tout l’art, toute la science de la formation éducative résideront dans la fonction favorable de ce que nous nommerons les recours-barrières ».

 

Par recours, Freinet dit l’aide volontaire ou inconsciente qu’apporte à l’être jeune le milieu éducatif en vue d’une action entreprise. En revanche, les barrières jalonnent les expériences vécues et limitent dans une mesure satisfaisante les actions estimées dangereuses ou prématurées par le milieu éducatif, « accommodantes et  familières, elles ne sauraient boucher la vue sur des horizons apaisants et prometteurs ». Elles autorisent, éventuellement, ces petits écarts qui ne portent pas à conséquence et qui n’en sont pas moins d’émouvantes échappées.

 

Toute l’œuvre pédagogique de Freinet, tout l’apport considérable d’Elise, celui de ses « compagnons » de l’Ecole Moderne attestent que l’éducation, singulièrement celle dispensée par l’école, doit établir son accrochage sur un mode affectif. « On ne fait pas boire un mulet qui n’a pas soif », assure Aristide, un des personnages du film « L’Ecole buissonnière ».

 

Par parenthèse, on entrevoit dès lors l’importance et la délicatesse du rôle de l’éducateur et de sa personnalité dans le schéma dynamique relationnel « enseignant-enseignés ». Les journées d’études des 19 au 21 mai 1966, organisées à Paris à l’occasion du Xxème anniversaire de la Création des Centres Médico-psycho-pédagogiques ont projeté un très vif éclairage sur les relations affectives enfants-éducateurs grâce aux témoignages bien fondés de plus de cinquante intervenants hautement qualifiés.

 

*

 

Ainsi, d’un simple point de vue éducatif, la psychologie moderne considère qu’à côté des éléments intellectuels, le facteur « maturation », et des éléments affectifs interviennent en jouant un rôle considérable dans tout processus d’apprentissage. Le succès ou l’échec des efforts dans un domaine ou dans une situation, les réactions du milieu à cette occasion exercent sur l’enfant une influence d’ordre affectif qui colore non seulement l’expérience du moment mais qui nuance son attitude ultérieure à l’endroit de nouveaux efforts, pour de nouvelles expériences.

 

Tout au long de la vie de l’enfant, puis de l’adolescent, on retrouve l’influence de l’affectivité.

 

 

 

Le dessin et la sensibilité

 

Dès 1909, l’inspecteur général Quénioux, rédacteur des programmes et instructions se rapportant au dessin insistait sur l’aspect du dessin à l’école primaire comme facteur de culture et comme stimulant pour le jeu normal de l’imagination et de la sensibilité. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour favoriser « l’instinct qui pousse les enfants à dessiner ». Et librement. Cela allait de soi pour Monsieur Quénioux en 1909.

 

Moyennant quoi, ajoutait-il, un maître « connaîtra mieux ses élèves après que ceux-ci auront dessiné en liberté. Le dessin d’imagination est une contribution de premier ordre à ce qu’on appelle la psychologie de l’enfant ». Il n’est pas sûr que ces Instructions officielles aient été suivies avant Freinet et Elise ! Pourtant les textes du 27 juillet 1909 rejetaient « toute pédagogie étrangère au dessin lui-même qui, sous prétexte d’aider l’œil et la main, endort l’un et l’autre, engendre la routine et rend mort-né le plus vivant des enseignements ».

 

Freinet et Elise ont affirmé, de leur côté, que le dessin et la peinture sont l’expression plastique d’un langage particulier à l’enfant chez qui le besoin relationnel et expressif est une caractéristique essentielle. Surtout par des images médiatrices de sa situation vécue. Nous aurons l’occasion de revenir là-dessus dans la seconde partie de cette présentation.

 

Des auteurs sérieux, comme Marthe Bernson  par exemple, ont étudié l’évolution graphique « du gribouillis au dessin ». Pierre Naville perçoit la même évolution « de la tache au trait » dans ses notes sur l’origine de la fonction graphique. Pour lui, cette fonction s’enracinerait plus profondément encore que le langage dans les potentialités de l’être humain. Hypothèse hardie qui semblerait confirmée dans les conceptions de la motricité affective présentées par Henri Wallon et par les travaux de jean Piaget sur la représentation spatiale.

 

Autrement dit, il ne serait sans doute guère hasardeux d’avancer que l’évolution du graphisme enfantin, du geste à la tache, de la tache au trait, témoignerait des lents avatars de la sensibilité, d’abord pensée aveugle et immédiate (A. Burloud) vers la pensée intellectualisée et son expression.

 

En tout cas, si le milieu des adultes ne marque aucune attention au dessin de l’enfant, non perçu comme un langage, comme une information chargée de sens pour la communication, ce mode expressif est abandonné. Au contraire, un accueil favorable suscite un encouragement qui se traduit par de nouveaux graphismes souvent offerts en oblation. Dans la pratique, l’enfant, même déformé scolastiquement et dont les dessins ont été rebutés par les grandes personnes conserve avec ses camarades ce mode irremplaçable d’expression dans les jeux.

 

Par parenthèse, il semble nécessaire de rappeler que si, depuis près d’un siècle, notre monde occidental interroge le dessin enfantin avec une curiosité croissante, cela tient pour une part à la naissance et au développement de l’industrie du crayon  au graphite et du papier à un relatif bon marché. Auparavant, les graffiti muraux «étaient détruits, effacés par le frottement, par le vent ou la pluie presque aussitôt réalisés.

 

Pour s’enrichir, le dessin doit avoir dominé les acquisitions précédentes, les avoir intégrées, automatisées. Pareille maîtrise n’est pensable que dans un milieu affectivement et intellectuellement riche favorisant la traduction des besoins d’expression de la sphère affectivo-émotive et intellectuelle.

 

Une éminente psychanalyste, J. Favez-Boutonnier expose dans son petit ouvrage sur « Les dessins des enfants » les qualités spécifiques qu’elle reconnaît au dessin. Et parmi celles-ci :

-          le dessin est une expression directe qui touche l’enfant ;

-          il peut exprimer symboliquement et de manière moins évidente les intérêts affectifs de l’enfant ;

-          en dessinant, l’enfant représente ce qui fait l’objet de son désir ou de sa peur, il en devient en quelque sorte l’auteur sous une forme dont il et maître… En particulier, le dessin permet de  reproduire, en les maîtrisant des situations marquantes, de renouveler le triomphe ou de dominer progressivement l’angoisse.

 

Un autre spécialiste, Ernest Boesch, assure que le dessin est un médiateur, il établit une distance propice entre l’enfant et l’adulte compréhensif. Dans la classe coopérative Freinet, maître et enfant devant la production graphique de celui-ci, ne sont pas « objet » l’un pour l’autre. Ils ont précisément, un commun intérêt, le dessin, à partir duquel la verbalisation s’organise, généralement utile sinon indispensable pour une bonne compréhension des éléments.

 

En 1927, Sophie Morgenstern élève du docteur Georges Heuyer, obtenait la démutisation d’un garçon de onze ans Robert. Le dessin constituait l’essentiel de la cure psychanalytique. A l’origine de la thérapie, la contribution du dessin fut précieuse car il constituait le seul moyen de communication et de contact entre le médecin et son jeune malade.

C’est que, suivant Madeleine Rambert, « le dessin n’est pas seulement un moyen d’expression ; il facilite la prise de conscience des conflits ; il permet de plonger plus profondément dans l’inconscient de l’enfant ; il favorise l’abréaction de l’affectivité ; il permet une catharsis surprenante…(1) »

 

En somme, le dessin libre n’exprime pas seulement l’intelligence mais une prise de position affective, et à ses vertus s’ajoute une fonction capitale : une fonction de libération, une sorte d’extraversion médiatrice communicable à autrui. Les difficultés, les  conflits, les blocages, s’objectivent. Très gonflés en valeur subjective, ils s’amenuisent en se transposant et finissent par être acceptés comme banals au contact des autres membres de la classe coopérative, eux-mêmes confrontés à leurs propres problèmes.

 

« Cette psychothérapie graphique entraîne des conséquences importantes en ce qui concerne le travail scolaire et contribue ainsi à l’amélioration de l’ensemble du comportement et des relations de l’élève avec ses éducateurs » (Georges Mauco)

 

Dans les classes Freinet, l’enfant dessine spontanément. Si parfois s’organise une psychothérapie elle se produit en dehors d’un système conçu en fonction d’un but à atteindre. Elle ne saurait être cherchée et poursuivie en tant que telle. Pourtant, il arrive qu’on en observe les heureux résultats.

 

*

 

En bref, cette première a souhaité rappeler très succinctement l’importance déterminante de l’affectivité dans le développement de l’enfant. Puis préparer la série de témoignages sur la valeur connotative des représentations dessinées, significatives de la personnalité dès lors qu’elles ont l’objet d’une observation continue. Pragmatique, l’enseignant peut fonder sa quête sur ces donnée simples en attendant que la sémiologie mette à sa disposition des principes constitués scientifiquement.

 

 

 

(1)   Termes de la psychanalyse classique :

 

·         Abréaction : Décharge émotionnelle par laquelle un sujet se délivre d’une émotion ancienne, d’un choc ancien, auquel il n’a pas réagi complètement sur le moment même.

 

·         Catharsis : Etymologiquement, signifie « purification ». D’un point de vue psychothérapique la catharsis désigne l’effet salutaire obtenu à partir de certaines techniques.

 

 

BIBLIOGRAPHIE DE LA PREMIERE PARTIE

 

- F. L. MUELLER

  La psychologie contemporaine

      Edition Petite Bibliothèque Payot 1963

 

- S. FREUD

   Psychanalyse. Textes choisis

Edition P.U.F. Collection S.U.P. 1967

 

- C.C. JUNG

   L’homme à la découverte de son âme

Edition Petit Bibliothèque Payot 1962

 

- André BERGE

   L’éducation sexuelle et affective

Edition du Scarabée 1954

 

- Georges MAUCO

   Education de la sensibilité chez l’enfant

   (Essai sur l’évolution de la vie affective)

       Edition  Editions Familiales de France 1950

 

- Georg GRODDECK

   Le livre du Ca

Edition N.R.F. Gallimard 1973

 

-  A. BURLOUD

    Psychologie de la sensibilité

       Edition A. Colin 1954

 

- R. MUCCHIELLI

   Philosophie de la médecine psychosomatique

       Edition Montaigne-Aubier 1961

 

-  Jean PIAGET

    La relation entre l’affectivité et l’intelligence dans le développement mental de l’enfant.

        Edition Centre de documentation universitaire Paris 1954

 

- Ph. MALRIEU

   La vie affective de l’enfant

        Edition du Scarabée 1956

 

- Pierre FEDIDA

  Dictionnaire abrégé, comparatif et critique des notions principales de la psychanalyse

        Edition Larousse 1974

 

- Norbert SILLAMY

  Dictionnaire de la psychologie

        Edition Larousse 1967

 

                                                   etc.

 

 

 

Deuxième partie :

 

L’ENFANT, SES PROBLEMES ET LEUR REPRESENTATION GRAPHIQUE

 

Témoignage d’épanouissement physiologique et affectif

 

Annick – 10 ans

Milieu familial : père : paresseux, ivrogne, brutal ;

                            Mère : médiocre ménagère, souvent battue lorsque le mari est ivre ou lorsqu’elle lui refuse de l’argent pour se rendre au café.

Un petit frère, encore bébé, de 15 mois.

Toute la famille s’entasse dans une seule pièce sordide. C’est la misère.

Jusqu’à présent, Annick, enfant maigre, sous-alimentée et mal alimentée n’a pas souvent mangé à sa faim.

Elle a manqué l’école. Son retard mental de deux ans environ est dû à la pauvreté d’apport du milieu y compris du point de vue nutritif, et il s’aggrave d’un gros retard scolaire. En éducation physique sa fiche porte l’indication « à ménager ». Arrivée au Centre de la Turmelière le premier octobre 1947. Elle dessine avec plaisir, au sein d’une classe Freinet.

 

Examen d’un choix de dessins : voir à partir de la page 36.

10 octobre 1947 : (fig.1) La maison présente une « transparence » normale chez des sujets beaucoup plus jeunes.

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Cette transparence met en évidence deux tables chargées de plats. Les chemins montants, coudés à angle droit de part et d’autre de la maison, sont barrés à leur extrémité. Sur la maison trois cheminées qui ne fument pas. Un soleil incomplet à gauche, et un quartier de lune à droite, qu’elle dit avoir dessinés « comme ça, pour s’amuser ». dans la partie inférieure, un bateau a été fait parce que, explique-t-elle « il faut pêcher du poisson pour le mettre à cuire ». Ce bateau est identifié français par un drapeau bleu-blanc-rouge. Apparemment, il y a simple juxtaposition d’éléments hétérogènes. La verbalisation rend son unité à l’ensemble et marque combien l’enfant est attentive à la faim qu’elle a connue. Elle assure qu’elle ne veut plus retourner dans sa maison parce qu’ici elle mange bien et qu’elle aime Madame C.  la cuisinière du centre. Les chemins barrés, notés plus haut, matérialiseraient-ils ce refus de retourner dans ce foyer qu’elle vient de quitter ? Pourtant elle écrit gentiment à ses parents et dit souhaiter les revoir.

 

22 octobre 1947 : (fig.2)

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Encore une maison. Celle de sa tente, beaucoup plus belle et confortable que la sienne, dit-elle. Il y a, à la fois, « transparence », « rabattement » et « mélange des points de vue » (Eléments de la terminologie de G.H. Luquet dans son ouvrage « Le dessin enfantin » Edition Felix Alcan 1927). Deux tables avec « des bonnes choses dessus ». La cheminée fume modestement. Des fleurs égaient la pièce. A droite et en bas, Annick dit avoir dessiné un lit. Celui de sa sœur Jacqueline « qui est morte ». Le dessin présente une certaine unité. Il est chargé d’affectivité car la maison appartient à cette tante qu’elle aime beaucoup et il lui a permis de rappeler le souvenir de cette sœur défunte. Sans la verbalisation, rien n’aurait laissé soupçonner l’importance de la charge affective. Les fleurs cependant aident à une bonne impression d’ensemble.

 

12 novembre 1947 : Le dessin de ce jour met en vedette sur la table une bouteille qui voisine avec les plats. Annick présente la chose comme une plaisanterie. Ce sera, de tout son séjour, la seule manifestation précise de son passé.

 

17 novembre 1947 : Des personnages commencent à s’inscrire dans les dessins libres d’Annick. Elle dote de ventres énormes « ils ont bien mangé » dit-elle. Le thème se modifie peu. L’expérience qu’elle a souffert l’a marquée. Elle et encore très « digestive ».

 

8 décembre 1947 : La fillette, triste, ne cherche pas à dessiner. Hier, jour de visite, personne n’est venu la voir. Elle a su par une carte hâtive de sa mère qu’il n’y avait pas assez d’argent à la maison pour entreprendre le voyage. Mais la carte porte la promesse que le père et la mère participeront à la visite prochaine.

 

9 décembre 1947 : (fig.3)

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toujours fidèle au même thème et aux mêmes symboles, Annick dessine encore sur la maison trois cheminées (elles fument cette fois), puis un soleil radieux et un quartier de lune. Les personnages sont le père et la mère. Lui est curieusement festonné et embelli, malgré l’indication agressive des dents.  Toute la maison et les fleurs qui la décorent sont ainsi enjolivées. Cette expansion du tracé, cet enjolivement par le trait et par la couleur, l’ouverture du chemin qui mène à la maison, tout indique que, malgré la déception de l’avant-veille, Annick a retenu la promesse, qu’elle transforme déjà en une joie prochaine. Sur le plan physiologique et affectif, elle s’est elle-même transformée, étoffée, personnalisée.

 

12 décembre 1947 : (fig.4)

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Aujourd’hui, la feuille est trop petite pour exprimer toute la joie de la fillette. Il s’agit encore d’une maison. Mais les personnages s’y trouvent à l’abri. Malgré sa misère passée dont le souvenir à peine amer s’amenuise à cause du bien-être présent et de l’espoir dont elle se sent assurée, le dessin affirme une nouvelle Annick optimiste. Ses personnages sont souriants. L’ensemble concourt à montrer qu’elle reste attachée au plaisir jusque-là inconnu « d’être à table », qu’elle s’est adaptée à un climat éducatif esthétique auquel elle est sensible. Il est amusant de constater qu’elle a signé son oeuvre en bas et à gauche, en l’agrémentant du feston qui traduit son épanouissement.

 

*

 

Pour Annick, le dessin est parfaitement ce « compte-rendu affectif-actif qui exprime son contact avec le monde et avec les autres » (Merleau-Ponty). Il traduit l’adaptation de l’enfant à son milieu nouveau ; il lui a permis de conférer, de façon en quelque sorte magique, la possession d’une maison agréable, avec une table toujours bien garnie.

Le dessin apporte le témoignage d’une vitalité nouvelle et optimiste.

 

Le cas d’Annick permet d’évoquer succinctement le problème des enfants qui s’étiolent physiquement et mentalement dans certaines familles. Ils sont si bien conditionnés à leur milieu d’origine qu’ils souffrent

 

 

moins de leur état qu’on serait tenté de l’imaginer de prime abord. Ils sont, malgré tout, attachés à leurs parents qui constituent pour eux, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un élément de sécurité. J’ai lu de nombreuses lettres débordantes d’affections de gosses mal nourris, sortis de taudis infects, adressées à leurs parents. Alors que j’en ai parcouru d’autres, égocentriques, revendicantes et sans tendresse, écrites par des enfants choyés, placés dans les mêmes conditions d’éloignement des parents que les précédents.

Donc, Annick n’ a pas été une « enfant-problème ». Dans son comportement et dans ses dessins, on retrouve pendant longtemps le simple souci de se nourrir. Dès que le besoin est assouvi, et que son état général s’est amélioré, déterminant un épanouissement de toute sa personne, elle est toute prête à retrouver sa famille.

 

Des mesures de protection de l’enfance avec une intelligente aide éducative auprès des parents permettraient souvent de pallier la carence familiale. C’est une question de personnel bien formé, donc, pour une large part, une question d’ordre économique et politique.

 

 

 

 

 

 

 

Le dessin, traduction d’un sentiment d’insécurité agressive, de culpabilité ou reflet d’un style d’éducation.

 

A. – Sentiment d’insécurité agressive       

 

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Le dessin de la figure 5 représente un monsieur et une dame réalisés par Bernard, garçon de 10 ans, au cours d’une sieste, dans une colonie de vacances à la Turmelière, au lendemain de la Libération en juillet 1946. 

 

Une remarque s’impose : le parti pris de l’enfant, de rendre ridicules ses personnages adultes. La structure du dessin correspond à peu près à l’âge du sujet, mais il subsiste des reliquats d’un stade infantile : vagues contours du ventre en transparence, nombril. La morve dégouline des nez, et les dents sont fortement marquées. Noter que le personnage masculin est plus petit que l’image féminine. Ce dessin laisse une impression désagréable. Il s’agit d’une caricature, d’une charge dont les adultes font les frais, surtout l’homme aux gros souliers lourds de clous.

 

Le milieu familial – Bernard est le benjamin d’une famille qui a compté huit enfants. Les deux frères aînés ont disparu. L’un a été fusillé par les Allemands, l’autre s’est noyé naguère au cours d’une promenade en barque. La mère, grande nerveuse au bord de la psychopathie, surtout après les malheurs qui ont frappé la famille, entretient une constante tension avec les siens et avec le voisinage. Le père, plutôt falot, manque de l’énergie nécessaire pour ramener la quiétude au sein de la famille.

 

L’auteur – Bernard se présente relativement petit, avec le ventre proéminent d’un rachitique ; sa santé est médiocre. Peu sociable, il n’arrive pas à trouver une insertion convenable dans un groupe d’enfants. Inquiet, instable et opposant, il semble prendre plaisir à attirer sur lui les sanctions qui constituent comme son climat de choix. Pourtant il aime à être pris au sérieux. A titre d’expérience, et pour rompre la série des punitions que ses moniteurs finissent par lui infliger, il est décidé, en accord avec eux et avec lui, que Bernard sera responsable d’un service à la salle à manger et qu’il aura l’autorisation de  « travailler » une heure ou deux à la cuisine à son gré.

 

Peu après cette valorisation perçue et vécue comme telle, les manifestations agressives cessent ; Bernard, que l’on pouvait croire de constitution caractéropathique parce qu’il créait régulièrement le conflit, réapprend la relation sécurisante avec les adultes d’abord, puis avec les camarades du groupe.

 

La valeur symbolique de l’enlaidissement par le dessin pourrait être interprétée ainsi :

 

1 – Le milieu familial et singulièrement les relations avec les parents n’ont eu pour Bernard aucune valeur sécurisante, Les querelles avec le voisinage, les punitions infligées à l’école, ont monté chez lui un mécanisme d’agressivité, d’instabilité, à base d’insécurité, qu’il a traduit, à un moment donné, par son dessin, ici très subjectif. Pour lui, le nez a été le symbole de ce qui est malpropre et dégoûtant. Ainsi, il a exprimé son mépris de l’adulte et, si le personnage masculin est le plus chargé et minimisé par la taille, c’est sans doute parce qu’il regrette que son père ne fasse pas preuve d’une autorité qui ramènerait le calme dans la famille.

 

2 – Les adultes ne lui ont pas apporté la sécurité, au contraire ; ils semblent s’être ligués contre lui pour le rabrouer, le gifler (la mère a la main très leste), le punir. Leur agressivité trouve son expression par les dents très nettement indiquées. La valeur symbolique des dents est étudiée par J. Boutonnier dans son beau livre sur « L’Angoisse » (J. Boutonnier  « L’Angoisse » Edition P.U.F. Paris 1945). Elle voit une tendance agressive dans « le simple fait de se nourrir, à partir du moment où il faut se servir des dents et mordre, puis mâcher pour manger… tendance agressive, dont l’existence est évidente puisqu’elle peut exister seule dans la morsure ». (p. 255)

 

D’ailleurs le parler populaire « avoir la dent dure, mordre à belles dents, être armé jusqu’aux dents, grincer des dents, avoir une dent contre quelqu’un, montrer la grosse dent » etc. ne peut prêter à confusion. Pour Bernard, un milieu plus compréhensif et moins coercitif devrait obtenir de lui une meilleure adaptation.

 

 

B. – Sentiment de culpabilité

 

Les deux dessins suivants (fig. 6 et 7)

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sont extraits d’une collection obtenue dans divers centres d’accueil ou de rééducation pour jeunes délinquants.

Le premier a été réalisé par un garçon de douze ans, issu d’un milieu familial sous-développé et sans aucune valeur éducative. Pour ce genre de  « parents » ce qui est  « bien » coïncide avec ce qui présente un intérêt direct et immédiat. Ce qui est  « mal », c’est ce qui ennuie, ce qui gêne. Dans un milieu semblable, chaque individu ne possède qu’un  « Sur-Moi » fort mal structuré, sans rapport avec une conscience morale. Les chapardages dont l’enfant s’est rendu coupable n’ont pas été vus sous l’angle d’un acte délictuel. Du point de vue du niveau mental, le retard est évident et affectivement, le garçon est demeuré à un stade infantile.

Que traduit le dessin ?

Il est remarquable qu’il manque d’équilibre, mais surtout nous y retrouvons l’affirmation d’un monde agressif, toutes dents découvertes. Les professions : « concierge » pour la femme, « chef de gare » pour l’homme signifient suivant un symbolisme populaire que celle-là est une bavarde dont les paroles sont dangereuses en ce qu’elles peuvent vous faire arrêter, et que celui-ci, avec son képi et son uniforme, symbolise l’autorité répressive. La valeur de l’acte n’est entrevue que sur le plan de la répression éventuelle.

 

Pour le dessin qui nous intéresse, on ne retrouve aucune trace de sentiment de culpabilité.

 

Le second dessin (fig. 7)

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beaucoup plus complet et évolué, a été réalisé par un garçon de quatorze ans qui venait d’arriver dans un centre d’accueil pour jeunes délinquants. Il s’était rendu coupable en 1947 d’un vol d’argent, du vol d’une montre et du vol d’une bicyclette.

 

Orphelin de père et de mère très jeune, il avait été élevé par des grands-parents, de milieu social aisé, qui élevaient également un autre petit-fils, plus âgé, étudiant dans une école d’ingénieurs.

Travailleur et sérieux, l’étudiant avait obtenu de ses grands-parents à titre d’encouragement, tour à tour, de l’argent, une montre, une bicyclette. Rappelons que nous sommes en 1947 !).

 

Les vols du plus jeune, qui s’estimait lésé, s’inscrivaient dans une ligne revendicative claire. Mais ici, le conflit du garçon avec soi-même est patent. Les symboles sont transparents. Les anges-éducateurs luttent, bien armés, de vive force contre les démons du vol. Cependant, les « gas » du centre subissent leur peine, terriblement mutilés et impuissants. Ces gars sont d’ailleurs symbolisés par le seul personnage-victime qui a l’air si triste. Le sentiment de culpabilité est intense. Il se traduit par la tête non reliée au corps et par la suppression des bras.

 

 

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La figure 8. dessin d’un garçon de 12 ans, Jean-Claude, élève d’une classe de la Turmelière, a été expliquée par son auteur :

 

« Le monsieur se promenait pour aller chercher à manger. Il a vu le pendu dans l’arbre. Alors maintenant il a peur qu’on dise que c’est lui qui a fait le coup ! ».

« Celui qui s’est pendu, c’est parce qu’il avait tué des gens ! ».

 

Il n’est pas besoin d’analyser longuement le dessin pour y découvrir, outre ce qu’expose la verbalisation, les éléments angoissants : le soleil personnalisé et agressif avec ses dents découvertes, l’arbre patibulaire squelettique, branches coupées, sans une solide assise. Tout semble se passer dans une sorte de rêve inconsistant. Les deux personnages, le pendu et le témoin sont dépourvus de  mains.

 

Jean-Claude, enfant gringalet, a perdu sa mère assez jeune ; son père boit beaucoup, et sa belle-mère ne lui a guère prodigué d’affection. Par compensation, il ronge ses ongles jusqu’au sang, et très tôt il s’est masturbé. Il dort mal, fait de mauvais rêves, il craint de mourir, dit-il. En lui, s’est installé un sentiment de culpabilité, qui s’exprime dans son dessin par un symbolisme d’auto-punition du type de castration.

 

Le problème des personnages aux mains coupées ou dissimulées a été systématiquement étudié par l’équipe du Comité de l’enfance Déficiente de Marseille, Mesdemoiselles S. Cotte, G. Roux, M.A. Aureille, dans leur ouvrage « Utilisation du dessin comme test psychologique chez les enfants «  (1951).

Les auteurs n’apportent pas de conclusions définitives. Leur travail se termine ainsi :

 

« Faut-il voir dans la mutilation du bonhomme une survivance de la loi du talion ? Une sorte d’apaisement apporté au Sur-moi ? De nos jours encore, certaines peuplades assez peu civilisées punissent le voleur en lui sectionnant la main. Faut-il voir dans la dissimulation des mains, le sujet qui a l’habitude de mentir et qui se trahit ?Faut-il n’y voir qu’un simple sentiment de « malaise intérieur » ou d’anxiété de l’individu qui craint d’être découvert, peut-être pour une faute autre que celle qui a déterminé l’examen psychologique ou qui en ressent un sentiment de culpabilité ? ».

Les auteurs ont considéré le dessin comme un test appliqué à de jeunes délinquants. Pour nous, dans le dessin libre, les mêmes observations concernant la mutilation ou la dissimulation de segments se sont imposées dans un grand nombre de cas. Pourtant, il ne s’agissait pas, le plus souvent, d’enfants ni d’adolescents délinquants. Et nous avons vu que les jeunes délinquants ne traduisent pas toujours leur mode d’anxiété par ce sacrifice symbolique. (cf. fig.7).

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Après avoir examiné, entre 1948 et 1950, six cent quarante dessins réalisés par des enfants (à partir de six ans), et des adolescents des deux sexes jusqu’à dix-huit ans, aucun des sujets n’étant un délinquant au sens juridique du terme, j’ai été amené à penser que le signe des mains coupées ou dissimulées que j’ai retrouvé dans une proportion étonnamment élevée vers 18 ans, et surtout chez les garçons, indiquerait une manière de  malaise de l’individu avec le milieu et avec soi.

 

 

C. – Le dessin, reflet d’un style d’éducation

 

Le hasard m’a mis en présence en 1957, au cours d’un séjour chez des amis anglais, d’une aimable fillette, Jane W. sept ans, remarquablement douée intellectuellement, qui, sachant que j’aimais les dessins des enfants, m’avait, entre autres, offert ceux présentées ici (fig. 9 – 10).

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A ma question touchant le garçon de la figure 9 : « Est-ce un mauvais garçon ou un bon garçon ? » la réponse vint immédiate : « Oh ! naturellement c’est un mauvais garçon, puisqu’il a chipé les billes de ses camarades ! ». Ici les deux mains sont dissimulées, la droite derrière le dos, la gauche dans une poche où elle serre les billes chipées… Aux yeux de Jane, le garçon est coupable.

 

La figure 10 présente, fort correctement rendue, une rue typiquement anglaise avec ses cottages bien alignés, ses barrières dans le fond, ses larges trottoirs, sa chaussée au passage « zébré » et dans le coin, en bas et à droite, la corbeille aux papiers avec son inscription « Litter ». Avec aussi le personnage central, celui qui détient l’autorité et le pouvoir de régler sans discussion la circulation, ce personnage parfait : le policeman, reconnaissable à son haut casque. Or, sur les sic personnages (y compris le conducteur de la voiture Co-op), seul notre « bobby » possède des mains aux doigts bien étalés. Pourtant, tous les personnages agissent de façon parfaitement correcte.

 

Je verrais dans cet exemple un formalisme extrême d’obéissance à la règle, avec un soupçon d’inquiétude dans l’attitude rigide. Est-on jamais sûr de ne pas se trouver en contravention au regard du tout-puissant policeman infaillible, symbole de la Loi ? Très strictement élevée, Jane est devenue, pour un temps peut-être, scrupuleuse à l’excès. Il y aurait donc bien une manifestation de malaise avec le milieu et avec soi, indiqué précédemment.

 

 

Evolution d’un sentiment de jalousie chez un jeune enfant

 

L’exemple choisi se situe entre octobre 1941 et juin 1942.  Depuis la rentrée de Pâques 1941, R., quatre ans six mois fréquente l’école de St P. Même si pendant l’occupation il n’est plus possible de développer totalement la pédagogie Freinet, l’esprit de liberté d’expression y est toujours en honneur.

 

Réfugié du Nord avec ses parents, R. a vécu alors qu’il n’était âgé que de trois ans, la terrible aventure de l’exode en juin 1940. Il  a connu les bombardements et les mitraillages au sol sur les routes encombrées et sanglantes.

Le souvenir des spectacles violents dont il a été le témoin terrorisé l’a sensibilisé à la notion de la mort horrible. Aussi le 18 octobre 1941 (fig. 11),

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seize mois après les événements, un souvenir épisodique remonte à la mémoire de l’enfant qu’il traduit de façon simple et tragique. Dans un ciel zébré du rouge des éclatements, une escadrille d’avions largue ses bombes. Près de la route, en bas, sur la gauche un cadavre est étendu, sans bras, peint de couleur verte. Deux personnages debout, à droite, de l’autre côté de la route, suivent les vols avec inquiétude. Celui de droite tient une mitraillette. « Tout le monde a peur » explique R. L’ensemble, malgré  la modestie des moyens graphiques mais en œuvre, est hallucinant. La sensibilité à vif de l’enfant s’y manifeste clairement sans transposition métaphorique inconsciente.

 

Pendant les mois suivants, R. use du dessin libre. Il s’y exprime bien et verbalise ses productions sans difficulté.

 

Brusquement, le 23 mai 1942, dans un dessin spontané qu’il veut intituler « On s’en va à la foire » (fig. 12),

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dessin riche où l’observation des scènes vécues s’exerce avec fruit, R. met en évidence dans le ventre de la jument (c’est lui qui précise qu’il s’agit d’une jument) sept petites formes. Il n’hésite pas à dire que « ce sont les petits qu’elle va faire ». La jument est colorée en vert.

 

Les jours suivants, R. dessinera beaucoup de familles d’animaux porteuses de petits. Toute la classe sait, comme moi, que la maman de R. attend un bébé.

 

Le 8 juin 1942, nouveau dessin révélateur d’une sorte de hantise (fig. 13).

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Inconsciemment R. transpose la réalité sur le plan animal. Comme benjamin d’une famille de trois enfants avec deux sœurs plus âgées – 12 ans et 9 ans – il a souvent été gratifié. Aussi malgré l’affection dont il est encore l’objet, il sent monter en lui une jalousie considérable, une sorte de rancœur contre « l’autre » qui doit prendre sa place. Il se replie sur lui-même.

 

Nous allons vérifier qu’il s’agit d’une véritable fermentation dramatique, beaucoup plus sérieuse et profonde que ne l’estiment généralement les adultes mal informés.

 

Entre autres, les travaux de Charles Baudouin, d’Edmond Ziman, de Madeleine Rambert, de Louis Corman, ont mis en relief cet aspect de la rivalité fraternelle : le complexe de Caïn, né de la jalousie.

 

Ce n’est pas une évolution subtile, ce n’est pas comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu que se présente le 12 juin 1942 (fig. 14)

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la scène funèbre de l’enterrement de la maman et du bébé ». Avec des moyens graphiques fort simples, des couleurs en nombre réduit, R. donne à sa composition une allure sévère. Le titre éclaire suffisamment le problème. Le sentiment de jalousie est devenu si exigeant qu’il a développé l’agressivité inconsciente au summum. Non seulement contre l’intrus, mais aussi contre la maman pourtant chérie.

 

Devant une pareille et apparente énormité, il paraît bon d’interroger plus attentivement le dessin dans un sens critique. De se demander s’il ne peut s’agir d’une simple coïncidence. Voyons donc.

 

1 – Dans le village, depuis plusieurs mois, on n’a pas enregistré de décès.

 

2 – L’examen détaillé du dessin permet d’observer ce qui suit :

 

le personnage de droite, en bas, représente le conducteur du cheval ; il est coloré en rouge, comme le sont les deux premières personnes qui suivent le char funèbre, c’est-à-dire le prêtre et l’enfant de chœur marchant allègrement la tête haute. En rouge aussi, le troisième personnage un  peu décalé dans l’espace par rapport aux précédents. Celui-là va la tête penchée sur la poitrine, l’air attristé. Le conducteur et les autres « rouges » sont en quelque sorte les « officiels » , ceux qui sont plus ou moins, mais directement intéressés ou touchés par le deuil. Mais seul le quatrième le paraît sûrement. Ce ne peut être que le Père. En effet, les autres membres du cortège, colorés en jaune, sont des figurants. On les voit converser entre eux. S’ils accompagnent les corps dans ce cortège, c’est à cause de la coutume déférente de nos campagnes. Il faut se rappeler, en effet, que la famille de R. n’a pas son origine dans le village. Dans l’éventualité du décès de la maman – qui porte en elle le bébé – seul le Père marcherait en tête du cortège, après le prêtre, puisque sa parenté ne pourrait être présente et que les enfants seraient confiés à une obligeante voisine.

 

L’inconscient de notre jeune auteur a joué, c’est évident. Il a permis l’expression « légale » de ce qui eût été indicible – ou monstrueux – autrement que par le dessin.

 

On aurait pu penser que cette explosion symbolique permettrait une liquidation appréciable du drame intérieur. Or, dans le dessin du 20 juin 1942 (fig. 15),

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R. reprend une métaphore familière en transférant son problème à nouveau sur un animal. Quoi de plus calme, en apparence que ce dessin si on le compare aux précédents réalisés depuis un mois ? On remarquera cependant un certain enrichissement : le personnage qui manie la fourche ou la faux possède deux bras figurés en épaisseur. Pour la première fois. De même que pour la première fois, le visage se complète par des yeux, un nez, une bouche. Il semblerait que l’état névrotique dans lequel se débat R. facilite ses acquisitions pour un temps. Verbalisant son dessin, le garçon explique la présence des deux petites masses dans le ventre de la jument (colorée en vert). Sans la verbalisation, on pouvait penser qu’il s’agissait de deux petits poulains. En fait, voilà ce qu’il en était :

 

« Le p’tit j eune, il bougeait toujours dans le ventre de sa mère. Alors sa tête s’est cassée. Il est tué maintenant ». Ce mot « tué a été presque crié.

 

Il paraît donc bien certain que R. symboliquement, a renouvelé par deux fois le crime de Caïn. Qu’on se rassure pourtant, chez l’enfant jeune, ce vœu de destruction, tant à l’égard de la mère (perçue comme responsable) que du bébé-rival est moins cruel en définitive qu’il ne se manifeste. L’enfant ne saisit pas ce qu’est la Mort ; pour lui c’est une absence, un départ. Quoi qu’il en soit, toute l’agressivité manifestée, la recherche pour dominer l’intrus ont tiré leur source de la même note affective : la jalousie.

 

Enfin, bien vivante, une petite sœur : Fabienne, naît le 22 juin 1942. Le 23, R. indique cette naissance par un dessin très différent des précédents (fig. 16).

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Il veut représenter sa maison. On peut ici, observer quelques caractères du dessin enfantin selon Luquet ; en particulier le « mélange des points de vue » et le « rabattement », ces caractères avaient été dépassés depuis longtemps par R. L’attention est attirée par ce qui est désigné par l’enfant comme le lit de Fabienne, là où elle dort. Lit énorme qui tient en haut du dessin une place considérable, tout à fait en dehors de la réalité. La maman « malade » gît plus bas, dans un lit beaucoup plus petit. Le papa  et une voisine venue l’aider s’affairent. Relégués sur la gauche, séparés par un trait vertical du reste de la maison, se tiennent trois lits, ceux de ses sœurs aînées et le sien. Tous trois curieusement traités.

 

On ne peut pas ne pas être frappé par la régression dont témoigne ce dessin. Une seule couleur est utilisée : le bleu froid qui intéresse les personnes de la famille et les objets familiers. La voisine est traitée en noir. Le trait se montre exceptionnellement mal assuré, nerveux. R. dessine sans enthousiasme cette « arrivée ». Il n’a pas trouvé en lui l’élan nécessaire à un beau compte rendu affectif-actif. L’impression d’exclusion est évidente.

 

Quelques jours passent. R. dessine peu, sans intérêt. Il faudra attendre le 16 juin 1942 pour qu’apparaisse un sujet amusant. Il s’agit du « bal de noce » (fig. 17).

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Au centre, le couple des mariés. Elle, vêtue de rouge (ce rouge qui, en quelque sorte, « officialise » certains personnages) plus importante en volume que le marié. Tous deux valsent parmi les invités, ceux-là mesquins par la taille. Tant il est vrai, et les badauds en témoignent toujours, que dans un mariage, seule la mariée vaut la peine d’être regardée. Ici, il s’agit réellement d’une noce de campagne que fait danser un seul musicien trompettiste, juché sur son estrade au premier plan. La verbalisation explicite les détails du dessin et les intentions de R. assez en verve. Il dit que c’et lui-même qui « rigole à faire le fou » à droite et en bas du document. « A faire le fou ! » sans doute pour oublier sa peine…

 

Pendant les mois suivants, puis au cours préparatoire, les dessins libres s’enrichiront d’intention et de matière. Souvent, ils se présenteront comme figés, empreints d’un climat obsessionnel. Tel celui-ci « Au printemps » réalisé en avril 1943 (fig. 18).

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Si nous voulions examiner cette production autrement qu’au premier degré, on la percevrait dans les rondeurs de l’arbre central qui protègent les nids habité d’un petit oiseau (à droite) puis d’un petit serpent, puis d’un autre oiseau ; le nid de gauche (retour symbolique à la mère) porte ce que R. a désigné comme une araignée. Or, quelle est la valeur archétypique de l’araignée ? (Jung écrivait « Cela… représente ou personnifie certaines données instinctives de l’âme primitive obscure, des racines réelles mais invisibles de la conscience individuelle… Il ne s’agit pas de représentations héritées mais d’une disposition innée à former des représentations analogues, c’est-à-dire des structures universelles identiques de la psyché que j’ai appelées plus tard : inconscient collectif. J’ai appelé « archétypes » ces structures. Elles correspondent au concept biologique de « pattern of behaviour ». Les archétypes fonctionnent dans les mythes et dans les contes, dans les rêves et dans toutes les productions propres au sujet qu’il soit sain, névrosé ou psychotique ».) L’araignée serait la représentation fantasmée de la « mauvaise » mère. Un ouvrage récent, dans le courant dit de l’anti psychiatrie « Mary Barnes, un voyage à travers la folie » de M. Barnes et J. Berke traduit de l’anglais par Mireille Davidovici – Edition du Seuil 1973, évoque au long de pages extraordinaires, écrites tour à tour par la malade : Mary Barnes (une ancienne infirmière) et son thérapeute : Joseph Berke, le fantasme souvent repris de l’araignée. Par exemple, voici selon J. Berke :

 

« Mary éprouvait de la colère et des désirs de meurtre à l’égard de sa mère qui l’avait abandonnée et à l’égard de son frère qui prenait sa place » p. 391. Puis « Mary considérait son passé comme une toile d’araignée qui l’enveloppait et contre laquelle elle se débattait pour en échapper. L’araignée était bien sa mère tyrannique, dominatrice et possessive. A mon avis, Mary était également l’araignée » p. 305. Bien d’autres passages de Berke sont de la m^me veine. Mary Barnes, guidée par son thérapeute, se met à dessiner et à peindre « j’avais l’impression que ma mère était en train de sortir de moi. Dans mon carnet de croquis, je fis au pastel « Deux diables dans une toile d’araignée ». Ma mère et moi… p. 214.

 

« L’araignée était ma mère. Joé (son thérapeute) me donna une araignée comme jouet… quand j’étais au lit, j’avais des hallucinations : je voyais des araignées. L’emprise du passé se relâchait. Ma mère devint progressivement une personne distincte, individualisée. Petit à petit, je me libérais du passé de la toile d’araignée ». p. 179.

 

Pour en terminer avec cette histoire réellement vécue, il faut savoir que Mary Barnes vit toujours, guérie. Elle est devenue une artiste peintre tout à fait cotée en Grande-Bretagne. Revenons à R. La frustration dont il a souffert ne s’est pas liquidée complètement. Peut-être à cause de sa sensibilité extrême, peut-être à cause du climat catastrophique d’insécurité qu’il avait connu et qui se poursuivait en 1943 ? Tout cela avait sans doute exacerbé la tendance introvertie de R., cet aimable petit garçon timide, au regard bleu si doux, dont les fantasmes inconscients avaient pourtant rêvé la disparition de la mère et du bébé qu’elle portait. Au passage, j’ai souligné l’usage de la couleur verte. Sans s’appesantir on peut rappeler que dans notre civilisation occidentale les différentes couleurs du spectre ont pris des valeurs affectives symboliques. Le rouge, par exemple, s’associe à la puissance, mais aussi à l’action violente, à la colère, à l’érotisme. Le blanc est associé à la pureté, à la joie (à l’inverse des civilisations de l’Extrême Orient). Le vert semble évoquer l’espoir suivant une mystique popularisée. En fait, le langage courant accorde aussi à cette teinte une tout autre valeur émotionnelle. On dit de quelqu’un qu’il est « vert » de peur, une pâleur maladive est aussi associée au vert ; une viande corrompue est qualifiée de « toute verte » et, bien que mordorées, les mouches à viande sont appelées « mouches vertes ». Autrement dit le passage du symbole « vert-espérance » à celui de « vert-morbide » n’est peut-être pas impossible à entrevoir. En ce qui concerne les quelques dessins de R., on pourrait l’interpréter dans ce sens (Au lecteur curieux de la notion du symbolisme de la couleur, il est conseillé l’étude de « La conquête de la couleur » de R. Maurel et J. Brunais – Edition Denoël 1956.).

 

Pour en terminer avec cette suite de huit dessins, rappelons que classiquement la jalousie fraternelle, bien évidente ici, se manifeste à deux niveaux : contre le tiers qui s’interpose dans la relation « mère-enfant » et contre la mère elle-même. Ce sentiment « tire son origine dans la confusion de soi et de l’autrui. Il est fait d’une identification positive à celui qui est envié et d’une frustration… Des comportements divers le prolongent qui vont de l’agressivité manifestée, à la passivité de rumination vengeresse, parfois délicieusement amère… Le sentiment ne reste pas toujours dans les limites habituelles. On le retrouve en psychiatrie infantile et adulte sous des formes diverses : soit des troubles du comportement, soit des fixations ou régressions en fonction des complexes de Caïn ou d’Œdipe… » art. « Jalousie » in « vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant » par R. Laffon – Edition P.U.F. 1963.

 

Le thème de la rivalité fraternelle, admirablement traité par Charles Baudouin dans « L’âme enfantine et la psychanalyse » Dition Delachaux et Niestlé p. 25 à 40, a été repris par le docteur Louis Corman sous le titre « Psychopathologie de la rivalité fraternelle » Edition Dessart – 1970. De même, un ouvrage d’Edmond Ziman « La jalousie chez les enfants » traduit de l’américain par Mme D. Mazé a été édité au « Scarabée » en 1959 avec une intéressante introduction de Maurice Debesse.

 

Actuellement (1977) R. est un homme solide, sérieux, sensible. Marié et père de plusieurs enfants, chef d’une petite entreprise assez prospère, il conserve des relations suivies avec toute sa parentèle, sans problème apparent.

 

Expression transitoire d’un vif sentiment de frustration affective

 

Ph. 6 ans 8 mois, a gribouillé librement dès qu’il a été en mesure de le faire. Puis il a dessiné.

Gribouillis et dessins ont constitué pour lui une forme normale d’expression évoluant de pair avec le langage courant. Ce langage est plutôt riche et nuancé.

 

Jusqu’à présent, il a vécu avec ses deux sœurs aînées entre ses parents. Et voici qu’au cours du mois de novembre 1949, pour des raisons d’ordre professionnel, sa maman est appelée à travailler à la ville, à cinquante kilomètres de la famille qu’elle quitte du lundi matin au samedi matin. Les sœurs de Ph. Sont elles-mêmes pensionnaires dans un collège. Ph. Se trouve donc brusquement seul avec son père et une très jeune employée de maison.

 

Malgré l’affection dont il est entouré, malgré les retours hebdomadaires de sa mère, Ph. éprouve un sentiment de vive frustration, cependant qu’une véritable détresse s’empare de lui. Sa détresse, il ne pouvait manquer de l’exprimer d’un jour ou l’autre dans ses dessins ; comme en d’autres occasions, il a manifesté ses joies.

 

Cela s’est produit, de façon sensible, le 25 novembre (fig. 19).

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Au verso de son dessin, Ph. A écrit spontanément (fig. 19 bis) : « Les merles ont que le père. La mère est morte ; les piverts sont tout seuls ».

 

Rappelons que souvent, chez l’enfant jeune, l’idée de mort est associée à celle de départ. Toute la sympathie de Ph. Va vers les « pics-verts » orphelins, mais il préfère « les merles » dit-il, car « ils ont encore leur père ».

 

La métaphore vécue est transparente. D’autant plus que « les merles » dans leur nid, le cour érigé, constituent une famille de trois enfants, comme celle de Ph.

 

Il serait sans doute intéressant d’analyser de plus près le dessin. Mais une observation semble plus souhaitable. Pour mieux comprendre, il faut examiner la fig. 20

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reproduction d’un dessin réalisé quelques jours plus tôt et qui porte déjà des détails symptômatiques d’un trouble affectif, à savoir : les cicatrices du tronc de l’arbre à gauche, l’indication d’agressivité marquée par les angles aigus du sapin, et la présence de ces immenses mais inquiétants champignons vénéneux (ils ont été indiqués comme tels par Ph.)  Le tracé est ferme, précis, sans « repentirs » selon la technique habituelle et caractéristique de Ph. 

 

Revoyons le tracé de la fig. 19. Il donne une impression de nervosité, de manque d’assurance. Il semble traduire une émotion profonde et considérable impossible à masquer. Ce dessin est un acte d’angoisse. L’émotion se retrouve dans l’écriture dont l’affaissement de la direction générale de la ligne, sur la droite, est si caractéristique en graphologie où elle appelle l’attention sur l’affaiblissement du tonus.

 

C’est ce qui paraît ressortir présentement. En classe où, malgré son jeune âge, Ph. suit convenablement un C.E.2, la maîtresse remarque à la fin du mois, sur la fiche « moins bon travail, manque d’attention ». La courbe des résultats a baissé ; ce qui affecte beaucoup Ph. Et voici qu’au début du mois de décembre, la fièvre s’empare de lui. Fièvre que le médecin consulté considère comme atypique et sans gravité, simple réaction psychosomatique. De fait, Ph. Se remet assez bine après quelques jours de repos au lit, pendant lesquels il exécute un nombre considérable de dessins. Après les vacances de Noël, en janvier, les progrès scolaires se poursuivent et Ph. ne donne plus d’inquiétude pour sa santé.

 

Par chance, en octobre suivant, toute la famille se retrouve définitivement réunie. Le 10 de ce mois, Ph. exprime sa joie (fig. 21).

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Solide sur son cheval, il sonne du cor, face à l’avenir. Son écriture est de nouveau bien équilibrée.

 

Le sentiment aigu d’insécurité et d’angoisse, dramatisé peu à peu, pendant le premier mois du départ de sa maman, s’est progressivement liquidé. Le dessin en a été le truchement, comme il le sera près d’un an plus tard, lorsqu’il attestera que tout a été surmonté et que Ph. a repris un bon départ poursuivi tout au long d’études heureusement couronnées.

 

 

Traumatisme sexuel incestueux chez deux sœurs

 

Les deux sœurs A. et G. âges respectivement de 13 et 12 ans, ont été, l’une puis l’autre, victimes des agissements criminels de leur père, incarcéré après la dénonciation de leur sœur aînée. M. âgée de 16 ans, qui avait refusé de se soumettre plus longtemps à lui. Elle avait préféré quitter sa famille pour entrer au service d’un ménage honorable à qui elle s’était confiée, et qui l’avait conseillée. L’enquête sociale présente le père comme un éthylique assez « imbibé ». La mère donne l’impression d’une amoralité qui confine à l’inconscience. Après l’incarcération de leur père, les fillettes lui ont été enlevées par une ordonnance provisoire du juge des Enfants qui, sur le conseil d’une assistante sociale, les confie au Centre Sanitaire Scolaire de la Turmelière à cause de leur faible développement somatique. Nous les recevons le 8 octobre 1948.

 

Elles quitteront le Centre de la Turmelière en mars 1949 pour un établissement plus spécialisé, où le juge me demandera d’apprécier la suite de leur évolution.

 

Priées de conserver le secret le plus absolu sur leur triste affaire tout au long de leur séjour à l’Ecole, les fillettes tiendront scrupuleusement parole. Dans un milieu moralement sain et adapté aux besoins de l’enfant, elles se sont épanouies, se comportant comme leurs compagnes, sans que rien de trouble ni de malsain ne transparaisse dans l’ensemble de leurs activités.

 

A. 13 ans

Développement staturo-pondéral insuffisant. N’a pas commencé sa puberté.

Niveau mental : suffisant.

A. dispose d’un pauvre vocabulaire. L’expression de sa pensée est rudimentaire. Sur le plan

affectif, elle est très infantile.

Examen des dessins :

8 octobre 1948 (fig.22) 

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:  Il s’agit du dessin du monsieur et de la dame. Elle précise que ces personnages sont nus. Elle ne marque cependant que des caractères indifférenciés deux points pour les seins, un point pour le nombril.

L’abdomen de l’homme est cerné largement de crayon noir, surtout dans sa partie inférieure. Le commentaire sollicité précise que l’homme est âgé de 17 ans, qu’il est menuisier (comme son frère aîné, d’attitude étrange, qui, durant le procès cherchera à innocenter son père) ; la femme n’a que 15 ans.

 

Fig. 23 :

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A. dessine ce qui  lui plaît. Ce sont des éléments apparemment sans lien. Pour plus de précision, je lui demande d’écrire le nom de chaque objet. La valeur symbolique de la plupart semble peu contestable ; ainsi la lune, la canne, les cerises, la fleur. La voiture d’enfant n’est même plus un symbole. Reste la barque que A. nomme « bateau ». Je ne saisis le sens métaphorique de cet élément et sa place dans l’ ensemble que lorsque la fillette, après une courte réticence, rappelle que c’est dans un « bateau » comme celui-là qu’un soir, sur l’Erdre, son père avait abusé d’elle pour la première fois. Dans le même temps, elle avait éprouvé une crainte de l’acte et peur de l’eau qui pourrait les engloutir.

 

Fig. 24 :

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Après une période de détente, nouveau dessin libre constitué par une juxtaposition d’éléments en apparence aussi disparates qu’une « robe » (elle dit que c’est une robe de petite fille), un « cygne sur l’eau », et qu’une porte fortement verrouillée que, toute réflexion faite, elle annule en la gribouillant.

 

Il n’est pas indispensable de reprendre dans le détail l’étude des thèmes aqueux inconscients développés par Gaston Bachelard (Gaston BACHELARD « L’eau et les rêves » Edition José Corti – Paris 1942 et 1956) par exemple celui du cygne et de Léda (p. 50 à 62) pour retrouver dans le dessin de cette petite fille ignorante une composante symbolique extraordinaire : la blancheur, synonyme de pureté, l’eau limpide qui, alliée à un important volume, vaut également comme mythe de pureté ; quant au cygne lui-même, l’interprétation sexuelle a été mise en lumière par de nombreux auteurs d’après la mythologie grecque.

Le sens caché de la porte verrouillée, dessinée seule, hors du cadre d’une quelconque maison, puis griffonnée, comme abolie, me paraît une métaphore de compréhension aisée en rapport étroit avec le viol dont elle a été victime. Sur le document, l’écriture et le tracé traduisent une sensibilité significative.

 

Au cours du stage au centre, A. s’est intéressée au travail de sa classe. Elle a réalisé des progrès auxquels elle s’est montrée sensible, en faisant part à son correspondant scolaire. Avec sa mère, elle a entretenu une correspondance assez régulière. La mère a insisté pour qu’elle et sa sœur écrivent aussi au père, à la Maison d’Arrêt. Elle le leur représente comme souffrant beaucoup, injustement, par la faute « de votre sœur M. Qui est une mauvaise fille pour ses parents ». A. écrira au père, en faisant passer ses lettres par sa mère. Dans ses dessins libres, on sent que peu à peu, le rapprochement familial souhaité par la mère est accepté.

 

 Le dessin (fig. 25)

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obtenu le 12 mars 1949 dans un autre établissement d’accueil, ne laisse aucun doute. L’aventure qu’elle a subie n’est plus qu’un souvenir à peine dramatique. Personnalité plastique elle accepterait, comme sa mère le désire, de revenir sur ses déclarations devant le Juge d’Instruction.

 

Voyons la production de sa sœur cadette G. 12 ans.

 

Son développement somatique est relativement meilleur que celui de son aînée. Elle est impulsive.

Niveau mental : moyen.

Dans des conditions de vie familiale normale, dans un milieu intellectuellement et affectivement riche, elle aurait obtenu des résultats scolaires convenables. A l’arrivée, elle parle d’abondance, volontiers verbeuse ; son vocabulaire est pourtant pauvre. Elle travaillera assez bien dans sa classe. Plus « douée », et de personnalité plus affirmée que sa sœur, elle se montre plutôt « chipie » et agressive au début, se calmant et s’adaptant par la suite.

 

Examen des dessins : à cause de la similitude assez troublante de certains dessins des deux sœurs, il faut lever toute hypothèque qui laisserait croire que A. et G. ont pu s’inspirer l’une de l’autre. En fait, elles ne se trouvaient pas dans la même salle et ne possédaient aucun moyen de communication, en particulier le 8 octobre. Les explications ont été fournies en tête à tête avec chacune d’elles, sans qu’elles aient pu se rencontrer entre temps.

 

8 octobre 1948 (fig. 26)

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– Le dessin du monsieur et de la dame est plus évolué que celui de A. ; comme chez A., mais à un degré moindre, l’abdomen du monsieur est épaissi dans sa partie inférieure. Les vêtements, stéréotypés, figurent. L’important paraît bien être ce trait décidé qui sépare les personnages. « Ils sont mariés, mais faut pas les mettre ensemble ! ».

Le dessin libre (fig. 27)

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comme celui de sa sœur, se présente constitué d’éléments juxtaposés apparemment sans lien : la maison avec ses curieux volets ornés d’un cœur, le pot de fleurs, la trop fameuse barque où, pour elle aussi, s’est faite l’initiation  dont elle a souffert physiquement, et puis cet homme nu, que virilise sans doute une pipe.

 

En mars 1949, les deux sœurs ont quitté La Turmelière. Elles sont placées dans un centre d’accueil spécial.

J’ai vu A. le 12 mars. Je verrai G. le 15, puis le 30. Le dessin (fig.28)

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du 15 porte des éléments nouveaux qui appellent l’attention. A gauche, une femme au nez crochu et pointu, aux mains mutilées. Malgré une apparence de voile de mariée, la bouche grande ouverte clame, selon G. « Je veux rester vieille fille ! les hommes ça boit, ça tape ses filles, ça fait des malhonnêtetés quand notre mère est morte, ou n’importe… Ca va avec d’autres femmes ! »

Le bateau est là encore, puis une automobile, une voiture avec un bébé, une sorte de caricature de garçon à bicyclette, sans bras. Au second plan, une maison dont la cheminée fume et, tout à fait à l’arrière-plan, une chapelle sans croix.

 

La fillette avait rejoint ses compagnes, je vois l’éducatrice du groupe de G., une religieuse ; je m’inquiète près d’elle du comportement de son élève et j’apprends sans étonnement que G. recherche la compagnie d’une autre fillette, J.F., elle-même victime de son propre père, et que l’attitude du « couple » oblige à une surveillance permanente.

 

30 mars 1949 (fig. 29)

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– En riant, la femme tourne le dos au fumeur de pipe…

 

G. a refusé de revenir sur sa déclaration devant les juges. De personnalité moins labile que celle de sa sœur A., elle continue à tenir rigueur à son père, et à travers lui à tous les hommes. Troublée sur le plan hétéro-sexuel, elle recherche une compensation homosexuelle.

 

Il faut signaler l’étude très documentée du docteur M. Mathis « Les traumatismes sexuels chez les filles impubères », et celle du professeur R. Lafon et du docteur Ponget « Aspects psychologiques et sociaux des attentats hétérosexuelles sur les enfants et les adolescentes » parues dans « sauvegarde de l’Enfance » n° 9/1957, 28 pl. St-Georges Paris 9ème. Contrairement à une croyance généralisée, le traumatisme sexuel incestueux, dans les milieux familiaux du même type que celui évoqué, ne survient pas « dans un ciel bleu ». L’insuffisance éducative, l’alcoolisme, le danger moral intra et extra-familial, en forment la trame favorisante. Après le choc, et surtout après la mise en accusation officielle du père, le comportement général, comme la trace psychique de l’accident et le pronostic, dépendent du milieu rééducatif et du facteur personnel.

Ici, les fillettes issues d’un milieu amoral ne présentent qu’un sentiment de minime culpabilité. La cadette repousse l’image paternelle, puis l’image de l’homme, avec vigueur, parce qu’elle a été blessée physiquement. L’aînée tient peu de rigueur au père ; elle a été relativement peu traumatisée. La mère, élément favorable (l’enquête l’a révélé) est encore acceptée par A., et rejetée par G.

 

Il est dès lors bien évident que l’attitude rééducative doit tenir compte des facteurs mis en lumière et suivre avec attention l’évolution de chacune de ces jeunes victimes.

 

 

 

Liquidation partielle d’une série de situations anxiogènes chez un jeune garçon

 

Jean-Jacques M

Age réel : 10 ans à son entrée au Centre de la Turmelière en 1947

Age mental : 8 ans et 6 mois au B.S. Niveau : suffisant. Type de réponse au B.S. A la question facile « Quand on a manqué le train que faut-il faire ? » R. « Faut faire attention que le train y nous écrase pas ! » A peu près 10 ans au Goodenough.

Plan somatique : développement médiocre.

Plan psycho-moteur : très grande timidité – fort bégaiement et énurésie régulière.

Niveau scolaire : retard énorme (niveau C.E.1) malgré une bonne volonté évidente.

Histoire du garçon : le père a été prisonnier de guerre. La mère, déchue du droit de garde, avait abandonné ses enfants dès 1940. Deux frères plus âgés ont été recueillis et élevés convenablement par un oncle et une tante qui n’avaient pu, faute d’un logement suffisant, adopter Jean-Jacques. Pour celui-ci, multiples placements en nourrice : mauvaise nourriture, mauvaise hygiène. L’enfant est enfin pris par une tante âgée et une grand’mère. A Nantes, l’enfant subit la série des bombardements de 1943 (16 et 23 septembre en particulier).

 

A son retour de captivité après avoir été libéré par les soviétiques, le père marque une vive affection à Jean-Jacques, qui demeure malingre et doit passer ses vacances dans une colonie sanitaire où il assiste à la noyade d’un petit camarade à qui il s’était lié.

 

Placé par la Sécurité Sociale au Centre de la Turmelière, il perd son père au cours du séjour. Un conseil de famille confie Jean-Jacques à l’oncle et la tante qui se sont occupés de ses frères. Il quitte l’établissement en 1949.

 

Cette cascade étonnante de très graves chocs affectifs : abandon par la mère, placement chez de mauvaises nourrices, bombardements (il raconte à son éducatrice qu’en sortant de l’abri il a vu de nombreux cadavres déchiquetés, certains décapités, sur la place devant chez lui), noyade d’un petit compagnon, décès de son père, tout cela a constitué une rare sommation de traumas qui a installé en lui un sentiment de constante angoisse. Une angoisse sans manifestations spectaculaires, mais puissante, sournoise, morbide, qui a fait de lui un être timide, bégayant, énurétique, dont le développement psychosomatique paraît très perturbé, voire en détresse.

 

Dans la classe, il a dessiné, à l’exemple de ses camarades. Et d’emblée sont apparus les souvenirs liés à une crainte persistante de la mort. Sa peur, son angoisse, il les exprime en verbalisant ses productions graphiques. Peur des catastrophes ferroviaires, peur des accidents sur la route, peur de l’eau naturellement, peur des avions, peur de la foule, peur des armes des chasseurs, etc. Véritable obsession qu’il extériorise peu à peu par les graphismes, ce qui lui permet, dans un climat libéral, une expression orale légale. Nous voyons une fois encore que le changement authentique de milieu, le placement dans un climat affectif compréhensif où l’expression médiate sous toutes ses formes est favorisée et entretenue, permet, à un moment donnés, l’élan qui fera sortir l’enfant de sa détresse. L’identification symbolique à un petit écureuil, nous le verrons, marquera le début de son évolution vers une libération relative.

 

Enfin, l’enfant nous a quittés, heureux de rejoindre la famille de son oncle qui sera désormais la sienne. Il pense qu’il y sera le bienvenu, et s’en réjouit. Sur un plan très général, l’amélioration obtenue a été nette. Le niveau mental est devenu « moyen ». Le poids et la taille ont acquis un développement confortable. La timidité subsiste encore mais elle n’est plus obnubilante et le bégaiement ne se marque guère qu’au début d’une conversation. Malheureusement, l’énurésie persiste, avec, de temps à autre, quelque rémission.

 

L’étude d’un choix des dessins avec la verbalisation spontanée explicite les troubles et témoigne de l’évolution vers une amélioration importante sans qu’on puisse penser toutefois qu’elle est complète, et croire qu’elle sera définitive.

 

Verbalisation de quelques dessins libres de Jean-Jacques

 

17 novembre 1947 (fig.30)

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– C’est un train de l’Amérique. Il va mener les Américains pour attaquer les Allemands. Le pont va peut-être « croûler ».

 

                                (fig. 31)

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dessin réalisé le même jour. L’avion a lancé une bombe plus loin. Les homes courent. Les rochers et puis l’arbre sont tombés dans l’eau, coupés par la bombe.

« la Croix Rouge va pour voir s’il y a des blessés dans la montagne ».

 

18 novembre 1947 (fig. 32)

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« C’est la source. C’est marqué sur les poteaux. Les Américains descendent en parachute pour donner du chewing-gum à nous. C’est sous le pont de la Madeleine à Nantes. Il y a des plongeoirs. Un monsieur jette des chiens dans l’eau pour les noyer ».

 

19 novembre 1947 (fig. 33)

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– « Le train va en Russie pour « chercher les prisonniers. Il y a un petit chien et un petit chat qui vont se faire écraser. Il y en a un qui se noie ».

 

Dans tous les dessins de ces derniers jours, se révèle une hantise, une obsession de la mort et de la catastrophe qui se développe suivant un net crescendo : pont qui va peut-être « croûler », rochers, arbres coupés par une bombe, chiens qui se noient, chats et chiens qui vont être écrasés… Seul élément favorable : le retour éventuel des prisonniers. La situation évoquée se rattache dans un certain sens à la réalité car le père de Jean-Jacques a bien été libéré par les Russes.

 

20 novembre 1947 (fig. 34)

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– Jean-Jacques en classe a entendu raconter « La chèvre de Monsieur Seguin ». Il évoque encore la mort, inconsciemment. La montagne est traduite ou mieux symbolisée, par une série de dents de scie. Elle est hérissée d’herbes piquantes, hautes et agressives. Le loup, déjà vainqueur, est énorme. Il se lèche les « babines ». Il a des yeux brillants. La chèvre, elle a peur… Elle va mourir.

 

21 novembre 1947 (fig. 35)

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– encore un train de couleur sombre, qui passe sur un pont fragile. Des gens plongent dans l’eau. Ils ont peur de se faire écraser. Tout le monde, dans le train, a peur. Et ces gens qui craignent tant pour leur vie « se disputent tout le temps ».

 

22 novembre 1947

a) Un avion allemand tombe en flammes. Des avions anglais lancent des bombes. Un monsieur a peur. II fait courir son cheval pour se mettre à l’abri dans un moulin. Une bombea fait un gros trou. Le moulin tombera parce qu’il reste encore une bombe « accrochée » à l’avion. Tout ce qui a été touché ou doit être touché est colorié en noir.

 

b) Les oiseaux, sur les fils électriques, disent « voilà le train ». Mais le train a « un peu » déraillé à cause d’une bombe. Un fil téléphonique pend. Une charrette, sur la voie, va être « tamponnée ». Les chevaux ont peur. Couleur dominante : le noir.

 

24 novembre 1947

a)  Dessin réalisé sur un papier rose, beaucoup plus de couleurs vives qu’à l’accoutumée : du vert, du jaune, du bleu, du rouge, du brun, très peu de noir. Une certaine détente marque cette production. Pourtant Jean-Jacques a introduit dans son dessin l’histoire d’un loup farceur qui veut jouer un tour au corbeau qui se cache sous la terre. Juxtaposition d’un grand nombre d’éléments scripturaux hétéroclites. En principe, la scène se déroule à Paris, selon Jean-Jacques dans une gare. Les mêmes dents de scie représentent les montagnes qui se profilent en motif obsessionnel.

b) Fig. 36

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– Ici, le dessin apporte un curieux témoignage d’apparence imaginaire. Dans une « grosse » montagne, un train circule ; il vient d’Allemagne. Il ramène des prisonniers. Deux hommes sont occupés à chasser. La neige  tombe et tombe sur eux seulement. Un grossier bonhomme de neige est figuré. Tout en haut d’un arbre, un écureuil s’adressant au chasseur le plus proche lui dit en se moquant « tu devrais tirer dans le bonhomme de neige ! ». Cependant qu’une chouette fonce sur le second chasseur « pour lui piquer le nez ». Autrement dit, dans cette chasse, malgré les chiens, qui suivent seulement, sans participer à l’action, le gibier demeure indemne et même, il fait la nique aux chasseurs. Il y a là une intention magique nette. L’écureuil malin reviendra une dizaine de fois dans les dessins.

 

Le 21 février suivant (fig. 37)

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l’identification de Jean-Jacques (qui surmonte peu à peu ses difficultés et liquide au moins partiellement ses problèmes) au petit écureuil facétieux, deviendra criante.

 

En effet, dans la classe coopérative, nous avions l’habitude, comme en famille, de fêter affectueusement les anniversaires de tous les membres de la communauté. Ce 21 février la coopérative fêtait le mien. Et pour sa part, Jean-Jacques avait écrit sur le papier qu’il me destinait : « Nous sommes bien contents de vous souhaiter un bon anniversaire. On vous a mis des belles fleurs, des dessins sur le bureau, et j’ai dessiné un écureuil sur le tableau ». (fig. 37 bis).

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Un écureuil souple, débrouillard (L’existence du petit écureuil est réelle. Capturé dans un arbre du parc, il a été confié aux bons soins de la classe de Jean-Jacques qu’il amuse comme ses camarades.  Quelqu’un, certain jour, a laissé une fenêtre largement ouverte. L’écureuil a heureusement repris sa liberté. Pressentant l’identification, j’avais émis – à part moi – l’hypothèse que Jean-Jacques avait favorisé cette fuite. Hypothèse confirmée vingt-deux ans plus tard dans une lettre (18.11.70) « Je me rappelle l’écureuil. C’est moi qui avais ouvert la fenêtre ! »), qui dans les productions de Jean-Jacques n’a pas son pareil pour éviter pièges et traquenards de ce monde hostile et incompréhensible qui l’a entouré jusqu’à présent. Un monde tout pareil à celui où Jean-Jacques a vécu. Mais l’écureuil lui, est invulnérable.

La succession des dessins s’effectue régulièrement. Alors survient, brutale, la mort du père de Jean-Jacques. Celui-ci ne dessinera pas pendant une quinzaine de jours.

 

27 avril 1948 (fig. 38)

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– Ici, le tout petit oiseau malheureux, cruellement piqué à grands coups de bec par le héron, c’est lui, le pauvre Jean-Jacques que le sort a de nouveau molesté. Le petit oiseau pleure. Il a peur d’être mangé. Partout il y a de ‘eau : l’eau qui toujours provoque son angoisse depuis la noyade de son petit copain.

 

Pendant des mois, vaille que vaille, la vie s’est poursuivie pour Jean-Jacques. Il a eu des joies. Ses frères lui écrivent, viennent le visiter en même temps que l’oncle et a tante chez qui il vivra bientôt. Il pressent qu’on l’aime, qu’on s’intéresse à lui, aux progrès qu’il réalise. Jean-Jacques affirme sa personnalité. Il bégaie beaucoup moins.

 

13 octobre 1948 (fig. 39)

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– Il y a eu un mariage dans une ferme près du Centre Scolaire, les enfants ont vu le défilé et les mariés. Jean-Jacques qui ne fabule plus guère à partir de ses dessins, cherche plutôt l’inspiration anecdotique comme ici. Les couleurs sont vives, agréables. Le tracé ne porte pas d’élément perturbé. Le rendement scolaire est meilleur, la santé plus florissante. Seuls quelques nuages dans le dessin témoignent peut-être, d’une certaine crainte.

 

15 octobre 1948 (fig. 40)

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– Une famille se promène. Le ciel n’est plus taché de nuages. Les coloris sont nets et vifs. Les enfants sont bien encadrés et protégés par leurs parents. Le soleil brille. Jean-Jacques, l’espoir au cœur, quittera bientôt l’établissement.

 

Sur tous les plans, l’amélioration se sera développée. Les potentialités mentales, dégagées de l’anxiété à peu près liquidée, ont permis au niveau intellectuel d’atteindre un meilleur rendement sur le plan efficace. On peut assurer que, pendant longtemps l’enfant, au lieu de liquider son angoisse, l’avait intériorisée en une auto-agressivité désastreuse pour son développement psychosomatique. Le dessin a joué un rôle d’exutoire, un rôle libératoire dans l’ambiance sécurisante et compréhensive d’une clase Freinet. Il sa servi à vérifier ce qu’on savait déjà de Jean-Jacques, puis à suivre l’évolution de sa personnalité. A noter cependant la discrétion des échappées graphiques qui, à aucun moment, n’ont pris l’allure d’une anxiété manifeste. L’explication verbale elle-même était toujours formulée du même ton monocorde presqu’à mi-voix. Ce n’est qu’à partir de l’entrée en jeu du « petit écureuil » que Jean-Jacques a pris un peu plus d’assurance. Dans son nouveau milieu, là où il sera le centre d’intérêt et d’affection de parents sensibles, il devrait poursuivre la montée amorcée au centre et la développer.

 

Janvier 1977 - Les lignes précédentes datent de 1959. Elles traduisaient un optimisme non dénué de fondement à considérer ce que nous avions appris des potentialités du garçon. Toutefois, au long des années, aucune nouvelle ne me parvenait. Brusquement en février 1963, je reçus une lettre de Jean-Jacques écrite du service psychiatrique de l’hôpital d’une petite ville de l’Est de la France. Lettre fourmillant surtout de souvenir étonnamment vivaces de la vie quotidienne qu’il avait connue à la Turmelière, de comparaisons désobligeantes aussi avec celle qui l’avait marqué dans l’I.M.P où très rapidement, l’oncle et la tante excédés s’étaient débarrassés de lui, considéré comme un être inintelligent, un bon à rien. Entre nous, l’échange de correspondance s’est  organisé. Puis après une plongée dans la maladie mentale de six ou sept ans pendant lesquels Jean-Jacques avait dû être placé dans plusieurs autres établissements psychiatriques, d’où il n’avait pas été en mesure d’écrire, nous correspondons assez régulièrement. A l’heure actuelle, je possède une série de 149 lettres d’un intérêt psychologique considérable. Lettres accompagnées parfois de dessins (fig. 40 bis).

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Un témoignage humain, qui de A à Z, atteste l’importance déterminante de la qualité des relations affectives dès la conception d’un petit d’homme. Singulièrement avec sa Mère-médiatrice, en quelque sorte de l’Enfant avec le Monde, avec Autrui, avec Lui-même.

 

 

 

 

Instabilité et fugues chez un jeune anxieux

 

Joseph N. : 9 ans

Niveau mental : suffisant

 

Ce garçon, venant de Paris, est amené au centre de La Turmelière le 8 janvier 1959 à cause, nous dit l’assistante sociale qui l’accompagne, d’un développement somatique très insuffisant. D’emblée, la prise en charge de la Sécurité Sociale était accordée pour six mois.

 

On ne nous apporte aucun renseignement intéressant, ni sur l’histoire de l’enfant, ni sur le milieu familial. Comme les autres arrivants, une dizaine, Joseph N. est confié à une éducatrice qui aura soin d’eux pendant les trois  semaines d’observation réglementaire.

 

Bavard jusqu’à la logorrhée, grossier, fabulateur, agressif, « Jojo » (c’est ainsi qu’il veut être appelé) crée immédiatement un climat conflictuel au sein du groupe. Le soir même de son arrivée, il prend une petite somme à un camarade, la cache, et fait porter les soupçons sur un autre. Vite démasqué, il boude, menaçant ses victimes des représailles de « sa bande de St Denis ».

 

Le lendemain, pris de « bourdon » comme il dira ensuite, il échappe à la surveillance de l’éducatrice, retrouve le chemin de la gare. Le chef de gare le recueille et m’informe par téléphone. Je retrouve le garçon à la gare. Il pleure, se jette à mon cou, et il m’explique que, s’il voulait « brûler le dur » c’est à cause de la mauvaise éducation de ses co-équipiers qui parlent mal et disent « des gros mots ».

Dans la voiture, en cours de route, « Jojo » me confie encore qu’à Paris, il a une grande sœur « Elle nous a lâchés. Elle s’est mise en ménage avec le voisin. Maintenant elle est enceinte ».

 

Sa mère, il l’aime bien, mais « pas le monsieur qui vient la voir ». Il ne dit rien sur son père.

De retour au centre, je recommande une attention particulièrement vigilante.

Sur ma demande, Jojo dessine de bon cœur. Au cours de son séjour, soit pendant une vingtaine de jours, il traitera spontanément une trentaine de sujets, presque tous morbides et obsessionnels.

 

Ce jour-là, il représente d’abord « Jojo, papa et maman ». Le tracé est nerveux, rapide, mal contrôlé. Ni son père, ni sa mère, n’ont de mains sur le dessin.

 

Aussitôt après, illustrant la confidence qu’il m’a faite deux heures plus tôt, il dessine (fig. 41)

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« Le monsieur qui veut tuer maman parce qu’il ne veut plus d’elle ». Le monsieur brandit une arme. L’enfant ne peut préciser de quelle arme il s’agit. Lui si bavard et disert, il demeure court. L’ensemble est inquiétant, comme l’est l’enfant lui-même. Il paraît vraisemblablement qu’au hasard d’une coucherie avec son amant, la mère a été surprise par Jojo qui a pensé à une bataille.

Dans le groupe, les conflits se multiplient. La vie devient intenable. Jour et nuit, il faut surveiller étroitement le garçon. Aussi pour plus de commodité, et par précaution, on l’installe à l’infirmerie chaque nuit.

 

Le 21 janvier, passant par une fenêtre dont il a brisé la vitre, il fuit avec son « baluchon ». Rattrapé immédiatement, il explose de rage, fait une crise de larmes. Il me dit avoir eu peur, puis sans transition, il raconte certains des « exploits de sa bande de St Denis ».

 

Dangereux à nouveau pour ses camarades et pour lui-même, le 23 janvier, il faut l’isoler dans la chambre réservée, en principe, à des contagieux. On s’aperçoit qu’il a dérobé la poignée d’une porte pour se sauver, et qu’il a dissimulé sous le  matelas de son lit : du poulet, du pain beurré, une orange, et des vêtements pris à un camarde car on ne lui a laissé que son pyjama. Il espérait fuir au petit matin. Le même jour, une lettre est adressée au père par nos soins, l’informant que le comportement anormal de son fils ne relevant pas de l’établissement, il devait le reprendre d’urgence. La Caisse de Sécurité Sociale dont le père dépendait était informée de notre décision par le même courrier.

 

Parmi les dessins que Jojo a produits spontanément dans la journée (23 janvier 1950), je relève celui où il s’est représenté avec des cheveux bouclés (fig. 42).

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Dessin bizarre, mal structuré, avec les bras amputés dont l’un déverse un flot de sang, qui se répand très loin, hors de la feuille. Seul commentaire « je vais me buter ! »(me tuer).

 

25 janvier – Quelques minutes après la sortie de l’infirmière qui le surveille, vers 17h30, Jojo brise à nouveau un carreau d’une fenêtre de sa chambre, et, enveloppé dans une couverture, il tente de s’enfuir par une température extérieure de – 6°. Le lendemain matin, il dessine un homme armé d’un arc et d’une flèche (fig. 43).

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« C’est l’homme qui tue les enfants. J’ai « entendu dire » çà dans les journaux… j’ai peur ».

Le même jour, il présente un bateau (fig.44)

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insolite dans sa production habituelle, en disant « les grosses vagues, ça fait peur ! ».

 

Le 27 , tour à tour, il m’offre « un lion » (fig. 45) 

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; à l’arrière-plan, protégé par une sorte de faible rideau de végétation, on devine un petit personnage armé d’un arc et d’une flèche, puis (fig. 46)

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ce malheureux « petit canard » à quoi il s’est identifié inconsciemment, tout seul dans une nature hostile. Il pleut dru. Le petit canard a froid, il a peur. Les fleurs au second plan, déprimées, s’inclinent sous la pluie.

 

Le monde extérieur conçu par Jojo semble malveillant, dangereux, coercitif ; quelque soit le lieu où il se trouve, il ne peut trouver une solide impression de sécurité.

 

Le 30, son père vient le reprendre.

Nous comptions éclairer le problème « Jojo » grâce aux explications de quelqu’un de sa famille. Mais, d’allure veule, sans doute mal équilibré lui-même, le père n’a été en mesure de communiquer aucun renseignement utile à la compréhension du comportement de son fils.

Il s’est contenté de répéter : « Il est comme ça, comme ça ! ».

 

En admettant comme possible , au départ, l’hypothèse d’une constitution héréditaire médiocre chez cet enfant, nous avons été enclins à penser, le médecin du centre et moi-même, que l’hyper-émotivité agressive se retournant parfois en auto-agression, s’était accrue jusqu’au déséquilibre dangereux pour les autres et pour lui, à cause des chocs affectifs incessants et cumulatifs développés dans un milieu familial malsain et peu sécurisant, jusqu’à provoquer des troubles réactionnels graves à base anxiogène dont le dessin n’avait cessé de se montrer le fidèle reflet pendant trois semaines.

Pour un garçon si  jeune, il était à craindre, puisque les troubles n’avaient pu être atténués dans un milieu sain et favorable à l’épanouissement, puisque, au contraire, le comportement du garçon avait suscité d’incessants conflits, que ces troubles s’étaient tellement structurés dans le passé, qu’ils avaient pris une allure caractéropathique impossible à réduire dans une Ecole de Plein Air, non équipée spécialement.

Le renvoi étant indispensable, nous avons conseillé le placement dans un établissement spécialisé où une psychothérapie pouvait être tentée.

 

A part nous, nous pensions qu’en tout état de cause, dans l’intérêt de l’enfant, la valeur éducative et morale du milieu familial ne saurait permettre l’espoir d’une remise ultérieure pure et simple aux parents.

Tel est l’aspect dramatique de certaines situations apparemment sans issue dans notre société.

 

N.B. Le 9 février 1968 – Soit dix-huit après ce qui précède, la presse parisienne faisait part de l’arrestation d’un curieux personnage « hirsute, barbu, au regard halluciné » qui avait tenté de rançonner sa plus proche voisine, ancienne directrice d’une école commerciale privée. Une lettre anonyme fort mal écrite et orthographiée réclamait un million d’anciens francs « sinon, il vous arrivera malheur. Nous sommes des gens sérieux, pas des rigolos. A bon entendeur, Salut ! ». L’auteur de cette mise en demeure rapidement démasqué, n’était autre que Jojo. Inculpé de tentative d’extorsion de fonds et de menaces sous conditions, Jojo s’est ainsi expliqué : « j’ai horreur du travail. Alors j’avais besoin d’argent… Mais j’ai beaucoup de respect pour ma voisine. Je la salue depuis longtemps… ».

 

 

 

Suite d’observations sur Pierre T…

 

L’étude suivante, étalée du premier octobre 1947 au premier mars 1948, est consacrée à un garçon âgé de 14 ans et 6 mois.

 

Au Binet-Simon, son âge mental atteint tout juste sept ans ce qui correspond à un niveau de débilité (La notion de débilité mentale, uniquement fondée sur un quotient intellectuel, pour l’entrée en classe de perfectionnement, est controversée. Pour Pierre T., il s’agit d’une réelle arriération due à un trouble physiologique congénital constituant le handicap primaire. L’influence du milieu familial, ici fort médiocre, comme organisateur de l’appareil psychique, doit entrer en ligne de compte pour apprécier le garçon.).

 

Au point de vue physiologique, on a affaire à un hypothyroïdien  (myxoedémateux) au faible tonus, et d’un développement staturo-pondéral médiocre : 1, 38 m – 32, 400 kg – très onychophage (il se ronge les ongles).

 

Milieu familial et social – Pierre T… a toujours vécu entre son père : 70 ans et sa mère, 50 ans, ouvriers agricoles. Il a un frère et deux sœurs, beaucoup plus âgés que lui. Les parents sont illettrés. Le milieu est frustre. On y boit sec, et après boire on se dispute en famille, parfois aussi avec le voisinage, qui, volontiers, cherche querelle. Hygiène à peu près inconnue. Le garçon est présenté au Centre Sanitaire de La Turmelière tout imprégné de vie terrienne.

 

L’enquête sociale note que les parents ont manifesté, à leur manière, une certaine affection au garçon. De fait, ils ne manqueront pas de le visiter assez régulièrement ; Lui, il est assez attaché à ses parents ; à peine à son frère et à ses sœurs, de qui il ne parlera presque jamais.

 

Connaissances scolaires – Pierre sait peu et mal lire. Il n’écrit que son nom et son prénom qu’il distingue mal l’un de l’autre. Aucune notion de calcul. Dans a classe, qu’il a quittée en juillet, il assure qu’il n’a jamais dessiné « d’abord, moi je connais pas dessiner ! ».

 

Premier octobre 1947 – En arrivant dans la classe de perfectionnement de l’Ecole de Plein Air, Pierre est  invité à dessiner comme il l’entend, un monsieur et une dame. Il dispose de feuilles de papier nombreuses, de crayons noirs, de crayons de couleurs. Malgré son affirmation renouvelée d’ignorance totale du dessin, il s’installe et commence ce jour-là la série des graphismes qu’il produira ensuite librement pendant six mois.

 

Selon ses explications, le monsieur (fig. 47)

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se trouve au centre de la feuille ; il est de bonnes dimensions. La masse de ses cheveux gribouillée très vite, se colore de bleu et de violet. Une oreille, énorme, est violette, et les contours du corps se cernent de bistre. Les bras, d’insertion aberrante, possèdent des mains à trois doigts, curieusement terminés par des disques sui sont, dit-il, des ongles.

 

Plus haut à gauche, la dame est dessinée deux fois plus petite. Elle est traitée suivant la même technique. Elle ne dispose que d’un bras, car l’espace semble manquer pour faire l’autre. Dans les deux dessins, trois ronds (des boutons) matérialisent sans doute la vêture.

 

L’allure des personnages est stéréotypée. Rien ne distingue les sexes, sauf peut-être que la chevelure de la dame serait un plus opulente. D’ailleurs, en verbalisant son dessin, Pierre explique brièvement qu’il s’agit d’un « monsieur » et d’une « dame » parce qu’ils sont nés comme ça ! Ce qui marque son bon sens…

 

14 octobre 1947 – Volontairement, Pierre veut dessiner  sa mère, qu’il situe bien au beau milieu de la feuille. Tout en dessinant il explique qu’elle porte un « beau chapeau ». Elle a aussi une « robe » figuré par deux traits de crayon noir qui rejoignent la taille. Quatre boutons complètent la toilette. Il s’amuse à dessiner les mains, et multiplie par jeu les doigts comme le font souvent des enfants très jeunes.

 

Un petit garçon – lui sans doute, mais il n’en dit rien, pas même à ses voisins intéressés – figure en haut et à gauche de la feuille. Les mains sont énormes. Un béret complète le croquis, tangent au crâne.

 

Pendant toute la durée de l’exécution du dessin, Pierre a paru très absorbé, répondant brièvement et avec un rien de condescendance dans le ton à ses camarades (fig. 48)

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car lui, il travaille avec sérieux !

 

4 novembre 1947 – Pierre s’intègre au milieu et commence à participer socialement aux activités pour la mise en ordre de sa classe. « L’atelier » disons-nous. Il veut bien réapprendre à lire est ses progrès sont réels. Le calcul vivant sans le passionner, ne constitue plus à ses yeux la tâche stérile dans laquelle il se perdait.

 

Spontanément ce matin-là, il annonce à haute voix, tant pour ses camarades que pour lui « je vais dessiner mon parrain : Joseph F. Du Tremblay (village voisin de Liré). Et il se met à l’œuvre en détaillant  « Là ! avec ses grandes oreilles, ses moustaches, sa casquette… » (fig. 49).

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D’un trait appliqué et plutôt rapide, le portrait remplit la feuille. Ce parrain, il l’aime bien ! Pourtant le dessin semble marquer une régression. Ce qu’il a gagné en volume, il l’a perdu dans la précision des détails : les bras et les pieds manquent.

 

Pierre collabore à certains travaux. Il prend obscurément conscience de la place qu’il tient parmi les autres dont la « science » ne l’écrase pas. Il leur parle, à eux, petits citadins, de ce qui ne pouvait intéresser personne dans son milieu précédent : des bêtes de la campagne, surtout des chevaux, des employeurs de son père. Il reconnaît son pouvoir sur autrui, de qui il apprend à se différencier.  En se valorisant, il améliore la relation. Il devient l’amuseur d’une galerie sympathique. Il s’identifie à « Papillon » son cheval préféré (L’identification à l’animal est fréquente pour l’enfant jeune. Il le traite fraternellement et l’identifie souvent même à un membre de sa famille.). Tous les soirs, dans la chambre qu’il partage avec quelques camarades, il joue son personnage en dételant « Papillon » à la grande joie des voisins. Ce qu’il dit « dételer » signifie qu’il se déshabille pour la nuit, quittant ses vêtements et les pliant l’un après l’autre. Les vêtements, selon lui, ce sont les harnais du cheval !

 

12 novembre 1947 – les chevaux commencent à s’installer dans les dessins de Pierre. Quelques essais qu’il a détruits, aussitôt comme dénués d’intérêt, l’ont amené à dominer ce nouveau graphisme. Désormais, les  animaux envahiront des quantités de feuilles. Tous les chevaux qu’il connaît apparaîtront. Ils seront « Canard », « Poulet », et naturellement « Papillon ». La composition du 12 novembre est la plus riche qu’il a conçue jusqu’alors.

 

Le dessin, assez bien structuré, l’encourage à vivre la scène qui traduit ses fantasmes actuels.

 

En vrai magicien, il prend la place du personnage actif ; tout en dessinant, il parle, puis gesticule intensément « R’cule Poulet ! R’cule – C’est mon père qui dit comme ça ! » Mais, si le père est là, c’est surtout comme témoin du miracle. Pierre s’installe près des chevaux, sérieux maintenant, car il est le conducteur d’un attelage qui traîne une machine précieuse – « la machine à battre à Bricard ! elle en coûte des sous ! moi je vais l’essayer un p’tit ! – Là, ça y est, il a glissé mon cheval ! ». Le dessin d’une des mains du père, à cause d’une erreur ou d’un oubli, ne compte que trois doigts et l’autre quatre. Pierre invente sur-le-champ une explication : « il a eu mal à ses doigts ! » (fig. 50).

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A partir de ce dessin du 12 novembre, les productions seront rarement statiques ; le sens de la marche établi vers la gauche, vers le passé symbolique, suivant Max Pulver. Tour à tour, pendant plus d’un mois, il se représentera comme chef de convoi de nombreuses charrettes. Ses chevaux seront toujours plus forts ou plus rapides que ceux des voisins. Car il est devenu, en pensée, propriétaire de plusieurs animaux. Il a trouvé une solution valorisante, il s’y tient (fig. 51 du 15.11.47).

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Vers la fin du trimestre scolaire, les éléments du dessin se groupent moins bien, le tracé est moins net, le commentaire s’appauvrit. La fatigue le marque.

 

A ce moment se place l’anecdote suivante qui situe le garçon. Malgré des progrès considérables sur le plan moteur, Pierre continue à éprouver quelque peine à monter et surtout descendre les escaliers du château. S’il s’essaie à courir, il arrive que le résultat soit grotesque ; mais encore animiste, il accuse ses sabots de mauvaises intentions. Il a même prétendu, devant ses camarades, que ses sabots se battent  après qu’il les a quittés ! Il fournit tant et tant de détails qu’une sorte de conte plaisant en a été tiré après un travail collectif. Dans cette fabulation aberrante, se mélangent faits réels et inventions de mythomane. Il récompense en particulier son sabot « mignon » en le peignant de rose tendre, tandis qu’il châtie le querelleur d’un « bon coup de fouet ». De s’être érigé en justicier lui plaît (Il est bon de rappeler, selon Piaget, que la mentalité enfantine se caractérise par le syncrétisme qui fait confondre à l’enfant très jeune son Moi et les choses, l’animisme qui le porte à croire que les choses qui l’entourent possèdent une part de vie, de conscience et de volonté, l’artificialisme par lequel il imagine que tout est de création humaine. Pierre t. exemple attardé de cette mentalité qui conditionnait sa structure mentale, disposait donc, évidemment, d’une vision animiste qui déterminait l’activité de sa pensée.).

 

Il part alors en vacances dans sa famille, pour Noël.

 

Son niveau scolaire s’est un peu amélioré. Il a regroupé des éléments intégrés pendant sa précédente scolarité, alors que sa place permanente de dernier, ou mieux de laissé pour compte, le défavorisait. Il y a joint des connaissances acquises dans un tout autre climat éducatif, grâce à d’autres techniques. Il prend même plaisir à lire, à composer des textes libres très courts, à compter et à effectuer de petits problèmes bien concrets.

 

A son retour de vacances, nous notons avec étonnement combien Pierre s’évade de ses précédentes préoccupations villageoises et terriennes. Au lendemain d’une séance de cinéma scolaire, il évoque par son dessin une course de bateaux à voile. Il devient sensible à la compétition. Mais, dans tous ses graphismes, le sens du mouvement, se maintient de droite à  gauche sans exception.

 

5 janvier 1948 (fig. 52)

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– Il s’agit d’un dessin enlevé très vite, sans apport de couleurs, au lendemain de la fête scolaire du centre, qui a coïncidé avec la visite mensuelle des parents. L’institutrice de Pierre a présenté le garçon à ses parents venus en spectateurs. Il a conçu une fierté considérable d’un pareil honneur. Aussi, dans son dessin, il ne manque pas de placer la maîtresse avec ses parents au tout premier rang. Mais seul le commentaire rend l’intention intelligible. Chacun des éléments du dessin est pauvre en soi, alors que l’ensemble concourt à vouloir représenter une foule dans laquelle le narrateur a tenu à affirmer ne hiérarchie affective précise. Modestement peut-être, il s’est omis de la distribution !

 

10 janvier 1948 – Désormais, les voitures automobiles et la mécanique, sous bien des formes, l’inspireront à peu près uniquement. Un soir, il a vu les employés charger du matériel sur la camionnette du centre. Il dessine la scène. Les phares allumés de la voiture sont matérialisés par l’apport massif de couleurs mêlées (violet, brun, noir). En cette occasion, il va se prouver, et prouver à autrui, qu’il sait retenir les explications fournies en classe. La route est figurée par deux traits déterminant une surface, et il veut représenter une « patte d’oie ». Le terme exact, il l’a oublié, mais il surmonte la difficulté en disant « les doigts de la route ». Puis, choqué, il se reprend comme s’il se gourmandait : « Non ! elle a des pieds, la route ! ». Même sens de la marche du véhicule (fig. 53).

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16 janvier 1948 – Brusque apparition d’un élément affectif nouveau. Pour une fois, Pierre dessine en silence. D’abord une automobile, sans évolution notable sur le plan du rendu. Les roues, à ma connaissance d’ailleurs, demeureront toujours tangentes à la carrosserie (le « déplacement » de Luquet). Il accroche une remorque à la  voiture. Le tracé est ferme, lourd même. Cette remorque porte ce qu’on peut juger être quatre formes allongées deux par deux. Sans explications, Pierre range son dessin, qu’il regard attentivement l’après-midi (fig. 54).

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Puis, sur une autre feuille, au crayon de couleur noire, en traits écrasés, il trace un corbillard trapu surmonté d’une croix « Minette, ma jument, tire le machin ». Personne ne semble conduire cet attelage funèbre. Une remorque est dessinée. D’un beau vert, qui tranche sur le noir. Dans la remorque, Pierre s’installe en disant  « C’est un de mes copains qui est mort, devant. Moi, je suis là-dedans à pleurer, moi ! » (fig. 55).

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Jusqu’alors, Pierre ne s’est guère montré émotif. S’il est attaché à ses parents, eux-mêmes frustres, il n’a jamais été choyé ni gâté. Cette manifestation marque donc une nouveauté. Cet état affectif a dû exiger une prise de conscience plus aiguë de son existence, de son Moi. Et la crainte de la Mort lui vient dans le même temps. Astucieusement, j’imagine il a mélangé au noir trop funèbre un peu de jaune et du rose. Les roues du corbillard sont l’une rose, l’autre en partie rose, en partie verte. L route ne figure pas, alors qu’il avait accoutumé de la dessiner. Le sens de la marche demeure le même, de droite à gauche.

 

21 janvier 1948 (fig. 56)

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– Nouvelle scène funèbre. Le corbillard est motorisé. Il tient du tracteur, suivi d’une lourde remorque : un drapeau noir flotte sur le tout. Le noir se mélange de jaune d’or, bien visible. Personne ne conduit le convoi ; personne ne l’accompagne. L’ensemble (tracteur, remorque, route) se détache en ombre chinoise.

Commentaire spontané : « C’est une petite fille. Elle s’appelle Pierrette. Elle est morte ce matin à Liré « par » l’appendicite. Elle est enterrée à 9 heures à Liré. Rien de plus. Même sens de la marche.

 

23 janvier 1948 ( fig. 57)

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– Même thème repris volontairement. La couleur noire est pure parce que, explique-t-il, l’enterrement a lieu la nuit. En vague transparence, un cercueil. Les gens qui participent au convoi sont barbouillés de noir, de la tête aux pieds. « Ils pleurent, c’est pour ça ».

 

Un personnage surtout, le second après le corbillard, paraît écrasé de chagrin. Tous ont une allure traduite simplement, mais très révélatrice de l’émotion suscitée par le tableau. Même sens de la marche.

 

A ma connaissance, la série des dessins d’inspiration léthale est close. Elle semble avoir joué, ici, le rôle bienfaisant d’une catharsis (liquidation) spontanée. Pierre y a trouvé la voie d’expression légale d’un trouble anxieux inconnu de lui jusqu’alors, et en rapport singulier avec une certaine prise de conscience d’une personnalité évolutive. Ses craintes morbides se sont transférées sur un être mythique et pourtant proche, cette « Pierrette », son double transparent qu’il fait disparaître, sorte de victime symbolique, après avoir d’abord enterré « un copain ».

 

On peut assurer que la couleur noire, d’allure obsessionnelle pendant quelques jours, bien qu’agrémentée parfois d’un soupçon de rose, de jaune et de vert, a aidé Pierre à exprimer sa crise de tristesse angoissée, jusqu’à sa liquidation (« La tristesse ne peut véritablement exister qu’avec une sorte de dédoublement qua,nd l’enfant peut assister au pathétique de son sentiment. Cette contemplation implique une certaine compassion et une comparaison que l’enfant fait entre lui-même et autrui. Cette tristesse, suivant WALLON, est au-dessus de la joie et son apparition constitue une étape importante dans la formation de la personnalité. Paul Césari – « Psychologie de l’enfant » Ed. P.U.F. 1949 – Q.S. p. 77 chap. « L’affectivité enfantine »). Ici, le dessin, avec l’aide de la couleur, ont, de pari, assuré la dédramatisation d’une crise intérieure.

 

24 janvier 1948 (fig. 58)

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– Par son comportement général, Pierre prouve qu’il prend de mieux en mieux conscience de lui-même. Il souhaite de s’améliorer. Il ne parle plus de chevaux et n’en dessine plus jamais. Aujourd’hui, son dessin le montre en automobile, un gros camion. Son cousin conduit ; son père et lui-même se font véhiculer comme des Messieurs (prononcer »Meussieurs » et traduire « Propriétaires ou bourgeois »). Ils vont chercher du sable de Loire.

 

Brusquement, le sens de la marche, rompant avec le passé, s’établit de la gauche vers la droite dans le sens même d’une orientation affective nouvelle. Il se trouve avec des hommes sérieux, et il veut participer, nous le vérifierons sous peu, à des activités d’hommes faits.

 

Mais ce dessin impose une observation. Si la route n’est qu’un simple trait de crayon, son profil particulier donne l’impression de freiner, sinon de bloquer curieusement les roues du véhicule. Tant pour l’arrière que pour l’avant. N’est-ce pas là un témoignage symbolique inconscient d’une prudence en rapport avec l’habituelle mentalité campagnarde encline à de grandes hésitations avant de modifier ses habitudes ?

 

28 janvier 1948 (fig. 59)

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– Pierre n’a pas éprouvé le besoin de dessiner depuis le 24. Brusquement, il est à nouveau envahi et guidé par ses souvenirs de terrien. De chic, il traite une scène de dépiquage du blé. Les acteurs sont nombreux. Parmi eux, marqués d’une croix, deux personnages l’intéressent précisément : son père, qui engrène les gerbes dans la vanneuse, et lui-même qui a tenu à se représenter chargé d’un sac de grains sur les épaules : « Un sac de 100 ! » (100 kilogrammes, bien entendu). Dans les campagnes, seuls les jeunes hommes très solides se spécialisent dans ce rude emploi ; cela, chacun le sait. Aussi, s’identifiant à l’un d’eux, Pierre, dans un esprit magique, se désire une telle force qui assure la puissance. Amélioré, il se veut capable d’affronter bientôt son milieu d’origine. Il est vraisemblable qu’il en a accepté l’illusion. La désinvolture du tracé de la tête des personnages du bas du dessin, traitée à la manière d’un O majuscule manuscrit, témoigne de cette illusion qui le détermine à dessiner les autres cavalièrement, alors que la projection de son propre personnages est plus soignée comme l’est la facture des travailleurs sérieux sur la vanneuse.

 

30 janvier 1948 (fig. 60)

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– Pierre ne parlera plus de ses chevaux, si ce n’est qu’à l’occasion pour amuser la galerie ; il ne dessinera plus rien qui rappelle la campagne jusqu’à la fin de son séjour à la Tumelière, le 31 mars 1948. En revanche, les autocars, les trains et les locomotives feront sa joie graphique.

Le 30 janvier, par exemple, il dessine une locomotive étrange suivie d’un seul wagon de voyageurs et d’un wagon de marchandises où se prélasse un « bonhomme » - lui-même avoue-t-il – qui va à Paris. Il est de fait que, jusqu’à présent, jamais Pierre n’a voyagé. Pour le début, il se contente donc d’un modeste wagon de marchandises.

 

Le sens de la marche, déjà infléchi vers la droite depuis le 24 janvier, semble fixé dans la même direction.

 

2 février 1948 – 7 février 1948, etc.  Pierre dessine nombre de camions qui se ressemblent tous, comme des trains et des wagons. Ces véhicules transportent quelques voyageurs et beaucoup de marchandises. Pour lui, il semble inconcevable qu’on puisse, à moins d’être un « Monsieur », voyager pour son plaisir.

La marche de tous les véhicules se poursuit généralement vers la droite, sans qu’on puisse cependant augurer une amélioration plus profonde ni dans les résultats éducatifs, ni dans le comportement. De même, si la couleur dominante des productions devient le rouge, dont le psychologue Max Lüscher, entre autres, dit qu’il marque symboliquement « le plaisir de conquérir » (cité par R. Maurelet – J. Brunais « La conquête de la couleur » p. 54 ed. Denoël 1956) cela ne saurait traduire qu’une conquête récente, mais limitée dans ses effets et son étendue, comme étaient limités et le sont demeurés, les moyens mentaux mobilisés.

 

Résultats obtenus – du point de vue staturo-pondéral, Pierre a pris plus de 4 kilos et il a grandi de 4 cm. Il respire mieux. L’éducation physique l’a un peu assoupli. Il quitte le centre sanitaire scolaire après un séjour de six mois seulement. C’est peu, et on avait beaucoup tardé à se préoccuper de son éducation en vue d’un avenir moins sombre. Pourtant, tels quels, les résultats obtenus ne sont pas négligeables, sans qu’on puisse toutefois assurer qu’ils soient acquis définitivement.

 

Sur le plan physiologique, mental et affectif, l’équilibre s’est amélioré et les possibilités de rendement se sont accrues. Le garçon s’est un peu « dénoué ». C’est le résultat d’une meilleurs hygiène de vie et de soins médicaux vigilants en même temps que celui d’une éducation physique à sa mesure – d’abord considérée avec crainte à cause de sa nouveauté – qui l’a rendu moins pusillanime, en même temps qu’elle lui a donné un peu plus de tonicité et d’aisance.

 

Les résultats éducatifs obtenus dans la classe coopérative lui ont permis de lire à peu près correctement un texte imprimé assez court, d’en saisir l’essentiel, de comprendre une  lettre manuscrite simple. Il saura recevoir de l’argent, le compter, rendre la monnaie sur de faibles sommes. Il lira l’heure. Par l’exercice, ses mains si caractéristiques auront développé et affiné leur adresse. Sans disparaître, l’onychophagie aura régressé parallèlement à son anxiété latente.

 

Le plus important sans doute tient à ce que Pierre aura pu prendre conscience de sa propre réalité au sein du groupe, dans le milieu aidant que constitue une classe coopérative à faible effectif. Autrement dit, malgré de lourdes hypothèques somato-psychiques congénitales, on a obtenu une socialisation intéressante en favorisant l’expression médiate et la relation avec les autres éléments du groupe, enfants et adultes.

 

Pourtant, si le rendement est meilleur en fin de stage, il ne peut guère être envisagé d’inscrire ce résultat au bénéfice d’un gain de niveau mental. Il s’agit d’une mobilisation affective plus puissante et plus complète, qui permet une meilleure utilisation du potentiel des capacités.

 

En bref, les causes extérieures essentielles d’un tel résultat peuvent se résumer ainsi :

 

a) Séparation de l’environnement habituel (parents, voisinage…) perturbateur et peu sécurisant (disputes, querelles après boire surtout).

 

b) Reconditionnement régulateur du mode de vie, meilleure discipline générale, nourriture mieux équilibrée (plus aucune boisson alcoolique), relaxation et éducation physique.

 

c) Influence des soins médicaux sous surveillance permanente (Ici, je rends un singulier hommage à mon ami, le docteur J.M. Bazquez, médecin résident, dont la compétence et le dévouement ont pesé et continuent à peser lourd dans les destinées du Centre de la Turmelière.)

 

d) Souci de techniques éducatives assurant le contact authentique et la relation entre les divers  membres du groupe, en même temps que la valorisation personnelle du sujet dont on peut dire qu’elle suscite l’acquisition des sentiments sociaux. Cette auto-valorisation ne peut se gagner que par l’effort volontaire sous l’influence de la liberté d’expression, premier pas vers l’autonomie. Chaque réussite hausse en effet le niveau de l’action, les prétentions de l’enfant, et l’engage à se faire confiance à lui-même (Piaget).

 

Le plus simple, le plus direct, le plus accessible d’emblée et sans doute le plus efficace des modes d’expression libre a été ici, le dessin. Pierre y a pris conscience, de proche en proche, d’une personnalité dont l’évolution n’était guère pensable dans es activités antérieures de faible tension, de « laissé pour compte » de la classe.

 

Tout cela n’a été possible que par la convergence des efforts de l’équipe des éducateurs et du médecin, conscients du but qu’ils se proposaient, et des moyens pour y parvenir.

 

Désormais, Pierre est entré comme petit berger dans une importante ferme, rendra des services à peu près satisfaisants. Il sera un peu mieux armé dans la lutte pour la vie.

 

Quant aux dessins réalisés par Pierre T., véritables projections expressives, la douzaine d’exemplaires choisis parmi les plus typiques et utiles de son dossier, il est évident qu’ils ont permis de mieux connaître le garçon et son milieu d’origine, de juger de son imprégnation terrienne. Chez lui, dès l’abord, pas de problèmes affectifs majeurs ; son Moi ne se différencie guère de l’autrui, tout comme pour un petit enfant.

 

On juge de son niveau mental par la facture de ses personnages. On note aussi quelques améliorations dans le rendu objectif, mais finalement on termine la série sans apercevoir une montée appréciable. Débile congénital il était, débile il demeurera.

 

Mais on suit parfois au jour le jour, son évolution affective dans ses subtiles incidences ; on le sent soucieux d’une valorisation dont il perçoit obscurément le bénéfice. Ses intérêts se modifient ; miroir précieux, le dessin les matérialise. Ainsi, nous atteignons la crise assez dramatique de la conscience de sa personnalité, de son Moi, quand il découvre qu’il pourrait mourir. La tristesse l’habite, et tout naturellement le dessin aide à liquider l’état de tension transitoire.

 

Un élan vers la vie le jette dans une direction affective nouvelle. Pierre est un autre gaillard, mais encore modeste dans ses activités et son comportement.

 

Il n’a jamais été un enfant-problème, et on pouvait le croire sans problèmes. Le dessin l’a révélé à lui-même comme il l’a révélé à ses éducateurs : plus complexe et plus délicat qu’on l’imaginait ; le dessin a été un outil important de sa minime, mais certaines, libération.

 

 

Une expérience vécue … ailleurs

 

« Nous sommes tous le psychothérapeute, bon ou mauvais, de celui dont la formation dépend de nous » docteur Ch. De Mondragon, directeur médical eu C.M.P.P. Henri Wallon de Nantes.

 

Maintenant, je me propose de présenter, avec son accord, le témoignage plaisant de l’expérience menée par notre camarade Paul Le Bohec lorsqu’il se trouvait dans sa classe de Trégastel (22). Expérience qui illustre le propos du docteur de Mondragon et montre sa particulière validité dans le cadre de la Pédagogie Freinet.

 

Christian est âgé de 7 ans et 6 mois. Ses parents sont divorcés ; la mère est remariée à Paris. L’enfant est élevé à Trégastel par sa grand-mère maternelle. Il est chétif, pâlot. L’année précédente, son inscription, à l’école privée des filles avait permis d’éviter aux petites jambes les deux kilomètres qui séparaient la maison de l’école publique.

 

Voici ce que Paul Le Bohec écrivait sur Christian :

 

« Au début de l’année il ne travaillait guère. C’est à peine s’il écrivait une ligne dans sa journée. Contrairement à mes anciens du C.P. qui suivaient désormais le C.E.1, je ne connaissais pas ce garçon et ses fréquentes absences m’empêchaient de nouer la relation. Tout mon C.E.1 travaillait d’arrache-pied. Ce garçon-ci ne faisait rien. Alors, surtout en début d’année où il s’agit de bien mettre la machine sur les rails, c’était l’instituteur, celui qui fournit les connaissances qui dominait en moi. Je « rouspétais », je n’acceptais pas que Christian ne fit rien dans sa journée.

Ce n’était pas la bonne attitude. Tôt, j’en eus la preuve.

 

En effet, au cours des monologues spontanés auxquels l’enfant avait pris goût, Christian révéla sa peur.

 

Tournant en rond, presque sur place, il psalmodiait : « L’éco-o-le c’est-est-du-ur ! ».

Puis un beau jour, il chanta : « Je vais à la chasse, je vais à l’école. Je tue tous les enfants et je tue le maître ! ». (Bovet, dans un schéma fameux prouve que l’agressivité est rarement primitive. Elle serait la conséquence d’un sentiment d’insécurité développant l’angoisse puis une agressivité pouvant s’investir en délit générateur de sentiment de culpabilité. A partir de quoi peut s’instaurer une réaction circulaire de conséquence souvent nocive.)

 

Ainsi, Christian avait peur des autres enfants (l’un d’eux à 16 ans mesurait 1,80). Leur comportement l’effrayait dans la cour de récréation. Mais il avait surtout peur de moi. Peur du maître !

 

J’abandonnais alors toute tentative didactique. Je lui parlais doucement, je désirais faire sa conquête. Ce n’était pas facile parce que nous n’avions pas vécu assez longtemps ensemble.

 

Cependant, l’enfant s’adaptait mieux. Il écrivait des textes de plus en plus longs. Il lisait un peu et semblait vouloir calculer. Mais le problème n’était pas résolu pour autant. Un jour, il me remit même le document suivant (fig. 61)…

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… Voilà que chez moi, dans une classe « normale » avec des enfants réputés « normaux » surgissait cette page illustrée où j’étais parfaitement mis en cause. Tout tendait à me diminuer, à me rendre ridicule à tout prix, grotesque même, dans ces croquis. Examinons les éléments graphiques péjoratifs :

-  la face de Monsieur Le Bohec

-  Monsieur Le Bohec aux cabinets ( !!)

-  Monsieur Le Bohec qui fait son marché (pour Christian, c’est le comble du ridicule)

-  Monsieur Le Bohec en prison parce qu’il a renversé l’armoire exprès

-  Et surtout, peut-être, Christian, tout minuscule, qui va battre Monsieur Le Bohec. David s’apprêtant à terrasse Goliath !

 

Moi qui m’étais imaginé que les relations s’étaient arrangées, quelle désillusion !

 

Que pouvais-je faire ? Que devais-je tenter ? J’essayais de me montrer très indulgent pour Christian. C’était assez facile parce qu’il était sensible et intelligent et que sa lecture, son écriture, son calcul étaient devenus à peu près acceptables. Je ne sanctionnais surtout pas le peu d’ardeur qu’il manifestait parfois le travail. Au contraire, je favorisais son expression libre. Alors, Christian se révéla peu à peu, à nos yeux comme à ceux de ses camarades intéressés :

-                      un chanteur remarquable, voix grave, inspiration sans défaillance,

-                      un danseur excellent, encore que fort comique (je savais rester sérieux car l’enjeu était d’importance)

-                      un dialogueur de premier ordre à l’imagination vive,

-                      un chorégraphe (mais oui !) inspiré qui inventait des évolutions, marches, courses à deux ou à plusieurs participants, des rondes, des danses.

 

Souvent je le félicitais. Il le méritait bien. Parallèlement, Christian avançait en calcul, en lecture, en écriture, en orthographe, ses centimètres-carré montaient sur le planning.

 

Un matin, le 25 mars, je trouvai sur mon bloc, le dessin présenté ici (fig.62).

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Quelle joie ! Ainsi, même dans les situations courantes, avec des enfants appréciés comme normaux, des problèmes se manifestaient comme sous forme de petits drames, d’oppositions, de craintes génératrices d’angoisse, le tout plus ou moins intériorisé. Pour qui se refuse à voir, il est possible de ne rien savoir. Mais le dessin spontané est un témoin .

 

Il y a plus. Lorsque la situation se normalise. Lorsque l’accord se développe, l’expression totale de l’enfant aidant à l’épanouissement, le dessin spontané témoigne encore de l’amélioration et il aide à cette amélioration.

 

Lorsque l’accord « enfant-maître » a été conclu, lorsque l’identification a permis de dépasser la situation paradoxale « amour-haine » dans un climat pédagogique aidant, Christian a pu investir symboliquement son maître de la plus haute dignité que lui suggèrent ses huit ans proches : « Monsieur Le Bohec est le roi » (fig. 63).

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« Pourquoi chercher à tout prix cet accord ? – écrit encore Paul Le Bohec – parce que l’enfant ne peut vraiment être lui-même qu’à partir de ce moment-là. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il sera en mesure de se mettre en route. Je pense que nous devons tenter de l’obtenir le plus tôt possible, en même temps que nous devons chercher et étudier coopérativement les techniques qui favorisent cet accord et le précipitent ».

 

L’expérience de Le Bohec à Trégastel pourrait se multiplier, elle devrait constituer un exemple. En tout cas, elle s’inscrit harmonieusement dans les conclusions du colloque sur l’Ecole Moderne d’Antony en 1957..

 

« Les techniques de l’Ecole Moderne permettent à l’écolier d’agir en Enfant, au maître d’agir en Homme, à l’Ecole de devenir thérapeutique ».

 

 

 

Pour terminer

 

Cette série de témoignages devrait avoir permis un contact authentique avec une certaine réalité enfantine généralement mal perçue ou occultée parce qu’elle se présente sous un aspect inquiétant.

 

Car l’enfance n’est pas seulement la période heureuse, innocente que d’aucuns imaginent.

 

Qu’on ne voie pas là une conclusion pessimiste. Mais l’éducateur doit être réaliste. Certains des aspects pénibles sont le reflet de notre société, de notre temps, de notre condition inhumaine et angoissée.

 

                                                                                                        Maurice PIGEON

 

Complément bibliographique chronologique

 

 

La simple référence à la bibliographie relative aux études consacrées au dessin de l’enfant ne peut manquer d’étonner un profane. Les travaux bibliographiques parmi les plus sérieux paraissent bien être ceux de Pierre Naville, parus sous le titre « Eléments d’une bibliographie critique » dans la revue « Enfance » n° 3 / 4 - 1950. (numéro actuellement introuvable).

On y relève, jusqu’en 1949 le nom de 306 auteurs et 414 titres. P. Naville ne cache pas combien il lui a été difficile, sur le plan international, de dresser un tableau complet de toutes les œuvres car de nombreuses publications (surtout américaines et japonaises) parviennent difficilement à Paris.

 

Georges Rioux consacre également un chapitre important de sa thèse « Dessin et structure mentale » à un « Essai de bibliographie historique » dont la première œuvre indiquée date de 1881. Il s’agit de « L’âme de l’enfant » de Preyer (Alcan Paris).

 

Sans prétendre épuiser la liste chronologique des ouvrages de langue française parus depuis 1950, il semblerait convenable d’ajouter les titre suivants où il est traité du dessin de l’enfant, même si celui-ci ne constitue pas l’objet principal de l’œuvre.

¤

Jean CHATEAU  « L’enfant et le jeu » Ed. du Scarabée-Paris 1950 p. 139/140

 

Georges RIOUX  « Dessin et structure mentale » P.U.F. Paris 1951

Melles S. COTTE – ROUX et M.A. AUREILLE   « Utilisation du dessin comme test psychologique chez l’enfant » Ed. Comité de l’enfance déficiente-Marseille 1951.

 

Charles BAUDOUIN  « L’âme enfantine et la psychanalyse »

II – Les cas – III – Les méthodes – (cf le dessin et les activités plastiques p. 206 à 226). Ed. Delachaux et Niestlé – Genève 1951

 

Célestin FREINET  « Méthode naturelle de dessin » - Ed. MARABOUT (MS 265)

 

Maurice POROT  « Le dessin de la famille. Exploration par le dessin de la situation affective de l’enfant dans la famille » in « Pédiatrie n° 3 – 1952 p. 1 à 17.

 

Ernest BOESCH  « L’exploration du caractère de l’enfant. Principes et Méthodes » Ed. du Scarabée Paris 1952 (cf « Le dessin » p. 116 à 120).

 

Dr Henriette HOFFER et LAUNAY  « La peinture à grande échelle ». Son rôle dans la rééducation des enfants déficients psychiques in « Annales médico-psychologiques » novembre 1952 (p. 698 à 701).

 

CAIN et GOMILA  « Le dessin de la famille chez l’enfant ». Critères de classification » in « Annales médico-psychologiques » 1953 (p. 103 à 122).

 

S. COTTE  « Le retard affectif vu à travers le test de Goodenough chez les enfants intellectuellement normaux au BINET SIMON » in « cinquième fascicule des études de neuro-psycho-pathologie infantile » ed. Comité de l’enfance déficiente – Marseille 1953.

 

J. BOUTONIER  « les dessins des enfants » Ed. DU Scarabée – Paris 1953

 

C. FREINET  « La genèse de l’homme » Ed. de l’I.C.E.M. Cannes – B.E.N.P. n° 79/1953

 

Jean PIAGET – PIERRE DUQUET – Margaret R. GAITSKELL etc… in « Art et Education » Ed. U.N.E.S.C.O. Paris 1954.

 

C. FREINET  « La genèse des oiseaux » Ed. de l’I.C.E.M. Cannes « l’Educateur n° 11/ 12 – 1955

 

Elise et Célestin FREINET  « Les dessins d’Alain Gérard » Ed. de l’I.C.E.M. – Cannes

a)                  janvier 1956

b)                  janvier 1957

 

Docteur Robert VOLMAT  « l’art psychopathologique » Bibl. de Psychiatrie. P.U.F. Paris 1956

 

Marthe BERNSON  « Du griboullis au dessin » Ed. Delachaux et Niestlé-Neufchâtel-Paris 1957.

 

Arno STERN  « Aspects et techniques de la peinture d’enfants » Ed. Delachaux et Niestlé Neufchâtel-Paris 1957

 

Pierre DUQUET  « L’enfant imagier » Ed. Delachaux et Niestlé – Neufchâtel – Paris 1957.

 

Arno STERN et Pierre DUQUET  « du dessin spontané aux techniques graphiques » Ed. Delachaux et Niestlé – Neufchâtel – Paris 1958.

 

S. COTTE et G. ROUX   « The house divided » (La maison divisée) in « Etudes de neuro-psycho-pathologie infantile » 8ème fascicule – Ed. Comité de l’Enfance déficiente- Marseille 1959.

 

Pr Enrico FULCHIGNONI  « l’art thérapeutique moderne, in « Le courrier de l’U.N.E.S.C.O. » paris mai 1959 – (P. 26/27)  Dans ce même numéro « Enfants troublés, dessins troublants » p. 32

 

ART ENFANTIN  Revue trimestrielle de l’I.C.E.M. Premier numéro décembre 1959 Cannes

 

C. FREINET «  La genèse des autos » Edition de l’I.C.E.M. Cannes – L’Educateur n° 6/7 – 1960

 

Elise FREINET  « l’enfant artiste » Edition de l’I.C.E.M. Cannes – 1963

 

Renée STORA  « La personnalité à travers le test de l’arbre » numéro spécial du bulletin de psychologie – 1964

 

Docteur Louis CORMAN  « Le test du dessin de famille » Ed. P.U.F. – 1964

 

Laboratoire de psychologie clinique (Sciences humaines de l’Université de Paris) « Le rôle du dessin dans l’appréciation clinique du développement psychomoteur ». Ed. Laboratoires Solac – 1965

 

Docteur H. LE BARRE  « L’enfant et ses dessins » (deux volumes) – Ed. du Maille Pujols – 1965

 

Docteur D. WIDLOCHER  « L’interprétation du dessin d’enfant » Ed. Ch. Dessart – 1965

 

Docteur Louis CORMAN  « le gribouillis. Un test de personnalité profonde ». Ed. P.U.F. 1966

 

S. GRUNER – M. Th. MAZEROL – J. SELOSSE   “Etudes de peintures d’adolescents délinquants » Ed. Cujas 1967

 

Alain BEAUDOT  « La créativité à l’école » Ed. P.U.F. 1969

 

Docteur Henry AUBIN  « Le dessin de l’enfant inadapté » Ed. Privat 1970

 

Robert GLOTON – Cl. CLERO  « L’activité créatrice chez l’enfant » Ed. Casterman 1971

 

Antoinette MUEL  « Mon enfant et ses dessins » (Le langage des symboles) Ed. Universitaires 1974

 

J.C. ARFOUILLOUX  « L’entretien avec l’enfant : l’approche de l’enfant à travers le dialogue, le jeu, et le dessin » Ed. Privat – 1975

 

Ada ABRAHAM  « Les identifications de l’enfant à travers son dessin » Ed. Privat 1976 –

 

Une recherche systématique de la littérature scientifique ou pédagogique consacrée au dessin de l’enfant devrait permettre de relever un grand nombre d’articles de langue française présentés dans différentes revues depuis 1950 (« L’Ecole des parents et des Educateurs » - « l’Education nationale » devenue « L’Education » en 1974 et quelques revues médicales ou autres (1).

 

¤

 

Ainsi Adolphe FERRIERE continue d’avoir raison, qui concluait en 1928, un article dans « Pour l’Ere Nouvelle » par ces mots :

 

« Notre génération a découvert les dessins d’enfants »

 

Les générations suivantes poursuivent la quête avec la même curiosité. L’Ecole Moderne française, à la suite de Célestin FREINET et d’Elise, tient une place de choix dans la recherche.

 

 

(1)               « Sauvegarde de l’enfance » n° spécial 5-6 mai-juin 1966, consacré à l’expression artistique au service de l’éducateur spécialisé.

 

 

La revue Art Enfantin et Créations continue de porter témoignage

de l’importance que révèlent les dessins des enfants et des adolescents.

 

Reuve trimestrielle de 48 pages 21 x 27 cm quadrichromies

Abonnement annuel : 74 F avec supplément de 2 disques : 98 F

 

Vente au numéro à CEL BP 282, 06403 Cannes Cédex