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Mai 2004

 

CréAtions n° 112 - Travailler ensemble

publié en mai/juin 2004 (Editions PEMF)

Edito

 

Edito : Contre le conformisme, rencontrer l'autre

 

" Tous les hommes prétendent se faire eux-mêmes sans l'aide de personne mais tous se pillent et se dévalisent effrontément : styles de vie, manières de se vêtir, de parler, mœurs amoureuses, goûts culturels ".

Si le mythe du "self made man" que décrit Pascal Bruckner n'est que mystification d'un désir individualiste très connoté par le "rêve américain", par contre le conformisme qu'il décrit aussi est bien ancré dans les comportements et les modes standardisés générés par la société de consommation. Les gens croient être libres, faire des choix, alors qu'ils sont dans l'imprégnation et dans la copie permanentes, à cause de l'angoisse d'être différents, de la peur d'être soi-même, de la passivité face au réel et à ses multiples facettes. Dans l'opposition entre exotisme et quête de la diversité, Victor Segalen (in Essai sur l'exotisme) préfigure l'attitude du consommateur qui réduit la connaissance de l'autre au tourisme des loisirs (discothèques, voyages organisés) ou de la culture prédigérée (films commerciaux, magasines people) alors qu'il nous faut parier sur l'enrichissement de chacun par la rencontre singulière de l'autre et par l'expérience des œuvres.

N'y a-t-il pas derrière la massification de l'école, l'idée de former des citoyens dociles, formatés, de bons consommateurs sans esprit critique ? Ce système montre pourtant actuellement ses limites, l'école républicaine engendrant contre toute attente le communautarisme ou le malaise adolescent qui se traduit au pire par le repli sur soi jusqu'au suicide mais la plupart du temps par une simple docilité.

D'aucuns pensent pourtant aller encore plus loin : il nous faut traquer les "sauvageons", ceux qui rejettent de façon violente le système, ils annoncent même que c'est dès trois ans, à la maternelle, que le rapport d'autorité doit être inculqué.

La pédagogie Freinet, quant à elle,  a choisi depuis longtemps une autre voie, celle qui veut rendre les enfants plus actifs, leur procurant d'autres recours que la violence, par la reconnaissance de l'individuel, des individus entre eux et du groupe.

Pour cela, elle propose des outils, des situations d'apprentissage qui engagent quelque chose du potentiel de créativité de chacun, de la confrontation et de l'échange : la coopération est un pilier de la pédagogie Freinet ; la correspondance est un des outils privilégiés pour rencontrer l'autre ; la globalité des apprentissages (qui n'oublie pas la spécificité disciplinaire) est la porte de l’interdisciplinarité et de la quête du sens ; l’entraide est le vecteur de l’appropriation des savoirs. Toutes ces pratiques tendent à affirmer que travailler ensemble est le moyen de se construire soi-même et de donner du sens aux apprentissages. Elles sont cependant quasiment absentes des écoles, encore moins présentes dans les collèges et les lycées voués à la compétition et à l’élitisme et si elles sont encouragées comme le suggèrent les programmes, elles sont programmées dans des niches temporelles bien verrouillées, saucissonnées en tranches comme le reste des enseignements ce qui achève de les vider de toute cohérence et de leur substance humanisante.

Ce numéro présente des pratiques d'ouvertures qui partent du principe que « c'est à plusieurs qu'on apprend tout seul », des outils qui sont dans la veine de cette revue créée par Elise Freinet (Art enfantin au départ) qui depuis 1958, diffusant un « gribouillage » d'enfant en pleine page, en quadrichromie et avec des moyens professionnels, voulait parier sur l'idée que cet enfant se sente vivant, par la preuve de son existence sur le papier glacé, par le regard des autres lui renvoyant une image valorisante. Rien que pour cela, CréAtions qui poursuit fidèlement ce même pari est indispensable !

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