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La peinture libre ou le refus de la censure

Mai 2004

 

CréAtions n° 112 - Travailler ensemble
publié en mai/juin 2004 (Editions PEMF)

Nicolas Koessler, PE2 IUFM Draguignan. Stage en responsabilité en maternelle à l’école de Vidauban (Var)

 


La peinture libre ou le refus de la censure

 

Permettre l’expression de "gestes audacieux et singuliers" avant l’écriture

C’est durant ma deuxième année de formation à l’IUFM, au cours d’un stage réalisé en responsabilité dans une classe maternelle de petite section, que me fut donnée l’occasion d’évaluer l’exploitation didactique d’une pratique libre de la peinture.


Autonomie de l’enfant et part du maître

La démarche de cet atelier postulait une autonomie latente de la classe à actualiser dans un milieu extrêmement normatif où l’enseignant avait pour habitude de tout organiser pour le confort le plus passif de ces jeunes enfants. Une activité libre supposait de ma part, d’accepter l’indétermination de tous les paramètres depuis l’entrée dans le travail jusque dans les contenus exécutés par les enfants. Pour cela, je devais m’affranchir du schéma et de la logique factices de la sempiternelle fiche de préparation. Ma participation se limita à l’aménagement du matériel (encres et peinture dans les trois couleurs primaires ainsi que dans le noir et le blanc et de nombreux outils pour projeter, tracer et dessiner) que j’installai délibérément durant la présence des enfants afin d’en stimuler l’inauguration.

Je pris donc le risque d’introduire dans cette classe une structure nouvelle dont je ne pouvais garantir la compatibilité avec les habitudes qui préexistaient à mon intervention. Cette appréhension demeurait d’autant plus légitime que mon expérience s’adressait à une classe où l’intériorisation des apprentissages coïncidait avec une ritualisation quotidienne à la fois des activités et de leur distribution dans l’espace et le temps.

 Le nouveau dispositif déconcerterait peut-être l’enfant sur ces deux points :
- dans son aménagement d’abord puisqu’il impliquait une installation, sinon nouvelle au moins supplémentaire, d’ateliers de peinture répartis dans toute la classe et disponibles afin de recevoir les moindres occasions que les enfants accepteraient de fournir
- dans son fonctionnement surtout qui induisait que l’enfant se détermine lui-même dans l’activité sans que n’interfère la décision de l’adulte
.

La ruche, vite !

Mes premières inquiétudes sur l’efficacité d’une telle organisation disparurent vite. La structure fut très bien accueillie par les enfants qui désertèrent parfois leurs espaces de jeux et d’activités symboliques ou même leur plage de sieste afin de produire avec une intarissable frénésie de nouvelles productions. Après un désoeuvrement presque réflexe, la réaction affective à ce nouveau dispositif se convertit en une positive curiosité pour un support qui laissait s’exprimer l’attitude simplement naturelle de l’enfant.

L’autonomie scolaire de l’élève même à l’école maternelle devient au regard de cette expérience un faux problème auquel doit se substituer plus légitimement la problématique fondamentalement didactique de l’expression.

 


On peut effectivement définir, à l’appui de toute une tradition esthétique, la peinture comme un langage formalisant une pensée. La peinture libre construit en même temps qu’elle le protège, un espace de communication qui est réceptif à l’intentionnalité tâtonnante des enfants. Ils se projetaient d’autant plus facilement dans la tâche que cette dernière émergeait de la nécessité intrinsèque de vouloir dire quelque chose. J’obtins d’ailleurs dans ces ateliers de meilleurs résultats pour intercepter la parole de l’enfant que dans les activités de médiations traditionnelles que je m’étais efforcé de conserver (graphisme et logique principalement).


Contre l’uniformisation


Avec le temps les techniques s’y sont multipliées, libérant les gestes les plus audacieux qui préfiguraient déjà la formation de la future écriture. Au travers d’une profusion indénombrable et syncrétique de signes comme les projections, les courbes, les points et les lignes, l’enfant fabriquait en puissance la convention écrite des lettres et de la ponctuation. La matière offrait donc un signifiant docile dans lequel se trouvait objectivée l’effervescence intérieure de l’enfant. La signature devenait même un geste superflu et agissait comme une redondance par rapport à l’autographe qui se devinait déjà dans l’immanence des motifs. Malgré un phénomène de contamination au cours duquel je pus observer certaines productions circuler d’une toile à une autre, le graphisme de chaque réalisation restait en effet nettement personnalisé, revendiquant l’originalité d’un ici et maintenant toujours différent.

On demeurait loin de ce que l’on trouve affiché sur les murs d’une classe traditionnelle où le même dessin est souvent reproduit à l’identique sur l’initiative d’un maître qui formate toutes les énergies de la classe dans une réalisation commune. Il ne s’agit là que d’une pédagogie de la censure.

 

        

Cette expérience m’a donc contraint à interroger le problème de la posture enseignante. Les séances d’arts plastiques révèlent ce despotisme du maître qui réduit la création enfantine à la simple exécution de consignes. Cette pédagogie aliène délibérément l’imagination de l’enfant pour lui substituer de discutables canons de beauté. Le beau reste pourtant, selon la définition kantienne du jugement de goût, un universel sans concept limitant donc toute norme esthétique à une référence relative voire subjective. L’enseignant doit taire en lui le narcissisme.

 

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