Raccourci vers le contenu principal de la page
Février 2004

 

 

CréAtions n° 110 - Art et sciences se rencontrent -

publié en janvier-février 2004 (Editions PEMF)

Denis Fouquet, musicien et enseignant. Intervention en CM à l’Ecole Nuyens, Bordeaux Bastide (Gironde). Enseignante: Françoise Luc.

 

 

Donner du temps

 

La chronosphère1 de l’artiste et la cloche de l‘école

 

 
Reconnaître le temps créatif
 

Tout projet d’éducation artistique ne saurait être mené efficacement avec nos élèves sans une rencontre avec un artiste. Entendons bien sûr par «projet artistique», le vécu d’une expérience aboutissant ou non à un «produit», mais c’est généralement le cas. Ce projet intégrant l’imaginaire et le travail autour d’un objectif s’inscrit à la fois dans une dynamique d’imprégnation, d’échange et d’appropriation, dans une certaine durée de maturation et de réalisation. Mais la qualité de cette rencontre et des échanges qui peuvent en découler nécessite pour l’enseignant une certaine connaissance (et reconnaissance) du mode de fonctionnement d’un artiste. La notion de temporalité dans l’acte créatif, s’écarte bien souvent des valeurs normatives : « la perception de cette dimension disparaît au profit d’une durée informelle2 et subjective dans laquelle la conscience de l’objet est investie par le sujet tout entier dans un rapport d’égocentrisme comparable au désir amoureux».3

 
Espace et temps subjectifs
 

    Une fois engagé dans un processus de création en milieu scolaire, outre la difficulté des enfants à acquérir les outils nécessaires à la pratique du langage artistique concerné, l’artiste et les enfants impliqués éprouvent une autre difficulté, celle de la notion d’espace et de temps subjectif. Fixer des limites temporelles strictes à ce processus pose un problème fondamental : comment circonscrire à l’intérieur d’une durée objective ce temps dans lequel opère l’énergie créative, temps qui évolue selon la propre logique de l’artiste, hors champ chronométrique et qui, le plus souvent, échappe à la conscience? Le problème réside moins dans le fait de vouloir insérer un projet de cet ordre dans un emploi du temps, ce qui est techniquement possible, que de devoir interrompre le fil conducteur qui mène à la réalisation d’une œuvre (et donc d’en suspendre, dans la plupart des cas, le plaisir). Ce processus, qui possède ses rituels, suppose d’être mentalement disponible, dans un état entier de concentration et de désir optimum, qui se cultive et qui est de l’ordre de l’aléatoire ; les mêmes causes ne produisant pas forcément les mêmes effets. Cet état, impératif et quasi hystérique, nécessite d’entrer dans une sphère (la “chronosphère”) dans laquelle l’espace et le temps deviennent totalement subjectifs, asservis à un désir intime lié à la jouissance. A l’école primaire comme au collège, c’est précisément le vécu de cette expérience-là qui devrait faire acte essentiel de pédagogie, à l’instar de toute technique sensée aboutir à la connaissance des pratiques artistiques instituées comme matières d’enseignement.

 

1- Néologisme assumé par son auteur
2- Un présent qui s’éternise…, Michel Imberty, Psychologue sémanticien à l’Université de Paris X
3- In Sociologie de la musique, T. Adorno, Coll. "Musique en jeu n°2", Ed. Le seuil, 1972

 

sommaire CréAtions 110 

page suivante