DERNIÈRE HEURE
Sous la pression de toutes les organisations, de toutes les personnalités qui, spontanément, ont pris notre défense, le Ministre a été contraint de reculer : il a ordonné le renvoi pour supplément d'enquête.
L'affaire est à l'eau... disent des hommes politiques du département. Mais nous n'oublions pas que nos ennemis veillent, qu'ils ne peuvent digérer la leçon que nous leur avons donnée. Et nous savons que l'Administration — que nous sommes autorisés, hélas ! à compter au nombre de nos ennemis — serait heureuse aussi d'avoir sa petite revanche.
Nous devons plus que jamais veiller, continuer notre action de défense, faire connaître nos buts, dénoncer les forces réactionnaires qui s'opposent à notre travail, grouper autour de nos initiatives le maximum de bonnes volontés et d'énergies afin que, notre victoire étant complète, nous puissions enfin travailler dans une paix relative. Si cette affaire nous a permis de connaître le fonds désespérément vil de certaines personnes ou de quelques groupes, elle a été par contre l'occasion pour nous de faire quelques constatations encourageantes.
Non, tout n'est pas encore définitivement compromis dans notre société : il y a encore, partout, de forts noyaux de résistance, des hommes qui réfléchissent, qui pensent, qui s'effrayent parfois peut-être au spectacle des luttes nécessaires, mais qui apporteront cependant leur modeste pierre à l'œuvre que nous poursuivons.
Et notre dernier mot sera à la gloire de l'éducation libérée que nous essayons d'introduire dans nos classes.
Croit-on que beaucoup d'instituteurs auraient résisté au débordement de calomnie et de boue dont nous avons, à Saint-Paul même, été victime ? Nous avons cependant tenu bon pendant plusieurs semaines, puis remonté le courant.
C'est que l'atmosphère nouvelle de la classe caractérisée par une complète intimité entre maîtres et élèves, n'était pas accessible à cette impureté. Pendant trois semaines ma classe a fonctionné normalement : mieux, les élèves s'étaient rapprochés de moi, sentant obscurément la menace qui pesait sur leur école. Il a fallu le coup de force du Maire pour que quelques élèves, bien malgré eux, désertent la classe.
Et pourtant, malgré tant de forces coalisées, nous avons conservé la majorité des élèves. La grève a donc échoué. Les parents se ressaisissent. Ils prennent en mains l'intérêt de leur école, qu'ils aiment davantage pour l'avoir défendue : ils écrivent au Préfet, télégraphient au ministre, font la police autour de la classe.
Je n'exagère pas en disant que tout cela n'aurait pas été possible si, par nos techniques, nous ne nous étions rapprochés de nos élèves, rapprochés de leurs parents ; si nous n'avions jeté les bases d'une vie nouvelle que défendent tous ceux qui, en toute liberté, peuvent juger et apprécier.
Nous espérons donc que notre exemple encouragera de nombreux camarades à s'engager sur cette voie des techniques nouvelles et que cette attaque, qu'on avait voulu mortelle pour nous, sera au contraire le point de départ d'une évolution permanente, sur une grande échelle, de notre effort libérateur.
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— Paul Lapic l'ex-recteur de l'Université de Paris, conseille dans l'officieuse revue du Ministère « L'Enseignement Public » (page 57 de janvier 1927) de développer les expériences d'imprimerie à l'école.
«L'obligation, écrit-il, de chercher chaque lettre dans sa case, en suivant l’ordre exact des lettres dans le mot et de le déposer à sa place exacte, sur la planche à composer, doit donner d’excellentes habitudes orthographiques. Le désir d'imprimer leurs productions, de les répandre parmi leurs amis peut simuler très heureusement le goût des enfants pour la rédaction ». — L'Enseignement Public signale en février 1929, comme inspirée des Instructions de 1923 : « une méthode qui s'appuie sur ce principe : « Exploiter, pour nos fins éducatives, le besoin de curiosité et d'activité qui est en tout être vivant ; amener au jour les pensées intimes de nos élèves, les exprimer, les classer, pour les fixer enfin par l'imprimerie, avant de les utiliser pour le travail scolaire.
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NOUVELLE ALERTE
Nous étions sur le point d'annoncer notre victoire, puisque l'Inspecteur d'Académie venait brusquement d'être déplacé et envoyé à Oran... sur sa demande — lorsque, clandestinement, l'affaire Freinet est portée à nouveau devant le Conseil départemental du 28 janvier — et, cela, illégalement puisque notre camarade n'a pas eu connaissance du dossier, conformément à la loi.
Cette nouvelle attaque vient au moment où les pouvoirs publics refusent d'intervenir contre le Maire de Saint- Paul qui a déclaré publiquement, le 22 janvier, que Freinet formait des voleurs et des assassins.
C'est toute la légalité scolaire qui est en jeu ; il y va de la sécurité de tous les instituteurs. Quelle que soit la décision illégale, nous devons plus que jamais serrer les rangs et faire front.
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AFFAIRE FREINET
Les Faits
Notre intention était d'abord de laisser les syndicats et les Ligues diverses s'occuper de la défense de notre camarade Freinet, sans encombrer cette revue par l'exposé des faits survenus.
Mais l'affaire a pris une telle ampleur ; elle a eu un tel retentissement ; l'existence même et l'avenir de notre, groupe ont été si directement engagés dans une latte dont nous sommes sortis, provisoirement du moins, victorieux, qu'il est nécessaire de mettre totalement au courant tous nos lecteurs.
Fournir ainsi des matériaux sûrs pour la défense, c'est d’ailleurs servir encore la propagande de nos techniques, renforcer et consolider encore nos réalisations.
Nous reproduisons donc les principales pages d'un rapport que le Syndicat de l'Enseignement des Alpes-Maritimes avait établi pour la défense de Freinet, en éliminant naturellement tout ce qui concerne une action pédagogique que nos lecteurs connaissent mieux que quiconque :
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« Je dois accepter la vérité, quelle qu'en soit pour moi la portée ; je dois la suivre n'importe où elle conduise, quel que soit l'intérêt qu'elle entraîne, quelle que soit la persécution ou la perte à laquelle elle m'expose, quel que soit le parti dont elle me sépare et à quelque parti qu'elle m'allie. ».
Pensée de CHANNING, que Freinet a eu à méditer à l'Ecole Normale de Nice.
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Du 12 février 1927 :
LETTRE de Monsieur l'Inspecteur d'Académie à Monsieur Freinet :
Je vous adresse mes félicitations pour le travail réalisé et pour le développement heureux de votre expérience.
Signé : BRUNET.
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Du 22 décembre 1928 :
LETTRE de Monsieur l'Inspecteur d'Académie à Monsieur Freinet :
J'ai bien reçu l'exemplaire « La Veillée » imprime par nos élèves.
Je vous félicite cordialement pour le résultat obtenu.
Signé : BRUNET.
Rarement accusation fut si mal établie que celle qui est portée aujourd'hui devant le Conseil Départemental contre notre camarade Freinet, instituteur à Saint-Paul (Alpes-Maritimes).
Aucune plainte écrite, signée par qui que ce soit ne figure dans son dossier Au cours de l'enquête à Saint-Paul, les 12 et 13 décembre 1932, par M. l'Inspecteur primaire, aucune plainte grave n'a été portée contre Freinet et son enseignement. Les parents ont désapprouvé sans réserve la campagne menée à grand bruit contre Freinet et l'école laïque.
Il n'y aurait donc pas à ce jour d'affaire Freinet si une campagne diffamatoire n'avaient été déclenchée.
Par qui ?
Les anonymes ennemis ont été découverts le dimanche 4 décembre lorsque, pour empêcher Freinet de tenir dans ses appartements une réunion privée de parents d'élèves, le Maire a fait irruption dans la cour de l'école, à la sortie de Vêpres, suivi d'une clique de gens notoirement ennemis de l'école laïque à st-Paul et dont aucun n'a d'enfants à l'école. Nous pouvons citer :
- Le Maire, sans enfant, clérical connu, grand propriétaire foncier :
- L'Adjoint, sans enfant à l'école;
- Mme Larcher, habitant St-Paul depuis peu, deux enfants à l'école privée de Vence ;
- Au bœuf, antiquaire, sans enfant, royaliste militant.
Si nous avions encore quelque doute sur l'origine réactionnaire et cléricale, antilaïque, de l'attaque contre Freinet, nous la trouverions dans ce fait révélateur :
La campagne de presse contre Freinet a commencé simultanément, le 10 décembre, dans l’Eclaireur de Nice timidement et dans l'Action Française — ostensiblement par la plume de Charles Maurras. Comme sur un mot d'ordre, tous les journaux réactionnaires de France, toutes les feuilles cléricales, toutes les Croix ont reproduit, en l'aggravant encore, la communication de presse (Freinet possède plus de 100 coupures semblables).
Quelle était la base de l'attaque dans Saint-Paul ? La plainte, disaient les rapports de police, serait déposée par le Maire de St-Paul, par le Conseil municipal, par les Anciens Combattants.
Dans une lettre parue dans le Petit Niçois, M. Guizol, conseiller municipal de St-Paul, assure que le Conseil Municipal n'en veut pas à M. Freinet et n'est pour rien dans les attaques dont il est l'objet. Le lendemain, le Maire est obligé de prendre seul la responsabilité de la demande de déplacement.
Quant aux anciens combattants, il n'y a à St-Paul aucune association, et on n'a pu obtenir aucune plainte précise de personne. On conçoit mal d'ailleurs que des anciens combattants osent attaquer en face leur camarade Freinet, grand mutilé de guerre, médaillé militaire et Croix de Guerre.
Il reste donc, de toute évidence, que l'attaque a été déclenchée par le groupe réactionnaire appuyé par le Maire de Saint-Paul.
Dans la cour de l'Ecole, le 4 décembre, le Maire de St-Paul a dit brutalement à Freinet :
— Nous en avons assez de vous !
Et cela se conçoit.
Non que Freinet ait jamais fait dans le village la moindre opposition à la Municipalité ni même la moindre action militante sur le terrain politique — ce qui aurait été d'ailleurs son droit strict, mais il est trop pris par ses occupations pédagogiques pour militer. Son tort est de n'avoir jamais accepté sans vives protestations la situation scandaleusement misérable qui est faite à l'école populaire de St- Paul.
Et les occasions de réclamer le respect d'une précaire légalité ne manquent pas.
La classe se tient dans un local sombre, sans soleil l'hiver : le plancher disjoint est tout bosselé, et les vieux bancs branlants dansent sans cesse sur les monticules quel que soit le soin avec lequel les enfants entassent sous les pieds planches et coins.
Les cabinets se déversent dans une fosse étanche qui n'est jamais vidée à fond. Régulièrement, plusieurs fois par an, ils débordent et le purin s'en vient paraître jusqu'à la porte du préau ; les vers envahissent parfois le réduit, obligeant le maître à condamner la porte, pour envoyer les enfants, au mépris de toute hygiène, faire leurs besoins aux remparts.
Point d'eau ! Les enfants eux-mêmes doivent aller à la fontaine du village, à 100 mètres, faire la provision indispensable, aux risques et périls de l'Instituteur responsable.
Commune de 1 000 habitants, la classe devrait être balayée légalement par les soins de la Mairie. On n'a jamais pu obtenir le respect de la légalité : ce sont les enfants qui doivent assurer le balayage.
Chauffage ! Un vieux poêle est au milieu de la classe et les tuyaux menacent sans cesse de s'écrouler sur la tête des élèves. Ne parlons pas d'installation de sécurité. Bien mieux, notre camarade Freinet est obligé de refendre lui-même le bois et de fournir la plupart du temps le bois d'allumage, sinon il n'y aurait jamais de feu.
Une deuxième classe récemment créée est installée dans un local de la vieille tour municipale : elle n'est éclairée que par une fenêtre et elle n'est jamais ni blanchie ni balayée.
Aucun crédit d'enseignement : il n'est accordé que 50 francs par an pour deux classes pour l'encre et la craie. Une caisse des écoles fondée par Freinet il y a quatre ans a permis d'acheter un cinéma et quelques livres, mais, depuis deux ans, il est impossible d'obtenir du Maire, président, la convocation du Conseil de la Caisse des Ecoles, et l'argent reste inemployé pendant que les écoliers pâtissent.
Pourquoi ce délaissement scandaleux ? Le Maire de St-Paul, sans enfant, en a donné la raison à Monsieur l'Inspecteur Primaire :
- Vous pouvez supprimer les quatre classes de Saint-Paul, si vous voulez...
Mais la Municipalité de Saint-Paul a essayé de faire pis encore : n'avait- elle pas décidé l'an dernier, à l'insu de l'administration, d'installer la poste et les appartements du Receveur dans les locaux scolaires provisoirement inoccupés de l'Ecole de filles. Tout était prêt. L'administration des Postes avait déjà fait ses essais de réception. Une réclamation motivée adressée par Freinet au Préfet et à l'Académie a fait tomber le projet et les locaux scolaires sont restés normalement aux jeunes collègues qui les habitent actuellement.
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Cette action incessante pour l'amélioration matérielle et morale de l'école, ce dévouement opiniâtre d'un instituteur à l'école laïque est à l'origine de la campagne acharnée par laquelle les obscurantistes réactionnaires demandent aujourd'hui, à cor et à cri, la révocation de notre camarade.
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La campagne diffamatoire
Nos ennemis ont donc cherché dans l'œuvre de Freinet quelques documents qui, habilement encadrés d'affirmations diffamatoires, étaient susceptibles de soulever contre l'école tous les ennemis de toujours pour créer le scandale désiré.
Il est donc nécessaire de rétablir dans leur cadre les textes incriminés et de donner des explications techniques détaillées sur la méthode dont Freinet est l'initiateur, et qui est conforme aux instructions ministérielles.
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Freinet, comme les vrais éducateurs de tous les temps, pense que le point de départ de toute éducation est dans l'intérêt spontané que l'enfant porte aux manifestations de la vie réelle.
Son originalité est d'avoir su, par un travail impressionnant d'une dizaine d'années, créer et mettre au point le matériel permettant aux enfants de s'exprimer pleinement — et aussi la technique de travail qui permet aux instituteurs de s'orienter sur la voie nouvelle.
Les enfants donc sont encouragés à s'exprimer eux-mêmes. Ils écrivent, quand ils en éprouvent le besoin, des rédactions qui sont des fragments de leur vie : narrations, descriptions, poésies, pièces de théâtre, rêves même.
Ces rédactions nées spontanément, qui ne sauraient être suggérées ou guidées sans manquer à la conception pédagogique qui anime Freinet, sont lues en classe par leurs auteurs. Les élèves choisissent librement au vote, la rédaction qui, répondant le mieux à l'intérêt de la classe, sera mise au point, rédigée définitivement, composée, imprimée, et échangée avec des dizaines d'écoles de France et de l'étranger.
Vous verrez par la suite de notre rapport qu'on essaye de démontrer que ces rédactions constituent un enseignement tendancieux.
Rien n'est plus faux : rien n'est plus possible. L'enfant, par cette technique, est habitué à s'exprimer librement : il ne tolérerait pas que son instituteur le contraigne à mettre par écrit des pensées qu'il n'a pas eues, à raconter des faits dont il n'a pas été le témoin. Cette technique même d'Imprimerie à l'Ecole suppose l'impartialité du maître : il est absolument à l'opposé de la contrainte tendancieuse de l'adulte.
Certes, ce que disent les enfants peut n'être pas toujours conforme aux désirs des adultes policés, et aux habitudes pédagogiques de l'école traditionnelle. Mais c'est la vérité, la pure et naïve vérité qui voit le jour. Même lorsqu'elle déplaît elle doit être respectée parce qu'elle est l'expression authentique des pensées honnêtes et confiantes des jeunes élèves.
On peut certes discuter la valeur pédagogique d'un tel enseignement. Vous sommes prêts à répondre avec preuves à l'appui : il nous suffira pour aujourd'hui de mentionner :
- Que les instructions ministérielles de 1923 recommandent tout spécialement les rédactions libres ;
- Que l'expérience de l’Imprimerie à l'Ecole, commencée il y a 8 ans, se poursuit actuellement, sous le contrôle et avec la collaboration souvent des autorités pédagogiques elles-mêmes, dans plus de 300 écoles françaises et étrangères.
- Que les centaines d'attestations élogieuses et enthousiastes que nous avons à ce jour montrent la valeur pédagogique de cette technique.
Depuis que Freinet travaille à St- Paul, près de 1 000 rédactions libres ont été ainsi imprimées par la presse de l'école.
Au grand jour ! Plus que cela.
Dans les classes ordinaires l'instituteur ne subit le contrôle de ses chefs qu'une fois l'an ; le contrôle des parents est presque inexistant.
Par l'Imprimerie à l'Ecole, les textes sont lus chaque soir — et ils sont lus effectivement dans presque toutes les familles — par les parents. Le service régulier des imprimés est fait de plus à l'I.P. qui peut donc contrôler les classes travaillant à l'imprimerie mieux qu'il ne peut contrôler aucune autre classe.
Comment, dira-t-on alors, les uns et les autres ont-ils laissé passer sans protester des textes qui, publiés par la presse, ont fait jeter les hauts cris — car ces textes datent l’un de 13 mois l'autre de 9 mois, l'autre de 7 mois.
L'explication en est bien simple.
Ces textes enfantins, écrits avec une pureté et une honnêteté indéniables, ne sauraient contenir aucune mauvaise pensée. Replacés dans leur cadre normal du livre de vie, ils restent une forme à peine originale de la pensée enfantine. Nul n'y a vu malice. Parce qu'il n'y en avait pas et qu'il ne peut pas y en avoir.
Lorsque Freinet a à s'en prendre à quelqu'un, fut-il maire ou curé, il est capable de le faire personnellement sans se servir de ses élèves.
Tirer de l'imposant travail que constituent les livres de vie quelques documents spéciaux, les isoler de leur conteste, les encadrer de mensonges, puis condamner l'instituteur sur l'examen de ces seules pièces détachées, ce sont là des procédés connus certes, mais qu'aucun homme honnête ne saurait couvrir et accepter. Passons à l'examen des rêves incriminés.
1. MON REVE
« J'ai rêvé que toute la classe s’était révoltée contre le Maire de Saint- Paul qui ne voulait pas nous donner les fournitures gratuites. M. Freinet était devant. Il dit à M. le Maire :
— Si vous ne voulez pas nous payer les livres, on vous tue.
— Non.
— Sautez-lui dessus, dit M. Freinet.
Je m'élance. Les autres ont peur. M. le Maire sort son couteau et m'en donne un coup sur la cuisse. De rage, je prends mon couteau et je le tue.
M. Freinet a été le Maire et moi je suis allé à l'hôpital. A ma sortie, on m'a donné mille francs ».
Ce rêve se trouve effectivement dans le livre de vie de Freinet. S'il avait, au moment de sa composition Mars 1932, offensé qui que ce soit, serait-il passé inaperçu ? Si parents et élèves en avaient été outrés le silence aurait-il pu être gardé ?
Voici ce que pense de la publication de ce rêve M. Ch. L. Baudoin, directeur de l'Institut de Psychothérapie de Genève, Privat Docent à l'Université de Genève :
Genève, le 19 décembre.
Monsieur,
Vous avez bien fait de me communiquer ce texte d'un rêve d'enfant ainsi que l'affaire à laquelle il a donné lieu. Ce rêve me parait tout à fait conforme à de nombreuses fantaisies de nombreux enfants, et je crois que quiconque s'est occupé de l'étude du subconscient de l'enfant sera de mon avis. Je n'ai certes pas la prétention d'analyser ici ce rêve, ce qui est impossible sans avoir le contexte d'associations spontanées de l'enfant, mais ce qu'on peut dire à première vue c'est qu'il s'agit d'une de ces fantaisies extrêmement banales encore une fois, exprimant le complexe d'Œdipe, plus particulièrement la révolte contre l'autorité paternelle, autorité qui est symbolisée suivant les cas aussi bien par le Maire ou le curé du village, que par Napoléon ou Nabuchodonosor.
Il faut certainement être bien mal informé sur la psychologie enfantine ou avoir de singuliers partis-pris pour avoir pu interpréter ce rêve d'une manière défavorable pour vous. Personnellement, je ne puis que vous féliciter d'avoir entrepris cette étude des rêves d'enfants, ce qui est le moyen par excellence d'être informé d'une façon un peu précise sur leur vie affective profonde. Et soyez certain que tout psychologue et éducateur digne de ce nom ne pourra que vous approuver.
Veuillez... Signé : BAUDOUIN.
Rêve sanglant, dira-t-on, dangereux à mettre sous les yeux des élèves ! C'est une théorie ; et elle est discutable.
Freinet ne voit pas d'inconvénients à cette publication — toute accidentelle d'ailleurs (6 rêves violents sur 400 textes). Et la preuve que ces rêves n'ont pas nui à la santé morale des enfants, c'est que l'auteur même de ce rêve, le jeune Diaz, a été régénéré par la méthode de Freinet — une élogieuse attestation des parents le prouve. Fait plus important : l'es enfants aiment la bataille et la guerre, c'est incontestable. Or, dans un autre rêve, qu'on reproche à Freinet, une majorité d'élèves s'élève contre la guerre. Comment concilier les conclusions possibles de l'examen de ces documents.
Il en reste du moins que, dans l'état actuel de l'école et de la pédagogie les rêves d'enfants sont parmi les documents les plus précieux à étudier pour la connaissance profonde des élèves. Cela ne fait aucun doute.
La publication de ce rêve ne saurait donc constituer ni une faute ni une erreur ; elle est un des éléments normaux d'une pédagogie qui vise à libérer l'enfant, à l'améliorer moralement, à lui permettre de s'élever. Les seuls coupables sont ceux qui ont encadré ces documents de mensonges effrontés qui en dénaturent totalement et l'origine, et l'esprit et le but.
2. LA PREMIERE COMMUNION
« Dimanche 19 juin a eu lieu ta première communion à Saint-Paul, 19 garçons, 16 filles et 12 renouvelants. M. le Curé nous a donné une brioche à chacun. Nous partons à l'église en chantant. Nous avons fait la bombe. Castelli s'est saoûlé. Des hommes étaient ivres aussi. Nous avons mangé à la maison de bons gâteaux et de bonnes galettes.
Les trois élèves présents : Cordala, Castelli et Janinet. Les autres sont encore allés à la messe et ils sont fatigués ».
Il est l'expression absolument libre des 3 élèves présents le lendemain de la première communion.
Il serait profondément erroné de croire que Freinet a inspiré cette opposition regrettable entre la fête religieuse et la fête profane. Toutes deux ont laissé dans l'esprit des enfants une trace profonde. II est naturel que l'enfant l'exprimant librement, les raconte sans fard, dans l'ordre chronologique...
Faute de goût, dit-on, que ces expressions saoûlé, ivre, bombe… Ah ! certes le langage de l'enfant n'est pas très académique : et Freinet ne pourrait le rendre tel qu'en lui enlevant toute vie, en déformant la pensée, en pratiquant cette besogne tendancieuse qu'il se refuse à opérer et qui consisterait à faire taire l'enfant pour lui imposer à nouveau les formules creuses d'une morale verbale qui a prouvé son impuissance.
Et la morale, dira-t-on !
Des enfants racontent qu'ils se sont saoulés. L'atmosphère morale de la classe de Freinet, l'exemple de haute dignité morale de notre camarade sont d'avance la désapprobation formelle d'actes indignes d'hommes
Que l'on nous permette ici de citer un autre texte qui permettra de saisir qu'à défaut d'une morale emphatique et rébarbative et, trop souvent, école d'hypocrisie, Freinet prêche d'exemple une morale réelle :
NOUS FUMONS
« Hier soir Christini a acheté quatre cigarettes et Borgna une boite d'allumettes. Christini nous a donné une cigarette à chacun ; Borgna a frotté une allumette et nous avons allumé nos cigarettes.
Les deux Mathieu et Pagani s'étaient cachés derrière un buisson. Le jeune frère de Borgna disait :
— Regardez, moi je tire !
On aurait dit une locomotive. Christini avait les yeux rouges comme un crapaud. Borgna demandait, s'il fallait tirer ou souffler pour faire sortir la fumée du nez.
Castelli et Christini en ont fumé seulement la moitié d'une, Borgna en a fumé une. Il dit : Nous étions contents : on a bien dormi, bien mangé, bien bu : une pipade vaut bien un écu.
Gr. 3 Borgna, Castelli, Christini.
9 élèves aiment fumer, 10 ne veulent pas fumer.
Le maître ne fume pas, et il en est bien content ».
Voir dans le texte la communion de l'immoralité ou la moindre attaque contre la religion, c'est abuser de la bonne foi des lecteurs non avertis. Laisser constater que la fête religieuse de la première communion est suivie d'une fête profane non négligeable, est-ce un mensonge ou une erreur ?
Pour montrer que, clans la classe de Freinet on ne craint pas de toucher objectivement aux choses de la religion et à ses prêtres, nous citons volontiers les quelques textes suivants, cueillis au milieu de beaucoup d'autres.
AUX BOULES
« Hier, dit Eugène, nous avons joué aux boules avec Monsieur le Curé.
Baptistin et Vassalo étaient avec Monsieur le Curé. Marcel et Marins étaient avec moi.
Nous commençons : Baptistin a le but et pointe : Marcel pointe à son tour. Il gagne.
Baptistin pointe à nouveau et ainsi de suite. Nous avons gagné la partie. » — Roux Eugène, 11 ans.
UNE PROMENADE
« Jeudi dernier je suis allé à Cannes avec plusieurs camarades assister aux fêtes du tricentenaire de l'Eglise du Suquet. Il y avait plus de cinq mille enfants. Nous étions habillés en enfants de chœur.
Ce qui nous a le plus intéressé c'est le voyage. Quand nous passions un bord de mer, nous étions contents de voir les bateaux : nous criions et non chantions ». — Monzeglio Louis.
Croit-on que si Freinet raillait les cérémonies religieuses, ses élèves s'exprimeraient aussi simplement et que l'un d'eux terminerait tout naturellement une rédaction par ces mots :
« Puis nous sommes allés à la bénédiction ».
Ces quelques exemples feront comprendre, nous l'espérons, combien il serait erroné de voir dans les imprimés des élèves la moindre attaque contre la religion. Neutralité la plus absolue du maître et impartialité la plus honnête et la plus conforme aux théories pédagogiques mêmes de Freinet.
3° On reproche enfin à Freinet d'avoir laissé écrire aux enfants l'enquête suivante sur la guerre :
« NOTRE ENQUETE. Nous ne voudrions plus partir pour une guerre. Quatre élèves cependant partiraient. Nous nous demandons s'ils ont bien leur bon sens : Alphonse, Baptistin et Eugène qui ont leur père mutilé, et Robert ».
Preuve éclatante d'impartialité et de neutralité d'abord : on voudrait présenter Freinet comme un antimilitariste intransigeant, comme antipatriote forcené et, dans sa classe, quatre élèves cependant peuvent affirmer librement et hautement leurs instincts patriotes. Tous ceux qui ont pratiqué l'éducation diront si dans une classe où le maître impose ses manières de penser on peut trouver des indépendants.
Freinet aurait parlé de guerre, il aurait laissé des enfants parler librement de la paix sans que soit faite la distinction si importante entre guerre offensive et guerre défensive ». Force nous est de noter que cette distinction est au-dessus de l'intelligence enfantine et parfois même de l'intelligence humaine. Qui pourrait par exemple nous dire si la guerre de 1870 était offensive ou défensive ?
Nous croyions nous, que la France de Briand est toujours l'ardente propagandiste du désarmement matériel et moral : que arrière les canons ! pouvait être crié dans nos écoles, que l’enseignement de la société des Nations qu’on nous recommande était incompatible avec un enseignement belliqueux.
A ce point, Monsieur l'I.A. oublie de donner un détail d'une certaine importance que M. l'I.P. avait pourtant noté : si même Freinet était coupable d'avoir parlé contre la guerre — il resterait que Freinet a fait la dernière guerre, qu'il en est revenu affreusement mutilé et que la balafre effrayante qui le marque à tout jamais lui donne quelque droit de regarder en frémissant les enfants guerriers de demain.
Freinet, mutilé de guerre, réformé à 70 p. cent, médaillé militaire, décoré de la Croix de Guerre, attend que les anonymes qui l'accusent d'être un « mauvais Français » apportent en parallèle leurs titres de gloire et de souffrances.
Freinet, dit M. l'I.A., n'enseigne pas les devoirs envers la patrie. Nous protestons contre cette affirmation gratuite de nos chefs et nous attendons les documents qui prouveront que Freinet n'enseigne pas conformément aux programmes. Le livre de vie, œuvre exclusive des enfants, ne peut contenir aucune œuvre du maître, mais ses textes ne sont pas le seul travail scolaire ; ils ne constituent qu'une partie de l'effort pédagogique. On ne pourrait juger et sanctionner celui-ci qu'en rendant compte de tous les commentaires faits en classe, et de l'utilisation pédagogique de ces documents — chose impossible 7, 9 ou 13 mois après.
Après avoir suivi les calomniateurs dans la critique des trois textes incriminés, nos chefs, sentant la faiblesse exagérée de l'accusation, ont élargi leur enquête à l'ensemble des travaux de Freinet.
Nous devons faire là une réserve très importante et une protestation motivée.
Que l'administration épluche les livres de vie des enfants pour trouver à critiquer quelques phrases ou quelques mots, c'est déjà pour le moins étrange si l'on considère que ces documents vieux d'un an ou plus ne sont plus actuellement entre les mains des enfants, que Freinet ne peut pas y répondre par les contextes nécessaires que seraient les cahiers d'élèves correspondants.
Mais nous nous élevons, avec vigueur contre le procédé par lequel l'administration essaye d'atteindre Freinet.
Notre camarade est, comme on le verra, l'initiateur et l'animateur d'un certain nombre d'œuvres absolument extérieures à l'école. De ces œuvres il n'est pas comptable devant ses chefs, mais devant les juges de son pays et il récuse d'avance tous les éléments d'accusation puisés dans des œuvres étrangères à l'école.
***
M. l'I.A. cite le passage d'un texte d'enfant de la classe de Freinet :
« Il nous manque 6 feuilles de notre imprimé : Guerre ou Paix. Pourriez-vous nous les envoyer ? »
Et M. l'I.A s'écrie avec une frayeur comique : « Que contiennent ces imprimés ? On peut n'être pas rassuré ».
Ce qu'ils contiennent ? Les voici, écrits et imprimés par des correspondants d'un village du Nord.
GUERRE OU PAIX
Samedi, nous sommes allés à Cysoing. A une heure, joyeusement, nous montons dans l'auto de M. Snoëek. En route pour Cysoing. Le panorama se défilait comme un film sur l'écran. Bientôt nous sommes à Cysoing. L'auto s'arrête, nous descendons, nous nous bousculons. Un morceau d'étoffe se balance au soleil ; des lettres inscrites en rouge se détachent : « Musée Guerre ou Paix ». — Entrez, M. l'instituteur ». — Tout le musée parlait de la guerre. Il y avait des phrases tristes, vous les lirez. — J'ai tellement vu de choses que je ne pourrai les raconter. Ce qui m'a le plus effrayé, ce sont « Les gueules cassées ». C'était horrible. L'un avait les yeux retournés et le nez enlevé : l'autre avait le nez retenu par des crochets fixés dans son crâne... ! D'autres étaient plus terrifiants encore. S'il en arrivait une nouvelle, quel désastre ! Je vais vous dire ce qu'elle serait d'après les gravures que j'ai regardées. — A midi, Paris est en fête et ne songe pas du tout à la guerre. A midi trente : Paris est anéanti. Par quoi ? Par des avions. Comment cela se fait-il ? Dans un avion on peut mettre beaucoup de gaz : une trentaine d'avions et... plus de ville. — Oui, mais on a des masques. — Bien sûr, mais il y a tant de gaz différents qu'on n'a pas assez de masques pour tous et puis, lequel prendre ? — Nous sommes revenus à pied. Nous nous sommes arrêtés à la briqueterie Martin frères pour regarder un peu. Puis j'ai admiré mieux que tout cela, devinez quoi ? L'automne. Ici, là, des chevaux traînent paisiblement les charrues. Les arbres chuchotent. Une masse noire, puis verte, puis bleue, c'est un bois dont le soleil change les couleurs. Nous sommes assis sur l'herbe. Silence : « Rac, Rac », C'est une auto qui passe. Des feuilles se détachent, tourbillonnent, montent en l'air et tombent. Des porte-graines se courbent sous le vent comme les hommes au travail. Que c'est beau le printemps ! (J'avais écrit cela, alors M. Roger m'a dit : « Surtout au mois d'octobre ! )»
LA GERBE ? Nous l'avons dit : Freinet n'en est pas comptable devant ses chefs.
« Freinet en met gratuitement les numéros à la disposition des élèves de sa classe » dit-on ? Freinet attend la preuve que les numéros incriminés se trouvaient dans la classe.
Pourtant, la collection de La Gerbe est à ce point intéressante que nous n'hésitons pas à suivre l'administration dans la citation des passages qu'elle voudrait tendancieux.
Notons que M. l'I.A. ne trouve dans la Gerbe pas un mot à louer — alors que selon M. l'I.P. elle contient quelques bonnes choses, par exemple cet appel d'un élève en faveur des chômeurs :
« Petits camarades, rassemblons toutes nos tirelires pour venir aider ces papas et ces mamans qui souffrent. Nous aurons fait une bonne action ».
Nous avons donné d'autre part les passages incriminés par l'administration : Ils sont, par eux-mêmes suffisamment éloquents.
Nous le répétons : c'est tout ce qu'on a trouvé à critiquer dans les 17 numéros, dans les 300 pages d'une revue qui est une des gloires de l'école publique française.
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Cela n'empêche pas M. l'I.P. d'abord puis M. l'I.A. de laisser sous-entendre que « Freinet ne sépare pas suffisamment dans sa classe la vie sociale et politique, de son enseignement » Ils voudraient l'un et l'autre prouver que Freinet enseigne « la lutte de classes à ses élèves ».
Mais affirmer, même avec des réserves, et prouver sont deux choses bien différentes.
Nous avons déjà cité quelques-uns des textes destinés à établir cette piteuse accusation.
Il faudrait vraiment avoir la phobie de la propagande révolutionnaire pour voir, dans de semblables textes une incitation quelconque à la lutte de classe.
Si apprendre aux enfants à regarder la vie et à exprimer la vérité, si être honnête avec les enfants et avec soi-même devient maintenant un crime de lèse-société ou de lèse-patrie, tous les éducateurs alors se dresseront pour dire qu'il est de leur devoir de commettre ce crime.
Et puis, y aurait-il une mesure spéciale pour Freinet alors que tous les manuels scolaires en usage officiellement dans les écoles de France se permettent des déclarations bien plus osées.
En voici quelques exemples :
« Un patron qui ne se contente pas des services de ceux qu'il emploie, mais qui prétend peser sur les actes de leur vie privée attente à leur liberté. Il arrive quelquefois que des ouvriers décident de faire grève. Ces ouvriers sont dans leur droit ».
Le Livre de Morale des Ecoles Primaires, par Louis Boyer, Librairie classique Fouraul, Paris.
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
I.a face du Seigneur de détourne de vous.
V. HUGO (même référence).
« Les guerres deviennent de plus en plus rares. Les gouvernements eux- mêmes prêchent la paix, l'aiment, ou font semblant de l'aimer ».
E. LAVISSE, Discours aux enfants. — Choix de lectures, Mironneau C.M.
« Il faut aussi que nous prouvions notre reconnaissance, chaque fois que nous le pouvons, aux grands blessés qui ont le courage de supporter gaiement parmi nous les mutilations que la guerre leur a values ».
PANETRAT, instituteur, aveugle de guerre. Lisons, premier degré.
« Les hommes de guerre sont le fléau du monde.
Des hommes, des bienfaiteurs, des savants, usent leur existence à travailler, à chercher ce qui peut secourir, ce qui peut soulager leurs semblables. Ils vont, acharnés à leur besogne utile, entassant les découvertes, agrandissant l'esprit humain... La guerre arrive : en six mois, des généraux ont détruit vingt ans d'effort, de patience et de génie.
Guy de MAUPASSANT. — Nouveau Cours de Langue Française Bouilliez et Lefebvre ; Gedalge, éditeur.
Les auteurs de ces livres et bien d'autres heureusement ont comme Freinet, pris à leur compte les fortes paroles de M. de Monzie :
« C'est à l’école que le Monde apprendra la paix comme il apprend l'arithmétique.
Le Savoir est une forme de l'Internationalisme.
Le patriotisme, a pesé sur le savoir, peut-être plus que les religions et les superstitions ».
(Discours de THENON).
En vérité, nous osons dire que sur l'initiative de l'Eclaireur de Nice et de l'Action Française, ce n'est pas le procès de Freinet seul qui s'est ouvert ici, c'est celui de tous les éducateurs, de tous les penseurs, de tous les pacifistes.
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Pour terminer M. l'I.A. condamne une technique qu'il n'a rien fait pour connaître. Il reproche à Freinet de n'avoir qu'un seul livre dans sa classe.
C'est montrer une complète méconnaissance du travail de Freinet.
Chaque élève de Freinet a d'abord 2 livres de vie, qui s'enrichissent au jour le jour jusqu'à devenir, au bout de l'année, les plus captivants et les plus originaux des livres. Un livre spécial, créé par les élèves d'histoire, de sciences et de géographie est entre les mains des enfants.
Pour le reste, Freinet pense qu'il est inutile de donner dans une classe les mêmes manuels à tous les élèves. Mais une abondante bibliothèque de travail met à la disposition de tous les élèves la plupart des manuels en usage dans les écoles. Les élèves y puisent pour toutes leurs études en classe ou à la maison et cela gratuitement.
A cette bibliothèque de travail s'ajoute un fichier scolaire de 2 000 documents, véritable trésor de connaissances dont on peut en vain chercher le pendant dans les autres classes et un fichier de calcul pour le travail libre.
Si on ajoute que le cinéma avec ses séances nombreuses, que le phonographe pour lequel Freinet utilise un système de locations de disques, que les échanges interscolaires enrichissent encore considérablement la documentation de la classe, on comprendra que les élèves de Freinet ont les moyens de s'instruire.
L'Action à SAINT-PAUL
Et surtout qu'on ne croie pas que l'effort de Freinet sur le plan national empêche notre camarade de faire à St-Paul même de la bonne besogne. Au contraire : ce sont deux efforts qui convergent et dont le résultat ne peut qu'être heureux.
Et effectivement Freinet a fait, de sa classe pauvre et triste, une véritable ruche où les enfants travaillent et produisent avec enthousiasme.
Une imprimerie scolaire a été installée permettant l'impression régulière d'un journal scolaire. Un fichier important complète la Bibliothèque de Travail, la Bibliothèque scolaire a été réorganisée, une coopérative scolaire créée pour la gérance de l'école elle- même. Le Cinéma fonctionne normalement ; le phonographe apporte dans la classe vie et gaité...
Qu'il nous suffise ici de rapporter l'appréciation du Maire lui-même, il y a quelques années :
« Je n'ai que deux griefs à faire à Monsieur Freinet : il fait trop bien sa classe : trop d'élèves des environs viennent chez lui, et il jette trop d'eau dans les cabinets. »
Et qu'on ne croie pas que ces recherches nouvelles empêchent l'instituteur de satisfaire aux programmes ni de présenter des enfants aux examens. Dans une classe où aucun élève n'avait plus été présenté au certificat depuis quinze ans, notre camarade Freinet a fait recevoir en 4 ans : 6 élèves au certificat d'études et 2 à l'Ecole Hôtelière.
Puisque le rapport de M. l'I.P. présente une comparaison entre la classe de Freinet et celle des institutrices, on nous permettra d'ajouter que, pendant le même temps, l'école de filles correspondante n'a eu que 3 élèves reçues.
Nous possédons une impressionnante liste de pétitions signée par la majorité des parents d'élèves et par l'unanimité des parents d'anciens élèves. Nous la tenons il la disposition de nos lecteurs qui auraient besoin de se convaincre eux-mêmes ou de convaincre les gens autour d'eux sur la façon dont les parents d'élèves apprécient l'enseignement de Freinet.
Que conclure?
Pour se débarrasser de Freinet indésirable pour les raisons nue nous avons dites, des ennemis avérés de l'école laïque ont en vain cherché d'ans l'œuvre de Freinet : ils n'ont pu trouver que trois textes qu'ils ont voulu rendre scandaleux en les encadrant de mensonges encore plus scandaleux.
Ils étaient sur le point d'échouer puisque malgré leurs efforts, la classe de Freinet fonctionnait normalement, ils ont alors, avec la complicité du Maire, organisé la grève scolaire.
Le garde-champêtre, qui devrait faire respecter les lois scolaires, s'est officiellement employé à faire retourner les enfants qui se rendaient en classe. Par des manœuvres délictueuses dont il lui sera demandé compte, le Maire de St-Paul a fait pression sur les parents d'élèves pour qu'ils n'envoient pas leurs enfants en classe.
Malgré cela, la classe de Freinet n'a pu être désorganisée. La majorité des enfants a continué à fréquenter la classe et récemment encore les pères de famille représentant cette majorité d'enfants demandaient à être reçus par Monsieur le Préfet pour faire des dépositions de toute première importance. Contre toute attente, le Préfet a refusé de les recevoir avant la décision du C.D.
Et c'est au moment où Freinet, aux prises avec ces pires ennemis, semble avoir surmonté les principales difficultés ; c'est lorsque les pères de famille enfin éclairés se ressaisissent pour soutenir l'école laïque : c'est ce moment même que le Conseil Départemental choisirait pour frapper Freinet !
Nous ne pouvons le croire.
Résumons-nous
Freinet a fourni pour l'école un labeur hors du commun : il a prouvé une absolue bonne foi en travaillant sous le contrôle de ses supérieurs et des pères de famille : il n'a connu ni avertissement préalable, ni réserves : au contraire, tout lui a fait croire qu'il était dans la bonne voie ; l'enquête contre lui a été bien sommaire puisque ses chefs ne l'ont jamais vu en train de faire sa classe : l'attaque a été déclenchée et poussée par les éléments les plus résolument anti-laïques.
I.es procédés employés pour l'abattre : anonymat, pression sur les pères de famille marquent tout mépris pour la morale courante et la légalité républicaine.
Aussi sommes-nous persuadés que le Conseil Départemental se refusera à jeter un éducateur de cette envergure et de cette bonne foi en pâture aux éternels ennemis de l'Ecole laïque, du progrès démocratique et de la libération populaire.