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Un témoignage de Yaëlle Guégan de Queiroz (Ille-et-Vilaine)

 

 En 1993, entre deux eaux estudiantines, entre deux eaux tout court, je rencontre une maman d’élève de l’école Freinet Léon Grimault (Rennes) qui me dit que cette école est ouverte et toujours disposée à accueillir des observateurs actifs. Je sais déjà que je veux être instit, je me lance et propose du temps : quatre vendredis après-midi pour savoir que quand je serai grande, je travaillerai là !
De là commencent quelques lectures et bourlingages. Je n’ai pas encore ma licence, encore moins le concours. Le chemin est encore long. Après mon année de formation à l’IUFM m’est attribuée une classe dans une école à 45 minutes de chez moi, dans le Morbihan. Petite école, collègues accueillants. Voilà qui commençait bien !

•    DÉCEPTION
Et puis, forcément, les choses se gâtent. Au moment des répartitions, on me donne le choix entre une classe de 28 GS/CE1 ou de 23 CP/CE1 (en me précisant que le groupe est très difficile) ou de 18 CP/CE2. La décision est remise au lendemain. Le soir, je me prends à rêver, sans m’apercevoir du déséquilibre énorme entre les différentes propositions. Une de mes nouvelles collègues est une enseignante avertie, qui enseigne dans cette école depuis de très nombreuses années en CE1/CE2. Je me dis alors que je pourrais bien avoir cette classe de CP/CE2. Certes, le CP est réputé difficile (dixit les formateurs de l’IUFM), mais à 18 avec des CE2, je me dis que cela pourrait être bien.
 Finalement, on m’attribue le GS/CE1 et ma collègue chevronnée choisit le CP/CE2. La combinaison CP/CE1 n’est pas retenue (qu’aurions-nous fait des GS et des CE2 ?). Dans cette école à quatre classes, mes collègues, qui ont entre 10 et 25 ans d’expérience, écopent chacun d’une classe entre 18 et 22 élèves, alors que je me retrouve dans la salle de la photocopie, sans tableau, avec 28 enfants, mais avec une ATSEM, alors rien à dire ! L’année démarre mal, beaucoup de CE1 présentent de grandes difficultés et le travail d’équipe est inexistant. Les jours passent, de plus en plus difficiles. Je pleure presque tous les soirs. Je veux démissionner. Je me suis trompée de métier.

•    UN DÉCLENCHEUR, L’INSPECTION
Le 28 novembre, une inspectrice vient pour ma validation (repoussée à cause de mon congé maternité pendant une partie de mon année d’IUFM) : « Pour votre validation, madame de Queiroz, il n’y a aucun problème ». J’éclate en sanglots, c’est le cadet de mes soucis ! Je lui raconte toutes les difficultés que je rencontre : inexpérience, isolement, relation avec les enfants… elle me conseille d’adopter une posture plus traditionnelle et plus frontale. Exit la pédagogie active ! Pourtant, je sais que les meilleurs moments dans cette classe sont ceux où les enfants sont parties prenantes, de manière authentique. Je décide donc de prendre le contrepied de ce conseil et je fouine un peu partout sur le net pour trouver des solutions. Je me souviens de ma rencontre avec l’école Freinet de Rennes, 8 ans avant. C’est par des techniques de pédagogie institutionnelle que je ferai mon entrée en pédagogie Freinet. Le contrat de travail, le conseil de classe, les ceintures de grandissement, tous ces outils me permettent d’apaiser la classe et de continuer d’enseigner sans suivre le conseil de l’inspectrice.
L’année se déroule alors normalement, avec ses hauts et ses bas. Je dois bien essuyer de temps en temps des remarques de mes collègues du type : « Dis donc, ce n’est pas très Freinet de se fâcher ! », mais les relations avec les enfants s’améliorent, les parents sont contents et je ne veux plus démissionner.

•    UN BONHEUR, MA MUTATION
L’année suivante, ma mutation en Ille-et-Vilaine est acceptée, et j’obtiens la direction de la maternelle Léon Grimault ! Je n’aurais jamais pensé arriver à cet endroit si vite. J’ai très peur de ne pas être à la hauteur ! Cette fois, l’équipe est réellement accueillante, la directrice, qui part, m’ouvre les portes de sa classe (MS/GS), me parle de création, d’ateliers sans consignes, il n’y a pas de groupes de couleurs, pas d’ateliers tournants, les enfants choisissent leur tâche, écrivent des livres avec l’imprimerie, font des maths avec des réglettes et des mosaïques, c’est une révolution ! Je commence alors à sentir, sans le formuler encore, qu’au-delà des outils et des techniques de la pédagogie institutionnelle, existe une manière de travailler, pour moi comme pour les enfants, très différente de tout ce que j’ai vu, et surtout entendu, avant. Je décide d’adhérer à l’IDEM (groupe départemental).
À la première réunion, les collègues m’apparaissent tous comme super savants, utilisant des mots que je ne comprends pas, mais je sens que c’est bien là que je dois être. Je m’investis surtout dans le groupe « maternelle » et le groupe « écrilecture ». J’y fais des découvertes et des erreurs, mais quoi qu’il en soit, je chemine.
Depuis, j’ai eu un poste en élémentaire, en cycle 2, dans la même école. J’y ai appris et éprouvé la notion d’enfant-auteur, de culture première, de méthode naturelle, d’école populaire.
Voilà que j’avais trouvé le moyen de lier mes convictions politiques à mon métier, quelle chance !

•    CONVICTION ET JUBILATION
Mon engagement en pédagogie Freinet n’a pas suivi un chemin intellectuel qui aurait été semé de lectures et de réflexions, mais il s’est imposé comme une nécessité. Celle d’avoir la conviction de faire un métier important, primordial, dans un lieu où les enfants doivent absolument être accueillis comme ils sont.
Bien sûr, cela m’a demandé du travail, du temps, de l’humilité et du courage. Il a fallu abandonner le pouvoir et faire confiance, aux enfants comme à moi-même, et je suis encore sur ce chemin. Il a fallu abandonner toute forme de programmation et de progression. Il a fallu choisir de partir en formation sur mon temps personnel. Il a fallu accepter les doutes et les méfiances aussi. Il a fallu accepter le déséquilibre que tous ces choix imposent. Mais la jubilation et la vie ont aussi trouvé une place dans ma nouvelle classe.
Il n’y a pas de vérité là, mais un parti pris, soutenu et défendu par la joie que procurent les moments de grâce que permet la pratique de la pédagogie Freinet.
 

Yaëlle Guégan de Queiroz (35)

 

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