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Pédagogie Freinet et Education à la non-violence

  Texte de mon intervention lors d'une table ronde avec le président de l'association Korczak, un membre fondateur de l'école nouvelle "La source" (Cousinet) au 7e forum Education à la non-violence, utopie ou droit ? organisé le 14 novembre 2009 par la  coordination française pour la décennie, collectif réunissant 80 associations oeuvrant pour l'éducation à la non-violence et à la paix.

Ceci est le texte préparé sans doute légèrement différent de ce qui a été dit. Une heure de débat a suivi permettant d'expliciter un peu certaines de nos pratiques et également donner une autre voix (car l'école de la Source est loin d'être une école populaire) !

 
Bonjour,

Certains d’entre vous, comme moi d’ailleurs, font partie de cette génération qui a vécu les événements de mai 1968, la libération de la parole dans les écoles et dans les lieux de travail, une génération qui a porté l’émancipation de la femme et qui prônait la solidarité et la paix, une génération d’utopistes car elle avait la chance de voir le futur et ses promesses se dérouler devant elle avec l’espérance d’une plus grande humanitude, comme l’entend Albert Jacquard.

 Mais qu’en est-il aujourd’hui en 2009, pour les enfants qui entrent à l’école ? Quel futur se dessine pour eux ? Quels possibles peuvent-ils espérer ?
Ne leur laisse-t-on pas la responsabilité de la survie de notre planète ? 
Ne leur laisse-t-on pas la responsabilité de rendre le monde bien plus démocratique et solidaire pour ne pas sombrer dans les régressions intégristes et sécuritaires ?
                                                                                                    
 I- Le contexte du système éducatif  

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui accusent mai 68 d’être responsable de l’individualisme, du déclin de la morale, du rejet de l’autorité et de la violence qu’il occasionne.
Si une certaine conception de l’individualisme a permis les acquis, les conquêtes, le combat contre les discriminations, et sans doute le renforcement de la reconnaissance des droits des êtres humains. En revanche l’individualisme exacerbé que l’on côtoie aujourd’hui, atomise la société et la menace de sombrer dans un chaos qui entraînera toujours plus d’intolérances, d’exclusions, de rivalités et de concurrences. Cet individualisme est un véritable terreau pour le libéralisme économique qui se charge de l’entretenir et de le développer.
Le libéralisme est un modèle économique et social qui tisse ses fils au mépris des milliards d’êtres humains avec quotidiennement ses lots de délocalisations, de discriminations, d’exclusions, de répressions …, au nom du profit à tout prix. Tout s’achète, tout se vend : de la molécule qui guérit à celle qui tue, de l’embryon aux organes, de la semence breveté du paysan indien à la forêt amazonienne, de l’œuvre d’art à la chaîne de télévision … je m’arrête car la liste serait trop longue !
Le libéralisme est un modèle économique qui vise particulièrement les enfants comme consommateurs et comme vecteurs de consommation des adultes. C’est un système qui joue sur le pulsionnel, le  tout « tout de suite », et qui place l’enfant dès son plus jeune âge dans un monde publicitaire, télévisuel et virtuel, le formatant à son idéologie.
En ce 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, on ne peut que s’indigner de cet état de fait. Seuls les enfants qui ont un environnement familial vigilant sont protégés. Ce sont toujours les mêmes : ceux à qui s’adresse la « fameuse égalité des chances » vous savez bien, ceux qui arrivent à l’école avec le bon costume d’élève, avec des cartables et la tête bien remplis de la bibliothèque familiale, des dernières sorties culturelles … Les autres, livrés aux marchands, constituent des proies faciles, à la recherche par tous les moyens d’un bonheur publicitaire inaccessible. 

Qu’en est-il du rôle de l’Education dans un tel contexte ?
Les systèmes éducatifs sont porteurs d’une conception idéologique de la société, aussi bien par leur structure (hommage à Claude Lévi Strauss !) que par le contenu de leurs programmes. 
Un modèle éducatif qui prêche l’autoritarisme et l’obéissance passive, la compétition et la performance individuelle, un modèle éducatif qui prône la transmission verticale de savoirs simplifiés, morcelés et appris par cœur, ne formera pas le même individu qu’un modèle qui met en valeur la réussite personnelle dans une communauté coopérative, la production et la création de savoirs en confrontation avec la complexité du monde, la participation de tous à la gestion démocratique de la vie et des activités communautaires.  

Pourtant dans la « Première observation générale du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, intitulée « les buts de l’éducation » il est rappelé que :
§ 9: L'éducation doit également avoir pour but de veiller à ce que chaque enfant acquière les compétences essentielles à la vie et qu'aucun enfant n'achève sa scolarité sans avoir acquis les moyens de faire face aux défis auxquels il sera confronté au cours de sa vie. Les compétences essentielles ne se limitent pas à la capacité de lire, écrire et compter, mais consistent également en compétences propres à la vie, soit la capacité de prendre des décisions rationnelles, de résoudre les conflits de façon non violente et de suivre un mode de vie sain, d'établir des liens sociaux appropriés, de faire preuve du sens des responsabilités, d'une pensée critique, de créativité et d'autres aptitudes donnant aux enfants les outils leur permettant de réaliser leurs choix dans la vie.

II- Et qu’en est-il de la pédagogie Freinet dans ce contexte ?  

Un petit regard en arrière
La première guerre mondiale a marqué profondément les pédagogues engagés dans les expérimentations de l’Education nouvelle. 
Henri Wallon dira à propos de cette époque :
« Il avait semblé alors que pour assurer au monde un avenir de paix, rien ne pouvait être plus efficace que de développer dans les jeunes générations le respect de la personne humaine par une éducation appropriée. Ainsi pourraient s'épanouir les sentiments de solidarité et de fraternité humaines qui sont aux antipodes de la guerre et de la violence. »

 Dès 1925 Célestin Freinet vise une pédagogie fondée sur une éducation du travail et de la liberté au sein d'un groupe coopératif, une école conçue pour tous les enfants du peuple, dans la perspective d'une société universaliste, libérée de l'exploitation.
Bien que la pédagogie Freinet soit une pédagogie octogénaire, elle demeure toujours nouvelle et d’actualité !
En effet, si elle a pu parfois influencer la rédaction des programmes avec quelques techniques isolées et sans cohérence entre elles ( comme le texte libre, journal scolaire, correspondance), l’essence même de la pédagogie Freinet n’a guère influencé les pratiques pédagogiques des enseignants.  
Aujourd’hui, avec les dernières mesures gouvernementales et les nouveaux programmes, nous assistons à une régression grave dans les instructions officielles. C’est pourquoi, pour beaucoup de jeunes enseignants, la pédagogie Freinet représente toujours une alternative progressiste de résistance.  

Pour le comprendre, je vais vous présenter les fondements de la pédagogie Freinet

On peut le faire selon trois axes :
-        les conceptions de la personne humaine et de la société ;
-        les valeurs philosophiques, politiques et sociologiques ;
-        les finalités de l'éducation.
 
 Des conceptions 
Celle de l'enfant, bien sûr, un petit d'humain et non un humain en miniature, pris dans sa globalité et se construisant de manière ontologique. Un enfant éducable, capable d'apprendre des autres, avec les autres et aussi seul... 
Celle de l'homme et de la femme : libre, responsable et autonome, capable de s'autodéterminer, de s'autoconstruire mais aussi capable de coopérer avec les autres, tout à la fois égaux et différents. Celle d’un citoyen ou d’une citoyenne d'une société démocratique mais aussi du monde.
Celle de la société construite par tous et pour tous. Une société harmonieuse et respectueuse de la dignité et des droits de tous et de chacun de ses membres. Une société à vocation universaliste. Une société soucieuse de l’avenir de sa planète.
 
      Des valeurs
A la fois philosophiques, politiques et sociologiques, ce sont celles de la République « liberté, égalité, fraternité » et aussi :  la laïcité, la solidarité, le respect, la justice, la paix, la coopération, la compréhension, la dignité… bref des "valeurs humanistes" car elles définissent le type d'humanité que nous voulons réaliser.
 
     Des finalités pour l’éducation
Une éducation qui conduit l'enfant vers l'homme ou vers la femme, citoyen ou citoyenne capables de prendre sa place dans la société et d’agir à son tour sur elle. Une véritable formation de l'être humain et du citoyen qui vise l’autonomie de pensée et d'action et la capacité d’exercer ses libertés en les articulant avec celles des autres, d’élaborer des règles collectivement, d’y obéir sans être soumis.
Une éducation qui établit d’autres modes de relation entre les personnes, entre les connaissances et les cultures, puisqu’elle offre des situations de coopération mettant en œuvre des capacités d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre et laissant le temps de construire des relations, des connaissances.
Une éducation qui forme des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité et conscients d’appartenir à l’Humanité puisqu’elle donne à chacun les capacités de lire, de comprendre, de raisonner, d’imaginer, de créer, d’articuler ses désirs personnels avec les besoins du collectif.
Cette présentation rapide permet déjà de constater que le paradigme de la pédagogie Freinet est favorable au développement des capacités à agir pour un monde humaniste avec des individus libres, responsables, dignes, fraternels, solidaires, coopératifs, dés les premières années d’école.
En effet, le premier monde humaniste pour les enfants, ne serait-il pas celui de la classe  où ils pourraient expérimenter des pratiques différentes, malheureusement pour l’instant souvent contradictoires avec celles qui les entourent ?

La réalité est toute autre !

En 2009, très peu d’établissements scolaires offrent de telles classes, les climats dans certains établissements ne sont pas toujours sereins ! Les incivilités, les agressions scolaires, la violence juvénile occupent une belle place dans les médias. Régulièrement les journaux évoquent des violences scolaires, des violences urbaines et à chaque fois on annonce de nouvelles mesures publiques !
Cette médiatisation, telle une caisse de résonance, entretient la peur, la peur de la jeunesse, elle justifie et impose dans l’opinion publique que le répressif l’emporte sur l’éducatif  : internats, centres fermés, rejet de l’ordonnance de 1945, comparution immédiate, récidive, portiques, vidéosurveillance …
Il faut restaurer la discipline, l’obéissance, la morale !
C’est la faute aux pédagogues, aux Droits de l’enfant, l’école serait malade, ses symptômes : son esprit d’ouverture, sa prise en compte de l’enfant en tant que personne, ses projets de compréhension du monde. La prescription tombe, inévitable, l’école devrait être un sanctuaire où l’enfant apprendrait les choses de la vie distillées, filtrées, simplifiées selon ses capacités enfantines. Et pour qu’il soit sage, qu’il ingurgite et récite les devoirs écrits pour lui ! Certains enseignants croiront peut être se rapprocher des cours de leurs rêves !
Les écoliers et les collégiens écrasés d’interdits et de méfiance n’auront plus d’autre choix que de sombrer dans l’indifférence ou dans le mépris. Et pour ceux qui n’y arriveront pas, les exclus de la classe, les absentéistes, les agités, bref les futurs délinquants, dépistons-les le plus tôt possible, soignons-les, rééduquons-les et s’ils ne se calment pas, enfermons-les dans des internats, dans des centres fermés, dans des prisons et les écoles des quartiers retrouveront leur sérénité !
La société elle, n’a pas attendu pour enfermer l’enfant dès son plus jeune âge : dans sa différence sociale, culturelle ; dans ses barres d’immeubles, son quartier, sa banlieue ; dans des catégories : défavorisés, étrangers, jeunes, immigrés,délinquants, sans-papiers… ; dans des filières, des remédiations et des soutiens scolaires et … dans un présent sans futur.  
 

III - Et si les principes de la pédagogie Freinet irradiaient tout le système éducatif !

Alors au lieu d’évaluer, de diagnostiquer, de remédier, de soigner, d’exclure, si on proposait, des espaces, des temps, des situations qui n’enferment plus chacun dans des catégories, des espaces et des tempsqui permettent de se projeter, de prendre sa place, à distance de toute violence et de devenir des sujets.  

Quelle ambition pour l’éducation, non ? 

Une éducation qui permette à tous les enfants, d’être et devenir des citoyens. Etre citoyen à l’école pour devenir citoyen, quel vaste projet !
C’est en pariant sur la liberté, l’autonomie, la responsabilité, la capacité de jugement de l’enfant qu’on va lui permettre de devenir ce citoyen libre, autonome, responsable et capable de vivre avec les autres dans une société démocratique.
L’enfant est une personne à part entière, c’est ce que pose en principe liminaire la CIDE ce qui permet de lui reconnaître non seulement des droits civils, sociaux ou culturels, mais aussi des libertés publiques, véritables « droits de l’homme de l’enfant »
Un processus éducatif complexe permet ce passage de la personne au citoyen et c’est ce que les éducateurs et enseignants Freinet appelle l’éducation à la citoyenneté, cela ne ressemble guère à la conception qu’en a l’Education nationale qui elle, réduit cette éducation à des leçons d’instruction civique, de comportements « civiles » et dociles, voire à des leçons de morale comme le suggère les derniers programmes.  

Ce processus éducatif complexe prend toute sa place dans la classe coopérative
Dans une classe coopérative, les enfants prennent vraiment en main, l’organisation de l’activité, du travail et de la vie dans leur école. C’est un fonctionnement de la classe ou de l’école entière quand c’est possible, qui permet l’organisation des activités et des apprentissages. Car en s’appuyant sur les multiples interactions sociales, elle permet à chacun de construire ses apprentissages tout en développant le sens de l’autonomie, de la responsabilité et de la coopération avec les autres.
La personnalisation des apprentissages est au cœur de ce processus, l’enfant peut déterminer un projet de travail correspondant à la fois à ses besoins et à ses capacités. L’enfant va ainsi développer sa personnalité et devenir, par des choix successifs l’acteur principal de son éducation. Un élève acteur et auteur de ses propres savoirs !

Dans ce processus, la coopération et l’entraide sont indispensables. Si apprendre est un acte individuel, il se place dans une communauté d’apprenants qui coopèrent. Coopérer pour apprendre, s’entraider, partager des savoirs, organiser les apprentissages, réguler les interactions …contribuent à l’éducation à la citoyenneté. Un savoir quel qu’il soit ne vaut que s’il est partagé.  

Si nos gouvernants s’entêtent dans leur politique éducative, cela signifie qu’ils renoncent à l’Education d’une partie de la jeunesse. C’est tout le devenir de la société qui est sérieusement mis en danger !

Que serait une société qui se construirait sans la totalité de ses enfants !
Pour une planète habitable, pour un monde de paix, pour une société humaniste, il faut l’engagement et la participation de tous les citoyens sans exclusion.
Il faut que tous les citoyens puissent faire entendre leur avis, proposer des projets et des solutions aux problèmes, s’associer aux débats et prises de décisions et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre.
Il faut donc promouvoir les pédagogies coopératives qui mettent en œuvre de véritables situations de pratiques citoyennes pour apprendre à être citoyen en étant citoyen et ceci dans tous les différents temps et espaces d’éducation.
Ainsi, dès le plus jeune âge, l’enfant pourra faire entendre son avis, proposer des projets, des solutions aux problèmes qui se poseront à lui et à sa communauté, il pourra s’associer aux débats et prises de décisions et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre. 
 

Que les principes de la pédagogie Freinet irradient tout le système éducatif, une utopie à réaliser tous ensemble !

Merci