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Monotypes, Rencontre avec Isabelle Gomond, peintre

Septembre 1997

 


CréAtions 78 - La part du maître - publié en septembre-octobre 1997


Rencontre avec Isabelle Gomond, peintre

Monotypes

On a tellement fait circuler l’idée que les femmes n’ont accès à l’art, à la peinture que lorsqu’elles ont un certain statut : qu’elles sont seules, célibataires et qu’elles assument celui d’artiste masculin. Je veux proclamer et j’assume mon statut d’artiste, de femme et de maman.

 Rencontre avec                               
                            Isabelle Gomond, peintre 


Ouvrir la fenêtre sur mes émotions intérieures

 

Isabelle Gomond : Je ne peux pas dire que je suis "Maître de ma Création". Elle a une partie autonome dont je suis l’esclave consentante. Figuration et abstraction servent toutes les deux des aspirations complémentaires. Le "dit"et le "non-dit", chaque regardeur va compléter le tableau par son propre regard.
J’ai toujours cherché à faire vibrer chez les autres des ondes sensibles. Mon regard sur mes propres perceptions m’a incitée à développer dans mon travail une force qui sert de véhicule à cette sensibilité.

 Monologue, 54 x 65
 

                   Sans titre, 120 x70

Au départ, j’ai travaillé dans tous les sens, mon attention ne s’était pas portée sur le message que je pouvais véhiculer. Je faisais les images que j’aurais aimé voir : mes premières images de la nature ont évolué vers des paysages oniriques, fantastiques, puis surréalistes, purement imaginaires; un imaginaire poétisé, un réel sensible. Je cherchais à transcrire les sensations de l’éphémère.
Je crois avoir épuisé mon intention : "me donner des images". Quand j’ai compris que je pouvais en créer à volonté, j’ai pu aller à la recherche du plus profond, du plus proche du sens. Ce n’était pas le choix du présent qui nie le passé. C’est le choix de quelque chose qui a bien vécu, qui s’est bien repu et qui permet de commencer autre chose. On ne peut pas, enfin je le pense, donner, créer un sens au départ. Il émerge de ce qu’on est, de ce qu’on fait. Il faut d’abord se débarrasser d’un tas d’illusions et puis: savoir dessiner. C’est la base, mais cela prend des mois, des années jusqu’à s’être prouvé qu’on sait et qu’il n’y a plus à le prouver aux autres, ni à être en démonstration de la technique. Il reste à mettre en œuvre ce qu’on a à faire, à dire.


Le passage obligé : apprendre à dessiner puis oublier

C’est souvent le passage obligé de l’artiste. Van Gogh et bien d’autres en sont l’exemple. Ils ont commencé avec leur désir, leur émotion, mais cela ne suffisait pas. Il faut, à un moment, acquérir la maîtrise, puis la dépasser dans le sens où ce qu’on va faire, montrer, ne devrait plus comporter de  "technique visible".
Cependant, on se confronte là à des polémiques difficiles. Le sectarisme me choque dans le sens où il faudrait rejeter l’autre pour affirmer ses propres points de vue sur la création. Il faudra bien sortir de ces comportements et éviter les phrases réductrices, choquantes. Certains artistes vont devoir afficher la technique: les "décos" par exemple, qui sont dans l’obligation de répéter une dizaine de fois le même geste et dans l’art du trompe-l’œil également; la technique est, là aussi, mise en avant et un certain public apprécie de la voir dans son évidence. Il n’y a pas à chercher comment elle est venue là, elle est là. Cependant, les uns comme les autres peuvent être des créateurs, s’ils ont fait le choix d’un parti pris, conçu une image qui leur soit propre et, par là, dépassant la simple technique. Je ne parle pas de la peinture commerciale, elle ne fait pas partie de l’art.
Il y a bien sûr, tous ceux qui possèdent la technique et ne s’en débarrassent pas facilement. Certains artistes sont d’une grande technicité, et c’est elle qui est l’impact principal, elle porte le sens qui n’est là qu’au second degré, chez Dali par exemple. Il faut alors, au-delà du regard, savoir lire, comprendre.
La seule chose qu’il faut bannir, je crois, c’est quand l’art ne fait plus que se répéter sans l’acte de créer et ne fait appel qu’à un regard primaire. L’intention n’est là que de galvauder, montrer, vendre. Il n’y a pas d’identité propre. La sincérité est importante ainsi que le fait de proposer d’avoir un parti-pris qu’on peut identifier. S’il n’y a pas cela, il n’y a rien. Au-delà de la maîtrise du dessin, de la technique, des outils, matières, matériaux, il faut savoir lâcher son émotion, la libérer.

   

Eve

  Adam

   

 

 
Annie Solas : Quand as-tu ressenti ce désir, ce besoin de créer ? Quel a été ton parcours ?

Isabelle Gomond : Depuis que je suis petite, j’ai cherché où était ma place et, très tôt, j’ai su que c’était dans l’art. J’y étais prête avec mon corps dès mon enfance, ayant beaucoup pratiqué la danse, le théâtre et la musique. J’ai commencé par la publicité, par hasard, pour gagner ma vie et ça, je ne l’ai pas choisi. J’ai travaillé avec des maquettistes, cela me plaisait, j’avais des idées, on m’incitait à les proposer. Le groupe a été formateur, j’ai appris les croquis, les rush, le dessin, la rigueur. Puis les vacances et le hasard m’ont permis une expérience dans la photo: j’avais à gérer, seule, des reportages sur des musiciens et des sportifs de haut niveau, en relation avec la presse. J’ai appris à décider, agir et comprendre qu’il fallait bouger. Une deuxième expérience en agence, une filiale de Publicis, m’a permis de travailler sur des projets, des illustrations.
J’ai appris véritablement à maîtriser le dessin. Enfin, j’ai eu un poste d’assistante dans un atelier de dessin pour assurer la gestion, le marketing. C’était très vivant, j’observais les élèves et le désir de peindre m’est venu, je n’y connaissais rien!
On m’a donné une toile, j’ai peint, seule, pendant quatre heures, sans même m’en rendre compte, ce fut la révélation ! Dans tous mes cheminements, mes activités, j’étais en recherche de l’image, de sa conception et je n’avais pas trouvé satisfaction dans la photo. C’était en 1980.
J’ai travaillé de façon boulimique, lu, fait des stages, expérimenté tout ce qui se fait en "Beaux-Arts" : toutes les matières, les outils, les matériaux. Tout ce que je pouvais apprendre, je l’apprenais. Grâce à mon travail d’agence, j’avais la chance de maîtriser le dessin, j’avais l’œil. Après les pastels, la peinture, la gravure avec les eaux-fortes a éveillé mon intérêt: l’impression de travailler sur le temps, d’être dans la durée. Mais ce geste est celui d’un dessinateur et ne convenait pas à mon besoin de m’exprimer.
Peindre, c’est pour moi ne pas me figer dans un trait. Et pourtant je ne me trouvais pas encore. Puis, j’ai lu un article sur Toulouse-Lautrec et ses monotypes. Je n’avais jamais vu cela et j’ai tout de suite essayé avec une plaque de verre, du noir, du blanc : j’ai gravé dans la pâte, cela ressemblait à une eau-forte, j’ai ensuite introduit les couleurs et j’en ai tant fait que j’en ai rempli des cartons. Ce sont les monotypes et non mes peintures que j’ai installés dans une expo qu’on me proposait.

 

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