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Première enquête de techniques de vie : Equilibre et déséquilibre Attention, effort et volonté

Octobre 1960

 Première enquête de techniques de vie

Equilibre et déséquilibre
Attention, effort et volonté
 
Nous avions vu juste en pensant que c'étaient là les thèmes de base des soucis pédagogiques actuels, ceux au sujet desquels se rencontrent et s'affron­tent le plus communément les conceptions du passé et les réalités d'aujourd'hui, ceux aussi dont la discussion, loin d'aboutir à des solutions définitives, ne fait qu'ouvrir des voies ramifiées à l'infini et qui affectent toute la pédagogie.
C'est un sujet, on le voit, qui apparaît comme idéal pour une première enquête. Les nombreuses réponses reçues et que nous allons longuement exa­miner ne sont donc qu'un point de départ, très fructueux, pour nos travaux à venir.
Dans la présente étude, nous ne suivrons pas obligatoirement ni l'ordre ni ie contenu des divers points de notre questionnaire, mais bien plutôt les obser­vations faites par nos correspondants, les questions posées, les problèmes amorcés, les pistes diverses dont des travaux ultérieurs révéleront la fécondité.
ÉQUILIBRE ET DÉSÉQUILIBRE
Rares sont les correspondants qui ont examiné ce problème général. Ils sont allés plutôt aux causes de l'équilibre et du déséquilibre. Et ils ont eu raison.

Que certaines complexions physiologiques et psychiques prédisposent au déséquilibre, cela ne saurait faire de doute. Il appartient aux milieux médicaux et aux services de santé de s'en préoccuper. Nous manquons de compétence en la matière, mais notre expérience nous montre que certaines conditions de travail et de vie, sur lesquelles nous pouvons agir, peuvent atténuer et parfois compenser les déficiences physiologiques. Nos correspondants insistent beau­coup sur la famille, le milieu, l'Ecole, et les mécaniques nouvelles dont l'effet déséquilibrant n'est nié par personne, mais pour lesquelles il est difficile de trouver des correctifs valables et possibles.

Notre ami Jaegly, Inspecteur Primaire, a posé la question aux éducateurs de son ressort, ce qui lui a valu des rapports vraiment puisés à la source, et dont nous ferons état,
• De LE BOHEC (Côtes-du-Nord) :

L'origine du déséquilibre des enfants semble être familiale et, par consé­quent, sociale. La société est mal faite pour les hommes qui se cognent saris cesse aux obstacles dressés sur leur chemin. La vie n'est pas facile pour les familles. Il semble qu'il faudrait atteindre un minimum d'aisance pour que tes enfants ne soient pas des victimes. Il y aurait peut-être aussi un maximum à ne pas dépasser. Certaines familles riches (trop riches) ne sont pas unies parce que leur vie est trop facile, l'ennui vient et la mésentente s'installe dans le foyer.

De toute façon, que ce soit par insuffisance ou surabondance des moyens matériels de la vie, le déséquilibre familial est très fréquent, Les enfants le ressentent profondément.

Il n'est pas question de rechercher ici quels sont les éléments de l'équi­libre et, par conséquent, du bonheur d'une famille. Mais on pourrait essayer de discerner quels seraient les remèdes ou les compensations que l’on pourrait donner aux enfants frustrés.

Autrefois, les conditions de vie de beaucoup de familles étaient aussi très mauvaises. Mais l'enfant pouvait y échapper et trouver des refuges. La rue n’était pas dangereuse, même dans les grandes villes, la campagne était à portée de la main ; les terrains vagues étaient très nombreux. Mais la civili­sation industrielle, la concentration urbaine, ont modifié cet état de choses. L'enfant n'a plus d'endroit à lui où il puisse se re-créer, se retrouver, se réfugier. Il n'a plus beaucoup de recours : il est écartelé dans sa famille et, dans la rue, la multitude des bruits, des mobiles qui évoluent autour de lui, l'obligent à un éparpillement supplémentaire de son être ; il n'a plus de havre, il n'a plus de port.

Seule l'école peut être cet endroit réservé, ce refuge préservé où l'enfant pourra être lui-même et où il pourra trouver un milieu sécurisant, et une affection dont il est si avide.

L'enfant a besoin d'être aimé, d'être considéré autrement que comme un objet, un élément du décor, un caillou de ce monde.

Autrefois, les vieilles méthodes semblaient garantir cet équilibre parce que, en dehors de l'école, sur la petite place, dans la rue ou à la maison, l'enfant était en sécurité : il pouvait être lui-même. Elles n'apportaient peut-être pas beaucoup à l'enfant, mais elles ne lui étaient pas trop néfastes.

Mais maintenant, il est absolument indispensable, il est urgent même de reconsidérer la question sous cet angle : « L'école est, désormais, le seul recours ».

Alors, l'enfant ne doit pas être considéré comme une machine qui assimile plus ou moins bien le calcul ou l'orthographe mais comme un être vivant qui souffre, qui a des problèmes, qui a vécu des drames et qui a besoin de s'en délivrer pour retrouver son unité sinon sa sérénité.

J'ai quelques contacts avec les vieilles méthodes et je suis effrayé de voir à quel point on ignore la personnalité de chaque enfant. Si la vieille souche de mon jardin pouvait faire de la grammaire, du calcul, de l'orthographe, beaucoup d'instituteurs l'installeraient sur un banc de leur classe.

Les Techniques Freinet donnent à l'enfant le moyen d'extérioriser au moins son malheur et de s'en libérer, que ce soit directement par le texte libre ou le dessin, ou indirectement par la poésie, le théâtre, la musique, etc. Cet aspect de la possibilité de libération par des voies secrètes est très important.

La réussite dans le travail est également très rééquilibrante. Réussir à l'école alors que la vie extra-scolaire n'est qu'une succession d'échecs.

Quel monde exaltant, le monde où l'on réussit, où l'on est capable de quelque chose.

Dans les vieilles méthodes, il n'y avait que tes premiers qui pouvaient se sentir ainsi rassurés sur eux-mêmes. Comment les instituteurs actuels se plaindraient-ils des méthodes employées par leurs aînés puisqu'ils étaient les têtes de classe qui réussissaient.

Mais le reste de la classe ressentait le désavantage de n'être pas le premier ou le second.

Rudoif Steiner disait, à ce propos (1) :

La naissance et l'extension de la technique ont tout modifié. L'humanité se trouve aussi impliquée dans un destin au sein duquel la condition humaine et le développement de l'enfant se heurtent à des obstacles tels qu'aucune époque n'en a jamais connus.

 

Même idée dans la communication de RAUSCHER (Haut-Rhin) :

Ce ne sont certainement pas les méthodes qui garantissaient autrefois un milieu équilibré, mais une vie plus calme, une organisation sociale et fami­liale plus stricte, mais aussi plus communautaire, une vie moins individualisée, une ambiance plus proche des éléments fonctionnels. Nous sommes allés dans ces écoles et, si nous n'avons pas été des révoltés, c'est que notre vie était elle-même plus équilibrée parce que plongeant profondément ses racines dans le passé. Nous étions plus équilibrés, si l’on peut s'exprimer ainsi, parce quel nous étions mieux enracinés dans notre milieu ambiant.

LE COQ nous apporte plus directement son expérience d'instituteur :

Les enfants de 1960 sont moins capables d'attention et de concentration que ceux de 1940.

Les acquisitions en calcul et en orthographe ne se fixent pas sous la simple vertu de l'intérêt. Les sciences d'observation et d'expérience accrochent davan­tage et laissent des traces plus durables dans la plupart des esprits. Je pense qu'un enseignement du calcul lié au réel, comme les sciences, offrirait les mêmes avantages.

La grammaire n'intéresse pas l'enfant. Il faut le tenir en éveil en inter­rogeant constamment, soutenir l'attention artificiellement. L'orthographe fran­çaise est si capricieuse, si illogique qu'elle demande avant tout de l'entraînement avec quelques règles que les enfants ne retiennent pas du premier coup et qu'ils se refusent souvent à appliquer quand ils les connaissent. D'autres appliquent les règles avant même qu'on les ait enseignées. Nous sommes dans te domaine de l'absurde mais l'acquisition de l'orthographe a tant coûté qu'on y tient et qu'on honore la personne qui la possède. L'enfant, livré à sa nature, s'en soucie peu. Il va à l'essentiel : au sens du texte, à la richesse au pittoresque de la pensée dans sa forme orale et écrite.

L'attention, la concentration, les enfants en sont capables spécialement dans leurs jeux. Elle devient puissante lorsque l'enfant s'intègre volontaire­ment à un Groupe actif, forme moderne du travail. J'ai vu récemment quarante élèves au moins s'appliquer à recueillir pendant deux jours, sur de petites planchettes, du sable dans tous les coins de la cour pour réaliser un barrage de Fréjus ou un canal du Rhône au Rhin ou les deux à ta fois. L'essentiel était d'inonder le préau au maximum. Comme il était trop sec, je n'y voyais que des avantages. Les enfants travaillaient comme des fourmis, ne pensaient à rien d'autre, quittaient même le jeu de football pour s'intégrer au groupe. Beaucoup vinrent observer le résultat le dimanche matin avant la messe, car il pleuvait. Le lendemain, au moyen d'un seau porté à deux à travers la cour et au pas de course, le plein fut fait à nouveau.

Voilà le genre de concentration que nous cherchons à faire naître dans nos classes avec plus ou moins de succès lorsqu'une étude correspond aux besoins actuels de l'enfant. Mais nous avons nos limites, ne fût-ce que le manque de place et la diversité des enfants.



S'agit-il d'un déséquilibre ou d'une nouvelle forme d'équilibre ? La jeunesse n'est-elle pas apte à s'adapter plus vite que nous à la vie moderne selon les images vraies ou artificielles que nous lui offrons ? S'adapter à cette vie qui plonge de plus en plus l'homme dans le milieu social, dans un milieu social agité, dynamique, si bien que certaines natures cherchent dans l'isolement des forces profondes qui leur permettront de tenir au rythme nouveau.

L’alimentation est défectueuse. (Les produits qui sembleraient les plus natuirels, comme la farine ou la viande fraîche, ne le sont plus, et je ne parle ni des conserves, ni de l'alcool, ni du café, ni de la sous-alimentation par manque d'argent.)

Le bruit. En classe, le bruit, l'agitation ne peuvent être que passagers. Il faut des moments de silence. Ils viennent d'eux-mêmes et, à défaut, nous pouvons obtenir cela car l'enfant apprécie la discipline, inconsciemment. Le silence est apaisant. En ville, l'enfant subit le bruit, l'agitation. Il en est, certes, déséquilibré ; on acquiert un équilibre différent par adaptation.

A en juger par les émissions de radio « des beaux jeudis » ou par les clowneries adultes de la Télé destinées aux enfants, je pense qu'un effort de l'adulte a été fait pour aggraver les dommages subis non en apaisant mais en excitant. Ces émissions m'énervent. Elles ne sont que vaine agitation et les enfants expriment leur satisfaction par des « ouis » qui font penser à des hurlements de bêtes parquées. Depuis quelques mois, les émissions du matin, entre 7 heures et 7 h. 30, sur Rennes-Paris, ont le même caractère trépidant. Elles se veulent spirituelles. Elles ne sont qu'énervantes parce qu'elles passent du coq à l'âne et ne remuent que du vent dans un tourbillon de paroles. Ce bruit, qui peut donner au citadin l'illusion d'une vie plus intense, est, pour l'être habitué au calme de nos campagnes, insupportable, sans plus. Voilà un facteur de déséquilibre pour l'enfant qui peut s'y complaire. A nous de ne pas aggraver le mal.

La débauche d'images nuit à la concentration de la pensée, mais l'image élargit l'horizon, elle ouvre les yeux sur des réalités lointaines ou inaccessibles. Elle peut aider à saisir le sens d'un texte si elle ne s'y substitue pas tout simplement.

Difficultés du milieu familial : voilà l'opinion d'un instituteur exerçant dans un milieu ouvrier de Meurthe-et-Moselle :

Les parents portent une lourde responsabilité. La mère, dans 99% des cas, ne travaille pas au dehors mais elle est incapable d'imposer la moindre disci­pline à ses enfants. Ceux-ci, dès le plus jeune âge, sont livrés à la rue. Ils se couchent souvent très tard, d'où un manque de sommeil permanent.

Le père, qui rentre du travail, quitte souvent la maison pour se livrer à des occupations diverses. De sorte qu'il n'y a pratiquement aucune autorité dans la famille.

L'enfant doit subir la radio que personne n'écoute, la télévision qui réduit son sommeil, les repas généreusement arrosés. D'où, un début d'alcoolisme.

Le dimanche, l'enfant passe sa journée au cinéma. Il n'est pas rare que, après avoir obtenu de la faiblesse des parents l'argent nécessaire, il subisse trois séances dans trois cinémas de la ville.

 

Dans les réponses à l'enquête menée par M. Jaegly, un élément de déséqui­libre apparaît presque toujours au premier rang : la télévision (il s'agit, en effet, d'un milieu essentiellement ouvrier. Le mal paraît moins généralisé à la campagne).



Une des causes de dispersion de l'attention est, je crois, la télévision et, surtout, certaines émissions périodiquement répétées. L'enfant de 1 à 10 ans a déjà ses héros dont le souvenir hante la pensée au point de le distraire de toute autre activité. Les jeux des garçons, depuis la rentrée scolaire, se calquent sur ces émissions.

(Ecole de Batilly-Paradis filles, M.-et-Moselle.)

Le manque d'attention, chez nos élèves, se remarque surtout depuis ces dernières années. Il est de plus en plus difficile de la fixer, même pendant les leçons. A quoi est dû ce manque d'attention ? Certainement, pour beau­coup, à la vie moderne : auto, cinéma et, surtout, à la télévision.

Il a fallu que je montre une extrême sévérité pour que les élèves ne manquent pas la classe le samedi après-midi ; les employés ayant congé, demandaient l'autorisation d'emmener leurs enfants, soit à la ville, soit en voyage. Comme j'ai surmonté cette difficulté par une certaine fermeté, les parents viennent assez souvent prendre leurs enfants à la sortie de l'école, avec leur auto. L'enfant le sait et, tout l'après-midi, pense à ce voyage, ce qui nuit naturellement à l'attention. Je ne parle pas de la sortie du dimanche qui fait rentrer tard le soir, d'où manque de sommeil.

Le cinéma et la télévision semblent en être une autre cause. A l'arrivée à l'école, le matin, dans la cour, les enfants ne parlent que du film qu'ils ont vu la veille ; l'après-midi, de celui qu'ils verront le soir. Le samedi, à la sortie de la classe de l'après-midi, c'est une véritable envolée vers le poste de télévision. Les parents, ù de rares exceptions près, se montrent trop faibles pour que leurs enfants se couchent à une heure raisonnable.

Ecole de Batilly-Village (M.-et-M.)

 

LE PROBLÈME DE L'ATTENTION

Cause ou conséquence du manque d'équilibre, le problème de l'attention est aujourd'hui au centre de toute notre pédagogie. Mais il est excessivement complexe. Notre rapport visera plutôt, en conséquence, à essayer de dénouer cette complexité que de prétendre répondre hâtivement à la masse des questions soulevées.

Une maladie nouvelle, écrit l'institutrice de Saint-Ail (M.-et-M.) : l'impossi­bilité fonctionnelle où se trouve l'enfant de fixer son attention.

C'est un fait, et, depuis plusieurs années déjà, je constate dans ma classe les dangers de cette maladie, car c'en est une, et elle se généralise, devient une véritable épidémie, car souvent j'entends des collègues s'écrier : « J'ai de moins en moins de bons élèves. »

Cette maladie nouvelle est une des causes et, peut-être, la principale, de la diminution du niveau scolaire.

Je dirige la même école depuis 1927 et, en faisant un retour en arrière, je suis bien obligée de faire la même constatation : pour arriver aux mêmes résultats qu'autrefois, il faut fournir une somme considérable d'efforts, de peine, de fatigue, fournie, non par l'élève, mais par le maître. Il faut constam­ment rappeler l'enfant à ses devoirs, l'obliger à fixer son attention, le rappeler sans cesse à la réalité.

Mais qu'est-ce, d'abord, que l'attention? Est-ce, comme on l7a cru souvent une faculté spéciale, semblable à ce qu'on croyait être la faculté d'intelligence ou de mémoire ?

D'où vient cette attention ? Comment se déclenche-t-elle ? Sous l'effet de quels moteurs ? Comment, en conséquence, la maintenir et l'activer chez les individus, la reconquérir lorsqu'elle est dangereusement en baisse ?

L'habitude qu'on a prise de considérer l'attention comme une faculté auto­nome fait qu'on lui cherche ce moteur et ce remède, autonomes aussi. Comme dans une auto : il n'y a pas d'allumage : il suffit de voir les accus et les connexions ; il n'y a plus d'essence : on regarnira le réservoir.

Or, l'attention se trouve, du fait de cette conception, intimement liée, dans l'esprit de la plupart des correspondants, à celle d'effort et de volonté. L'atten­tion, explique-t-on, est un état de concentration qui permet la solution des problèmes. II suffit de vouloir pour parvenir à cette concentration.

Ces notions : attention, volonté, effort, ont été intimement liées depuis le début du siècle dans les écrits de tous nos psychologues et philosophes, L'Ecole traditionnelle en est encore tout imprégnée. Elle n'a pas encore pris conscience de l'impasse où nous mènent ces conceptions. Mous allons essayer ici de débrouiller quelque peu la question qui sera certainement à reprendre dans le détail, au cours d'études ultérieures.

 

L'ATTENTION - L'INATTENTION

MANIFESTATIONS DU MANQUE D'ATTENTION — CAUSES — REMEDES

On remarque l'absence de cette faculté surtout chez les élèves ayant séjourné en préventorium ou en maison de cure. On peut aussi déplorer le manque d'attention, mais à un moindre degré, chez les élèves assidus aux cours de l'école primaire.

L'inattention se manifeste par une impossibilité d'écrire sans faute un texte de quelques lignes, par des gestes dispersés et une attitude non conforme à celle de l'élève intéressé par ce qu'il fait.                       

Le manque d'attention est surtout dû à l'indifférence de l'élève pour tout ce qui touche la sanction, bonne ou mauvaise, de son travail. Dans presque tous les cas, l'élève sent qu'il n'est pas responsable de son travail, de ses actes. Il sent autour de lui, prête à agir, une véritable équipe de secours, instituée par les camarades, les parents et les éducateurs. L'élève n'est jamais laissé devant un obstacle jusqu'à ce qu'il le surmonte par ses propres moyens. Il est aidé trop tôt. Et son attitude devant les difficultés est l'attente, attente de l'aide extérieure. Il se tourne de côté et d'autre, mobilisant son esprit plutôt pour trouver des moyens de passer le temps avant l'intervention du moniteur, que pour surmonter l'obstacle proposé.

L'expérience montre à tous les élèves, à tous les avertis, du moins, qu'il y a autant d'avantages à adopter la solution de fuite que celle de la lutte.

De même qu'il existe une porte ouverte à quiconque, maintenant, veut se « reconvertir », il y a tous les jours, à tous les moments de l'éducation des enfants, la possibilité pour eux de se libérer de l'effort d'attention : maladie, gâteries des parents, tricheries vis-à-vis des camarades, défaillances des parents et éducateurs.

Tout être ne s'attache à surmonter seul une difficulté que dans la mesure où il s'en estime capable. Pour éprouver ce sentiment, il faut qu'il ait précé­demment vaincu tel obstacle par le seul recours de sa volonté. C'est l'absence de ce sentiment qui peut être à l'origine des dérobades que l'on rencontre habituellement.

L'élève peut prendre conscience de sa valeur dans des exercices simples, d'abord des mouvements corporels, pour lesquels un court entraînement est demandé, mais qui nécessitent une certaine tension d'esprit. Des mouvements désordonnés ou inconscients, de sports tels que te football, seraient à déconseiller.

Quant aux conditions matérielles de l'attention : silence, isolement, elles sont très rarement rencontrées, à l'école ou à la maison. Elles sont cependant nécessaires.

X... (Communiqué par M. JAEGLY.)

L'attention imposée du dehors est déséquilibrante et inefficace. Rien ne vaut la recherche de la solution à des problèmes personnels. On peut faire confiance à l'enfant : ses problèmes personnels sont innombrables et il y a là un enrichissement certain sur le plan culturel.

L'enfant a un pouvoir de concentration extraordinaire. J'en ai des exemples tous les jours. Je dirai même qu'il n'est pas dangereux de voir un enfant se spécialiser dans telle ou telle activité parce qu'il sera nécessairement entraîné à sortir du cercle dans lequel il pourrait s'enfermer.

D'autre part, il est un membre de la communauté scolaire et il se trouve au courant des recherches de ses camarades, et cela peut l'amener à sortir de sa spécialité.

LE BOHEC.

 

LA VOLONTÉ ET L'ATTENTION

J'ai naturellement constaté dans ma classe le syndrome du mal du siècle, ce que j'appellerais le « butinage » ou le « papillonnage », qui consiste à n'arrêter son attention qu'un court instant sur un objet pour aussitôt la reporter sur un autre sans rapport aucun avec le précédent.

Cependant, mon expérience personnelle ne me permettrait pas d'appeler ce dérèglement une « maladie nouvelle» car, ayant débuté dans l'enseignement «magistral» en 1944, je serais plutôt tenté d'être satisfait d'une amélioration indéniable et sensible apparue dans le comportement de mes élèves et les résultats obtenus.

Il convient donc de faire abstraction de la période 40-45 qui a été combien plus néfaste à l'équilibre scolaire que le rythme « fantasque » de la vie du temps de paix actuel. Des collègues plus anciens pourront faire la compa­raison avec « l'avant-guerre 40 » et nous diront sans doute que l'on obtenait de meilleurs résultats avec les enfants de ma génération. Ici, je me permets de sourire ; mes souvenirs personnels me poussent à douter de la haute estime dans laquelle nos instituteurs tenaient les galopins que nous étions : ils regrettaient que nous n'ayons pas le sérieux de nos aînés et de nos pères (ils souffraient surtout de classes surchargées) — nos aînés et nos pères qui avaient reçu des coups de règle sur les doigts joints pour les rappeler à un peu plus d'attention.

Le rythme de vie est-il en cause ? Les sollicitations extérieures exercent- elles une attraction si puissante ?

Je crois que le passage d'une automobile en 1900 dérangeait beaucoup plus que la circulation folle d'aujourd'hui. Un oiseau sur une branche faisait beau­coup plus rêver les gamins, en mal de liberté que le passage infernal d'un avion à réaction.

Ce n'est pas par esprit de contradiction que, dans ce long préambule, je prends le contre-pied des remarques pertinentes des psychologues et des sociologues qui ont su découvrir le rôle joué par le rythme de vie dans ta modification de l'attention.

Je l'ai fait pour me permettre d'attaquer dans une autre direction : oui, les enfants souffrent du rythme palpitant de la vie moderne, mais ils n'en souffrent pas directement {l'enfant s'accommode très bien d'un rythme trépi­dant qui s'accorde avec sa propre nature : j'en prends pour illustration un préau de récréation un jour de pluie) — les enfants souffrent de la dispersion des intérêts du monde actuel, par ricochet ; ce sont leurs parents qui en souffrent directement.

L'enfant est déréglé par le dérèglement de la vie familiale. Les remèdes à y appliquer sont évidemment beaucoup plus difficiles à trouver : nous sommes maîtres dans nos classes, nous ne sommes pas maîtres dans les familles : nous n'avons pas notre mot à dire sur la nourriture de l'enfant (aliments, boissons, heures et importance des repas), le problème du logement ne dépend pas de nous, nous ne pouvons pas mettre en panne tous les postes de télévision, nous ne pou­vons pas casser tous les disques des frères aînés, nous ne pouvons pas forcer les parents à se promener avec leurs enfants le dimanche plutôt que de se débar­rasser d'eux en les envoyant dans n'importe quel ciné ; ce n'est pas nous qui bordons nos élèves dans leur lit ; nous ne pouvons pas déchirer les publica­tions en images qui sont l'unique pâture spirituelle de toute la famille ; nous ne pouvons empêcher personne d'être spectateur plutôt que sportif comme nous ne pouvons pas interdire l'entrée des temples ni la consommation de l'alcool avant la conception des enfants qui seront nos futurs élèves.

Dans d'aussi mauvaises conditions et avec de si mauvais exemples, on s'étonne même que l'enfant garde un tel niveau (je suis sûr que l'on admire certains de nos élèves dans leur famille).

Quelle est la part de la volonté dans l'amélioration de cette situation ?

Elle est énorme, tellement énorme qu'elle est impossible à l'enfant : c'est de ses parents que tout dépend, et là...

quelle éducation,

quelle force de caractère,

quelle persévérance cela va exiger...

Sinon ?...

Il reste l'école.

En présence du maître, la baisse de l'attention est moins sensible.

Personnellement, je n'ai pas à m'en plaindre — tant que j'interviens directe­ment (leçons, interrogation, exercices Lamartinière, observations, calcul men­tal et rapide, préparations de dictées, dictées, lecture en commun). Mais il est un domaine « para-scolaire» où la baisse, pour ne pas dire la perte de l'attention m'inquiète au plus haut point : c'est la lecture libre.

Je m'aperçois avec détresse qu'à part quelques cas particuliers et diamétra­lement opposés, les enfants n'aiment plus lire, ne prennent plus le temps de lire, ne savent plus lire : on lit le moins possible — juste ce qu'il faut quand on est bon élève, le moins qu'il est possible pour les autres.

Et c'est catastrophique car la lecture est la base de tout savoir (je ne m'étends pas sur ce point).

Les raisons de ce détachement de la lecture ? Elles sont encore d'ordre fami­lial : comment l'enfant ferait-il pour aimer la lecture alors que chez lui, person­ne ne lit ? (je parle ici de lecture sérieuse et non pas du feuilleton, de la bande dessinée ou du roman-film).

Liberté de la presse... que de crimes a-t-on commis en ton nom.

J'en reviens aux remèdes : ils cadrent assez mal dans une dissertation péda­gogique ou plutôt ils ne s'appliquent pas à une pédagogie de l'enfance mais à une pédagogie de l'adulte qui en a plus besoin que nos élèves qui eux, ont la chance d'avoir, 6-7 heures par jour, un guide à leur service, un conseiller, un ami, un grand et véritable ami et non un exploiteur, un abêtisseur ou un com­merçant cupide.

(SIMON L. à Joeuf, M.-et-M.)

 

D'OU VIENT LE MANQUE D'ATTENTION DE NOS ENFANTS ?

Je ne pense pas qu'il faille profondément accuser l'Ecole de la faiblesse d'at­tention reprochée aux écoliers. Les causes extra-scolaires que vous signalez et sur lesquelles il serait banal de s'étendre perturbent sérieusement le travail de l'enfant

D'autre part, si je me réfère à mes souvenirs d'enfant, il y a toujours eu des élèves faibles, ne profitant pas des acquisitions scolaires. Je suis toujours triste­ment surprise, lorsque j'ai l'occasion de m'occuper de jeunes ruraux, du nombre d'entre eux qui n'ont pas leur certificat d'études (non seulement chez les adoles­cents, mais chez les jeunes de 30 ans).

Les échecs rencontrés par l'enfant ne proviendraient-ils pas surtout des exi­gences accrues des familles, du désir de faire effectuer à l'enfant un travail intellectuel que son niveau d'intelligence ne lui permet pas d'accomplir ? Les instances des familles, le désir que l'enfant entre en 6ème ou au collège technique font placer dans des classes des enfants non préparés qui auraient intérêt à être inscrits dans un cours plus faible. Ne comprenant pas, ne dominant pas l'ensei­gnement reçu, l'enfant ne peut être attentif.

Mmc HIDALGO (Gironde).

 

POURQUOI NOS ENFANTS FONT-ILS DE PLUS MAUVAISES DICTÉES ET DE MOINS BONS PROBLÈMES QUE CEUX DU DÉBUT DU SIÈCLE

Cette question pourrait être remplacée par la suivante : Pourquoi tes jeunes Gaulois maniaient-ils plus facilement la hache que les jeunes Français d'aujour­d'hui? Le bon sens suffit à répondre: on les y entraînait en conséquence. La dictée et le problème sont des exercices de type artificiel dont on vient à bout par un dressage méthodique. Il suffit d'établir un programme des difficultés et de s'y essayer chaque jour. Le maître qui obtient de bons résultats en dictée par exemple est celui qui ne se contente pas de remarques sur l'orthographe lors de sa correction, mais qui, à tout moment, donne aux élèves la hantise de la faute d'orthographe. Cette idée fixe peut avoir sur l'enfant l'effet d'une ascèse bienfai­sante mais peut tout aussi bien vider son esprit de toute autre inspiration. Ce qui nous vaut parfois des lauréats de l'orthographe incapables de rédiger une composition française.

La crainte de faire cinq fautes ou la vanité de n'en faire aucune, suffisait peut-être à mobiliser la volonté des enfants d'autrefois. Aujourd'hui, ces deux sentiments complémentaires ne semblent plus avoir beaucoup de prise sur eux. Est-il si difficile de comprendre pourquoi? Que représente un cahier d'écolier sur le plan affectif ? Peu de chose. Si nous voulons donc valoriser le souci de l'orthographe, il faut toucher d'autres ressorts affectifs que le plaisir d'avoir un cahier scolaire rempli de bonnes notes : la négligence orthographique est ressen­tie désagréablement quand elle est reprochée dans une lettre, dans un article de journal, dans un document qui circule.

C'est pour cette raison que nous attendons de meilleurs résultats en ortho­graphe de nos techniques que de la pratique artificielle de la dictée.

On ne peut plus nier que certaines formes d'inattention proviennent d'une frustration de l'expression naturelle. De même que l'absence de sommeil ou de nourriture empêche la concentration chez l'adulte, de même l'absence d'expres­sion libre conduit les enfants à ne s'intéresser à la lecture et à l'écriture que par suite d'une contrainte. Le grand malentendu entre les parents et nous, entre nos collègues et nous, provient de ce que nous ne voyons pas l'acquisition du savoir dans la même perspective. Pour eux, c'est une construction logique im­posée à un esprit qu'on aura débarrassé de toute distraction. Pour nous, c'est' une construction biologique où la distraction joue le rôle de soupape d'échappe­ment. Un esprit continuellement tendu, une pensée sollicitée en permanence, loin d'être le sommet de notre personnalité, sont le signe d'une obsession, d'une idée fixe, d'un déséquilibre. La concentration d'esprit pour l'adulte comme pour l'enfant, reste un phénomène exceptionnel et épuisant. Les hygiénistes et les psychologues ont prouvé qu'en classe un enfant de 8 à 14 ans ne peut guère se concentrer plus de 10 minutes consécutives, à moins d'une motivation, d'un captage de l'affectivité. C'est ce que nos méthodes essayent d'obtenir en supprimant le divorce entre les acquisitions intellectuelles et la mentalité de l'enfant.

R. UEBERSCHLAG, I.P.

 

EFFORT ET VOLONTÉ

Aidons l'enfant dans ses efforts, écrit l'institutrice de Saint-Ail (M.-et-M.), dans son désir de mieux faire. C'est à ce moment-là que la volonté doit interve­nir. Fortifions-la. Apprenons à l'enfant à dire « je veux... il faut que je fasse mieux aujourd'hui ». La grande vertu de la volonté, c'est le courage. Il faut apprendre aux enfants ce qu'est l'héroïsme et la lâcheté...

Et lorsque l'enfant saura tout cela, lorsqu'il aura bien dit : je veux, il sera dans la pratique plus lâche encore que ceux qui n'ont pas pris verbalement de telles résolutions.

Effort et volonté ! Coué faisait remarquer déjà que, chaque fois que se trou­vent en présence volonté et imagination subconsciente, c'est toujours la volonté qui est défaillante. Et il citait volontiers l'exemple de l'apprenti bicycliste. Il y a là-devant une pierre. Il faut l'éviter... il bande sa volonté et, immanquable­ment, avec une précision incroyable chez un débutant, il passe sur la pierre.

Non le problème attention, volonté, effort vaut d'être réexaminé dans l'espoir de découvrir les forces vraies et réelles qui nous permettront de mobiliser à nou­veau un maximum d'attention.

Je ne sais pas ce que c'est que vouloir sans faire. Le tout est d'obtenir que l'enfant fasse, c'est-à-dire qu'il s'engage dans un travail dont on lui aura donné le goût et où il prendra conscience de son pouvoir.

C'est complexe.

La volonté ? C'est une grande chose, la volonté, et elle va créer de jolis em­bouteillages !

A mon avis la volonté participe de tout l'être : il y a une volonté physique, musculaire, et je dirai, moi aussi, tout de suite : c'est la seule qui s'appelle volonté. C'est l'exercice musculaire seul qui exerce et entraîne la volonté. L'effort physique est la seule école de volonté. C'est la volonté-courage.

Il y a une volonté sentimentale, affective : on veut parce qu'on aime. On est attiré, aimanté plus que volontaire. C'est le plaisir qui crée la volonté. C'est aussi l'appât qui crée le geste volontaire. Comme la carotte que l'on met devant le nez de l'âne pour le faire avancer ! C'est le plaisir : c'est « l'Ecole dans la joie ». L'Ecole joyeuse. On dore la pilule. On raconte des histoires et l'on fait passer les participes — qui ne passent pas —, On confond très souvent ceci avec ce que tu préconises.

« L'Ecole active » trempe très souvent dans cette sauce.

Enfin il y a la volonté morale. Pour qu'elle s'exerce, il faut aussi une carotte. C'est un « idéal». Il faut une lumière. Cette volonté morale n'est le fruit que de la vie collective. Dans une société, cet idéal peut naître. Ainsi, je l'ai vu en Pologne : Ces gens qui ont su choisir, vouloir d'abord certains biens avant d'au­tres, où exercer cette volonté. (Quels que soient les moyens et quel que soit le jugement). Dans une classe cet idéal moral peut exister. Une structure coopéra­tive peut le faire naître.

Mais l'effort ? Participe-t-il de toutes ces volontés ?

Je ne crois pas. On ne devrait pas l'accoler au mot volonté. La volonté c'est une affaire de carotte.

L'effort c'est autre chose.

Voyons la pente opposée : le non-effort, qu'est-ce que c'est ?

C'est la fatigue.

C'est là le mot qu'il faut avancer : Effort et fatigue.

On veut toujours.

Il n'y a pas d'être vivant qui ne veut pas et même à l'Ecole traditionnaliste, les enfants veulent toujours.

Ce qui ne marche pas, ce n'est pas tellement que la volonté du maître ne coïncide pas avec celle des élèves, c'est que l'enfant ne peut pas, tout entier, tout vouloir ce que l'adulte veut.

Au départ l'élève veut toujours. Un peu, un tout petit peu ou un peu plus. Mais il veut. C'est toujours amusant de vouloir. Il s'arrête vite de vouloir...

Là intervient la fatigue.

Car le problème est beaucoup plus du côté du déséquilibre que de l'équilibre : l'équilibre c'est la santé. C'est l'idéal, ça, c'est la carotte.

Tout ce que l'on peut faire c'est réduire le déséquilibre. Réduire la fatigue.

Le problème n'est pas plus simple que de vouloir faire intervenir la volonté. C'est tout ù fait la même chose. Seulement cela me permet d'apporter une cita­tion qui éclaire beaucoup de choses.

Ma citation, je m'en excuse, est de Robert Lamoureux. Elle est plus que de bon sens. Elle n'est pas seulement poétique. Elle n'est pas seulement subtile et humaine. Elle est tout cela à la fois. C'est un poème « la fatigue».

Il y répond à ceux qui lui trouvent mauvaise mine et qui lui disent « qu'il se fatigue trop ! »

Or même les docteurs disent qu'il y a une bonne et une mauvaise fatigue...

Et la bonne fatigue, Robert Lamoureux (dont le vrai titre du poème est « L'Eloge de la fatigue») dit :

« Cette fatigue-là, monsieur, c'est du bonheur. »

Encore :

« Et ma fatigue à moi c'est une récompense.

C'est la preuve monsieur qu'on vit avec la vie. »

Et à ceux qui lui conseillent le repos, la douce quiétude, il répond : « Si je m'abandonnais à cette douce intrigue Mais je mourrais, monsieur, tristement... de fatigue.»

Là donc est je crois le problème.

Et la seule réponse on la trouve, évidemment dans cet élément nouveau en pédagogie -que tu as apporté et cette formule ;

la vie —l'élan vital

— l'expression libre

   le lien avec le milieu vivant

— le travail.

Quand nous aurons ainsi en pédagogie ouvert une fenêtre sur la vie, pour ad­joindre à notre sang une nouvelle circulation qui sera celle de l'air libre — tu vasvoir pourquoi — nous aurons une solution sûre et durable.

En effet je viens de lire dans « La Vie des Bêtes » un article sur les Etoiles de Mer.

Ces... animaux sont les seuls, depuis des milliers d'années, à ne pas avoir évolué.. Elles n'ont pas comme tant d'autres évolué en ce sens qu'elles n'ont pas changé de milieu. Dans tous les ordres on voit des espèces qui transgressent la loi de leur ordre : il y a des mammifères sur l'eau, des oiseaux qui nagent et ne volent pas, des poissons qui vivent 6 mois hors de l'eau sous les tropiques, il y a des crabes d'eau douce, il y a des crabes terrestres.

Or les Etoiles de mer vivent dans l'eau de mer et n'en sont jamais sorties. Elles sont voraces, mais elles vivent de très peu et pourtant vivent et se repro­duisent « normalement ».

L'explication en est que l'étoile de mer a deux appareils circulatoires dis­tincts : un appareil sanguin — comme tout le monde — et un appareil aquifère avec une ouverture où de puissants cils vibrátiles produisent à l'intérieur de l'organisme un grand courant d'eau de mer.

Voilà un être puissamment relié à son milieu — et depuis l milliard d'années.

Toute vie serait sortie de la mer. Et depuis, elle erre ; comme le juif errant et comme le chevalier à la conquête du Graal... L'idéal serait peut-être ce second appareil circulatoire d'air libre qui doublerait notre rythme sanguin pour équi­librer notre rythme de vie.

Mais l'effort? L'effort il est comme celui que promet le moteur de l'auto quand ça carbure bien.Il lui faut aussi comme aux voitures puissantes la double carburation.

Dorénavant pour définir une bonne pédagogie il faudra s'en remettre aux conditions classiques d'un corps sain, d'une collectivité aidante, d'un accord avec le fondement psychologique de chaque être mais aussi à celle-ci, essentielle, de la seconde carburation, du courant vital reliant l'être à un milieu aidant.

Et l'on en revient à ton « Dit » du permissionnaire.

A la caserne, la séance des pluches c'est la corvée.

A la maison la séance des pluches c'est l'accessoire.

Le vital est ailleurs dans les deux cas. La première fois il y a fatigue, désé­quilibre. Dans le second cas, le même geste ne fatigue pas parce qu'il n'y a aucune force usée, l'énergie est remplacée aussitôt, dédoublée même, qui sait ?

 

DISCIPLINE ET AUTORITÉ

« Trop libres ». « Trop livrés à eux-mêmes ».

C'est exact. Le laisser-aller n'est pas une liberté. C'est un instinct. Ce n'est pas un effort.

Il n'y a qu'une vraie liberté : c'est la liberté intérieure. Qu'est-ce qui torture le plus un homme emprisonné ? C'est, disent les spécialistes, son imagination. (Et aussi ses besoins génésiques. A tel point qu'en Amérique on permet à des femmes une visite d'une nuit par semaine pour humaniser la détention).

A l'école seule l'imagination offre sa torture (mais dans les internats d'ado­lescents...).

Or l'imagination c'est comme la vapeur, le gel, la pression de l'eau : des forces irrésistibles.

Mieux vaut les canaliser que tenter de les anéantir.

En faisant appel au fond affectif et sensible de chaque élève on évite le re­foulement de forces qui vont à l'encontre de l'éducation.

Au lieu de brandir la répression, il vaut mieux faire un album...

Personnellement j'ai toujours échappé à toute contrainte par le biais de la vie intérieure (car l'imagination ne torture le prisonnier que lorsqu'il y a des murs. Quand il n'y en a pas, l'évasion est facile ! ).

« Les prisons valent tous les châteaux

Les boulets des bagnards valent leur pesant d'or

Pour qui est enfermé et plein de liberté. »

C'est dans la « Chandelle verte » et de Robert Pérot.

La discipline par ta poésie...

On va dire qu'on n'est pas pratiques.

Pourtant c'est la discipline par l'équilibre...

 

M. E. BERTRAND.

Non, les enfants ne peuvent pas vouloir sur commande, dit Rauscher (Haut­Rhin ). Le vouloir est à la fois physiologique, affectif et mental.

Si ces conditions ne sont pas remplies, il est déséquilibrant, il oblige à trop, d'efforts ; il rebute, il épuise, il surmène.

Une prise de conscience effective, un intérêt profond, c'est-à-dire qui répond aux besoins les plus fonctionnels de l'être, rend le vouloir plus facile, l'effort plus joyeux. Il s'agit bien alors d'une convergence des réactions les plus bénéfi­ques, l'ambiance de la classe, la vie coopérative rééquilibrent.

L'attitude aidante, prévenante, participe elle aussi à la régénération de l'être tout entier, avec son comportement conscient ou inconscient.

Nous avons reçu une longue communication de M. Delfolie, inspecteur pri­maire honoraire qui, lui, est le fanatique de la volonté. Croyance en la toute-puissance de la volonté qui mène le monde, et que les hommes ne diffèrent que par leur éducation de la volonté.

Voyons ce qu'en disent les philosophes contemporains.

Un livre récent «Qu'est-ce que vouloir» (Editions du Cerf) publie les élé­ments d'un colloque qui s'est tenu à Bonneval en 1956, dans le service psychia­trique du Dr Henri Ey sur le thème de la « volonté ».

Contrairement à ce que nous aurions pu croire, cette notion d'une volonté dépendante de tout l'être, n'est pas absolument nouvelle. Les auteurs le puisent déjà dans St-Thomas d'Aquin :

La volonté qui subit toutes les influences, depuis celle des astres et des autres hommes, celle de noire équilibre endocrinien jusqu'à celle de l'intelligence, est comme un point d'irradiation d'influences qui atteignent aussi loin — les astres exceptés — que celles qu'elle subit. Elle se manifeste alors, par excellence, comme le facteur d'intégration de la personne. Ce sont vraiment tous les plans de profondeur de l'être qui se recoupent dans la volonté.

Saint Thomas ne présente pas la volonté comme une faculté isolée, douée d'une commande totalement autonome. Il la montre clairement définie dans sa structure, comme la faculté tendancielle exprimant l'affectivité supra-sensible...

Saint Thomas n'a pas ignoré la volonté au sens des modernes : impassible faculté de décision, forte et prudente. Mais il a mis en lumière une conception plus synthétique de la volonté. Elle est la faculté de l'affectivité supra-sensible. Elle est la source de tout le dynamisme humain...

Gabriel Marcel écrit : J'aimerais reprendre ici et approfondir ce que j'ai dit il y a bien longtemps dans mon journal métaphysique. C'est une grave erreur, disais-je (p. 216) de voir dans la volonté une tension intérieure et rien n'est plus trompeur à cet égard que le théâtre de Corneille. Je pense que vouloir c'est au contraire se détendre et non pas se crisper.

Et voici qui devrait inciter à réflexion les partisans d'une volonté autonome et mobilisable à souhait :

L'action ne va pas vers ses buts par des cheminements entièrement prévisi­bles et dont elle pourrait commander à loisir les itinéraires ; elle est obligée de s'enfoncer dans l'opacité du monde pour y susciter ce qu'elle s'efforce de rejoin­dre... En nouant les fils de l'action sous l'empire du sens qu'elle s'efforce de deviner dans les sollicitations de l'histoire, la volonté se lance dans tes chemins de l'aventure et sa Mission propre est bien plutôt de faire accepter aux autres, par sa propre indomptable assurance, les risques redoutables auxquels elle s'ex­pose et les expose avec elle, que de leur annoncer l’avènement de quelque ras­surante certitude.

Même opinion du Dr Henri Ey :

La volonté n'est pas une force simple, celle du désir, de l'instinct ou de la raison. Il est aussi impossible de la concevoir comme un « élan », ou, comme on dit en psychologie moderne, une « pulsion », que de la définir comme une faculté. La volonté n'est ni la force qui fait persévérer l'être dans son être pour un être qu'il soit plante, animal ou homme, ni la puissance conative de la vie, de l'inconscient affectif ou du caractère, pour autant que ces forces représentent la nécessité « vécue »,

La volonté apparaît ainsi essentiellement comme un pouvoir de « contrôle » relativement aux forces qui tendent à échapper à la plénitude de l’existence ( c'est-à-dire des valeurs ) du moi et du principe dynamique d'auto-détermination. Elle est tout à la fois, et nécessairement, une possibilité de dire non ou oui au désir.

Et Jean Rouart conclut son exposé : J'ai voulu seulement montrer que la notion d'une volonté considérée comme faculté plus ou moins altérée, ou source d'énergie diminuée dans la pathologie, n'était plus utilisable.

Dans son beau livre « Le cerveau et La conscience », éditions du Seuil, Paris, Paul Chauchard explique qu'il n'a découvert dans le cerveau aucun centre, aucun mécanisme qui pourrait être le siège de la fonction volonté.

Il y a, dans la sensation, d'une part un état cérébral inconscient en lui-même, sorte de « présentation », transposition du monde et du corps en structures cérébrales grâce aux messages des sens arrivant dans les structures sensorielles du cerveau. Il y a d'autre part la prise de conscience de cet état cérébral, qui donnera la vraie sensation avec sa pleine efficacité dans la conduite réfléchie. De même la volonté est la prise en charge par la conscience individuelle des mécanismes moteurs cérébraux, mais ceux-ci peuvent fonctionner automatique­ment, indépendamment de la volonté.

Paul Chauchard, qui a participé au colloque de Bonneval dit aussi dans son rapport :

Le rôle des corps striés dans la motricité volontaire montre que la volonté n'est qu'un type de déclenchement spécial d'origine cérébrale de toute une coor­dination motrice qui n'a pas besoin du cerveau pour s'organiser mais qui se met à son service.

Quelles conclusions, ne seraient-elles que provisoires, tirer de cette enquête, et surtout quelles questions mériteraient d'être reprises, longuement étayées et discutées ?

1° Problème de l'attention

   Y a-t-il vraiment baisse des possibilités d'attention de nos enfants ?

Selon certains correspondants, la chose n'est pas absolument certaine. L'en­fant s'adapte très facilement au milieu. C'est cette adaptation qui requiert souvent une forme nouvelle d'attention.

Ce qui paraît certain, c’est que l'attention scolaire est effectivement com­promise.

   Quelles seraient Les véritables causes de cette baisse des possibilités d'attention ?

On en a dit quelques-unes. La question vaudrait sans doute d'être reprise et approfondie :

   Milieu physiologique ;

   Milieu social ;

   Milieu familial ;

   Milieu scolaire.

Un fait semble admis : l'attention ne se commande pas de l'extérieur. Il ne sert de rien de dire : « Fais attention ! » L'attention qu'on peut donner ainsi sur commande n'est pas la véritable attention.

— Y a-t-il danger à obliger l'enfant à faire attention ?

Les avis sont ici partagés.

Nous pensons que l'attention ainsi obtenue n'a pas la vertu de la véritable attention.

Pourtant certains de nos collaborateurs disent que cette obligation est pratiquement nécessaire et qu'elle n'est pas forcément déséquilibrante.

Les exercices formels sont-ils nécessaires et souhaitables ?

Il me semble, écrit Mme Hidalgo (Bordeaux), qu'il faudrait pouvoir prati­quer des exercices formels qui donneraient à l'enfant le sens du devoir — même s'il n'est pas très amusant — qui conduiraient aussi à un certain automatisme de la pensée (je songe aux accords grammaticaux, aux exercices de système métrique, aux opérations) et des exercices plus ouverts sur la vie, plus larges avec enquêtes et expression originale comme le désire Freinet.

C'est aussi l'opinion de M. Lefebvre, inspecteur primaire ;

Dans le milieu urbain surtout, un dosage de contrainte et de liberté s'impose.

2° L'attention, l'effort et la volonté

Parlant de leurs enfants, les parents disent souvent, devant une situation difficile ; « Il n'a aucune volonté, il ne peut pas se fixer... » Ou bien ; « Il ne sait pas ce qu'il veut, il ne s'intéresse à rien... » Ou encore : « Si vous saviez comme il est entêté et volontaire.» Tantôt c'est donc trop de volonté, tantôt pas assez. Et il s'agit de cas ordinaires, et non de cas anormaux...

Le cas de Rapin n'est-il pas caractéristique : il a été volontaire jusqu'à la mort puisqu'il a refusé de demander sa grâce, préférant affronter la mort.

a)      Comme l'attention l'effort imposé du dehors n'est jamais que de seconde qualité.

Peut-on et doit-on imposer cet effort ?

L'attention plus ou moins imposée du dehors, écrit encore Mme Hidalgo, n'est pas forcément déséquilibrante et inefficace. L'enfant aime aussi l'effort pour lui-même, pour progresser, pour devenir plus savant. Il comprend sou­vent qu'il étudie pour une fin qui n'est pas seulement simple fantaisie du maître.

La concentration naturelle et motivée de l'être pour des fins dont il sent la valeur est certainement plus solide. Mais on ne peut séparer arbitrairement ces deux modes d'action du maître. Il me semble que tout l'art pédagogique consiste justement à les relier.

Toute l'éducation, je crois, consiste à permettre à l'enfant de mobiliser sa volonté sur commandement. Spontanément, il préférerait, bien sûr, suivre sa pente naturelle, mais je crois que la véritable éducation est d'apprendre à vouloir.

b)   Peut-on apprendre à vouloir et comment?

Là est le grand problème sur lequel nous aurons encore beaucoup à dire.

Evidemment, nous pensons qu'il faut cultiver l'effort, la volonté, qui per­mettent une meilleure concentration de l'être et donc un maximum d'attention.

Mais puisque nous avons aujourd'hui la certitude que attention, effort et volonté ne sont pas des aptitudes ou des facultés autonomes, comme des méca­niques dont on déclencherait le mouvement en appuyant sur un bouton, mais qu'ils sont la résultante d'un ensemble de prédispositions et d'aptitudes qui restent à définir, nous devrons essayer d'agir sur ces éléments d'action,

c) L'enfant veut naturellement

L'erreur, c'est de croire que la tendance à l'effort et la volonté sont des qualités à acquérir alors qu'elles, sont éléments de l'être. L'individu, qu'il soit animal ou être humain, qui ne fait plus effort, qui démissionne devant la vie est un individu profondément atteint, physiologiquement et moralement. C'est un malade qu'il faut soigner. Et nous verrons comment nous pouvons éviter la maladie.

Notre rôle d'éducateur est, au contraire, de nourrir l'effort et la volonté, de leur permettre d'agir comme un ressort qui risque de s'écraser s'il reste toujours tendu, ou de perdre son élasticité s'il reste trop longtemps distendu.

La question qui, en définitive, semble devoir nous retenir le plus dans les prochains numéros est celle qui est implicitement posée par l'observation de Lefebvre : « Un dosage de contrainte et de liberté s'impose. »

C'est, en somme, autour de cette idée, sur laquelle nous sommes loin d'être d'accord, que nous avons décidé d'organiser la prochaine enquête, qui sera menée en accord avec l'Office central de la Coopération à l'Ecole et dont il sera discuté à notre prochain Congrès international de Saint-Etienne :

 

Thème du prochain congrès

L'ÉDUCATION A LA CROISÉE DES CHEMINS

On a suivi jusqu'à ce jour de fausses pistes : liberté, self-government, jeux. Ces pistes se sont révélées peu efficaces, parfois dangereuses.

Alors la réaction pédagogique profite de ces malentendus et s'interroge :

Sommes-nous mûrs pour la liberté ?

Les enfants sont-ils, physiologiquement, psychologiquement et socialement, mûrs pour cette liberté ?

Faut-il revenir à l'autorité formelle, aux punitions, ou même à la fessée, et dans quelle mesure ?

Entre ces deux solutions extrêmes, nous aurons à trouver une solution éducative favorable.

De prochains questionnaires préciseront le contenu, la portée et le sens de ces recherches.

C. F.