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Démarrer, continuer en Pédagogie Freinet ? Quelques interviews… (1)

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Démarrer, continuer en Pédagogie Freinet ?

 Quelques interviews… 
 
Faisant partie du CA de l’ICEM depuis un peu plus d’une année, j’y ai à plusieurs reprises entendu dire que les stages de formation organisés par le mouvement étaient largement fréquentés par les jeunes enseignants surtout lorsque qu’un module « Démarrer en pédagogie Freinet » se mettait en place, constat qui hélas était assorti d’un autre beaucoup moins réjouissant : peu d’entre eux revenaient. Pourquoi ? C’est la question que j’ai posée à quelques uns d’entre vous pour tenter d’y répondre.
Jérémie, Chloé et Olivier ont répondu aux questions suivantes :
 
Quels sont les processus qui vous ont conduit à choisir la PÉDAGOGIE FREINET ?
Comment voyez-vous l’avenir de ce choix ?
 
Jérémie - 28 ans - T1
« Quand j’étais gamin, à l’école, il y avait un formatage des esprits. J’étais révolté par l’attitude de certains enseignants qui avaient des pratiques humiliantes : donner des notes par ordre croissant ou décroissant, les jugements de valeur : « T’es un bon à rien, tu ne réussiras jamais en math », mais aussi l’encouragement à la compétition. Paradoxalement, même si j’avais de bonnes notes, je souffrais de cette situation : les moins bons me traitaient d’intello, j’étais exclu par certains. Les notes, c’est toxique aussi bien pour les bons que les moins bons. Je me souviens en particulier d’un prof de sixième que j’ai trouvé tellement injuste que je me suis dit : « je voudrais être prof pour être un bon prof ».
J’ai suivi un cursus scolaire jusqu’en master2 en écologie. Mais le métier auquel ça me destinait ne me convenait pas. J’ai donc commencé à réfléchir à ce que je pourrais faire d’autre. Cette période a duré à peu près deux ans jusqu’à ce que je me rende compte que je voulais être prof/instit. Ce qui m’a motivé c’était l’approche pluridisciplinaire et la relation humaine. J’ai commencé à me renseigner sur des pédagogies alternatives et j’ai trouvé que la PÉDAGOGIE FREINET me plaisait beaucoup avec sa visée émancipatrice, et j’ai aussi accroché avec le texte libre car j’aimais beaucoup écrire. Je me suis inscrit au concours que j’ai préparé en candidat libre avec le CNED tout en travaillant dans un collège comme prof vacataire de bio en SVT. J’étais aussi assistant d’éducation. Cela m’a permis d’approcher la pratique de classe, d’avoir une expérience concrète. Une année s’est écoulée, la PÉDAGOGIE FREINET m’est sortie de l’esprit. J’ai eu le concours, et j’ai commencé ma formation de PES en sep/oct. A la mi-octobre 2011, j’ai reçu un mail de ma directrice m’invitant à participer à un mercredi après-midi de découverte de la PÉDAGOGIE FREINET à l’école Léon Grimaud à Rennes. C’était pour le lendemain. J’ai foncé. C’était comme si la PÉDAGOGIE FREINET était revenue vers moi.
J’ai redécouvert le texte libre, les créations mathématiques, et pendant les vacances de la Toussaint, il y avait un stage « Démarrer en pédagogie Freinet » à la Côte St André (38). J’y suis allé en covoiturage avec Damien. Le voyage a duré deux jours, nous avons beaucoup discuté. Je me suis senti proche de sa façon de voir la pédagogie, la relation avec l’enfant… C’était parti.
J’ai trouvé la façon d’enseigner qui me convient, même si je sais que cela va être une longue recherche. J’ai trouvé aussi un groupe de collègues au GD35 dont je me sens proche, et avec lesquels je peux vraiment échanger sur ma pratique de classe. Je me sens appartenir à une communauté. Ca fait du bien, ça donne du sens.»
 
Chloé - 39 ans - prof des écoles S1
« Jusqu’à l’heure actuelle, j’ai eu une vie précaire de militante faite de luttes différentes qui convergeaient vers une pensée anticapitaliste, libertaire, écologiste. C’est à travers le militantisme et les pédagogies alternatives que j’ai abordé l’éducation. Ce que j’ai vu et vécu de l’enseignement bridait les émotions et enfermait dans des normes.
J’ai vécu des expériences d’éducation populaire sur un mode mutuel, égalitaire.
Au moment où j’ai décidé de m’inscrire au concours, j’ai lu trois pages de Montessori et je me suis endormie. Par ailleurs, j’avais beaucoup entendu parler de Steiner par des babas cool que je fréquentais, mais j’ai senti que ce n’était pas pour moi, c’était trop ésotérique. Par contre, j’ai lu « l’Education du travail » et dès la préface j’ai compris que Freinet avait la vision socialiste d’après 1945, super optimiste sur l’arrivée d’un monde meilleur, mais aussi une vision émancipatrice. Je me suis dit que c’était vraiment ça que je voulais, car j’ai toujours eu une lecture politique du monde. Des rencontres humaines m’ont confortée dans cette direction.
Il n’y a que chez les instits Freinet que j’ai rencontré un véritable accueil et une envie de transmettre un métier, un savoir-faire et la liberté. Je sais que pendant les années de stage je ferai patte de velours, mais après, c’est vraiment cela que je veux faire.
Quand je vois ici des gens qui pratiquent depuis quinze ans et que cela devient fluide et simple, ça donne envie.
Pour moi, l’éducation c’est de la politique, c’est de la pratique concrète plus que des idées. »
 
Olivier – 36 ans – T10
« Ma première rencontre avec la PÉDAGOGIE FREINET, c’était à l’IUFM, l’année de la préparation du concours : des gens du GD72 sont venus faire une mise en situation (méthode naturelle de polonais). Sur le coup, ça m’a intrigué. J’étais dans la découverte du métier. J’ai passé mon concours. J’ai commencé de manière très traditionnelle et avec ce dont je me souvenais de l’école telle que je l’avais vécue.
Ca ne s’est pas trop mal passé les premières années. Au bout de trois/quatre ans, je me suis rendu compte que je ne pourrais pas continuer à enseigner de manière traditionnelle. Plusieurs sentiments m’habitaient : le respect des enfants, leur adhésion, leur motivation, et je me suis rappelé la PÉDAGOGIE FREINET. Il y a eu ce souvenir d’IUFM et je me suis renseigné. J’ai commencé à lire ce qui se faisait ailleurs. De Freinet j’ai d’abord lu « les invariants pédagogiques » et les « dits de Mathieu ». J’ai lu plein d’extraits de revues éditées par le mouvement. Ce qui m’a intéressé le plus, ce sont les productions des enfants, leurs créations. Ce mot « création » m’a beaucoup parlé. Il avait du sens.
C’est ainsi que j’ai commencé à mettre en place des choses dans ma classe. J’ai commencé par le journal, le QDN et le Conseil. C’est ce qui me paraissait essentiel. Mais j’étais seul, je me sentais isolé.
Quand je suis arrivé dans mon école, celle où je suis actuellement, j’ai rencontré une instit qui pratiquait la PÉDAGOGIE FREINET. On a fait des choses ensemble. Puis elle est partie. Je me suis retrouvé à nouveau seul. J’avais quand même des collègues qui touchaient un peu à la PÉDAGOGIE FREINET. On en discutait ensemble parfois. J’étais sûr que c’était ça que je voulais faire. C’est grâce à la collègue qui est partie et qui fréquentait le GD44 que je m’en suis rapproché.
De plus, j’ai construit ma maison dans la commune d’à côté où j’enseigne, et j’ai scolarisé mes deux filles dans l’école de la commune qui fonctionne en PÉDAGOGIE FREINET. Ca m’a encouragé à faire des liens avec des instits Freinet. Tout cela s’est passé dans la même période.
J’ai avancé par petites touches. Chaque année je faisais valser les pratiques traditionnelles, je faisais bouger les lignes, en lecture, en math. J’avais compris que je ne pouvais plus cloisonner les matières, que tout s’entremêlait.
Depuis trois ans, j’y suis complètement. Actuellement, il n’y a plus rien de ce que je faisais au début de ma carrière.
Dans mes lectures, il y a eu beaucoup de sites internet : de nombreux instits mettent en ligne ce qu’ils font. L’ICEM aussi. J’ai pris beaucoup de choses qui au début n’étaient que des essais que j’ai fait évoluer.
Depuis que je suis complètement en PÉDAGOGIE FREINET, je suis beaucoup mieux dans mon métier. J’en suis très heureux. Je n’ai aucun doute sur cette façon de procéder.
Le militantisme qui va avec la PÉDAGOGIE FREINET est venu avec la fréquentation du GD44 et la multiplication des rencontres. Je ne le vivais pas au début de ma carrière. Aujourd’hui, je ne me contente pas de ma pratique de classe. Mes convictions me poussent. Je milite et je me bats dans mon école pour faire valoir ce qui me semble essentiel. »
 
Propos recueillis par Francine TETU
Le 23 août 2012, Rostrenen
Stage Grand-Ouest