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Naissance d'une pédagogie populaire 1 - Nouveaux adeptes

 

NOUVEAUX ADEPTES
 
    Un adepte nouveau est venu s'adjoindre aux deux premiers imprimeurs : Primas, de Villeurbanne ; c'est avec sa classe que Freinet va faire correspondre la sienne, tout en laissant ses élèves continuer individuellement leur correspondance avec leurs amis de Trégunc. Un échange mensuel se poursuit d'ailleurs avec Daniel.
    La correspondance avec Villeurbanne n'apporte pas, à vrai dire, l'enthousiasme et la vie qu'avaient suscités les échanges avec Trégunc. Les écoles de ville ont une atmosphère différente des écoles de village. Une classe intégrée à tout un ensemble de classes dans le même local-caserne, sous l'autorité parfois un peu ombrageuse d'un directeur, n'a pas la spontanéité de l'école qui s'ouvre librement sur l'intimité d'un village. Les élèves semblent plus impersonnels, dominés déjà par ces évasions que sont le cinéma, les sorties, la rue et ses distractions de faits divers.
    Néanmoins, la curiosité des enfants s'éveille de part et d'autre. Les élèves de Villeurbanne sont surpris par la vie du village, et réciproquement. Freinet rend compte des avantages de cet échange dans « l'Ecole Emancipée » de juillet 1926, et, en conclusion, il écrit :
     Nous avons eu cette année dans nos deux Livres de Vie (Villeurbanne - Bar-sur-Loup), trois mille lignes de texte, ce qui équivaut à un bon livre de lecture de deux cents pages environ. Mais je mesure ainsi la quantité ; la qualité des textes, et surtout du travail, reste pour nous incomparable, parce que, nos imprimés sont vécus et sentis, et donc pleinement compris.
    Chemin faisant, Freinet sent la nécessité de perfectionner son matériel. La presse Cinup n'est pas suffisamment pratique. Il faudrait que les composteurs soient posés sur un socle et non sur le volet de presse. La pression du volet, d'autre part, n'est pas très uniforme et inévitablement ses imperfections influent sur la page imprimée. C'est chez le menuisier que Freinet s'en va expliquer les défauts de la Cinup et les avantages qu'il espère donner à sa nouvelle presse.
    — Voyons, M. Freinet, expliquez-moi bien ça...
    Mais la presse n'avance pas, et toujours le coup de rabot, la cheville ou la charnière ne remplissent pas leur office. Freinet reprend sa presse, retourne bricoler chez lui, revient à l'atelier, explique encore, et dans ces multiples allées et venues une presse voit le jour... On abandonne la Cinup.
    Cette fois, les enfants peuvent très facilement imprimer tout seuls, et la presse Freinet n° 2 est installée sur un vieux banc en attendant qu'elle montre elle aussi les défauts de sa fabrication...
    Entre temps, ce sont les corps 36 qu'il faut ranger de façon plus rationnelle, de manière à ce que les petits élèves puissent composer plus commodément.
    La bonne volonté du vieux menuisier une fois encore seconde l'intuition du Maître : la casse pour corps 36 est réalisée à son tour. On l'installe sur une table-pupitre, calée au bas par un solide taquet, près du banc où sont fixées les presses, et ce petit coin de salle, avec un peu d'imagination, évoque l'atelier d'imprimerie...
    Petit à petit, l'idée de l'Imprimerie à l'école fait son chemin. Des camarades de plus en plus nombreux écrivent à Freinet pour lui demander des renseignements. Alziary, qui est en ce moment à Bras (Var), est dévoré de curiosité, mais trop pauvre est sa bourse... Il attendra encore.
    Van Meer, directeur d'école à Bruxelles, se décide. Désormais, chaque mois, le journal scolaire de Bar-sur- Loup passera la frontière, et d'imaginer ce voyage international les petits imprimeurs éprouvent une sorte de fierté que Pierrot exprime ainsi :
Nous, on va jusqu'en Belgique.