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Naissance d'une pédagogie populaire 1 - Saint-Paul année 1929-1930

 

SAINT-PAUL — ANNÉE 1929-1930
 
    A chaque début d'année, Freinet trouve prétexte à se réjouir. Les mois qui s'ouvrent devant lui sont toujours riches de promesses d'expériences, d'enseignements, et c'est sous le signe de l'optimisme habituel que débute son leader du 1" octobre 1929 :
 
     Les diverses recherches technologiques que nous avons entreprises sont à ce point passionnantes, elles nous découvrent à chaque pas des perspectives de travail si originales et si fertiles en enseignements, que l'activité de notre groupe décuple chaque année, donnant raison à la témérité — pourtant consciente — de nos entreprises les plus hardies.
 
    Freinet n'a que l'embarras du choix pour saisir au passage l'un de ces problèmes essentiels qui surgissent dans la vie quotidienne de nos écoles publiques, pour leur chercher, à l'épreuve de l'expérience, une solution que les conditions économiques et sociales rendront, hélas ! plus ou moins relatives. Si quelqu'un se fait des illusions sur la portée d'une pédagogie « pure », et « idéale », ce n'est certes pas lui, qui, rejeté au cœur même de son Saint-Paul des pauvres, dans son école-taudis, doit se colleter sans cesse avec le matérialisme décevant de l'école du peuple.
 
    J'avais hier 45 élèves entassés dans une classe construite pour 27 et qui ne possède que 41 places ; comme il est impossible de loger un banc de plus, quatre élèves ont été contraints de se promener dans la classe bondée où l'air était complètement irrespirable. Nous n'avons pas même pu nous détendre aux récréations parce qu'il pleuvait et que le préau est plus petit encore que la classe...
    Notre situation n'est, hélas ! pas exceptionnelle    )
    Qu'on ne croie pas que, dans ces conditions, nous puissions montrer aux visiteurs et décrire à nos lecteurs la classe idéale, rénovée par les techniques que nous recommandons.
    Nous sommes dominés par le régime économique qui nous dédaigne et nous écrase. Nous ne pouvons qu'indiquer à nos camarades comment nous avons aménagé notre activité pour obtenir de notre travail tout à la fois un rendement plus conforme aux intérêts des jeunes prolétaires et les fondements essentiels de la nouvelle orientation pédagogique.
    Activité motivée, disons-nous : plus de sanctions spécifiquement scolaires.
    Nous ne nous hasarderions pas à recommander ces pratiques si nous ne les appliquions avec succès depuis plus d'un an. Nous savons qu'elles vont surprendre ; que pédagogues et inspecteurs trouveront de multiples raisons pour condamner une technique qui est tellement à l'opposé des procédés habituels de verbalisme et de gavage. Nous saurons d'ailleurs, en temps voulu, répondre à leurs objections, persuadés que nous sommes d'être suivis sur cette voie par tous les instituteurs qui, dans leur classe, cherchent une solution aux multiples problèmes d'organisation et de travail scolaire.
    Actuellement et sauf pendant les périodes de révision durant lesquelles l'instituteur se contente d'indiquer les textes à revoir et les résumés à réciter, les heures de classe sont presque exclusivement occupées par la récitation des leçons précédentes et l'exposé des leçons du jour : leçon de morale ou d'instruction civique, leçon de calcul, leçon de grammaire, leçon de vocabulaire, leçon de sciences, leçon de dessin, leçon d'histoire et de géographie, etc...
    Les inconvénients ? Tous les instituteurs les connaissent ; outre que cette suite ininterrompue de leçons demande aux maîtres une dépense physique qui leur est souvent fatale, le bénéfice qui en est retiré par les élèves est loin d'être satisfaisant : ceux-ci sont, en effet, plus actifs que réceptifs ; ils s'éduquent cent fois mieux — et avec combien plus d'assurance et de solidité ! — lorsqu'ils cherchent par eux-mêmes, lorsqu'ils manipulent, construisent, réfléchissent !
     Nous savons bien qu'on recommande de réduire au minimum les leçons purement verbales et de s'orienter vers un enseignement plus illustré et plus actif. Mais, dans la pratique, étant donné les programmes trop encyclopédiques et trop conçus sur les principes de la vieille école, étant donné aussi la misère matérielle de nos écoles et la surcharge anormale des classes, il est souvent impossible de faire autre chose de sérieux que cet enseignement verbal.
     ...Supprimons les leçons faites par le maître ; ne faisons plus apprendre par cœur aucune leçon ni aucun résumé, trouvons d'autres éléments générateurs d'effort et d'activité. Nous rendrons du coup l'école plus saine et plus moralisatrice, nous rapprocherons les élèves de leurs éducateurs pour la tâche seule désirable en définitive de l'éducation...
 
    Plus de manuels ! Plus de leçons ! Voilà évidemment de quoi vraiment effrayer ceux qui sans cesse ont besoin de barrières et de garde-fous pour se raccrocher. La pratique les rassurera, car c'est tout de suite, par les exemples des diverses disciplines, que Freinet les invite à entrer dans le bain, le bain salutaire de la vie.
    Plus de leçons de morale ! Mais la formule suggestive, les exigences d'un comportement social qui nécessite ce don de soi, ces infinies vertus qui fleurissent dans une communauté intelligente et harmonieuse.
    Plus de leçons de grammaire, mais la pratique éclairée, vivante, du texte libre, la grammaire vécue, intégrée à la syntaxe vivante qu'est la pensée de l'enfant.
    Plus de leçons de calcul, mais l'arithmétique courante que pose la vie sociale et familiale.
    Plus de leçons de sciences, mais l'observation, la mesure des faits de la Nature dans toute leur ampleur. Et progressivement tous les efforts de la C.E.L. viseront à arriver à ces grandes simplifications d'un enseignement qui, forgeant les techniques libératrices, soustrait l'enfant à l'oppression d'une pédagogie d'arbitraire autorité.
    Ce mode nouveau d'envisager le problème éducatif retentit inévitablement sur le comportement de l'élève et du maître, et d'une organisation nouvelle de la classe naît une discipline neuve et pour ainsi dire organique.
 
     Il faut d'abord, pensons-nous, donner au mot « discipline » un sens nouveau. Ou plutôt, ce mot, avec son acception courante, devrait disparaître de notre vocabulaire pédagogique.
     En effet l'enfant à qui on offre des activités répondant à ses besoins physiques et psychiques est toujours discipliné, c'est-à-dire qu'il n'a pas besoin de règle ni d'obligations extérieures pour travailler ou pour se plier à la loi de l'effort collectif. Nous pouvons affirmer que si nous étions en mesure de donner à nos élèves la possibilité de travailler selon leurs besoins et leurs goûts, nous pourrions avoir à intervenir pour organiser le travail et l'activité de notre communauté, mais tous les problèmes ordinaires de la discipline scolaire n'auraient plus de raison d'être.
     L'introduction de l'imprimerie dans nos classes nous laisse deviner tout ce qui pourrait être réalisé dans ce sens.
     La discipline traditionnelle nécessitait le contrôle strict de « devoirs ». Et voilà que nous avons su motiver notre enseignement à tel point que, spontanément, nos élèves écrivent, avec une application incroyable, plus de rédactions que n'en comportent les programmes... Les manuels indiquaient en détail comment obtenir l'attention des enfants pendant la lecture, et nos élèves lisent avec sérieux et curiosité les livres de leurs correspondants... Obligation encore pour leur enseigner les formes arides d'une grammaire sans vie, alors que tout s'éclaire à la lumière de la nécessité scolaire et sociale.
     S'il n'y a pas dans la classe une libre activité à la base même de toute l'organisation, alors une discipline spéciale est nécessaire, tant pour contraindre l'enfant aux besognes non désirées que pour refouler ses activités inemployées qui cherchent à tout prix à se réaliser. Et il est faux de croire que cette discipline puisse être, libérale ou consentie. Même si, sous la suggestion des adultes, elle est établie par les élèves eux-mêmes, elle n'en reste pas moins une discipline oppressive de l'action réciproque des éducateurs et des éduqués.
     Le problème de la discipline nous paraît se poser de la manière suivante : l'enfant qui participe à une activité qui le passionne se discipline automatiquement. Notre vraie besogne consiste à permettre à nos élèves toutes les activités éducatives qui satisfont leur personnalité, à étudier attentivement la technique de ces activités, laquelle suppose une discipline motivée par le but à atteindre. Le seul critérium sera alors, non pas : ces enfants sont-ils sages, obéissants, tranquilles, mais : travaillent-ils avec enthousiasme et entrain ?
     Cette libre activité n'est malheureusement possible que dans certaines conditions favorables d'installation et d'organisation. Les classes trop nombreuses, dans des locaux trop exigus, ne peuvent, en aucune façon, s'accommoder des nouvelles techniques de travail. Les classes populaires sont, hélas ! de par leur conception et leur constitution, des écoles assises, où chaque élève a sa place assise, mais où les groupes ne peuvent librement circuler sans bruit et sans danger préjudiciables à l'ensemble de la classe. C'est pourquoi nous avons placé le matérialisme scolaire à la base des revendications de l'école populaire.
     Un autre état de fait, qui nécessite presque toujours l'établissement d'une discipline sévère, est l'obligation où nous sommes dans nos classes d'enseigner à nos élèves des éléments de connaissance nullement en rapport avec l'esprit de l'enfant : et je pense tout particulièrment au calcul mercantile et à l'histoire officielle. Tant que les examens ne seront pas transformés dans leur nature même, l'école souffrira d'enseigner des mots au lieu de former et de développer les esprits.
     Malgré ces difficultés, qu'avons-nous pu réaliser dans notre classe, vers la voie que nous venons de définir ? Quel compromis avons-nous trouvé pour amorcer dans notre régime si peu soucieux de l'éducation du peuple, des réalisations qui ne sauraient se réaliser sans un gros effort pécuniaire en faveur de nos écoles ? Dans quelle mesure nos collègues peuvent-ils nous suivre ?
 
    Toutes ces réalités exigent évidemment une compréhension nouvelle du Maître, indispensable à l'éclosion de cette atmosphère favorable qui délivre la confiance et l'élan. Soyons humbles :
 
     Ne craignons pas d'avouer notre ignorance, en mettant notre supériorité moins dans une telle ornementation de notre mémoire que dans notre aptitude à utiliser, pour notre élévation, tous les matériaux dont nous disposons. Nous donnerons ainsi à nos élèves la notion précieuse d'une éducation non plus statique, scolastique et morte, mais laborieuse et active, tendant, par nos efforts incessants, à la libération physique, intellectuelle et morale des individus.
     Et ne craignez rien pour votre autorité véritable. Il y aura peut- être dans votre classe moins d'apparente soumission ou de passive docilité. Mais vous sentirez autour de vous une ambiance nouvelle, un naturel et un encourageant entrain qui vous donneront certainement chaud au cœur et seront peut-être capables de vous réconcilier avec l'activité scolaire.
 
SOYONS HUMAINS
 
     ...Que de fois encore agissons-nous en classe avec une révoltante inhumanité !
     Vous vous mettez en colère, parce que, en se dressant, un élève a fait un bruit excessif, et vous oubliez que vous causez un grondement autrement formidable chaque fois que vous repoussez votre chaise ou descendez de votre trône !... Mais vous êtes le maître !
     Il vous arrive de temps en temps de jeter un regard par la fenêtre et de vous pencher même quelquefois pour parler à un passant; et pourquoi pas ? Mais si un enfant se dresse sur son banc pour en faire autant, vous êtes impitoyable.
     Et avez-vous songé à l'injustice, combien fréquente pourtant, du maître qui reproche à un élève sa mauvaise écriture et qui griffonne lui-même sur les cahiers quelques appréciations illisibles ?
     Nous savons bien que la pédagogie demande au maître une tenue irréprochable. Mais n'a-t-elle pas pour ainsi dire codifié tous les moyens inhumains dont l'instituteur dispose pour assurer sa jalouse autorité ?
     Nous ne discuterons pas ici le paradoxe de Rousseau sur la bonté originelle de l'homme. Mais un fait nous apparaît cependant certain : les enfants ne sont au moins pas pires que les adultes. Ils ont en tous cas encore intacts leur ardeur créatrice, leur enthousiasme et leur foi en la vie, puissants leviers sur lesquels peut — et doit — s'appuyer utilement notre action éducative.
     Non les enfants ne sont pas pires que leurs maîtres. S'ils nous paraissent souvent moqueurs, cruels, impitoyables, c'est aussi que la situation d'infériorité où les met notre autorité les pousse à la défense, et que leurs réactions regrettables sont souvent notre œuvre.
     Supprimons l'oppression. Si nous ne pouvons faire mieux, agissons du moins avec les enfants comme nous le ferions avec des adultes : portons-leur le même respect, et la même indulgence.
     Allons plus loin, si possible : soyons, avec nos élèves, d'une extrême confiance et d'une juste humanité. N'attribuons jamais à leurs fautes ou leurs faiblesses je ne sais quelle perverse malignité, mais plutôt à la nature humaine et souvent aussi à l'influence sociale et familiale. Faisons fréquemment notre mea culpa : cela nous vaudra de grands avantages personnels et pédagogiques.
 
A BAS L'HYPOCRISIE
 
     La confiance engendre la confiance et la sincérité. L'état d'infériorité et de subordination dans lequel au contraire l'école réduit l'enfant ne saurait que pousser celui-ci à la défense de ses droits, de son activité et de sa vie par la désobéissance, la ruse et l'hypocrisie.
Toutes les leçons de morale du monde ne sauraient changer cet état de fait. Il est humain que l'enfant pour lequel jouer et courir sont un besoin organique ait recours à toutes sortes de ruses — et jusqu'au mensonge — pour échapper à la punition menaçante. De là découlent toutes les formes centenaires de l'entraide scolaire clandestine : copie de devoir, secours par gestes, leçons « soufflées », etc... et aussi cette déplorable habitude de voir dans le travail scolaire ou extra-scolaire, non pas l'effort d'enrichissement et de libération des individus, mais seulement quel minimum d'efforts peut soustraire l'élève à la punition ou le faire triompher dans cette émulation immorale qui est la loi de l'école.
     Un seul remède : couper le mal à sa racine, supprimer les causes de cette immoralité et de cette hypocrisie, changer la nature même de cette école !
 
VERS L'ECOLE MORALE DU TRAVAIL
 
     Absorbée par ses besognes de surveillance et de contrôle : distribution de devoirs et de leçons, récitation de leçons, corrections de multiples exercices pour lesquels on n'a pas su mobiliser tout l'intérêt et l'application spontanés des élèves, le temps manque à l'école pour les tâches vivantes et créatrices qui seraient sa raison d'être.
     Nous nous appliquerons davantage à organiser en classe le travail actif des élèves qu'à prévoir un contrôle méfiant et injuste. Nous ferons en tous cas passer ce contrôle au second plan de nos préoccupations, l'essentiel étant pour nous l'organisation de l'activité et de l'effort.
     Le besoin de travail des élèves, leur désir inné de s'élever que nous avons su ménager et utiliser, nous paraissent suffire, dans presque tous les cas, à la préparation d'une discipline nouvelle, humaine et morale.
 
    C'est se répéter que de redire encore que le problème actuel le plus urgent est
 
l'amélioration de nos diverses techniques pour aider les éducateurs à s'intéresser à leur besogne, en même temps que nous contribuerons a donner à la pédagogie populaire des assises plus larges et plus solides, devrions-nous pour cela briser l'horizon étroit d'une pédagogie timide qui redoute, pour elle et le régime qu'elle soutient, toutes les manifestations de la vie.
 
    Et c'est à cet immense travail que s'attellent, pour l'année en cours, tous les adhérents de la C.E.L. auxquels viennent s'ajouter en ce début d'octobre les bonnes volontés qui se sont laissé gagner à la belle cause de l'éducation populaire.
    Voici tout d'abord la première vague d'adhésions :
Jean Mons, instituteur à Saint-Aulaire (Corrèze).
Roger, à Wattignies-L'Arbrisseau (Nord).
Servière, à Marval (Haute-Vienne).
Bertoix, à Saint-Gérand-de-Vaux (Allier).
Estorges, à Sidi-Mabrouk, Constantine (Algérie).
Rosay, dir. école garçons à Thonon-les-Bains (Hte-Savoie).
Allouis, Le Puiset par Janville (E.-et-L.).
L'Anthoën, Saint-Pierre-de-Plesguen (I.-et-V.)
Mme Crapet, directrice, Ostricourt (Nord).
Mlle Bradai, à Gras ( Ardèche).
Com'bot, à Lannéanou (Finistère).
Louis Charra, Le Prat (Haute-Loire).
Desmaris, Comaranche-en-Bugey (Ain).
Delhermet, Sainte-Eugénie-de-Villeneuve (Haute-Loire).
Lagier-Bruno, Saint-Martin-de-Queyrières (Hautes-Alpes)
 
Le « Fichier Scolaire Coopératif » est, pour ainsi dire, l'enfant nouveau de cette année 1929-1930, et c'est sur lui plus spécialement que se pencheront les esprits les plus audacieux comme aussi les meilleures bonnes volontés, car il y a du travail sur la planche.
    Avant le Congrès de Besançon, alors qu'il était encore pour ainsi dire livré à ses propres initiatives, on sentait chez Freinet comme une sorte d'attente. Certes, nous étions persuadés l'un et l'autre, surtout après la longue lettre de Paul Otlet, que là était un aspect les plus nécessaires de l'école sans manuels ; mais manquait encore la pratique qui consacre l'utilité indéniable de la technique.
 
     On s'étonne peut-être, écrivait Freinet en juillet, que nous ne précisions pas avec plus d'application l'usage possible du fichier. C'est qu'il en est de cet outil comme de l'imprimerie : il serait dangereux d'en délimiter par avance l'emploi.
     Seule l'expérience, avec ses erreurs et ses succès, nous montrera la voie véritable.
     Dans notre esprit cependant, le fichier est d'abord un outil de travail en commun : placées dans des classeurs spéciaux, les fiches seront utilisées par les élèves au fur et à mesure des besoins et le plus possible librement. Elles sont destinées à amplifier les travaux nés spontanément de l'intérêt vivant des enfants.
     Voici notamment l'usage que je voudrais en faire dans ma classe (35 élèves de 7 à 14 ans) :
     Le texte choisi ce matin et imprimé est le serpent. Il passionne les élèves qui éprouvent le besoin de se renseigner à ce sujet, de s'instruire. Voyez les innombrables questions qu'ils nous posent. Mais nous n'avons pas le temps de répondre à toutes ; nous n'avons ni la mémoire suffisante, ni la compétence, pour le faire avec talent, nous nous en référerons donc au fichier, et, grâce à un classement pratique, nous isolons immédiatement 10, 20, 30 textes se rapportant aux serpents : littérature ; quelques belles pages de grand écrivain ;
sciences : description à l'aide de gravures de plusieurs variétés de serpents ; géographie : les serpents dans les diverses régions du monde ; histoire : remèdes pratiqués autrefois contre les morsures de serpents, etc...
     Je lirai peut-être à la classe attentive une ou deux de ces lectures parmi les plus passionnantes. Au moment de travail libre, ou à la suite de leur devoir commun, les élèves lisent les fiches qui les intéressent et consignent sur leur cahier d'observations le résultat de leur lecture. Peut-être pourrons-nous même mettre à la disposition des grands élèves des fiches à un sou l'une, qui enrichiront le cahier d'observations, ayant lui-même l'allure d'un fichier personnel.
     Pour les élèves plus jeunes, le travail de documentation se ferait de préférence par groupes.
     On devine quelles formidables possibilités de travail nous vaudrait la réalisation de ce projet. On fait souvent à l'école nouvelle le grief de sacrifier trop complètement l'instruction à l'éducation — et c'est certes un danger à éviter. L'emploi du fichier apporterait certainement dans nos classes — surtout celles à plusieurs cours, — une documentation directement utilisable, dont nous soupçonnons à peine la richesse...
     ...Voir dans ce numéro deux spécimens de fiches, l'une sur papier ordinaire, l'autre sur carton fort. Elles ont malheureusement été pliées pour les besoins de l'expédition. Il va sans dire que les fiches ultérieurement éditées seront soigneusement expédiées.
     Des spécimens de fiches sont mis gratuitement à la disposition des camarades qui en désirent pour recueillir des souscriptions.
 
   Au Congrès de Besançon, les camarades ont donc une idée précise de ce que sont les fiches et du rôle du fichier. De la discussion, de la confrontation fertile des idées diverses, des critiques, des objections, devait sortir tout de suite un travail positif qui s'exprime tout entier dans l'article de Freinet paru en octobre 1929 :
 
     Dès nos premiers articles, l'idée du fichier a enthousiasmé nos camarades. Bien qu'aucune propagande spéciale ne soit venue amplifier celle de notre bulletin, les souscriptions sont arrivées nombreuses : les offres de collaboration aussi. Des dizaines de lettres nous ont apporté des suggestions précieuses qui nous ont permis d'éclairer les débats du Congrès de Besançon qui a pu ainsi prendre les décisions qui s'imposaient.
     Après l'examen des diverses solutions préconisées, le Congrès a décidé :
     1°) que les fiches auraient le format demi-commercial exclusivement ;
     2°) que nous ferions un tirage sur papier ordinaire et un tirage sur carton fort, selon les modèles joints à notre bulletin de juillet ;
     3°) que les prix seraient ceux précédemment fixés : 25 francs pour une série sur papier et 50 francs pour la série sur carton ;
     que nous éditerions, en 1929-1930, une première série de 500 fiches, tout en préparant plusieurs séries pour les années à venir ;
     que nous nous attaquerions de front aux diverses activités scolaires pour bien montrer que nous ne faisons que jeter les bases d'une œuvre imposante, en constant devenir.
     Placé en face de divers projets de classification des fiches, rejetant comme surannée la simple classification par disciplines principales, le Congrès a décidé de grouper les fiches sous les 5 rubriques suivantes :
     1°) (L'activité enfantine : le tout petit enfant, les jeux, l'affection, la maladie, frères et sœurs, les voyages, l'enfance malheureuse, le travail des enfants, etc…
     2°) La nature, les phénomènes physiques et naturels, l'homme les bêtes, les plantes ;
     3°) Gens d'ailleurs et d'autrefois : Histoire, Géographie physique, politique et économique, etc...
     4°) Documents destinés à accompagner les projections cinématographiques, auditions de phonographes, etc...
     Nous pensons ajouter plus tard un chapitre plus spécialement consacré aux reproductions de dessins ou images (diverses pouvant être utilisés dans nos classes (sciences, histoire, géographie, etc...).
     Que les camarades qui trouveraient incomplète cette classification ne s'émeuvent pas. Elle n'a rien d'absolument définitif et est d'abord une classification pour la préparation des séries et l'édition. Les numéros correspondants seront indiqués en haut et à gauche des fiches. (Le coin droit restera libre pour le numérotage spécial, qui pourra se faire aussi par gommettes de couleur, numérotage susceptible de varier selon les classes ou selon les regroupements que permet l'extrême souplesse ¡du fichier. Nous étudierons dans les prochains articles le classement rationnel et pratique de notre fichier. Nous recommandons, pour l'instant, de laisser en blanc le côté droit pour la classification spéciale qui ne s'impose pas encore.
    Pour chacune des rubriques ci-dessus, des équipes Collecteurs de textes ont été désignées par le Congrès. Ce sont :
    I. — Mlle Ballanche, à Francheville-le-Haut (Rhône) ; A. et R. Faure, à Corbelin (Isère) ;
    II. — Mme Boyau, à Camiblanes (Gironde) ; Cazanave, à Chazelles-sur-Lavieu (Loire) ;
    III. — Alziary, à Tourves (Var) ; Jacquet, à Tabanac (Gironde) ;
    IV. — Gauthier, à Solterre (Loiret) ; Mme et M. Pichot, à Lutz- en-Dunois (E.-et-L.) ;
    V. — Boyau, à Camblanes (Gironde) ; Maradène, à Laroque- Gageac (Dordogne).
    Il nous faut, de plus, constituer autour de ces collecteurs responsable des équipes solides et nombreuses de collaborateurs faisant les recherches nécessaires, revoyant les textes retenus par les collecteurs et participant au travail dont l'édition définitive sera l'aboutissement. Nous savons certes que ces équipes se réuniront difficilement. Mais nous nous attaquons à une œuvre, de longue haleine, pour laquelle nous prévoyons des mois de préparation. Une partie de la besogne pourra donc se faire par lettres et circulaires.
    Nous prions donc tous les camarades qui s'intéressent à ce travail de nous faire connaître à quelles équipes ils peuvent collaborer (ils peuvent même se mettre en collaboration directement avec ces équipes). Cherchez des textes pour fiches, collez-les sur une feuille de papier de cahier et en écrivant au recto seulement, et adressez-les directement aux collecteurs désignés, en inscrivant vos nom et adresse au dos des fiches. Celles-ci vous seront retournées si elles ne, sont pas utilisées.
     Nous étudierons plus tard l'organisation des équipes de contrôle.
     Conformément aux décisions du Congrès, nous entreprendrons donc cette année la publication d'une première série de 500 fiches, livrables par tranches de 50 fiches tous les mois, à raison de 10 fiches de chacun des chapitres sus indiqués. Les collecteurs publieront ultérieurement le plan selon lequel seront éditées les 100 fiches de leur ressort.
     Il est certain que ces 500 fiches ne suffiront pas à rendre cette année les services que nous attendons du fichier riche et varié tel que nous le réaliserons l'an prochain. Nous avons pensé cependant que c'est à pied d'œuvre qu'on voit le mieux les possibilités et les difficultés de nos entreprises. Même si nous commettons quelques erreurs, nous aurons ouvert la marche. Nous sommes persuadés que des centaines de camarades se joindront à nous.
     Intensifiez la propagande pour le fichier !
     Demandez-nous des spécimens et recueillez des souscriptions. Nous aboutirons.
 
    Ces lignes font comprendre le sens collectif de cette œuvre immense qui alla s'enrichissant, se modifiant dans son esprit et sa forme, et qui reste l'un des aspects de la plus généreuse et de la plus intellectuelle des collaborations.
    C'est Rousson (Masdieu-Laval, Gard) qui prend la responsabilité générale de la réalisation pratique du Fichier. C'est lui qui reçoit la totalité des textes proposés et qui les répartit ensuite entre les collecteurs. Dans une série d'articles, Freinet expose longuement la classification décimale universelle qui lui paraît la plus conforme aux nécessités actuelles de la documentation.
     Choisir les documents de notre fichier, les éditer et les répandre dans nos classes, est certainement la tâche essentielle. Elle serait incomplète si nous n'utilisions un classement méthodique et simple permettant aux maîtres et aux élèves de trouver instantanément, et d'une façon certaine, parmi les milliers de documents, les fiches désirées...
    A l'aide d'exemples, il fait comprendre l'essentiel de ce qui est concentré actuellement dans la brochure d'Education populaire « Pour tout classer » que Lallemand devait mettre au point, méticuleusement, avec cette patiente sollicitude de bénédictin qui est sa marque. Mais tout d'abord Lallemand n'est pas emballé par la classification décimale. Il propose une classification avec des gommettes de couleurs, plus séduisante pour l'enfant. C'est cette idée que reprend Klass Storni, jeune Hollandais venu à Saint- Paul étudier les techniques C.E.L.
    La première série de cinquante fiches paraît au début de l'année. Elle reçoit un accueil enthousiaste et çà et là quelques critiques sans gravité, visant surtout l'impression trop compacte de certains textes. Des illustrations sont demandées.
    Mais, au point de vue commercial, surgissent les premiers soucis exprimés par Freinet en janvier 1930 et qui se résument ainsi :
 
     Ce qui est onéreux, c'est surtout la composition et la mise en page des textes. Si le tirage est important, les fiches reviennent moins chères, mais on court le risque du stockage, dangereux si la production est insuffisante. Si l'on fait un court tirage, les fiches reviennent évidemment plus cher et le stock est insuffisant. La manutention augmente sérieusement le prix de revient car la classification demande un long travail...
 
    En fait, le Fichier scolaire ne fut jamais une excellente affaire commerciale, et son édition, immanquablement, devait handicaper la situation commerciale de la C.E.L. tout au long des années qui suivent.
    Mais si puissant est l'avenir pédagogique de cette entreprise, que jamais l'on ne s'attardera trop aux graves risques de sa rentabilité, et c'est toujours sans hésitation que Freinet encourut les dures responsabilités financières qui compliquèrent tellement notre vie.
    A l'épreuve, c'est la classification décimale qui l'emporte, car, outre qu'elle est la plus pratique, elle a l'avantage de relier le F.S.C. à la vaste documentation internationale.
    L'un des écueils du Fichier est l'amoncellement de documents plus ou moins authentiques ou significatifs. Il est donc indispensable d'avoir l'opinion de compétences suffisamment initiées et documentées pour aider les collecteurs à faire un tri judicieux. C'est ainsi que Freinet entre en relations avec Carlier qui restera l'aide avisé dont l'immense documentation nous mettra à l'abri des erreurs historiques, et du document mal choisi. Carlier est le créateur de l'« Office de Documentation Historique et Archéologique », qui possède à l'époque 80.000 documents plus spécialement consacrés à l'Histoire sous sa conception la plus large (archéologie, folklore, géographie humaine, histoire des arts, des lettres, des sciences, de l'industrie, des doctrines, des religions, etc...).
    Malheureusement, la propagande en faveur du F.S.C. fut toujours nettement insuffisante : la majorité des instituteurs n'ont point encore su moderniser suffisamment leur classe, s'intégrer à cet esprit nouveau de mobilité et d'universalité pour comprendre que la fiche est l'élément idéal d'une documentation reliée au grand savoir du monde. Au début du lancement du Fichier, les souscriptions arrivèrent avec une lenteur désespérante, et, faute de rentrées de fonds, il ne fut possible d'éditer que 112 fiches, chiffre beaucoup trop insuffisant pour une réalisation qui s'avérait nécessaire.
    Et pourtant, quelles complications inimaginables cette édition minime devait apporter à notre existence dans la vieille école de Saint-Paul !
    L'édition des fiches fut faite dans les Hautes-Alpes. De volumineux colis arrivaient mois après mois à la petite gare des trams. Il fallait trouver un charreton pour convoyer la marchandise. Les enfants s'y attelaient joyeusement et tiraient de toutes leurs forces dans les ruelles casse-cou où chaque fois l'on risquait l'accident. Bien entendu, Freinet devait être toujours présent aux transports et tirer lui aussi sur les brancards ou pousser à la roue quand elle menaçait de céder à la sollicitation de la pente. Le plus compliqué était encore le déballage de la précieuse marchandise : les galetas étaient bondés par le matériel en dépôt, et il fallut s'arranger sur les escaliers, heureusement très larges, qui conduisaient à la soupente éclairée par le vitrage de la toiture. La classification des fiches était une corvée terrible. Nous avions à ce moment-là à la maison une cousine venue pour m'aider au ménage et aux soins à donner à notre bébé. Elle me donnait de temps en temps la main pour faire les colis et nous nous arrangions l'une et l'autre pour que toujours tout le travail de la coopé soit à jour.
    Terrible travail que la classification des fiches ! Pendant des heures, il faut tourner autour d'une table, saisir prestement au passage, d'un geste d'automate précis, une fiche sur chaque paquet, former ainsi, fiche à fiche,  les séries, — et c'est autour de soi un empilement inouï de petits paquets divers qu'il faudra un à un rattacher à une même famille décimale...
    La salle à manger, les couloirs, les escaliers, donnaient l'impression d'une papeterie en déménagement. En décembre, les cinquante premières fiches furent classées, empaquetées, livrées, et on pensa avec terreur aux cinquante nouvelles qui allaient venir d'un jour à l'autre compliquer de façon inquiétante la situation de nos locaux exigus.
 
     Nous sommes enthousiastes et certains d'aboutir, disait Freinet, Le Fichier Scolaire Coopératif sera votre œuvre et une belle œuvre.
 
    Pour nous, c'était comme l'incarnation d'un mauvais esprit exigeant qui menaçait, jour après jour, de dévorer notre bon vouloir.
    Fin janvier, quand les fiches débordèrent jusque sur le balcon, il fallut bien se soucier de trouver un local pour les abriter. On dénicha dans la ruelle qui monte vers l'école, une maison abandonnée qui nous fut louée pour pas grand chose et que Klaas Storm se mit en devoir d'installer. On peut dire que c'est grâce à Klaas que la C.E.L. put faire face à cette grande entreprise du fichier et qu'elle put continuer cette ascension progressive qui allait s'accentuant à chaque mois.
    Klaas installa lui-même les innombrables étagères du nouveau local, où les séries, méthodiquement, prenaient place. Peu à peu la maison retrouva son « espace vital », et une atmosphère supportable. Nous nous contentions d'aller donner un bon coup de main au moment de la classification qu'une organisation mieux comprise rendait tout de même moins pénible. Mais tout au long des années, j'ai dû toujours me considérer comme la responsable de cet exercice de classement auquel nous avons associé toutes les bonnes volontés possibles y compris celles de nos enfants de l'école Freinet, pour les lasser toutes, une à une... Je resterai, moi, fidèle au Fichier, mais par simple devoir cornélien...
    Klaas eut à la C.E.L. un nouveau divertissement : la Ronéo. Il fut tout d'abord emballé par cette belle machine neuve qui permettait enfin de tirer la circulaire aux adhérents dans des conditions convenables. Mais par la suite, que de complications avec les réglages, les ressorts, les vis, tout ce qui constitue le refus de la machine à tourner rond !
    Il faut vraiment vivre les épreuves des usagers quotidiens de cet ingrat matériel de base de la C.E.L., de cette installation toujours précaire, pour comprendre de quels actes d'héroïsme silencieux est faite la mise en train d'une entreprise insuffisamment équipée. L'histoire de la C.E.L. c'est aussi ce côté décevant qui brise les élans, ruine la confiance des humbles ouvriers de la manutention.
    Comme toujours, au cours de l'année 1929-1930 se poursuivait l'amélioration des techniques éducatives. Les locaux et le matériel scolaire occupent une bonne partie des rubriques. Le Congrès de Besançon avait d'ailleurs décidé que cette question serait plus spécialement étudiée au cours de l'année et un questionnaire avait été établi :
 
LES LOCAUX SCOLAIRES :
 
     Comment conçoit-on, chez vous, les locaux scolaires à la ville et à la campagne, pour les classes enfantines et maternelles et pour les classes élémentaires (jusqu'à 14 ans ?)
     Architecture, éclairage, aération.
     Installations sanitaires et de propreté.
     Dépendances : ateliers de travail libre, de travail manuel, salle de fêtes, etc...
     Les jardins, la cour, les terrains de jeux.
 
LE MATERIEL SCOLAIRE :
     Pupitres et bancs : Quelles sont les dispositions prises ou à prendre pour qu'ils répondent à ces besoins de l'éducation nouvelle : confort, adaptation à la taille des élèves et aux divers travaux scolaires (écriture, travail manuel, travail par groupe, travail libre, etc...) légèreté, maniabilité, modicité du prix de revient.
     Pupitres et bancs transportables pour classes en plein air.
     Matériel d'exposition de travaux et de classement.
     Conception et disposition des étagères, des armoires, des bibliothèques, des tableaux noirs, etc...
     (Fournir si possible des plans, photographies, prospectus de. fabricants, prix, etc...)
     Nous serons heureux de signaler les initiatives des maisons d'éditions spécialisées dans la fabrication du matériel nouveau.
     Nous faire connaître également les opinions de pédagogues, de médecins, d'écrivains. (Donner les références.)
 
   Mais, à vrai dire, il y eut peu d'échos à cet appel. Ce que voit le nouvel adhérent, c'est d'abord l'esprit, l'aspect plus spécialement pédagogique de la rénovation scolaire. Ce n'est que la pratique qui lui fera comprendre la nécessité d'une base technique évoluée. C'est R. Lallemand qui le premier amorce le problème. Dans un article intitulé : « Techniques, matériel didactique et outils manuels », il explique les motivations qui suscitent ces trois aspects du matériel scolaire et en précise l'esprit. « La technique, dit-il est toujours le meilleur « outil » de l'enseignement ; elle constitue en effet l'outil de travail avec lequel l'enfant se livre à une activité complète dans un but concret immédiat ; l'intérêt se confond avec l'activité elle-même... » « ...Le simple matériel didactique ne vise qu'une connaissance à la fois ; il a simplement pour but : apprendre... Les outils manuels permettent la confection d'objets favorables au développement de la vie sociale. » (Juin 30.)
    C'est encore une fois la « presse » qui incite l'invention des camarades : Faure a trouvé en la personne de Billon, mécanicien de Corbelin, père d'un élève, une compréhension vraiment étonnante des exigences d'une véritable presse scolaire. La première presse automatique Billon voit le jour et est lancée sur le marché. De leur côté Alziary et Plan se taillent une renommée de bricoleurs de mérite en perfectionnant la presse Freinet sur laquelle ils adaptent un système de pression dont ils donnent croquis et détails. Passons rapidement sur les petites techniques courantes : fabrication de clichés métal (Plan, Var - Benoît, Lozère), reliures, etc... pour en venir à deux techniques nouvelles : le « nardigraphe » et les « disques ».
    Plan et Alziary avaient été pendant un certain temps responsables des couvertures de la Gerbe. Ils avaient donc cherché des embellissements, des procédés de reproduction à grand tirage, et tout naturellement ils avaient fait connaissance avec le « Nardigraphe », appareil de reproduction par sensibilisation d'une plaque de verre, fabriqué à Toulon par Nardi. Longuement, Plan en décrit le maniement, en montre les avantages dans un article intitulé « A côté de l'imprimerie » et c'est la mise en vente désormais de cet appareil nouveau, moins cher que l'imprimerie et que peuvent acheter les écoles pauvres qui, ainsi, vont peu à peu s'intégrer au mouvement en attendant d'acheter l'outil idéal : l'imprimerie.
    Freinet qui ignore tout de la musique et ne sait pas chanter a toujours déploré beaucoup cette insuffisance qui le mit dans l'impossibilité de susciter chez ses élèves les joies de la musique et du chant, spontanées et naturelles chez l'homme, autant que la parole et le geste. Les auditions de T.S.F. lui apparaissent pour les enfants, et pour lui-même, assez compliquées, touffues, et surtout non adaptées à l'enseignement et aux programmes scolaires et, qui plus est, les émissions de radio sont fugitives et ne permettent pas la répétition indispensable pour apprendre des chants intéressants.
 
     ...Le disque, au contraire, est patient ; le même morceau, le même passage, peuvent être repris un nombre indéfini de fois, démontrés, analysés. Il existe par ailleurs, dès maintenant, en Allemagne, un choix considérable de disques destinés à l'enseignement. Les plus récents ont été enregistrés électriquement et atteignent presque à la perfection. Ici, ni bruits parasites, ni interruptions intempestives : mieux stylé et plus complaisant, le phonographe se prête à infiniment plus d'applications que le poste de T.S.F.
 
    A Saint-Paul, par l'intermédiaire d'un ami, Freinet se procure quantité de ces petits disques bon marché, enregistrés dans des écoles allemandes et qui, bien qu'incompréhensibles aux enfants, font leur joie... Il achète donc un phonographe, et écrit à Poulaille qu'il connaît depuis Bar- sur-Loup. Avec empressement, Poulaille se met à sa disposition et rédige lui-même un long article pour la revue :
 
LE DISQUE A L'ECOLE
 
     Trop peu d'instituteurs ont compris quel outil de travail merveilleux leur serait le phono s'ils le voulaient implanter à l'Ecole. Pas plus que le Pathé-Bafcy, le Pathé-Eural ou le Photoscope, le phono ne serait un jouet entre les mains du maître, et l'élève apprendrait que le disque n'est pas (comme chez lui cela existe trop souvent) un prétexte à gigoter. Il comprendrait qu'il est une fenêtre ouverte sur le monde, un moyen de connaissance, un guide. Grâce au phono dans la classe, que de leçons fatigantes pour le professeur et les gamins qu'il a pour tâche d'éduquer deviendraient moins lassantes et plus profitables parce que récréatives. Leçons d'histoire naturelle (chants d'oiseaux, cris d'animaux, bruits de vent, pluie, orage, etc...) ; leçons de géographie, documentation par le disque (musique chinoise, chant russe, créole, maoris, arabe, suisse, allemand, etc...) ; leçons de musique (études de thèmes musicaux, exemples d'œuvres, etc...). Pour le chant tout est à faire, car à part quelques rondes enfantines mises à la portée de l'enfant... la plupart des chants qui pourraient servir sont dits avec tant de cabotinage qu'il est impossible de ne pas les rejeter, — disques de diction pour les leçons littéraires et de récitation, etc...
 
    Tout de suite c'est le démarrage de la discothèque pour laquelle Poulaille donne un catalogue de début comprenant des disques de bruits, d'atmosphère, des chants d'oiseaux, de la gymnastique, des fables, dictions, chants, vieilles chansons, enseignement... Tout cela spécialement choisi par Poulaille.
    La « Discothèque », créée en esprit, verra le jour dans les mois à venir.
    Freinet avait dit : une seule technique peut modifier tout à coup toute la conception pédagogique et son orientation. L'Imprimerie est de ces techniques-là. Il était sûr lui- même de la vérité de cette affirmation, mais ses adhérents n'en étaient pas tout d'abord convaincus. Pour la plupart, ils essayaient de ne pas rompre avec les pratiques scolaires qu'ils employaient jusqu'ici et c'est trop souvent l'« ancien », pour certaines écoles, qui dominait le « nouveau ». Ce n'était d'ailleurs là qu'une attitude de début, car peu à peu ils se laissaient emporter par le dynamisme que les outils nouveaux imposaient à la classe et la nouveauté surgissait toute seule.
    Pendant cette année 29-30, cet état de choses se manifeste plus spécialement pour l'enseignement de la « Géographie ». Granier (Isère), Rossat-Mignot (Haute-Savoie), Guillard (Isère) font une série de rapports fort intéressants au point de vue de l'enseignement de la géographie, et Granier, surtout, à la faveur des conférences pédagogiques où cette question est au programme, développe longuement son point de vue et situe sa technique personnelle :
 
     Je prends résolument pour base la géographie locale.
     Dans leur journal, nos petits correspondants ont écrit qu'ils désiraient connaître notre région. Nous l'étudions donc pour mieux la leur dépeindre.
     ...D'autant plus qu'à la fierté (bien naturelle) d'étudier son pays pour le présenter ensuite à des étrangers va se mêler l'attrait des promenades.
     Nous grimpons les coteaux, nous parcourons la campagne, nous causons de choses que nous avons sous les yeux et sur lesquelles chacun à quelque histoire à raconter. Quelle joie pour tous î
     Nous prenons des notes, et, de retour en classe, le compte rendu de la promenade est composé librement, soit individuellement, soit par groupes. Le compte rendu : pour le maître, c'est le résumé de la leçon ; mais pour les élèves : c'est une « lettre » à des camarades lointains.
     Ainsi c'est sans contrainte et je peux dire d'une commune volonté, que nous étudions la géographie locale et les notions de géographie générale.
 
    Et progressivement, suivant l'intérêt des enfants, voici à quelles grandes classifications aboutit la libre observation :
    1. - Le relief local (comment il s'est formé ; influence du relief sur la faune, la flore, la vie humaine).
    2. - Hydrographie locale (travail des eaux ; l'eau dans la nature).
    3. - Le Plan cadastral, la carte d'Etat-Major (tracés simples sur terrains ; lecture de la carte d'Etat-Major ; cartes murales ; sphère terrestre).
    4. - L'érosion (glaciaire, fluviale ; nivellement ; soi végétal).
    5. - Le sol local (terrains ; roches, influence du sol, du sous-sol sous les végétaux).
    6. - Mouvements apparents du soleil, les astres (mouvements de la terre ; jour, nuit, années, saisons ; exposition, etc.).
    7. - Le climat local ( obs. météorologiques ; climat et latitude, longitude, mer, altitude, exposition ; influence du climat sur la vie végétale, .animale, humaine).
    8. - Les richesses du pays (leur rapport avec les conditions géographiques locales).
    Et grâce à la correspondance scolaire, c'est en même temps, et vue sous les mêmes aspects, l'étude de la Haute-Provence, dont l'école de Valensole (Basses-Alpes) fournit les éléments de base. Pendant des pages, Granier précise les détails, les caractéristiques d'un enseignement vraiment enthousiasmant de la géographie, sans oublier l'apport du film géographique, de la photoscopie, et, bien entendu, des premiers éléments du Fichier scolaire. On comprend combien de telles précisions sont intéressantes pour les camarades qui ont à résoudre les mêmes problèmes et l'on comprend aussi comment, assez tôt, se dessinent des groupes de travail spécialisés pour telle ou telle discipline d'enseignement. C'est ainsi que certains s'attachent à l'histoire, au calcul, à la grammaire, et d'autres à la connaissance de l'enfant. A. et R. Faure sont de ces derniers. Le texte libre leur découvre vraiment l'âme de leurs élèves et le ressentiment sur eux des conditions familiales et sociales. Ils s'attachent à étudier des cas, longuement, patiemment, et c'est ainsi une série de documents d'une valeur humaine insoupçonnable. Ces soucis de recherche générale, de connaissance des élèves, d'atmosphère humaine et intelligente, Freinet les résume sous une forme de bon sens et d'exigeante humanité qui est son rationalisme à lui. A ce titre, son leader de Juin 1930 vaut la peine d'être cité tout entier, car il porte en genèse toute la pensée pédagogique de Freinet que concrétiseront, quinze ans plus tard, ses ouvrages l'Education du Travail et Essai de psychologie sensible.
 
     Nous nous sommes tellement appliqués cette année au perfectionnement matériel et pédagogique de notre technique, que nous en avons négligé presque complètement l'étude de l'aspect pour ainsi dire psychologique et philosophique de l'Imprimerie à l'Ecole.
     Nous aurions voulu commencer un examen sérieux et méthodique des centaines de journaux scolaires que nous recevions et qui constituent des documents uniques dans la pédagogie mondiale. Les nécessités matérielles ne l'ont pas permis. Nous avons préféré nous consacrer aux tâches que nous considérons comme essentielles : la mise au point du matériel de documentation et le perfectionnement pédagogique de notre technique.
     Nous voudrions seulement marquer ici que nous ne perdons pas de vue l'importance psychologique et pédagogique de notre activité nouvelle ni les perspectives immenses qui s'ouvrent devant nous.
     Nous ne reviendrons pas sur les avantages scolaires — non négligeables cependant — de l'Imprimerie à l'Ecole : entrain au travail, activité physique et intellectuelle, acquisition de l'orthographe, apprentissage non plus théorique mais pratique de la composition et de la lecture, exercice du goût, éveil d'une saine et utile curiosité, etc. Nous voudrions remonter plus haut, à l'élément psychique et psychologique que nous avons réussi à effectuer et qui influence véritablement, d'une façon parfois décisive, l'éducation de nos enfants.
 
HARMONIE DE LA VIE, UNITE ET LOGIQUE DU TRAVAIL
 
     Notre civilisation, si tragiquement destructrice de personnalités, a, sur les individus, une action de désintégration constante. L'activité individuelle et sociale y est rarement en harmonie avec les besoins ou les capacités des travailleurs. Il n'y a pas conjugaison d'efforts tendant à améliorer l'homme tant dans son travail que dans sa vie intellectuelle et morale. Au contraire, l'action des forces sociales se juxtapose aux individus, agissant du dehors, sans jamais les faire vibrer profondément et intimement. L'orientation mercantile de la littérature et du cinéma montre notamment combien se creuse chaque jour davantage le fossé entre l'activité individuelle d'une part, et les rudiments d'éducation qui sont offerts aux travailleurs — entre le travail et les forces diverses qui devraient apprendre à vivre et à penser et ne savent bientôt plus que distraire, c'est-à-dire véritablement tirer l'esprit hors de l'action féconde.
     Le mal est encore plus grand en ce qui concerne l'éducation et la vie des enfants en régime capitaliste. Dans l'immense majorité des cas, l'enfant est contraint d'avoir deux vies, si ce, n'est trois même : la vie véritable et complète dans la rue ou aux champs, avec la nature même, la première et véritable éducatrice ; la vie dans la famille où l'autorité du père censure souvent et réfrène à l'excès toutes les manifestations d'activité ; et enfin, la vie à l'Ecole.
     Nous n'exagérons pas : s'il n'y avait pas les récréations, s'il n'y avait, même sous l'autorité des maîtres les plus jaloux de leur domination, possibilité d'échapper aux prescriptions d'une pédagogie ridiculement prétentieuse, il y aurait divorce complet entre L'Ecole et la Vie.
     Et qu'on ne proteste pas que la pédagogie, que les manuels et les livres ont fait de grands progrès au cours de ce siècle. Oui, éducateurs, méthodes et manuels essayent d'aller chercher dans la vie des enfants des sujets d'intérêt, des appâts pour les besognes rebutantes auxquelles l'école croit qu'il est nécessaire d'astreindre les élèves tout au long du jour.
     On a pensé qu'il était possible, qu'il était facile d'escamoter l'attention de l'enfant en flattant passagèrement ses désirs, en établissant un pont fragile et éphémère entre l'Ecole, et la Vie. Mais on ne pouvait obtenir ainsi que cette attention de deuxième zone dont parle Dewey, sans résoudre jamais la question essentielle de l'harmonisation de la vie et de l'éducation.
     L'Ecole ne doit pas aller chercher dans la vie les éléments de sa justification : c'est là affirmer sa tare originelle, savoir : qu'elle ne permet pas à l'enfant de vivre et de s'élever en son sein. Elle doit prendre les enfants tels qu'ils sont, partir de leurs besoins, de leurs intérêts véritables, — même s'ils sont parfois en contradiction avec les habitudes sociales ou les idées des éducateurs — mettre à leur disposition les techniques appropriées et les outils adaptés à ces techniques, afin de laisser librement s'amplifier, s'élargir, s'approfondir et se préciser la vie dans toute son intégrité et son originalité.
     Qu'une telle pédagogie soit possible et pratiquement réalisable, l'expérience nous en a absolument persuadé. Si nous n'avons pu, au cours de l'année, développer avec assez de précision les possibilités nouvelles de travail, du moins sommes-nous heureux de voir nos camarades se joindre de plus en plus nombreux à nous et aiguiller leur activité vers cette éducation libératrice qui ne sera d'ailleurs effectivement réalisée que le jour où, dans une société libératrice, nous aurons mis au point le matériel de travail nécessaire.
     La place importante accordée au jeu nous paraît être à elle seule la preuve éclatante de l'impuissance de la pédagogie actuelle.
     Nous ne saurions certes nous élever contre le jeu, besoin organique des enfants, mais nous pensons que se résoudre à employer le jeu à l'école comme procédé pédagogique d'acquisition, c'est tout simplement affirmer qu'on n'a pas su donner au travail joyeux et voulu la place qu'il mérite. Lorsque le travail est non plus une obligation servile, mais une libération, il cesse d'être une fatigue psychique, et il est monstrueux de le vouloir remplacer par un jeu...
     Désormais, les enfants que nous élevons sentent dans leur vie une implacable unité. La rue, le champ, seront aux portes de l'école et l'école continuera l'éducation si étonnamment commencée. Bien mieux en enrichissant l'individu, en lui donnant de nouvelles possibilités d'activités, l'école embellira et élèvera la vie des champs, de l'usine et de la rue. Ce sera tout à la fois une intégration précieuse et l'assurance que l'Ecole sera définitivement assise sur quelque chose d'inébranlable.
 
UNITE ET HARMONIE DANS LE TRAVAIL AUSSI
    
A l'activité libre et empiriquement motivée de l'enfant non soumis aux éducateurs, l'Ecole substituait une gymnastique spéciale, toute cérébrale, imposée d'ailleurs par un appareil implacablement autoritaire et oppressif. En tout cas, non seulement la vie, mais les techniques de travail scolaires, étaient en constante opposition avec celles du jeu ou de l'activité familiale.
     Or on n'ignore pas la vaine fatigue qui résulte de l'obligation où l'on est de, faire un travail contraire à nos habitudes, selon des rythmes et des procédés différents. « Le divorce entre le travail et la vie des hommes est un des grands drames de notre époque. », dit Wells. Et ce divorce était certainement une des causes dominantes de l'impuissance de l'école traditionnelle.
     Nous avons réalisé dans une large mesure l'unité souhaitable.
     L'enfant écrit comme il raconte une histoire à un camarade, comme le pâtre chante en ramenant ses bêtes au crépuscule. Il apprend à lire comme il apprend à parler, parce que nous avons fait de ce travail une nécessité organique de notre activité scolaire. Les disciplines d'instruction elles-mêmes, débarrassées de toute coercition, s'acquittèrent par la seule et naturelle satisfaction de la saine curiosité que nous avons su ménager, de ce besoin inné chez l'enfant de connaître, de voir, de chercher, pour enrichir sans cesse sa personnalité.
     Une telle harmonisation du travail et de la vie devait avoir une importance considérable pour le développement psychologique et psychique des enfants. Et, effectivement, tous les instituteurs qui ont employé notre technique ont noté un précieux épanouissement de la vie dans leur classe, qui va de pair avec l'accroissement du sens social et moral, bref avec la véritable éducation.
     Et nous ne manquons pas de noter combien l'éducateur bénéficie largement de cette régénération. Il cesse d'être le fonctionnaire commis à une besogne spéciale de bourrage scolaire pour devenir tout à la fois l'excitateur et le régulateur de la vie. Il va, au milieu des enfants ses amis, parlant et riant comme eux. Des cinquantaines d'attestations pourraient, outre notre propre expérience, montrer à quel point le travail à l'Imprimerie est, pour l'éducateur, une re-vivification.
     Nous aurions voulu redire avec précision l'aide que notre technique apporte pour la connaissance des élèves, — sujet plusieurs fois effleuré dans cette revue et qui mériterait plus que quelques rapides articles. Il suffit d'ailleurs de feuilleter nos journaux scolaires — et nous en avons à ce jour une importante collection de plus de deux cents titres, — pour sentir qu'une époque est révolue. Ce n'est plus la prose officielle, adulte ni pédagogique, c'est l'âme de l'enfant, c'est tout un charme neuf, confiant et intrépide, qui s'impose à nous. Les éducateurs apprennent enfin à parler, à comprendre et à aimer la langue de l'enfant. C'est pour nous le plus heureux signe que nous sommes sur le seuil d'une nouvelle pédagogie, la seule digne de ce nom, sur le seuil d'une pédagogie libératrice.
 
    Cette compréhension sensible de l'enfant, dispensée seulement, en profondeur, à l'humilité de l'adulte, une institutrice en magnifiait la réalité : Marie-Louise Lagier- Bruno, ma sœur, institutrice à Prelles (Hautes-Alpes). Dans sa classe, chaque phrase d'enfant prononcée, chaque geste ébauché, sont un commencement. Tout naturellement surgissent les êtres et les choses transposés dans ce domaine fait d'images définitives ; ainsi sont nés ces petits chefs-d'œuvre qui restent la gloire de nos Enfantines : « Le petit garçon dans la montagne », « François le petit berger », « Le Tienne » et « Le petit chat ». Ce petit chat souffreteux qu'une main brutale a jeté à la rivière, c'est image après image, l'enrichissement naturel de toute la pitié du monde. L'on ne cesse d'en être en émoi, à cet émouvant lieu de rencontre où la pensée de la Maîtresse se joint à celle de l'enfant. Elle est là, au milieu d'eux, prête à saisir l'envers ou l'endroit des choses dites, l'étroitesse du détail ou l'ampleur vaste du rêve. Et c'est parce que les enfants sont ainsi dépouillés et libres, qu'elle devient, à leur contact, impersonnelle et simple, toute engagée dans les douces servitudes du troupeau. Cette alternance de lumière qu'elle répand autour d'elle comme le regard d'une lampe, et de la pénombre où elle se tient en attente, c'est le legs qu'elle nous a laissé. Après elle, nous rechercherons, de ce côté de l'écran que la Mort abaissa devant l'immensité du vide, la part du Maître et la part de l'Enfant.
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    En Décembre 1929, une exposition internationale a lieu à Liège. Par circulaire, le Ministre de l'Education Nationale demande aux Inspecteurs d'Académie de faire connaître les initiatives, les réalisations des écoles publiques, pour le bon renom de la pédagogie française. Freinet fait régulièrement à ses chefs hiérarchiques le service de ses revues et de son journal scolaire. Mais Saint-Paul de Vence est certainement inconnu de l'Académie. Freinet, secrétaire syndical, n'apprend l'existence de la circulaire ministérielle qu'après la fin du Congrès de Liège... Tant dans le Bulletin syndical que dans l'Imprimerie à l'Ecole, il proteste alors avec l'énergie impatiente de celui qui se tient dans l'attente d'offrir ses richesses au monde.
    Les contretemps fâcheux n'empêchent pas le mouvement de l'Imprimerie à l'Ecole de se développer ; déjà il gagne quelques Ecoles Normales (Allier, Pyrénées-Orientales, Vosges) et à l'Etranger après la Belgique, la Suisse, l'Allemagne ; un groupe est créé au Portugal sous l'action vigilante de Lemos qui vient de traduire l'Imprimerie à l'Ecole.
    En France, nos adhérents commencent çà et là des démonstrations à Perpignan, à Prats-de-Mollo ; Combot fait une causerie publique avec le concours du groupe de la Nouvelle Education sur le thème : « Apprentissage de la lecture par l'Imprimerie à l'Ecole », et qui obtient un réel succès. A Pâques, lors de l'assemblée générale des Syndicats de l'Enseignement Drôme-Ardèche, Boissel fait de même une exposition à La Voulte ; à Nîmes, c'est Rousson qui parle et expose. Démonstrations aussi dans l'Allier, la Loire, l'Isère, les Vosges. Pichot assiste au Congrès de la Nouvelle Education à Pau et dans le compte rendu qu'il en fait ressortent ces différences de classe qui séparent l'école publique des écoles expérimentales plus favorisées financièrement parlant.
 
CONGRÈS DE MARSEILLE
(1930)
 
    Le Congrès de l'Imprimerie à l'Ecole se tient à Marseille les 2 et 3 Août 1930. Il ressemble à tous les Congrès C.E.L. : l'enthousiasme n'y manque pas, le travail est passionnant, mais l'édition du Fichier y pose un grave problème financier. Les souscriptions n'ont pas été suffisantes : elles ne s'élèvent qu'à 15.000 francs et il en faut 40.000 pour payer l'édition prévue... Nous avions, nous, dans des conditions particulièrement pénibles, couru le risque de dettes qui nous donnaient de graves inquiétudes. Je n'avais pas été nommée à Saint-Paul au cours de cette deuxième année et les postes voisins m'avaient été refusés. « Pensez à renouveler vos abonnements avant Octobre », écrivait Freinet fin juillet, « vous savez que le démarrage est toujours pénible et personnellement je ne puis aller au- delà des sacrifices consentis. »