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La Méthode naturelle d'anglais : Do you speak Freinet ? (2)

Après les débuts fructueux en méthode naturelle d’anglais publiés dans le précédent numéro de Coopération Pédagogique, nous avons reçu des commentaires de Paul Le Bohec qui avait lu notre texte. Ces échos nous ont donné envie de revoir le dispositif. Dans cette classe où beaucoup d’enfants ont des trajectoires à réparer, il nous a semblé opportun de leur offrir, en même temps qu’une nouvelle langue, un rapport quotidien qui leur permette de s’engager, de s’impliquer en anglais. Il s’agit de penser de plus en plus en anglais, par une pratique quotidienne et familière ; on favorise ainsi l’apprentissage de la langue par la pensée, et le « tâtonnement de l’inconscient » (P. Le Bohec).

En décembre 2006 je modifie l’emploi du temps, afin d’y insérer une pratique quotidienne de l’anglais, ¼ d’heure avant la récréation du matin (et non plus une fois par semaine) :
 
Séance 1 :    - créations écrites individuelles au brouillon (consigne : texte libre in English)
- corrections individuelles et copie dans le cahier
- lecture rapide oralement des créations individuelles : lecture magistrale puis ensemble de la classe (You repeat after me.)
 
Séance 2 :    - choix d’un texte (ou de plusieurs) et mise au point collective au tableau : l’auteur se tient devant la classe et répond aux questions ; la mise au point implique une «chasse aux groupèmes»[1]
- copie dans le cahie du texte du jour ; pendant ce temps, je réalise l’affiche du jour signée, collée au mur (et saisie à l’ordinateur au fur et à mesure, et impression régulière des textes collectifs qui servent de référence.)
 
À partir de propositions d’élèves, nous avons ainsi exploré les listes descriptives (In my vet clinic there is, in my school there is), les devinettes (Riddles) qui permettent aussi d’explorer la description (My animal has four legs, four hooves, is black and white, and lives in Africa… What’s my animal ? It’s a zebra !), et les combinaisons cocasses ( My cow says meow meow).
Je développe avec eux une de leur création écrite, pour leur permettre ensuite de l’explorer. Le choix d’un texte sert de matrice aux autres. Je saisis une idée au vol, ou une erreur (My cat is a bird.), que je soumets à leur étonnement ; il ne leur faut pas longtemps pour saisir la proposition et s’en emparer, me transformer en éléphant…la dame de cantine devient un chien, les interdits tombent, et l’enthousiasme gagne la classe au même titre et au même rythme que l’humour. Une séance se déroule sur deux jours : le premier, ils explorent, le deuxième, on met au point un texte ensemble au tableau ; parfois, il leur faut longuement explorer et faire fonctionner une structure. Par exemple celle de la devinette aura fait long feu, elle s’éteint à grand peine. Par ailleurs certains textes donnent lieu à un prolongement en peinture : par exemple, les combinaisons cocasses nous donnent l’idée de peindre des chimères.
Dans le travail du texte, nous nous référons aux productions antérieures de manière explicite : «Tiens, c’est comme dans le texte de Mélissa…», et j’enrichis du mieux que je peux : par exemple la structure possessive my cat devient her cat, et puis Caroline’s cat
J’ai souvent besoin du dictionnaire, le Harrap’s débutant ne me suffit plus, j’ai dû passer au Harrap’s adulte, j’utilise aussi un vocabulaire classé par thème[2]. Ils aiment la précision et les mots compliqués ne leur font pas peur : ils aiment que la pie se dise magpie, l’hirondelle swallow, et le hérisson hedgehog, ils le mémorisent et le réutilisent !
Je m’étonne de ce qu’ils utilisent volontiers les textes affichés ou imprimés, et rarement leurs textes manuscrits, pourtant systématiquement corrigés et proprement recopiés dans leur cahier.
 
Au cours de ce trimestre, je leur ai proposé deux moments différents, sans les avoir anticipés, parce que j’ai senti le moment favorable :
  • deux chants, The alphabet song [3] (pratique pour épeler !) apprise ensemble en ¼ d’heure : il n’y avait aucune difficulté de prononciation… ça accélère l’apprentissage ! et Head and shoulders[4] (appris l’an dernier).
  • la lecture d’albums en anglais (de toutes sortes, des faciles, des pop-up books[5], des contes classiques…) Ils ont emporté chacun un livre chez eux, avec consigne de le lire. Ensuite je leur ai lu « le petit chaperon rouge », dont les formules rituelles ont été reconnues sans difficulté, et d’autres  pop-up books que j’apprécie (Haunted house et Monster Island). Par la suite, ils sont allés les rechercher pour retrouver des groupèmes, par exemple « a basket of cakes », le panier de gâteaux. Et je continue de leur lire parfois un livre (récemment, Funny Bones, en français « les Bizardos »).
 
Le fait de parler couramment anglais me paraît très utile :
·         pour avoir le répondant nécessaire à leurs incessants progrès, questions, explorations, découvertes ;
·         pour être plus à l’écoute : en ce moment, je donnerais cher pour être parfaitement bilingue, parce que les questions de langue me préoccupent et diminuent mon écoute. Je sacrifie parfois à l’exactitude linguistique pour maintenir mon attention aux événements affectifs, quitte à me précipiter pour trouver la solution en compulsant une grammaire anglaise pendant la récréation ;
·         toute la séance, détails matériels inclus, doit se dérouler en anglais, sous peine de perdre « la vie » qui fait la qualité propre de la MN (en plus, on utilise les mots prescrits par le programme, le « vocabulaire de la classe »).
Mais, en méthode naturelle, on peut aussi bien dire : « Les enfants, je n’y connais rien, je n’y comprends rien, mais on va essayer d’inventer ensemble ». Dans ce cas, on a besoin de la disponibilité d’un expert. Il m’est arrivé de scolariser des petits anglais qui jouaient ce rôle.
 
Après 3 mois de fonctionnement quotidien, des résultats mesurables :
 La correspondante du journal local, arrivée au moment de la récréation, a cru que j’avais des élèves étrangers, parce que lorsque j’expliquais en anglais à une dernière élève dont je vérifiais le cahier, que le mot éléphant ne prenait pas d’accent en anglais, et bien…elle se corrigeait – pardi, elle comprenait !
Il m’est parfois difficile de les faire sortir à la récréation, tant leur propositions leur tiennent à cœur. Certains exemples ( My mummy is a lion ! Alexis is a cat) confirment l’idée de Paul Le Bohec d’un tâtonnement de l’inconscient. L’anglais fait partie de la vie de la classe, de leur vie, ils le reconnaissent dans les chansons, dans leurs exposés (par exemple, les loopings de l’aigle royal et ses meetings aérien sont bien identifiés comme des mots d’origine anglaise) sils l’explorent dans les ouvrages de vulgarisation, il est soudain proche d’eux. Il aide même à bien vivre un appareil dentaire qui fait l’effet d’un chewing-gum dans la bouche, ce qui améliore notoirement l’accent anglais des petits français!
Ce qui m’étonne le plus, c’est cette familiarité de la langue anglaise, ils la parlent sans vergogne, la comprennent sans erreur : ils se l’approprient sans barrière, sans limite.
 
À ce moment de l’année, une question m’apparaît : une grande partie de leurs textes libres en anglais porte sur le matériau de la langue (notamment les combinaisons cocasses, par exemple : My black and white dragon has got a basket of cakes.) et je note une moins forte implication du vécu personnel, biographique. Peut-être le plaisir de la découverte de la langue prime-t-il sur la nécessité intérieure d’expression (nécessité qu’ils peuvent exprimer chaque matin dans leurs textes libres en français) ? Ou alors le processus d’expression création en anglais n’est pas encore engagé dans cette classe ? Je suis curieuse de savoir ce qui se passe dans vos classes…
 
 
18 mars 2007
Juliette et Nicolas Go, Paul Le Bohec


[1] Les groupèmes sont des groupes de sens tels que « I like surfing » dont on cherche des équivalents, par exemple « I like riding horse ».
[2] Le mot et l’idée, Ophrys, 1991.
[3] A B C D E F GH I J K L M N O P
Q R S T U VW X Y Z
Now I know my ABC
Next time won’t you sing with me…
 
[4]head and shoulders
knees and toes, knees and toes
and eyes and ears and mouth and nose
 
[5] livres animés