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Pierre Mirault - Gravures, sculptures et le musée intérieur

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Juin 2000
 

CréAtions n° 92 - Engagements - mai-juin 2000

Pierre Mirault

 

 

  Pierre Mirault
Gravures, sculptures et le musée intérieur

 


Le travail de Pierre Mirault se comprend comme l’institution d’un « musée intérieur »: refusant toute compromission avec le projet de plaire, l’artiste résiste aux idéologies esthétiques, en pratiquant une sorte d’archéologie dans le vivre indéchiffrable de l’enfance...
 
Mirault dessine sur tout ce qu’il trouve. Il faut dire que l’activité de trouver importe autant à Mirault que celle de dessiner... Arpenter les plages, les chemins de campagne, les collines, ramasser des roches, des bouts de tuile, d’os,  des bouts de bois, des oursins, des moules... Confiance au hasard, et aux occasions. Mais dessiner se dit mal sur certains objets, et il fallut retrouver un geste très ancien, un geste de la vie quotidienne: graver. Lentement, avec la modestie de l’apprenti, sur l’œuf , sur l’os, la tuile, le bois, la pierre... Avec même une roulette de dentiste récemment offerte, qui permet désormais une grande précision dans l’incision des matières : les sillons seront ensuite passés à l’encre. L’artiste se fait l’interprète d’impressions anciennes, préservées en soi, comme archaïques, premières, mémoriales.
 
« Par à-coups, il me vient des impressions d’enfance, notamment des couleurs. Ce n’est pas le résultat d’un travail, encore moins d’une formation. C’est ce qui me reste de « trésors » : le terrain vague, des barbelés rouillés, des os, des bouts de bois que tu glissais dans ta poche, de vieux clous que tu ramenais.. et le rouge de ma première bicyclette ! Mais pour le retrouver, ce rouge, maintenant... Cela va être très difficile de le retrouver, il va falloir que je découpe une toile quelque part. Je goûte les premières fois : la lumière irisée vue dans une flaque, et l’ivoire d’une dent trouvée, je suis porteur de ces premières impressions, de ce non-visible qui s’enfonce dans la chair [...] Ces souvenirs, je ne crois pas que l’on puisse, comme par anticipation, les éduquer. Mais ce qui semble évident, c’est que chacun peut entretenir un rapport vivant à son enfance, qui est un réservoir sensible. Je pense qu’on peut avoir vécu son enfance dans un bidonville, et avoir ces impressions premières à exprimer ».
 
En effet,le poète Yves Bonnefoy raconte avoir vu des enfants de Harlem fascinés par le feu de cagettes qu’ils avaient allumé dans un tonneau, preuve que l’émotion sensible, spirituelle, devant l’énigme des événements de la matière, se manifeste là où toute poésie semble absente... Est-ce que cette fascination n’entrera pas dans le musée intérieur des enfants de Harlem?
 

 
« Chez l’adulte, toutes ces lumières et couleurs remontent de l’enfance, si l’on sait rester vacant...

J’habitais dans un immeuble situé près de l’abattoir, à côté d’un terrain où étaient jetés des ossements d’animaux. La première fois que j’ai vu ce tas de carcasses brisées, ces têtes, ces mâchoires, ces dents... Quelle impression ! J’ai pris des dents, je les ai ramenées, c’était bien mon trésor. Aujourd’hui, si je me rends sur le tas de l’équarrisseur pour recueillir des os, je suis fidèle à une ancienne source d’étonnement, d’émerveillement. Et lorsque j’assemble ces os pour en faire des « sculptures », ce qu’on appelle des objets d’art, je transpose des impressions premières dans ma sensibilité et ma pensée de maintenant ».
 
Mirault dessine et grave aussi des peaux de lapin. Ces peaux sont mortes, évidemment, mais ayant été vivantes elles sont un signe de réalité : les lapins ont été élevés par l’artiste, qui les a tués, les a mangés, a nettoyé leur peau, et prolonge un rapport énigmatique avec la bête... Dessiner sur la peau de ces lapins, ce n’est pas comme peindre sur une toile. Mirault ne délaissera pas dans la colline le cadavre du chat ou de la chèvre: la chèvre sera déterrée, et son crâne connaîtra un destin posthume dans le monde des formes... Certains spectateurs de ces œuvres ont pu dire qu’ils ne mettraient jamais un tas d’os dans leur salon et n’accrocheraient jamais une peau morte à leur mur: mais qui dira ce qu’est une œuvre d’art acceptable? Un jour une certaine police, perplexe devant le Guernica demanderait à Picasso: « C’est vous qui avez fait ça? » Et le peintre répondrait: « non c’est vous ».
 
« Qui prétend qu’un bout d’écorce, un bout de plastique, un caillou ne peuvent nous faire rêver, nous faire penser ? Les enfants s’approprient des objets comme s’ils les avaient fabriqués. Souvent même, et spontanément, ils les assemblent, les exposent. Avec chaque objet, il y a un rapport de sens à instaurer. Un jour, j’avais ramené un bout de ciment à ma mère en lui disant: « Tiens, c’est moi qui l’ai fait ! » Elle m’a répondu: « Arrête de dire des mensonges ! » Un enfant voit les choses, et crée du sens dans son rapport aux choses. Moi j’essaie de renverser tout ce que j’ai appris pour devenir vacant et voir les choses comme si c’était la première fois. Ce que je vais faire avec un objet, cela compte, bien sûr. Mais je mets l’accent sur le choix de l’objet et l’impression qu’il produit en moi... »
 

Technique de collage des coquilles d’œufs (Pierre Mirault)

Garder des coquilles d’ œufs. Lorsque l’on en a suffisamment, badigeonner  le support de colle à bois et coller les morceaux de coquilles en pressant avec les pouces. Les coquilles émiettées épousent la forme du support. Laisser bien sécher. Passer éventuellement ensuite une couleur avec des encres ou un peu de peinture à l’huile. On peut jouer avec les tons, les couleurs. Laisser bien sécher, puis passer de la toile émeri fine pour poncer certaines zones. Enfin vernir pour protéger l’installation.

 

Pierre Mirault, tout d’abord instituteur, puis rééducateur en psychomotricité, fut affecté dès sa sortie de l’Ecole Normale à l’école Freinet de Vence où il passa un an en compagnie de Clem et Maurice Berteloot. Ce séjour le marqua véritablement. Aujourd’hui enseignant à mi-temps, il a ainsi le loisir de pratiquer son art.

Il fit ses premières expositions à la Galerie Chave de Vence comme dessinateur à la plume. La finesse et la précision du travail, la rêverie et l’aventure graphique l’emportaient déjà sur la représentation, comme absorbée de l’intérieur, dans le trait. Depuis quelques années, Mirault abandonne toute production qui comporte un indice idéologique de beauté.

                  

                   

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