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Un épisode de Méthode naturelle d'anglais

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L’épisode qui suit raconte une histoire simple, qui aurait pu arriver n’importe où, n’importe quand. Ce n’est ni une recette, ni un modèle, ni un dispositif programmé. Ce n’est qu’un exemple vécu, raconté pour inviter le lecteur à improviser dans sa classe des histoires comparables.

 
Je suis enseignante en CE2/CM1 dans l’école publique de Pouldreuzic (Finistère). Le jeudi 5 février 2009, vers 15h00, alors que toute la classe était concentrée sur la réalisation de tableaux en mosaïque à l'aide de petits morceaux de papiers colorés collés, Maïlys a décrit le carreau qu'elle s'apprêtait à coller : « Celui-là, il est ‘blue’ ! » ; elle a ensuite ajouté :
- Moi, je connais toutes les couleurs en anglais, sauf le marron et le gris !
- Vas-y, dis-nous un peu ce que tu sais ! (moi)
- Red, pink, green, yellow, orange, purple, black and white ! 
- C’est bien ! Qui est-ce qui sait comment on dit « marron » et « gris » en anglais ? (moi) pas de réponse
- Marron, it’s brown, et gris, it’s grey. (moi)
- Brown, grey, a-t-elle répété.
 
Comme j'étais installée à proximité et que je découpais des bandes de papier à la demande des élèves, j'ai saisi l'occasion pour proposer :
- Essayez pour voir de parler en anglais pendant vingt minutes !
Les élèves étaient en train de travailler par groupes de deux ou de trois, ils devaient tenter d'échanger en anglais. Je ne sais pas exactement ce qu’ils ont fait. Ce que j’ai pu constater, ce sont des sortes de baragouinage, un pseudo anglais. Les enfants qui parlaient entre eux ont eu l'occasion d'éprouver les aspects jubilatoires de l'expression dans une langue inventée, ce qui m'évoque la langue « koupélakabache » qu'avaient inventée les élèves de Paul Le Bohec[1].
 
 Ceux qui venaient me demander des bandes de papier devaient formuler leurs souhaits en anglais à l'aide de la formule que je leur donnais : « I want some (blue), please ! ». Comme la palette de couleurs s'était justement récemment étendue, s'ensuivait une discussion pour déterminer de quelle couleur précise ils avaient besoin. Je les questionnais en anglais, en désignant les couleurs dont je parlais : « Do you want dark blue, or light blue ? » ou encore « Do you want this blue or this blue ? ». Ils répondaient ensuite des phrases du genre : « I want this one ! » ou encore « Dark blue ! ». Suivaient les traditionnelles formules de politesse, « Thank you ! », auxquelles je répondais « You're welcome ! ».
 
À la table où je me trouvais, Lucie voulait demander les ciseaux à son voisin ; elle m'a demandé :
- Comment on dit « ciseaux » en anglais ?
- Scissors !
Elle a alors elle-même composé la phrase en se servant de ce qu’elle venait d’apprendre pour les couleurs : «  I want scissors please Lucien ! ». Ceci me semble une tentative réussie d'apprentissage naturel, comme le ferait un enfant apprenant sa langue maternelle en substituant un mot à un autre dans une phrase.
Maourie, qui aime l’anglais, voulut faire respecter la consigne à ses camarades qui, selon elle, parlaient « petit chinois ». Elle me demande :
- Comment on dit « parle » en anglais ?
- Speak !
- Ah oui, c’est ce que tu dis toujours en sport ! puis s’adressant à son groupe : Speak English please !
 
De même, Nell m’a demandé :
- Comment on dit « carré » ?
- Square !
- Ah non, c’est « rectangle » que je voulais te demander !
- Rectangle !
- Et comment on dit « découper » ?
- Cut !
- I want cut rectangle !
- I want to cut rectangles ! Repeat please !
- I want to cut rectangles !
- Oh, you want to cut rectangles ! Why not ?
 
Les expressions régulièrement utilisées en EPS, telles « Take it ! », « Be quiet ! », etc., ont trouvé là l’occasion d’être réutilisées dans un nouveau contexte (recontextualisées), et certains élèves en ont fait la remarque explicite ; ils s’en sont servi à ma suite. Enfin, les jugements valorisants à propos de leurs mosaïques tels que « It’s beautiful ! That’s excellent ! », etc. ont contribué à l’atmosphère de jubilation.
 
· Quelques remarques
Le plus intéressant de cet épisode est la façon simple et naturelle dont il s’est élaboré : la première proposition venait d'un enfant, et il a été vécu comme un travail dont on avait soi-même fixé les règles, sérieux et drôle. De la même manière que les verbes d'action lors des séances d'EPS, les couleurs sont apparues ici comme un outil d'une puissance nouvelle, puisqu'avec une seule structure de phrase et tous les noms de couleur, ils pouvaient demander n'importe quelle couleur dont ils avaient besoin pour réaliser leur œuvre.
Le meilleur indice de la réussite de tels épisodes, c'est la joie qui se dégage de l'atmosphère générale de la classe, la vivacité des enfants à prendre la parole. Je compte par la suite proposer régulièrement ce travail, déjà familier en pratiques corporelles, lors des séances d'expression (arts visuels, musique, etc.). Il sera l'occasion d'enrichir progressivement les phrases proposées, à commencer par la formulation nuancée « I would like… », et d’explorer toutes les évolutions et les transformations possibles de cette situation initiale, attendu que la classe reste accueillante et attentive à l’imprévu, à l’imagination, à l’insolite.
 
L’intérêt de cet épisode repose vraisemblablement sur plusieurs facteurs :
 
·   il surgit à un moment favorable déterminé par l'écoute du professeur. Depuis le début de l’année, les élèves ont bénéficié d'un bain linguistique lors des séances d'EPS. J'avais l'intention de mettre en place des pratiques de conversations anglaises, mais je n'avais pas encore trouvé l’occasion propice. La semaine précédente, nous avions eu des échanges sur les couleurs en anglais en EPS (en utilisant les formules : « What colour is this ? This is ... It’s …»). J'étais à l'affût de ce genre de remarques de leur part, et je me tenais prête à provoquer des actes de langage. En Méthode Naturelle, l’enfant est auteur, non seulement de ce qui est exprimé, mais aussi de la situation d’expression ; mais ça ne vient pas tout seul : il y a la part du maître, lui aussi auteur des situations de classe. Le maître évite autant le spontanéisme (intervention insuffisante) que de la programmation (intervention excessive).
·   il peut donner lieu à des apprentissages contextualisés, qui sont pour chaque enfant une occasion d'augmenter sa puissance : la prise de parole donne un pouvoir d’action.
·   la proposition est ouverte et la sécurité affective garantie : avec la formule « Essayez pour voir de parler en anglais », on ne peut rien rater, on peut tout essayer.
·   la situation de départ est vivante, c’est un travail de création qui se poursuit dans la classe depuis quatre séances ; le plaisir de réaliser des mosaïques est renforcé par le fait de parler une nouvelle langue.
Dans cette situation, on n’est ni dans une situations artificielle d’apprentissage mécanique de vocabulaire, comme on le faisait autrefois, ni dans une situation d’action simulée et programmée comme on le fait aujourd’hui. On se trouve dans la situation vivante d’une pratique sociale attentive aux créations enfantines et aux processus de désir. C’est une affaire non seulement d’apprentissage de la langue et d’entrée dans une culture, c’est aussi et surtout une affaire de pensée. Une pensée rationnelle, mais aussi une pensée symbolique, chargée d’affectivité, chargée d’inconscient. C’est ce qui donne du prix à la langue : elle se charge elle aussi d’affectivité. L’enfant ne joue pas un rôle, il joue sa vie, il joue son désir, dans un rapport coopératif avec les autres, qui font de même.
 
Voilà ce que nous, enseignants Freinet, voudrions : lorsque l’enfant auteur agit, lorsqu’il parle, il pense. Lorsqu’il agit et parle en anglais, il pense anglais. Pour nous, parler anglais, c’est encore vivre. C’est vivre heureux, et perpétuellement instruit de nouvelles connaissances. Si nous y arrivons au moins un peu, nous serons satisfaits.
Juliette et Nicolas Go (LRC-ICEM et secteur Langues Vivantes)
 


[1] On peut écouter cet extrait sur son site : http://www.amisdefreinet.org/lebohec/ (suivre ‘des enregistrements’, puis ‘MP3’, puis ‘créations discussions’)

 

 

ye, Fa molt temps qu'en t'en

ye,
Fa molt temps qu'en t'en pas mirii.
see you
Philippe A