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Quelques réflexions pour une approche de la pédagogie Freinet dans une bibliothèque-C.D.I. de C.E.S.

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Janvier 1976

 

Quelques réflexions
pour une approche de la pédagogie Freinet
dans une bibliothèque-C.D.I. de C.E.S.
L'année dernière, au mois de mai, j'ai demandé à une cinquantaine d'élèves s'ils voulaient bien me donner par écrit les raisons de leur venue à la Bibliothèque-CDI. Je n'ai pas voulu poser de questions précises pour ne pas influencer leurs réponses et pour que celles-ci soient le plus spontanées possible.
Quatre grands thèmes se sont dégagés :
 
I. JE VIENS
Pour le plaisir de CHOISIR des livres (14)
Pour le plaisir de LIRE (13)                                                                            (73 réponses)
Pour le plaisir de me DOCUMENTER (28)
 
Je propose comme titre à cette première rubrique : POUR UNE LIBRE LECTURE - INFORMATION -RECHERCHE
 
Cinquante -cinq élèves étaient sollicités; or, pour cette première rubrique soixante treize réponses ont été obtenues. Certains ont donc mentionné plusieurs fois l'importance qu'ils accordent à ce qu'ils "trouvent" en Bibliothèque. Le support de leur venue, ce sont d'abord les livres, les documents et tout le matériel mis à leur disposition.
Dans une proportion de 80 %, ces réponses émanent de "petits" (Classes de sixième et Cinquième). Quatorze d'entre eux notent leur attachement au CHOIX du document ou du livre : à cet égard, j'ai souvent constaté que les 6e et 5e circulent beaucoup, qu'ils explorent tous les coins, ouvrent les tiroirs et fouillent dans les rayonnages.
ILS PRENNENT POSSESSION de la Bibliothèque.
 
Il. JE VIENS
Pour être LIBRE (13)
Pour travailler LIBREMENT et AU CALME, individuellement (7)
Pour travailler librement avec mes camarades (4)
Pour travailler librement pour le CDI (Dossiers-fiches) (6)                                (45 réponses)
Pour PARLER LIBREMENT avec mes camarades (10)
Pour parler librement de n'importe quel sujet (5)
Je propose comme titre : A LA RECHERCHE D'UNE EXPRESSION ET D'UN COMPORTEMENT LIBÉRÉS
Cette seconde série de réponses émane presque uniquement des 4e et des 3e (80 % environ de 4e). Ces élèves de 4e sont pour la plupart timides et viennent de classes communément qualifiées de "médiocres" (! ) Effacés, ils ont rarement recours à moi, mais leurs réponses ont été les plus passionnées en ce qui concerne la LIBERTÉ.
"Le charme de cette salle est produit par la liberté de pouvoir discuter avec mes camarades" 4e E.
"J'aime aller en Bibliothèque, nous sommes libres de parler en toute tranquillité sur certains sujets,
je suis à mon aise dans celle·ci" 4e D.
Pour me distraire (8)
Pour me détendre (14)
Pour le calme, le silence (10)
Je propose comme titre: L'IMPORTANCE
 
III. JE VIENS
Pour me reposer (4)
Pour l'accueil agréable (7)
DU CLIMAT GÉNÉRAL (de l'ambiance) ou LA PART DU MAÎTRE.
Le (la) responsable de la Bibliothèque donne le ton, crée une ambiance : c'est évident, dût sa modestie en souffrir.
Pour cette 3e série de réponses, les avis sont mieux partagés entre 5e, 4e et 3e. Il est intéressant de souligner que les mêmes élèves viennent pour le calme et pour être libres.
C'est, me semble·t·il, un aspect très important, car ceux qui sont opposés à notre pédagogie ou qui en ont peur, prétendent (c'est souvent leur principal argument) que cette liberté et cette autonomie des enfants aboutissent inévitablement au chahut, au temps perdu et gâché.
"Je viens ici pour me reposer, l'ambiance me plaît beaucoup" 4e
"Je viens en Bibliothèque pour le climat de détente qui y règne, pour y discuter dans le calme" J8
"Je viens pour de détendre et regarder des livres, et je trouve du calme" 5e
"Surtout ce que j'aime dans cette Bibliothèque, c'est l'ambiance qui y règne, le calme que j'apprécie beaucoup et que l'on ne trouve pas beaucoup dans un C. E.S. " 3e
Relisant ces phrases, je veux préciser la nature de ce calme si souvent relevé. Il ne s'agit pas du calme figé et feutré des bibliothèques estudiantines, fréquentées par des gens "sérieux et tranquilles", Quand les enfants parlent de calme/repos, je crois qu'ils veulent marquer leur opposition à ce qu'ils connaissent ailleurs le plus souvent (en étude ou en classe) : cris et reprises systématiques de leur comportement,
 
IV, JE VIENS
Pour être aidé dans mon travail (recherche et choix des documents) (8)
Pour discuter de tous les problèmes avec la bibliothécaire (10) ,
Je propose comme titre: LA PART DU MAÎTRE, VUE PAR LES ÉLÈVES, ou BESOIN D'ECHANGES DES ENFANTS AVEC L'ADULTE
Sept sur huit des élèves qui viennent "pour être aidés dans leur travail" sont des 5e,
"Puis si on désire avoir une documentation, la bibliothécaire est là pour nous l'offrir, et Mme L. est très sympa, cela m'encourage".
Ils ont tous insisté sur le fait qu'il s aiment venir se documenter parce qu'ils sont aidés.
Les dix élèves qui viennent "pour discuter" sont uniquement des 3e, Il y a chez eux un besoin violent de s'exprimer ; je dirais presque qu'ils viennent en bibliothèque uniquement pour cela . Leur attitude est très explicite : une fois leur livre emprunté ou rendu, ils prennent une chaise et viennent s'asseoir autour de moi.
"Je vais à la bibliothèque pour parler de nos idées et pour que la bibliothécaire nous aide à parler des problèmes actuels, car sans surveillance, c'est impossible" :3e
Je me suis fait expliquer par le garçon qui a écrit ces lignes ce qu'il entendait par "surveillance" : il voulait parler d'une sorte de "meneur de débat", donnant la parole à tour de rôle ; il me disait que lorsqu'ils sont seuls, leur conversation prend très vite un tour passionnel : ils ne s'écoutent plus et se disputent.
 
Il est impossible de conclure sans dire clairement aux camarades que dans nos conditions actuelles de travail, on ne peut pratiquer la Pédagogie Freinet que bien imparfaitement et pour un nombre restreint d'élève s. Les chiffres qui suivent seront, je l'espère, explicites :
Sur les cinquante-cinq élèves qui ont répondu, vingt ·quatre sollicitent physiquement - directement mon aide -ma présence.
L'an dernier, sur un total de six cents élèves, d eux cent cinquante environ fréquentaient régulièrement la bibliothèque, et de la part de quatre-vingt-dix d'entre eux, il y avait une demande exigeante de relations plus personnalisées (travail en commun, discussion).
Cette année, si l'on garde les .mêmes proportions, cela donne : sept cent trente cinq élèves (total), trois cent vingt (fréquentation régulière) cent trente cinq (sollicitation plus personnelle).
Je sais déjà que je ne pourrai pas répondre à cette demande.
Dans l'organisation du planning d'heures d'ouverture de la Bibliothèque aux élèves, j'aurais pu comme certains le font imposer une heure à chaque classe , avec l'accord du professeur le nombre de "lecteurs inscrits" augmenterait de manière spectaculaire ! Ce serait Ia presque totalité des effectifs ! Mon rôle se réduirait a lors à celui de surveillante/contrôleuse.
J'ai sacrifié volontairement la quantité à ce que j'espère être la qualité.
J'ai établi l'horaire selon les heures d'études pendant lesquelles les externes ont le droit de rentrer chez eux : la majorité de ces élèves ne viendront pas en bibliothèque ! Ceux qui viendront pour emprunter un livre ne s'attarderont pas, à l'exception de quelques 3e qui voudront discuter.
Je travaille surtout avec les demi-pensionnaires (il y en a trois cents ... ), ce qui me permet de ne pas être engloutie par le nombre et d'avoir des relations beaucoup plus approfondies, avec des élèves qui viennent LIBREMENT et PAR GOÛT.
Evidemment cette solution ne me satisfait pas; mais je n'en vois pas d'autre, tant que je serai SEULE au service de sept cents élèves et si je ne veux pas que mon rôle se borne à celui d'u ne surveillante.
Thérèse LAPP
2 bis, av . Thiers
02200 Soissons