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Edito n° Créations - 83 Peindre

Octobre 1998

 

           

CréAtions n°83 - Peindre - publié en septembre-octobre 1998 - Editions P.E.M.F

Annie Solas

 

Edito  

Jean Dubuffet l’affirme :
« La peinture peut illuminer le monde de découvertes magnifiques. Elle peut doter l’homme de nouveaux mythes et de nouvelles mystiques et révéler, en nombre infini, des aspects insoupçonnés des choses et des valeurs qu’on ignorait […] Parce qu’elle évoque les objets avec une plus grande force, qu’elle les approches davantage (que le langage) […] parce qu’elle ouvre à la danse interne de l’esprit du peintre plus largement les portes […] pour provoquer la pensée, la voyance. »

Et c’est très certainement ce qu’ont vécu les élèves du collège K. – Thoueilles qui, ayant vu une exposition d’œuvres de Gérard Garouste où « les images ne s’inscrivent pas dans un système codifié, mais semblent plutôt ces mythes qui rendent compte de vieux récits, estompant les détails pour atteindre l’ordre symbolique », ont eu à choisir un fait divers, un événement extraordinaire et l’ont, par le langage de la peinture, élevé au rang du mythe, du symbole, s’attachant, eux aussi, « moins au détail, à la précision du trait », qu’à créer une nouvelle vision du fait, la leur.

Ont-ils été envoûtés au point de copier ? Non. Et les consignes de départ, la part du maître visant à aider les enfants dans la découverte de l’essentiel, ont, au contraire, facilité leur expression, issue d’un choix personnel et exploré librement, chacun selon son individualité.

Les adolescents, dans leur expression créative, étaient-ils éloignés de ces petits enfants de la maternelle qui, devant leurs feuilles, pots, palettes, absorbés en eux-mêmes, la tête penchée, le pinceau à la bouche, observent les effets des couleurs qu’ils posent, mélangent, sans autre intention que de « s’abandonner au plaisir des yeux, bousculant les lignes conductrices, les noyant dans des nappes colorées, violentes, qui pour finir imposent un ordre nouveau et définitif ? » Elise Freinet, L’Enfant artiste.

Au-delà de toutes les polémiques sur les visites de musées, d’exposition, les peintures « à la manière de… » que nous refusons toujours si elles sont induites par le maître, il reste essentiel pour nous tous, qui avons en charge d’éduquer, d’introduire des enfants au monde, de faire en sorte que la peinture participe à notre démarche et à l’objectif qu’est la construction de l’enfant, de son expression et de son individualité. Qu’il peigne spontanément comme le tout-petit, qu’il donne un peu plus tard à voir ses paysages, ses scènes de la vie quotidienne ou nous ouvre à son imaginaire, qu’il imite de son propre chef un maître, qu’il peigne à partir d’un projet, d’une consigne où sera respectée sa créativité, ce qui importe, c’est avant tout qu’il vive à l’école la culture, la réflexion qui l’éloignent de la soumission, qu’il ait la possibilité de s’exprimer, de donner à voir ce qu’il voit, perçoit, qu’il existe en tant qu’individu et qu’il puisse le faire au sein d’un groupe où se pratiquent l’échange, le partage, la différence, la critique.

Enfin que l’école puisse lui donner la chance, sans interruption, de sa petite enfance à l’âge adulte, de regarder, de s’exprimer, de passer de l’expression spontanée à l’expression réfléchie, telle celle du peintre J. Dubuffet qui « cherche à voir, sachant que ses peintures vont l’y aider, qu’elles vont lui montrer des choses un aspect inconnu qui lui permette de capter de celles-ci quelque éclair de leur vraie figure et sait bien, que le moyen pour cela est de modifier ces choses, d’en bousculer l’ordre, de les désintégrer, d’en empêcher la recoagulation en les remettant sans cesse en question. »

Il saura alors « sauvegarder sa liberté intérieure, devenir maître de sa pensée, de ses besoins, de ses désirs, de ses élans » Elise Freinet, L’Enfant artiste.

Annie Solas

 

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