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Le maire de Saint-Paul contre l'école laïque

Février 1933

Nous récapitulons ici les griefs graves que nous faisons au Maire de Saint-Paul dans l’affaire en cours.

Les locaux scolaires. — Ils sont dans un état déplorable contre lequel le médecin cantonal a, à plusieurs reprises, protesté avec nous :

Première classe sans soleil durant l’hiver : plancher délabré et bosselé, bancs branlants et démolis.

La deuxième classe se tient depuis trois ans dans un local provisoire avec une seule fenêtre, mal meublée, mal aérée, jamais blanchie ni balayée.

Le balayage n’est pas assuré, ce qui serait, pourtant obligatoire puisque la commune a plus de 500 habitants. Le garde n’enlève pas même les balayures qui s’entassent dans la cour.

Le chauffage est plus que rudimentaire. Les tuyaux de poêle risquent à tout instant de tomber sur la tête des enfants. Aucune installation de sécurité. I1 faut que je scie le bois moi-même et que j’allume le feu en fournissant souvent le bois d’allumage.

Pas d'eau dans la cour : il faut aller chercher à 150 m. ce qui est tout à fait irrégulier et gêne le travail scolaire.

Les cabinets sont infects. Ils s’écoulent sur une fosse étanche qui n’est jamais curée à fond et qui déborde périodiquement. A ces moments, le purin vient couler jusqu’à la porte du préau ; les vers envahissent le local qu’il faut condamner et les écoliers s’en vont faire leurs besoins aux remparts.

Les logements : Il y a deux ans, la municipalité voulait installer la poste dans les appartements de Mme Freinet à l’école de filles, le logement de la directrice devant servir comme logement du receveur. Tout était prêt. Une protestation motivée signée par nous a fait échouer la combinaison.

L’Instituteur-adjoint n’a pas de logement, malgré les prescriptions formelles de la loi et le Maire refuse de lui allouer toute indemnité représentative. Il est actuellement logé dans une seule pièce de l’école de filles, ce qui est profondément irrégulier.

***

Contre cet état de choses, je n’ai jamais cessé de réclamer. Cela ne pouvait qu’indisposer le Maire qui a juré de se débarrasser de moi.

Dans la nuit du premier au 2 décembre des affiches diffamatoires sont apposées dans Saint-Paul. Les événements qui ont suivi ont été pour le Maire l’occasion de montrer comme il traite l’école laïque et par quels procédés il est décidé à se donner raison.

8° Manifestation à l’Ecole. — Le 4 décembre 1932, j’avais convoqué par note particulière remise à domicile, un certain nombre de pères de famille à se réunir dans mes appartements pour y discuter des questions pédagogiques urgentes.

Pendant que j’attendais sous le préau, en compagnie de deux pères de famille, le Maire a fait irruption dans la cour, suivi d’une clique d’une quinzaine de personnes dont aucune n’a d’enfants à l’école, et qu’il est nécessaire de caractériser rapidement :

— Auboeuf, célibataire, royaliste militant.

— Mme Larcher, riche bourgeoise, habite St-Paul depuis quelques années seulement, envoie ses deux enfants à l’école privée de Vence. Est notoirement connue comme ennemie de l’école laïque.

— Vassalo, envoie son fils à une école ecclésiastique.

— Mme Barbiera, a un fils de neuf ans qui n’est jamais allé à l’école et reçoit des leçons au couvent.

— Faure. conseiller municipal, célibataire, etc...

Aucun parent d’élève ; aucun ami de l’école ; ce fait est caractéristique.

Et pourtant, à l’observation que je lui faisais que ces gens n’avaient pas le droit d’entrer dans les locaux scolaires, le Maire a répondu : nous sommes ici chez nous !

Devant les vociférations de ces ennemis notoires de l’école j’ai dû m’enfermer dans mes appartements. Mais ceux qui avaient déclenché l’attaque s’étaient enfin dévoilés.

Le Maire avait nettement outrepassé ses droits et une plainte déposée par moi contre ceux qui ont violé les locaux scolaires prouvera les torts graves du Maire.

9° Le garde champêtre contre l’école. — Malgré la campagne de diffamation menée contre moi dans le village, ma classe a continué à fonctionner normalement, comme a pu le constater M. l’I.P.

Les ennemis de l’école ont alors déclenché la grève scolaire qui reste très partielle puisque j’ai toujours réuni la majorité des élèves.

Mais les moyens par lesquels le Maire essaie de désorganiser ma classe sont trop ouvertement contraires à toute légalité.

Le lundi 19 décembre, le garde-champêtre de Saint-Paul, usant de son autorité de police, a lui-même fait retourner un certain nombre d’élèves qui, sur l’ordre de leurs parents, se rendaient à l’école. Des parents d’élèves en témoigneront.

Des accusations formelles ont été faites devant le Préfet. Pourtant nul n’a été désavoué, ni le maire, ni le garde-champêtre.

10° Le 19 décembre au soir et le 20 au matin, le Maire a convoqué chez lui pour affaires les concernant - un certain nombre de pères de famille qui n’avaient pas voulu répondre au mouvement de grève.

Et là, il leur a formellement demandé de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. A ceux qui s’obstinaient à ne pas obéir, il a fait des menaces dont une enquête, qui est demandée depuis longtemps, fixerait la gravité.

Les parents témoigneront de la pression délictueuse exercée sur eux par le Maire pour les contraindre à désobéir à la loi.

11° Plus de bois : le 11 janvier, ma provision de bois pour l’école était totalement épuisée. J’en avisais immédiatement le Maire par lettre confiée au garde-champêtre.

Le 12 et le 13 janvier, malgré un froid intense, ma classe était sans feu.

Le dimanche, ne pouvant me rendre moi- même à la Mairie, je fis porter au Maire, qui se tenait à cette heure-là à disposition de ses administrés, une lettre pour lui demander de vouloir bien nous approvisionner en bois.

Le Maire refusa de recevoir ma lettre en disant :

— Dites à M. Freinet qu’il l’envoie à M. l’I.A.

Le lendemain une délégation de parents partait à la Préfecture. Ces parents représentaient les seize élèves présents dans ma classe sur 28 inscrits. Le secrétaire général qui les reçut parut outré de la conduite du Maire ; il promit que l’école aurait du bois le lendemain matin en disant :

— Si le Maire n’en porte pas nous en ferons porter nous-mêmes.

II promit également d’agir auprès du Maire pour faire respecter la loi sur la fréquentation.

Le lendemain matin, la provision de bois arrivait à l’école montrant bien que, lorsqu’elle veut, la Préfecture sait faire respecter la loi.

Mais là s’est bornée son action pour le respect normal de la légalité.

12° Fréquentation scolaire : Douze élèves manquent la classe sans raison, courant les rues, et cela depuis le 19 décembre.

Il est nécessaire de bien marquer que ces parents n’ont aucune raison de retirer leurs enfants de l’école :

Aux deux enquêtes pédagogiques faites, la première par l’inspecteur Primaire, la deuxième par le Directeur de l’Ecole Normale, aucun père de famille n’a formulé contre moi de fait grave pouvant motiver semblable mesure.

Mieux :

— Un père de famille gréviste a déclaré après le commencement de l’affaire être très satisfait du travail de l’instituteur (Gavet).

— Un autre père d’élève a signé, le 11 décembre, sur le cahier de devoirs mensuels de son fils : Je suis content (Jaequin).

— Une mère de famille avait d’abord témoigné en notre faveur (Tatti).

— 4 autres élèves manquaient constamment la classe et ils ne font que continuer une grève qui dure depuis plusieurs mois.

— Un autre élève travaillant un des mieux de la classe comme le montre le cahier de devoirs mensuels.

Aucun de ces pères de famille n'avait jamais formulé la moindre plainte contre moi.

Il n’y a donc aucune raison pédagogique pour que ces enfants manquent la classe. Pourtant rien n’a été fait pour faire respecter la loi.

C’est l’absentéisme organisé par le Maire avec la complicité de la Préfecture, dans le seul but de servir les rancunes du Maire.

13° La diffamation publique : Le Maire aurait eu tort de se gêner.

Le dimanche 22 janvier, après une réunion presque clandestine du Conseil Municipal, réunion sur laquelle nous reviendrons, le Maire a invité ses partisans à une réunion publique avec apéritif.

Au cours de cette réunion, le Maire a pris la parole pour dire notamment :

« J’ai le devoir d’ouvrir les yeux aux citoyens de ma commune. Je n’ai pas d’enfants. Mais si j’en avais, je ne les enverrais pas à M. Freinet pour en faire des voleurs ou des assassins. »

J’ai porté plainte en diffamation contre ces paroles, entendues par des témoins sûrs.

14° Conseil Municipal délibérant irrégulièrement : Le 22 janvier au matin, le Conseil Municipal s’est réuni pour prendre une délibération demandant mon départ et l’installation d’une école privée.

J’ai demandé l’annulation de la délibération pour les raisons suivantes :

1° La convocation n’a pas été affichée à la porte de la Mairie, conformément à l’art. 48 de la loi du 5 avril 1884 ;

2° La convocation n\a pas été mentionnée au registre des délibérations, conformément au même art. de la même loi ;

3° Le compte-rendu de la séance n’a pas été affiché dans la huitaine, conformément à l’article 56, loi du 5 avril 84 ;

4° A ce jour, aucune trace de la délibération ni encore moins aucune signature n’existe sur le registre de délibérations (loi du 5 av. 84, art. 57).

Vraiment, ne sommes-nous pas autorisés à dire que toutes les lois scolaires sont foulées aux pieds à Saint-Paul ?

Le Maire, abusant de ses prérogatives, a contrevenu aux lois. Nous demandons sa destitution pour bien signifier aux ennemis de l’Ecole que la République compte défendre ses lois scolaires et laïques.

Le Préfet, saisi au jour le jour des fautes graves commises, n’a rien fait pour faire respecter la loi.

Les Inspecteurs, saisis également, m’ont laissé travailler dans des conditions scandaleuses, sans protester ou prendre les mesures qui s’imposaient.

Le ministre, informé à diverses reprises, n’a jamais répondu.

Il faut qu’on sache s'il reste encore des lois en France.

Si ces lois sont applicables à St-Paul.

Si ceux qui les violent seront punis.

Si ceux qui ne les font pas appliquer seront mis en demeure de faire leur devoir.

Le 2 février 1933.

Une délibération édifiante

CONSEIL MUNICIPAL DE St-PAUL du 22 Janvier 1033

Le Maire expose qu'à la suite de nombreuses plaintes formulées par les parents d’élèves de M. Freinet, relatives à la mauvaise éducation qu’y reçoivent leurs enfants, il avait examiné consciencieusement les devoirs des cahiers qui lui avaient été présentés, qu’il en avait déduit que ces devoirs étaient immoraux, tendaient à inciter les enfants au meurtre, à la désobéissance aux lois, à violer la neutralité scolaire, qu’en un mot la classe était transformée en un petit soviet. Plusieurs conseillers municipaux ayant lu ces narrations déclarent être du même avis.

Le Maire en avait référé à M. le Préfet et demandé le déplacement de l’instituteur Freinet.

Le Maire communique en outre au Conseil les protestations injurieuses de nombreux syndicats d’instituteurs unitaires alertés par M. Freinet qui avait envoyé le libellé de la protestation.

Le Conseil à l’unanimité approuve le Maire et fait la déclaration suivante :

» Partisan convaincu de l’école laïque et toujours prêt à la défendre, le Conseil Municipal attire l’attention de M. le Ministre de l’Education nationale, de M. le Préfet et des autorités universitaires sur les conséquences graves qui peuvent résulter du maintien en fonction de l’instituteur Freinet.

Considérant que cet instituteur a manqué à ses devoirs en ne réprimant pas les mauvais instincts de certains élèves qui dans des narrations parlaient de tuer le Maire, expliquaient les souffrances endurées par les bêtes qu'ils torturaient, disaient qu’en cas de guerre. ils ne répondraient pas à un ordre de mobilisation, qu’au contraire, après avoir corrigé l’orthographe de ces devoirs il les faisait imprimer par des élèves et les répandait en France et à l’étranger ;

Considérant que cet instituteur dirige une coopérative dite « l’imprimerie à l’Ecole », qu’il y imprime avec l’aide des élèves et de jeunes filles des quantités de feuilles, d’opuscules, etc... expédiés journellement par ballots dans toute l’Europe et même en Russie Soviétique et qu’en conséquence il fait un métier qui l’absorbe non seulement pendant les heures de repos mais encore pendant les heures de classe au détriment de l’instruction des élèves qui est de ce fait reléguée à l’arrière-plan :

Considérant que cet instituteur collabore à un journal " L’Internationale de l'Enseignement » où il dit qu’il poursuit à l’école une propagande révolutionnaire, chose qui ne tend rien moins qu’il fausser l’esprit de la jeunesse et à saper les bases mêmes de l’Etat et de la société qui le payent ;

Considérant que sur 28 élèves inscrits une douzaine seulement fréquentent l’école, que sans l’intimidation exercée sur certains parents, ce nombre serait à peine de 4 ou 5 élèves, qu’un tel état de choses porterait les parents à installer à St-Paul une institution libre, danger que le Conseil serait impuissant à conjurer,

Décide il l’unanimité qu’il est de son devoir de transmettre la présente délibération i» M. le Ministre de l’Education Nationale à qui il demande le remplacement de M. Freinet qui est devenu indésirable pour la population.

(Signatures).

— Nous n’ajouterons qu’une phrase de commentaire : Comme nos lecteurs peuvent s'en rendre compte il simple lecture, il est difficile d’inclure dans une délibération un plus grand nombre de contre-vérités révoltantes.