Raccourci vers le contenu principal de la page

Pigments

Octobre 1998

 

 

Notre démarche

 

 

Première étape

Une fois que l’on a alerté les enfants, il y a quelque chose de passionnant à leur apprendre « Dans la nature, il y a une sorte de secret qui est caché, en attente… »
Rendre les enfants attentifs au fait que les couleurs « attendent ».
Cette banalité du paysage devient extraordinaire. Les rendre attentifs à une autre dimension du monde.
Partir sur le « motif », le terrain, dans la nature inépuisable. Et pour cela, s’équiper comme pour une expédition : chaussures, pelles, sachets poubelles, étiquettes, sacs à dos.

Marcher, regarder. Un regard qui voit les choses prosaïques, telles qu’elles sont, et aussi un regard qui devine qu’il y a autre chose à révéler.

Puis, ramasser une terre de taupinière, une autre de talus…
Deux ou trois petites pelletées, une ou deux poignées, jamais beaucoup…
Ouvrir la carte IGN au 1/25 000 où figurent les noms des lieux-dits.

Noter le numéro de la terre qu’on recueillie.

Nommer cette terre du nom de son lieu-dit.

La couleur qui jusqu’à présent était anonyme, insignifiante va devenir singulière, unique, avoir un nom. Les nuances sont innombrables. On trouve rarement deux tons pareils. L’enfant apprend ainsi le côté inépuisable de la nature qui ne se répète pas. Il vit l’excitation de cette quête, l’impression de chercher un trésor caché.

Manipuler les matériaux, touche ce qui est sale. On établit un contact physique entre l’enfant et des choses, un engagement du corps.
Le lavage : ce qui est lourd tombe au fond. Le pigment, très léger, flotte en suspension. On sépare ce qui est précieux de ce qui est lourd (comme l’or et le sable).
Le séchage : au soleil ou sur un réchaud.
Le broyage : avec un mortier et un pilon.
Le tamisage : affiner de plus en plus la matière.

Remplir les flacons, un flacon par couleur : la poudre qui brille à l’intérieur a un aspect précieux. C’est le résultat d’un travail long des enfants et de la terre. Ils découvrent le plaisir d’utiliser des instruments d’artistes professionnels, très beaux : mortier de bronze qui résonne comme une cloche, tamis en inox, et, plus tard, plaque en verre dépoli et molette pour préparer les couleurs.

La recherche peut s’arrêter là. Mais on peut aussi peindre avec les couleurs ainsi obtenues.

Les pigments sont les substances qui composent les couleurs des fresques magdaléniennes mais aussi des fresques romaines, celles des églises romanes, les peintures de tous les tableaux, aussi bien le retable de Grünewald que les tableaux de Cézanne.
Toutes ces couleurs sont des couleurs "historiques". Elles ont des noms. Tous les peintres connaissent la laque de garance, l’ocre, le rouge de Venise, le jaune de Naples, le noir de pêche, le noir de suie, le bleu de lapis-lazuli….

 

Deuxième étape

Pour respecter la cohérence et la simplicité des choses, nous avons fait peindre les enfants avec des pastels, c’est-à-dire la poudre sèche étalée au doigt, ou a tempera*.

La salle avait été aménagée pour pouvoir peindre par terre, en utilisant différents types de pinceaux et de papiers. Nous faisions peu de mélanges afin de garder la valeur singulière de chaque couleur.

Les enfants utilisaient la couleur pour peindre des petits monochromes non figuratifs. Ils essayaient de les rendre vivants à travers le coup de pinceau, en pensant à des courants, rivières, nuages, prairies.

Ils ont ensuite déchiré ces papiers, en veillant à trouver différentes tailles, surfaces. Ils ont beaucoup aimé le côté livre et sauvage de ce travail.

Nous avons ensuite quadrillé la zone de promenade en six secteurs. Chaque groupe de quatre ou cinq enfants a recomposé un des six secteurs en recollant librement les morceaux de papier sans rechercher une vérité scientifique. Ils ont ainsi recomposé un nouveau paysage, libéré du paysage réel, mais symétrique. Ce nouveau paysage est « autrement vrai » dans la mesure où l’harmonie qu’ils ont recomposée rend perceptible le secret que contient tout paysage.

Ensuite, à l’aide d’un alphabet en pochoir, avec la couleur du lieu-dit, ils ont imprimé, lettre à lettre, le nom de la couleur qui est aussi celui du lieu-dit.

Ces six secteurs ont été assemblés sur une toile de tarlatane pliable comme une carte. Les noms de couleurs et des lieux-dits ont été collés en dessous.


                             sommaire Créations n° 83 

début de l'article   page suivante 

 peinture, pigments