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En Chantier n°4 : Sur les chemins de la mémoire : une autobiographie fictive

Sur les chemins de la mémoire : une autobiographie fictive
L'histoire que vous allez lire a été écrite par les élèves. lls se sont inspirés du témoignage d'André Berkover rencontré à Drancy au mois de décembre.

Note des auteurs: Nous avons modifié l'identité d'André Berkover. Dans notre biographie, il est devenu Joseph Reichmann.

Liste des personnages:
Joseph Reichman = André Berkover
Hélène Reichman = la mère d'André Berkover
Maurice Reichman = le frère d'André Berkover

CHAPITRE 1

Samedi soir en rentrant de l'école, mon frère Maurice passe se laver aux douches publiques de la ville. Nous n'avons guère les moyens de bénéficier de douche à la maison. Je l'attends comme chaque semaine chez notre tante Simone. Mais ce soir j'ai un mauvais pressentiment, les SS sont dans le coin, j'ai peur qu'il y ait une rafle... Trois heures plus tard toujours pas de nouvelle de Maurice. Je décide de rentrer à la maison, je préviens papa et maman de la disparition suspecte de leur fils. Quelques jours plus tard toujours pas de nouvelles, j'ai décidé de sortir voir les voisins, pour savoir s'ils n'avaient pas de nouvelles de mon frère, toujours rien, personne ne l'a vu. En l'occurrence ils m'ont appris que la rafle de samedi a touché le coin de la ville où mon frère se trouvait à ce moment-là. Pris de panique je ne m'attarde pas à en savoir plus à propos de cette maudite rafle, je me mets à courir pour aller prévenir mes parents de toute urgence. Arrivé à la maison, la vérité dite, nous partons tout de suite en emportant le strict minimum. Je me mets en direction de chez la tante Simone. Elle seule dans la famille a réussi à se faire radier des listes de recensement des juifs, par un ami de la police que nous connaissons très bien. Quelques semaines plus tard en manque de vêtements ma mère et moi décidons de retourner à la maison chercher de quoi nous vêtir. Pendant que ma mère descend à l'épicerie du coin je rassemble quelques affaires.

CHAPITRE 2

Cela fait maintenant trois heures que mon frère et ma mère sont retournés à notre ancien domicile dans l'espoir d'y trouver les objets nécessaires à la vie quotidienne, que nous avions laissés dans la précipitation du départ. Une crainte grandissante m'envahit à mesure que les minutes s'écoulent. J'imagine maintenant le pire et s'ils étaient arrêtés? Si les nazis me retiraient mon frère adoré? Mon destin si précaire me semble faillir devant cette monstrueuse attente.
Soudain, on frappe à la porte, des amis, nos anciens voisins. Ils nous rapportent de bien tristes nouvelles, des nouvelles accablantes. Ils les ont vus entourés d'agents de la milice. Nos amis ont appris par la suite que la délation venait d'autres voisins qui les avaient vus monter dans notre appartement. Je crie de douleur et de rage puis me jette dans les bras de mon père où je m'effondre en larmes. Peut-être ont-ils déjà rejoint mon frère à l'heure qu'il est? Peut-être sont-ils morts? Je sens qu'au-dessus de ces arrestations planent la violence et la mort, mais malgré le mystère qui entoure ces évènements, l'ignorance me permet de cultiver l'espoir.

CHAPITRE 3

Depuis l'arrestation de mon frère, le reste de ma famille et moi-même vivons chez ma tante. Ma mère et moi avons décidé de retourner à notre appartement pour récupérer nos affaires. Une fois arrivés, je demande à ma mère d'aller chercher du pain à la boulangerie située dans la rue en bas de notre appartement. Je reste dans notre ancien habitat jusqu'à ce que l'on frappe à la porte, j'ouvre et à mon grand désespoir, des SS me poussent jusqu'au salon. Ils me disent de me taire et attendent le retour de ma mère. Elle rentre et les deux Nazis se jettent dessus, de peur, elle hurle. Ils nous attrapent violemment par le bras et nous tirent jusque dans un camion. Une dizaine de minutes plus tard nous descendons devant un grand portail surplombé de fil barbelé et surveillé par des gardes, nous rentrons quant à ma grande surprise ma mère et moi voyons Maurice, mon grand frère, saint et sauf. Heureux de cette rencontre il nous fit part de l'histoire de son arrestation. Après deux jours dans le camp de Drancy, nous nous voyons transportés jusqu'à la gare du Bourget, qui nous conduisait vers l'inconnu...

CHAPITRE 4

Après trois jours ici, j'ai encore du mal à comprendre et à assimiler ce qui nous est arrivé, tout s'est passé dans une rage si intense que tout fuse et se mêle. L'agitation malsaine semble reprendre, on crie, on nous appelle. Dans un brouhaha de plaintes et de cris, les miliciens nous pressent à coup de matraques sur la place. On nous compte, dans une foule sans cesse mouvante. Je vois un wagon, je comprends, c'est le départ vers l'est, l'est inconnu et mystérieux sur lequel plane un sentiment de peur. Dans la cohue générale, je m'efforce de tenir mon frère, je ne veux pas le perdre dans la masse, ma peur de cet inconnu est si grande que seul, je ne résisterai pas. On s'engouffre dans un de ces wagons imposants et froids, je le tiens toujours, sa présence m'apaise. On étouffe déjà, nous sommes au moins une centaine, une centaine d'âmes réduites au minimum. Le train se met en marche et une vague humaine m'écrase contre la paroi. Je vois défiler devant moi, la gare du Bourget puis une suite de zones inconnues.
Le voyage me semble infiniment long, j'ai tenté à de multiples reprises de compter, mais je n'y parviens pas : les jours, les nuits, les rêves et les cauchemars, tout s'emmêle. Il y a des morts, le doyen du wagon a succombé le premier, il a crié toute une nuit avant de s'éteindre dans un soupir. Dans ce train qui nous mène vers l'est, je discute avec mon frère, parler me permet de résister à mes songes macabres qui ressassent mes pires cauchemars. J'ai aussi rencontré un jeune résistant, il nous donne son avis sur notre destination, source de maintes questions, d'après lui nous partons vers l'extermination, il soutient son idée jusqu'à s'attirer la haine de certains du convoi. Mais dans l'ensemble, le fait d'être tous dans la même situation, nous rapproche. Mon frère, prévoyant, avait réussi à emporter quelques pommes volées au camp. Le jeune résistant, lui aussi avait prévu quelques pains, on partage tout, on survit. On survit malgré les excréments et l'urine répandus sur le sol malgré tous nos efforts pour les concentrer dans un coin, le wagon en est rempli. Mais déjà il faut oser, se montrer, on s'est créé un isoloir de fortune. Et il y a la soif plus tranchante et douloureuse que la faim.
Soudain les convois semblent ralentir ou bien est-ce moi qui faiblis? Non, nous ralentissons bien, le cri strident de la locomotive se fait entendre. Puis l'on s'arrête complètement on entend au devant les aboiements des SS. Ils approchent, ils nous font sortir. Cette descente est pour moi un soulagement même si je ne sais pas si ce qui m'attend sera pire. On sort les cadavres. Devant nous, une porte énorme, monstrueusement uniforme et massive, une muraille en briques qui s'étend à perte de vue. Cassant une plaine trop verte pour cet austère décor. L'ensemble des voyageurs forcés forme une colonne gigantesque et grouillante, cette marche est ponctuée de cris et de coups de matraque ou pire de fusil. Je passe la porte et me retrouve dans une cour presque aussi immense que mon angoisse. Une fois que nous sommes tous là il nous demande de nous aligner. Des SS sortent du rang, et demandent de nous placer par âge, les plus de 16 ans d'un côté, les autres en face; la masse bouge. Mon choix est fait, je reste avec mon frère, je suis assez grand pour paraître deux ans de plus. Ils choisissent, ils classent. Je vois les autres partir, il y a surtout des vieillards, des enfants, des mères. Je me doute qu’ils ne vont pas travailler et que leur sort est déjà tracé...

CHAPITRE 5

Des coups frappés à la porte résonnent dans la pièce. Un gendarme fait irruption dans la salle qui nous sert de dortoir et nous secoue en criant :
-Vite ! Vite ! Tous dans la cour !
Nous nous sommes tous retrouvés sur la terre pieds nus, sans rien sur le dos au milieu du camp. Il faisait encore nuit et le soleil commençait à se lever. Les gendarmes nous ont montés dans des camions. Je fus séparée de mes enfants. Le camion nous a déposés à la gare Le Bourget. Les gendarmes nous ont fait attendre devant la gare. Des S.S sont arrivés puis nous ont forcés à rentrer par centaines dans des wagons à bestiaux. La folie d’un homme, qui se croit supérieur à nous, a réussi à nous réduire en esclaves. Une telle injustice me révolte mais je ne peux rien faire ! Je me retiens. J’entrevois Joseph et Maurice qui entrent dans le wagon attenant au mien.
Des cris, des hurlements nous fatiguent les oreilles. Des S.S tapent les handicapés ou les révoltés qui ne veulent ou ne peuvent pas rentrer dans la masse de juifs. Certains meurent. Les soldats allemands claquent les lourdes portes. On entend le cliquetis du cadenas qui se ferme. Puis un long silence s’installe. Je remarque qu’il n’y a presque pas d’ouverture et que l’on ne peut bouger. Un léger recul et le train démarre. Des enfants se remettent à brailler pour chercher leurs parents.
Des femmes cherchent leur mari ou conjoint en pleurant. Et moi dans tout cela je reste abasourdie par la démence de l'homme. Que faire? Que dire? Plus de réponses. Je fais abstraction de ce qui m'entoure et j’essaye de n’entendre que le son monotone d’un train qui part vers l’inconnu.
Nous devons rester debout. Tenir jusqu'à l’arrivée. S’il y en a une. On n’entend plus les cris et maintenant on n'entend plus que certains hommes qui parlent tout seuls. Plusieurs personnes sont mortes. Nous sommes tous serrés. Nos habits et nos cheveux sont collés par la sueur. La nourriture nous manque. Je n’ai plus aucune notion du temps. Quel jour sommes-nous? Le lundi? Le vendredi ?
J’ai sympathisé avec une jeune femme. On s’est raconté nos vies, nos rêves. Dans d’autres circonstances j’aurais aimé l’écouter.
Certains ont essayé de s’enfuir en sciant le fond du wagon avec une petite scie emmenée. Un autre faisait le guet avec un miroir. Malheureusement un S.S a découvert le reflet du soleil. Ils ont arrêté le train et ont ouvert violemment la porte. Ils ont discuté ensemble et ont crié :
-Qui responsable ? Qui ?
Personne n'a parlé. Une minute s’est passée sans que rien ne bouge. Je ne voulais pas les dénoncer. Le soldat a reposé sa question plus fort. Il s'est exclamé :
-Je massacre tout le wagon si personne ne se dénonce !
J'ai entendu plusieurs murmures. Puis un homme est sorti du groupe et a désigné les coupables :
-C'est eux ! C'est eux ! Ne me tuez pas !
Un soldat a ordonné à l'un d'entre eux de se déshabiller. Puis il a tiré. J'ai eu un haut le cœur mais j'ai retenu mon cri. Il a ensuite dit aux deux autres de courir puis il a tiré lâchement dans leur dos. Effrayés, nous sommes tous remontés dans le wagon. Le train repart dans un silence insupportable. La chaleur règne. L’odeur de la sueur devient insupportable. Soudain, le train ralentit : nous arrivons. Que va-t-il se passer ?
-Schnell ! Schnell !
Les S.S nous font sortir à coups de matraques. Il fait très froid. Dans la cohue générale j'aperçois Maurice puis Joseph. Les femmes doivent se placer d'un côté, les hommes et les plus de 16 ans d'un autre et les enfants se regroupent dans un coin. Joseph n'a que 14 ans pourtant il est avec les hommes. Je me réjouis de savoir mes deux enfants ensemble. Les S.S sélectionnent certains d'entre nous. Il n'y a aucun bruit, tout le monde est tétanisé par la peur et le froid. Je ne suis pas sélectionnée. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose? Je ne sais pas. Tout ce que je peux faire c'est espérer. Les S.S nous conduisent devant un grand bâtiment. Ils nous annoncent que ce sont des douches. Je suis tellement soulagé ! Ils vont même nous donner un savon chacun! J'espère que Maurice et Joseph ont autant de chance que moi et que l'on se retrouvera tout à l'heure. Je me déshabille le plus rapidement possible et me précipite dans les douches. Tout le monde se bouscule pour rentrer. Nous sommes plus de 200. La porte claque violemment derrière nous dans un bruit sourd. Avant que je n'ai le temps de me rendre compte qu'il n'y a pas de douches j'ai l'impression que mes poumons brûlent. J'entends des pleurs, des cris inhumains remplis de désespoir et de douleur qui faiblissent petit à petit. Puis tout devient sombre, flou,

 

Ce travail a été réalisé par le groupe Doc2d (Recherche documentaire au second degré)
Pour nous contacter : bt[arobase]icem-freinet.org
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