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C’est la vie qu'il faut atteindre

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Mars 1967

On a fait erreur en plaçant, au centre du projet de rénovation, l'idée d’un principe : la Méthode Active, par exemple. Cela a été un drapeau. Comme le tracteur qu’on promène à travers champs, symbole des réalisations nouvelles. Ce drapeau a été brandi par Adolphe Ferrière, qui a su le faire claquer au-dessus des conformismes assoupis. Il a animé, suscité, orienté les problèmes et les recherches. Mais nous devons aujourd'hui aller plus loin,

D'abord, que nos adhérents, et les critiques, ne se méprennent plus — ou ne feignent plus de se méprendre — sur les fondements de la modernisation de notre enseignement. .

Il ne s'agit ni « proprement parler d’activité, ni encore moins de vulgaire plaisir, ni de déification de la pensée ou du jugement enfantins, ni de liberté abstraite ou de self-government intégral.

Le problème est autrement complexe et profond, et on fait d'avance fausse route si on lie considère que l’un des éléments, si puissant soit-il, de la rénovation scolaire.

Aucun grand éducateur ne s’y est jamais trompé : c’est la vie qu’il faut atteindre. « L’Ecole par la vie et pour la vie », disait Decroly. « La vie enseigne, le livre précise. »

Toutes nos techniques visent en effet à replacer l'effort éducatif dans le circuit normal de la vie, à retrouver les éléments fonctionnels qui poussent irrésistiblement l’individu à aller de l’avant, à monter, à se perfectionner (besoin naturel et normal de connaître, de chercher et d'agir pour triompher des obstacles qui s'opposent à cette marche en avant, ajustement permanent des outils et des techniques — naturels ou créés par l’homme — qui aident à ce triomphe, besoin d’extériorisation et d’expression par la parole, le dessin, l'écrit, l'acte manuel, la danse, le théâtre, le cinéma, la radio).

C’est à cette besogne complexe que nous nous sommes attelés victorieusement. Et non plus seulement par des conseils théoriques mais par la mise au point des outils et des techniques qui permettent cette reconsidération vivante de notre enseignement.

Et c’est tout à la fois un véritable plan d'enseignement que nous traçons ainsi, en même temps que le programme de nos efforts coopératifs :

a) Expression libre et circuit normal de la pensée et des écrits par l'imprimerie à l'Ecole, le journal scolaire et les échanges interscolaires,

b) L’Ecole par la vie et pour la vie par : le travail véritable à l'Ecole, les enquêtes vers la vie ambiante, la coopérative scolaire, l'intégration des adultes dans l'œuvre éducative.

c) Satisfaction normale du besoin de connaître et de se perfectionner par : le Fichier Scolaire Coopératif, les fichiers autocorrectifs, la Bibliothèque de Travail, le Cinéma et la Radio, les recherches techniques (calcul, agriculture, sciences, etc.)

d) La satisfaction artistique par ; l'imprimerie, la gravure, le dessin, le théâtre, le cinéma, la danse et la rythmique.

On le voit, ce n'est ni au nom de l'activité, ni au nom de la joie ou du plaisir, ni pour le seul profit pédagogique que nous travaillons avec nos enfants. Il s’agit d'une activité fonctionnelle bien plus essentielle que celte que vous risqueriez de susciter dans vos classes ; la joie et le plaisir ne sont que des manifestations superficielles d'une satisfaction intime qui ne redoute ni la peine, ni l'effort, ni les grincements de dents,

Ainsi comprise, réalisée techniquement, avec les outils adaptés aux besoins nouveaux dont nous savons l'éminence, la rénovation pédagogique est inattaquable. Elle ne peut donc que triompher.

C. FREINET

L'Educateur du 15 décembre 1945