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Aspects originaux de nos congrès

Avril 1967

A propos du Congrès de Caen 1962

Aspects originaux de nos congrès

 

Si nous disons que notre Congrès a été une réussite totale, on pensera, en compulsant les comptes rendus des années précédentes que, soit par optimisme, soit par propagande, nous disons toujours ainsi. Ce qui veut dire sans doute que, même lorsqu’ils comportent quelques anicroches, nos Congrès nous valent toujours de grandes satisfactions, pour nous essentielles.

C’est sur l’atmosphère générale de notre Congrès que je voudrais vous donner ici mon impression, avant même le compte rendu général à paraître dans notre prochain numéro.

A-t-il donné totale satisfaction à tout le monde ? Peut-être pas toujours car certains nouveaux venus n'y ont pas trouvé tout ce qu’ils en attendaient. Ils auraient voulu des séances plénières plus nombreuses et plus longues, au cours desquelles on étudierait à fond les thèmes choisis, des séances de synthèse qui fassent vraiment la synthèse des travaux et non seulement le compte rendu.

Cette observation, qui a valu à nos camarades une petite déception, largement compensée, nous disent-ils, par tout ce que le Congrès leur vaut « d’unique et de formidable », nous donne l’occasion d'une utile mise au point sur la place exacte de nos Congrès dans le processus de recherches, d’expériences, et de travail de l’Ecole Moderne.

Oui, je sais qu’il est des Congrès apparemment « structurés » où l'on se contente de discuter, pendant plusieurs jours, du seul thème choisi. Mais on n’y fait pas d'autre besogne et l'association organisatrice ne fait pas d’autre travail en cours d’année. Alors le Congrès est évidemment l’événement marquant.

Nous pourrions, nous, éventuellement nous passer du Congrès, mais notre mouvement et nos Congrès seraient sans portée s'ils ne répercutaient l'incessant travail coopératif poursuivi en cours d'année par nos milliers de camarades.

Nous avons peut-être tort de dire, en raccourci, pour les distinguer des autres Congrès, que nos rencontres sont des Congrès de travail. Nous ne risquons pas, en quatre jours, grignotés d’ailleurs par de nécessaires incidences, de contrôler ou de préparer des BT, de rédiger des fiches, de mettre au point une pratique de travail qui ne peut évidemment pas se séparer de la classe, d'enregistrer disques et films, Toute cette activité de base, nos camarades présents ou non au Congrès, la poursuivent tout au long de l'année, dans leurs classes, dans le silence de leur salle de travail, le soir, en équipe avec les camarades du groupe toutes les fois que cela est possible.

Il en résulte que nos Congrès ne sont pas à vrai dire des Congrès de travail ; ils sont des Congrès de confrontation des travaux réalisés en cours d'année, des prises de contact pour les recherches des camarades isolés, souvent loin des villes et qui ne peuvent se retrouver qu'accidentellement.

Cette confrontation se fait effectivement dans les commissions, dans nos séances de synthèse et au cours de nos séances plénières ; elle prépare en même temps les plans de travail pour l’année à venir.

Nous comprenons fort bien que les jeunes et, en général, les nouveaux venus, soient parfois quelque peu déçus puisqu’ils n'ont encore rien à confronter et qu'ils ont hâte d'apprendre nos secrets et nos techniques. Nous les plongeons peut-être un peu brutalement dans le creuset bouillonnant qu’ils auraient voulu contempler à loisir, du dehors, avant de devenir eux-mêmes éléments de la grande entreprise coopérative.

Mais l’atmosphère incomparable de nos Congrès compensera bien vite la rudesse des premiers contacts.

Plus encore que le succès croissant de nos techniques, c'est le resserrement de nos relations affectives, humaines et créatrices qui nous est tout particulièrement précieux. Il vient du fait que nos camarades ont conscience d’œuvrer au sein d’une véritable coopérative dont ils sont tout à la fois les artisans et les responsables, qu’ils savent enrichir et soutenir de leurs efforts désintéressés et défendre contre ceux qui voudraient attenter à notre bien collectif.

Notre œuvre commune, ils savent qu’elle ne peut continuer à s’épanouir que dans une atmosphère de totale liberté et indépendance et c’est pourquoi ils sont farouchement hostiles à toute compromission avec l’administration, d'une part, et les entreprises commerciales, d’autre part. Ce faisant, nous rejoignons d'ailleurs les opinions émises par M. Cros dans son livre L’Explosion scolaire : « Il faut que l'enseignement soit indépendant, de même que la justice doit être indépendante, par l'effet non d'une illusoire liberté de concurrence mais d'une indépendance institutionnelle établie, délimitée et protégée par les structures de l’Etat. » En attendant, nos camarades préfèrent continuer les sacrifices financiers consentis à notre mouvement et conserver leur totale indépendance sans aucun recours aux soutiens ou aux subventions qui risqueraient de nous enchaîner.

Nous continuerons à tenir le plus grand compte dans nos rapports avec l'administration et, les diverses associations de ces généreuses préoccupations qui honorent notre mouvement pédagogique.

C, FREINET

L’Educateur n° 15, 1er mai 1963

Si nous donnons l’actualité à un écrit de Freinet exprimant ses impressions sur l'un de nos grands Congrès d’Ecole Moderne, c’est pour signifier qu’une page de notre histoire vient d’être tournée : les Congrès de dès à présent ne seront plus les Congrès d’hier. Il y manque le Maître.

C'est avec la grande simplicité du travailleur faisant le point sur le chantier que Freinet, au cours des Congrès, s’en allait de l’un à l’autre, conversant avec amitié, recueillant approbations et critiques. Car s’enquérir et s'éclairer, c'est mieux comprendre, et comprendre, c’est agir utilement. L'amitié et le travail font le reste.

Après Freinet, la tâche devient lourde pour les camarades qui prennent la suite. La grande simplicité, la familiarité qui présidaient aux échanges d’idées et donnaient aux séances les aspects divers de nos classes au travail, ne manquent pas d’avoir des risques quand l’autorité s'est scindée en membres responsables n’assumant chacun qu’un secteur délimité. .Ceci exclut cette spontanéité incessante que tous vous regrettez, mais tous vous comprenez qu'un Congrès de si grande ampleur doit se structurer par le travail fondamental. Tous vous sentez le dévouement total des camarades qui prennent en main de si lourdes responsabilités presque improvisées. Tous vous savez leur compétence, leur attachement à l'œuvre commune, leur fidélité émouvante à la pensée de Freinet.

Et dans le travail même vous comprenez qu'il est des hiérarchies nécessaires donnant la mesure de chacun dans la patience du métier le plus accompli et le plus subtil, celui de l'éducateur. Le fructueux congrès que vous venez de vivre a accusé plus que tout autre congrès ces hiérarchies qui vont donner force et ampleur à notre mouvement. Vous rentrez, les uns et les autres agrandis et rassurés par l'épreuve concluante : une organisation de grande envergure a situé chaque responsable à son poste, a ordonné les séquences des travaux tous centrés par la pédagogie Freinet, pédagogie de totalité, Vous en avez fait la preuve au long de ces quelques journées d’intense travail, cette pédagogie est totale parce qu'elle est valable pour tous les niveaux, pour tous les cas, pour tous les milieux, pour la formation des enfants comme pour la formation des maîtres, pour tout ce qui sert la vie. Maniant avec sûreté et doigté des techniques qui se doublent d'une psychologie comme évidente et naturelle, vous savez que cette pédagogie peut ouvrir toutes les portes des apprentissages de la vie, des connaissances, de l’art, de la culture et aussi d'une psychothérapie familière qui rééquilibre et réintègre dans la communauté l'enfant désadapté.

Dépassant de loin les obligations de la vie scolaire, les plus évolués d’entre vous ont pris conscience, depuis longtemps, de la nécessité de cette éducation permanente vers laquelle, depuis toujours, Freinet a orienté le mouvement par une liaison naturelle de l'Ecole au milieu, suppléant ainsi à la base, aux carences d'une Education Nationale spoliant peu à peu l'école publique de ses droits à la culture. L’école du premier degré ne sera bientôt que la servante au rabais d’un enseignement élémentaire ne visant qu'à l'acquisition minime du lire, écrire et compter dans les formes les plus dégradées de la connaissance.

Mais les classes Freinet, qui baignent dans la vie du terroir ou de la cité, ne seront jamais ramenées à la portion congrue du savoir. Vous savez que l'éducation est toujours à sa place, même et peut-être surtout au-delà des murs de la classe, quand elle amorce de vrais dialogues entre l'adulte, l'enfant et le groupe, qu’il soit famille ou société. Alors, l'éducation devient rayonnante et l'éducateur est rassuré, Il est indispensable pour de telles fins qu'il y ait dans un mouvement comme le nôtre, une élite d’avant- garde se portant aux points aigus de culture mondiale pour y puiser quelques bribes d'un précieux pollen dont elle fera son nectar. Mais le danger serait que cette élite ressente un jour un besoin d'exil à cause justement des biens précieux, qu'elle a su butiner par ses propres mérites : c'est un penchant naturel de se plaire et de se complaire dans une aventure singulière où l'on s'est surpassé soi- même dans une méritoire acrobatie intérieure, L'illusion serait grande de vouloir attirer à soi ceux qui sont encore loin sur la route pour leur prodiguer des richesses que l’on ne voudrait plus lâcher pour ne pas déchoir de sa propre image.

Ce sont des cas de conscience qui peuvent troubler les meilleurs d'entre vous. Mais, si ces cas se posent, c’est que vous aurez déjà perdu ces sentiers de vérité que vous a ouverts la grande simplicité de la pensée de Freinet. C'est surtout que vous aurez oublié les niveaux intermédiaires d'une compréhension valable toujours quand elle sert la vie. C'est pour ces niveaux échelonnés de la base au sommet qu’il nous faut des cadres. Il faut former ces cadres de façon accélérée pour que la masse qui vient vers nous soit sécurisée, pour que nos praticiens encore hésitants deviennent praticiens de classes-témoins, pour que s'instaure sur une grande échelle l’éducation du travail sans laquelle il n'est pas de victoire possible.

C’est là, je crois, la conclusion logique et humaine de ce récent congrès de Tours dans lequel chacun de nous et tout spécialement vos responsables ont pris, dans l'épreuve, leurs nouvelles dimensions et leurs nouveaux engagements face à un avenir qui commence à aujourd’hui sans rien renier d’un passé toujours présent à vos mémoires et à vos cœurs.

ELISE FREINET