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La création comme pratique de la joie

Octobre 1998

 

 

CréAtions n°83 - Peindre - publié en septembre-octobre 1998 - Editions P.E.M.F

Classe de CE2, CM1, CM2 du groupe scolaire de la Bastide (Var) – Enseignant : Nicolas Go

 

 La création comme pratique de la joie

La meilleure éducation sera toujours celle qui saura mobiliser les puissances de l’être ; celle qui libèrera les plus grands pouvoirs de création en accord avec le cœur le plus généreux et la conscience la plus exigeante.

Elise Freinet.

La création n‘est pas une activité scolaire mais un mode de vie

Il doit y voir, au sein d’une classe, un travail permanent de création dans tous les actes de la vie. L’objectif n’est pas de « faire quelque chose », d’accumuler des activités, mais de fonder toutes les activités sur un principe commun : la vie. Il s’agit de donner possession de leur puissance de vie aux enfants, aux adolescents.

Si on parle de peinture, celle-ci s’insérera dans une pratique générale de création, sinon, elle reste commune ; elle sera au service de cette force de vie potentielle de l’enfant qui doit être actualisée par des pratiques au risque de ne produire qu’un ersatz de création.

 Toutes les activités scolaires ordinairement conçues comme finalité de l’enseignement sont comprises comme le prétexte à autre chose : la création.

Cette création n’est pas un objectif, c’est une pratique de la joie.
 
Ainsi, dans la classe coopérative, on entretient d’autres rapports que d’utilité. L’autre n’est pas quelqu’un dont je me sers comme moyen, il est une fin en soi.
 

Il y a alors création dans la relation à autrui, car la qualité humaine de cette relation, il faut l’inventer. Des relations d’harmonie surgit alors la joie.

Si l’école est le lieu de l’enfant, il doit pouvoir y construire le décor de sa vie.

Dans ce petit groupe scolaire rural de Provence à trois classes, l’univers est d’une richesse extraordinaire. Par un contact permanent avec le monde, les enfants s’imprègnent, se fondent dans le champ illimité des sensations. Ils sont invités à regarder la nature autrement que leurs parents paysans, éleveurs ou bûcherons pour qui elle est surtout un moyen de subsistance.

La classe est organisée en ateliers libres tous les après-midi. Les activités sont ouvertes, offrant ainsi une grande souplesse en fonction des désirs des enfants et de la saison : cueillette dans la forêt, chasse aux insectes ou aux têtards pour le terrarium ou l’aquarium, terre, peinture, sculpture, chant, théâtre…


 
C’est dans le cadre de ces activités librement choisies qu’un groupe d’enfants a réalisé une fresque en peinture acrylique (12/3) qui fait le tour du préau. Ils l’ont peinte à même le mur, c’est leur mur, leur peinture. Cette fresque collective est le fruit d’une liberté totale dans la collaboration et dans le sujet.  

Aria, une maman d’élève artiste peintre, a souhaité vivre ce projet en compagnonnage avec les enfants.

Sa présence affective a crée autour d’eux une atmosphère de confiance et de sécurité. Aidant à réparer les « bavures » des maladroits, à encourager et stimuler les hésitant, elle a tété attentive à toutes les éclosions.

Au départ, les enfants ont décidé d’un thème, procédé à quelques activités préparatoires avec un projet, , prétexte pour lancer l’activité. Mais dans leur enthousiasme, ils ont débordé bien vite le sujet, et le projet s’est transformé au fur et à mesure de l’activité de création. On sait toujours de quoi on part, mais on ne sait jamais bien où l’on va aboutir. On pèche plus par excès d’invention, par collaboration trop enthousiaste que par pauvreté d’inspiration.

Le besoin de merveilleux, de surnaturel, le sens décoratif se répandent à travers les fleurs étincelantes, les personnages aux habits chatoyants, les détails synonymes de richesse et d’éclat, et pour les plus grands se mêlent à la poésie. Ces enfants sont des magiciens de la couleur faisant plus beau que nature.  

Nous trouvons que partout où il y a de la joie, il y a création: plus riche est la création, plus profonde est la joie.

Bergson


La technique est nécessaire mais non suffisante

En parallèle à ce travail collectif de peinture, on trouve d’autres enfants penchés sur un projet personnel. L’année précédente, un peintre habitant la commune était venu dans l’école apprendre aux enfants qui le désiraient la technique de la peinture à l’huile. Il les avait reçus chez lui et avait échangé avec eux de petits cadeaux. Il s’était installé entre l’artiste et les enfants des relations affectives authentiques.

Forte de cette expérience et aussi parce que sa maman pratique la peinture à l’huile dans ses moments de loisir, Manon s’est investie dans un paysage à l’huile. La réussite de son entreprise révélée par l’accueil chaleureux de ses camarades et des adultes l’a incitée à réaliser un deuxième tableau qu’elle a offert à sa mère.

A partir du premier tableau, on a pu assister à une création spontanée de paysage par Marie, l’une de ses camarades. Il s’agit là d’imitation et non de copiage. Ce qui conditionne l’œuvre ce n’est pas la forme mais l’utilisation de la forme au service de la création. Au contraire de la création originale, l’imitation est une pratique créative à partir d’une forme déjà constituée et sur une stimulation affective qui agrandit le pouvoir de création. Dans la simple copie, il y a restriction du pouvoir de création. Dans l’imitation, il y a élargissement de ce pouvoir par la charge affective.

Ce nouveau paysage fleurant la Provence est réalisé à l’aide d’une technique et d’un matériau totalement différent du premier tableau, mais la technique n’est jamais qu’un moyen. L’objectif n’est pas l’utilisation d’une technique ou d’une autre, il est qu’au travers de la technique l’enfant découvre un moyen de faire un retour sur lui-même. S’extraire de la vie pratique est impossible dans le quotidien "instrumentalisé". Dans la mise en place d’un travail artistique, ce qui est important, c’est ce que l’on donne à l’enfant à faire, c’est ce qui se passe à l’intérieur de l’individu.

 Seule la série des couleurs sur la toile, avec tout leur puissance et leur résonance pouvait en s’orchestrant traduire l’émotion colorée du paysage.

Vlaminck

 

 

Les peintures chatoyantes qui font chanter les murs ne sont pas là pou une fête des yeux exclusive et qui ferait oublier les incohérences apparentes de la vie scolaire de chaque jour. Elles sont les enluminures de chantier vivant où chacun s’affaire à la besogne choisie.

Elise Freinet

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