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Conclusions provisoires

Dans :  Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Avril 1967
CONCLUSIONS PROVISOIRES

UNE PÉDAGOGIE CENTRÉE SUR L'ENFANT

Les expériences présentées dans ce document ne doivent pas être considérées comme des modèles. Malgré la part toujours plus grande qui revient à l'enfant dans les classes Freinet, malgré l'éventail toujours plus large des outils et des techniques libératrices, la personnalité de l'éducateur reste un facteur déterminant.

Michel Plee, directeur pédagogique du Centre régional de formation des maîtres spécialisés de Nantes, écrit, dans un numéro de la revue LES CAHIERS PEDAGOGIQUES, consacré à la relation maître-élèves, à propos de la classe de P. Yvin :

« D'abord, la personnalité même de Pierre, que j'ai vu également au milieu de ses élèves, l'incline (presque par nature, si l'expression a encore un sens) à une attitude non-directive, c'est-à-dire, au sens rogérien, à une altitude de centration authentique sur les enfants. Toutefois, nonobstant la personnalité de Pierre, il faut préciser que la pédagogie qui permet aux enfants de créer les institutions internes de leur classe, n'est pas fondée sur une attitude non-directive. »

Certes, l'évolution de la vie et du travail dans un groupe qui s'autogère est différente d'un milieu à l'autre. La personnalité, le tonus d'une collectivité varient d'une classe à l'autre, et dans une même classe ne sont pas les mêmes d'une année à l'autre.

Cependant il convient de noter que, dans les expériences décrites dans ce document, sensiblement différentes les unes des autres, il y a bien centration du maître sur les enfants.

Au niveau de chaque activité, au niveau de l'organisation, le maître apporte sa part, mais seulement la sienne, la part totale étant celle de tous les individus composant la collectivité. Au niveau de toutes les activités choisies par le groupe, le maître donne son avis au titre de membre de l'équipe, mais « il ne se mêle pas de modeler les esprits, de les plier à sa fantaisie, pour les conduire il ne sait où d'ailleurs » (FREINET : Education du Travail).

Cette pédagogie, fondée sur une attitude semi-directive du maître, se caractérise essentiellement par l'autogestion des activités scolaires.

Enfin, les relations maître-élèves, loin d'induire des phénomènes de dépendance réciproque, facilitent d'authentiques relations d'élève à élève et l'accession de chacun à son autonomie, à son humanité.

L'éducation doit permettre à l'enfant d'acquérir une indépendance qui en quelque sorte le fortifiera et l'aidera à affronter des situations nouvelles. Un système d'autogestion favorisera l'intégration de l'adolescent dans la société moderne, où prévalent plus que jamais l'esprit d'initiative et de responsabilité.

L'autogestion à l'école est la pédagogie de notre temps. Elle seule est apte à amener les enfants et les adolescents ‑ adultes en devenir ‑ à construire la société socialiste de demain, où chacun trouvera SA place.

*

L'AUTOGESTION A L'ÉCOLE : UNE UTOPIE ?

Les expériences d'autogestion décrites dans ce document ont été réalisées dans l'enseignement spécial. Ce n'est certes pas un hasard. Dans les classes de perfectionnement où l'effectif est réduit (15 élèves), on autorise, et même on préconise une pédagogie rénovée ; on accorde aux maîtres une confiance et une grande liberté dans les programmes et dans les horaires. La nature des élèves, déficients intellectuels, leur interdisant d'aborder certaines valeurs, libère les maîtres d'un souci exclusif des connaissances. De telles conditions sont favorables à l'expérimentation pédagogique.

De même, des expériences se réalisent dans les classes de transition, qui bénéficient de certains avantages des classes de perfectionnement.

C'est aussi au niveau de l'école maternelle que se pratique une pédagogie de liberté « sans heures de classe régulières, réglementaires, comme dans toutes les écoles et à l'armée » (LA PART DU MAITRE : 8 Jours de classe, par Elise Freinet, BEM 41). C'est un système d'éducation qui tient compte des besoins et des intérêts de l'enfant et du groupe, où l'enfant se prend en charge tel qu'il est, à son niveau et à son rythme, avec l'aide du groupe maître-élèves,

De même à l'école de campagne, souvent classe unique, l'éducateur n'a pas le souci des paliers d'âge, tel celui de l'âge de la lecture (6 ans). Ayant les enfants pendant plusieurs années, il peut se libérer davantage des programmes et laisser chaque enfant suivre son rythme. De plus, il s'intègre à la vie du village. Il se crée, entre les familles et lui, un style de relations plus humain, plus authentique que celui qui existe entre l'instituteur de ville et les parents, ainsi que les élèves. L'école de campagne est l'école idéale pour une pédagogie de relations permettant aux enfants et au maître de vivre pleinement, et constituant un élément essentiel d'efficacité dans l'enseignement.

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Une pédagogie de l'autogestion destinée à rendre les élèves maîtres de leurs initiatives et de leurs décisions pour tout ce qui concerne les activités et les modes d'organisation de vie et de travail, n'est-elle donc qu'un rêve pour les classes dites normales du primaire, du secondaire et du supérieur ?

Certes, de nombreux obstacles constituent un frein sérieux à l'application de l'autogestion dans certaines classes : ‑ les effectifs chargés ‑ les examens ‑ les programmes ‑ les structures de l'enseignement (secondaire notamment) ‑ l'opposition de certains Administrateurs (au secondaire) ‑ l'incompréhension de certains parents, par manque d'information.

Nous ne pensons pas qu'il suffise de critiquer, comme le font certains, la lourdeur des programmes officiels, du moins à l'école primaire, où ils sont en général sans prétention. Une transformation souhaitable serait la suppression des paliers d'âge, tels que :

‑ 6 ans, âge de la lecture. Même si les 3/4 des enfants sont murs a six ans pour la lecture, il reste qu'il y en a 25 % qui ne le sont pas ; et c'est justement là le pourcentage d'échecs au Cours Préparatoire en général. Méconnaître la psychologie de l'enfant, ignorer ses réels intérêts, c'est passer à côté de toute éducation. La grande majorité des maîtres de C.P. est actuellement conditionnée par l'idée que « le Cours Préparatoire est fait pour apprendre à lire aux enfants » (Instructions officielles de 1923).

‑ Autre palier : 11 ans, âge d'entrée en 6e : même conditionnement des maîtres et des enfants.

‑ Puis au lycée : à tel âge, tel examen.

Notre conviction est que les enseignants inventent trop souvent des limites à la liberté du maître et des élèves ; car ils ont beaucoup de mal à dépouiller complètement le vieil homme, à se déconditionner de l'habitude du déroulement folklorique d'une journée de classe (morale, écriture, lecture, calcul...) et de la progression rigide des acquisitions (répartitions mensuelles...), de tout ce qui les a marqués pendant leur propre scolarité, et qui est hélas encore trop souvent monté en épingle dans les Ecoles normales.

Ce qui leur manque, c'est la confiance en l'enfant, l'idée qu'il soit capable d'organiser à son rythme sa vie et son travail à l'école. Ils ne sont pas assez convaincus que la classe est tout autant l'affaire des enfants que la leur.

Certains se retranchent derrière le manque de crédits ou l'insuffisance du nombre de professeurs, comme si les crédits et les professeurs supplémentaires (que nous réclamons nous aussi) pouvaient lever les obstacles inhérents à la personne même de l'éducateur et à sa formation.

D'autres préfèrent attendre le « grand soir » qui verra naître la Société nouvelle à laquelle nous aspirons nous aussi. Comme si cette Société ne pouvait se préparer déjà à l'école, par la pratique d'une pédagogie visant à former des esprits plus libres, plus critiques, plus indépendants, et des êtres plus autonomes !

*

Ah ! si l'on considère la pesanteur des institutions et des mœurs, alors l'autogestion à l'école paraît une utopie Certes, cette entreprise est une chose difficile, très difficile ; et, dans les conditions actuelles de l'enseignement, nous n'arriverons pas à la mener, à tous les niveaux, d'une façon parfaite.

Mais, « en visant à des choses impossibles, on obtient à la longue des choses possibles auxquelles on n'eût jamais atteint autrement ». (Sainte-Beuve)

Cependant, la démarche de l'éducateur pratiquant une pédagogie de l'autogestion ‑ et qui est celle du tâtonnement expérimental de Freinet ‑ peut inspirer les maîtres des classes normales.

Dans un climat d'amitié et de coopération, le maître peut, lorsque se trouve levé le masque de son statut, proposer des activités du programme ; et l'enfant, par référence à un planning de connaissances, peut demander du travail purement scolaire. Nous ne saurions concevoir une attitude non-directive du maître, qui doit faire renaître dans l'élève ce besoin de connaître, d’œuvrer et de « monter selon la loi de la vie » (C. FREINET : Education du travail).

Nous ne cachons pas que de telles expériences, surtout quand elles sont poussées jusqu'à la liberté d'apprendre, exigent suffisamment d'audace et d'assurance de la part de l'éducateur. Elles peuvent comporter des risques, si l'éducateur lui-même ne procède pas d'abord progressivement à un rythme qui sera fonction de ses propres possibilités techniques.

Il est important que le maître possède bien l'esprit d'une technique ou d'une activité qu'il propose ; sinon, il ne présentera aux élèves qu'un ersatz de travail vivant. Et il aura vite fait de rejeter l'échec d'une activité sur leur manque d'intérêt, alors que c'est lui qui en porte la responsabilité.

Nous pensons que notre document pourra néanmoins aider les éducateurs qui veulent se lancer plus hardiment vers une pédagogie de liberté indispensable à une éducation véritablement démocratique.

*

L'ÉCOLE DE DEMAIN

VERS UNE ÉCOLE LAIQUE

POPULAIRE, MODERNE ET LIBÉRATRICE

LES ETUDIANTS,

-          las de l'autorité des adultes qui voulaient les garder en tutelle
-          las de subir un enseignement qui les réduisait à absorber passivement des connaissances souvent sans rapport avec les besoins d'une société moderne en constante et rapide évolution ;
-          las de voir leur formation tributaire des besoins d'une société fondée sur le profit et l'exploitation de l'homme ;
-          las d'être condamnés eux-mêmes à devenir des exploiteurs, grâce à « l'organisation systématique de l'embrigadement des étudiants dans l'appareil d'exploitation capitaliste »... (1)
se sont révoltés avec fermeté, en mai 1968
-          contre les structures hiérarchisées de l'Université ;
-          contre les méthodes pédagogiques et la relation autoritaire maître-élèves ;
-          contre la culture bourgeoise... et ont exigé l'autogestion de leur formation et de leur vie dans des Universités autonomes, où le pouvoir serait assumé par les usagers.

Leur mouvement révolutionnaire a introduit la démocratie directe à la base et instauré une discussion permanente sur les objectifs du combat engagé. Il a porté au premier plan les revendications fondamentales de tout homme libre :

-          le droit aux libertés d'expression, d'information, d'organisation, de discussion, de libre formation ;
-          le droit d'être le responsable de son propre devenir.

(1) Les Comités d'action, page 238, in revue PARTISANS, mai-juin 1968 : Ouvriers, étudiants, un seul combat !

Mais ils se sont très rapidement aperçus que les changements profonds et capitaux de l'Université ne pourraient avoir lieu que dans une société nouvelle, une société où chaque homme pourrait avoir prise sur son destin, en participant activement à la gestion de son travail et de sa vie. Car rien ne peut, en effet, être définitivement transformé, tant que la société reste gérée par une minorité détentrice des moyens de production et soucieuse avant tout de perpétuer ses privilèges de classe en maintenant le peuple en état d'assujettissement.

«  Les gouvernements des grands Etats ont entre les mains deux moyens pour tenir le peuple en dépendance, pour se faire craindre et obéir : un moyen plus grossier, l'armée ; un moyen plus subtil, l'école » (NIETSCHE: Opinions et sentences mêlées).

« L'Etat moderne façonne (il est contraint de le faire, ne fût-ce parfois que par un réflexe d'auto-défense) l'idéologie et la moralité sociale du peuple. C'est pourquoi, sous des formes atténuées ou accusées, il contrôle l'Education Nationale, l'information, voire la propagande » (M. PAPON: L’Ère des Responsables).

Toute contestation de l'Université doit donc déboucher obligatoirement sur une contestation de la société et de l'Etat. Ce fut, en mai 1968, l'aboutissement inéluctable des luttes étudiantes. Il n'est pas étonnant que les jeunes travailleurs, non aliénés encore à une société de consommation fondée sur le profit et l'exploitation de la masse laborieuse, adhérèrent profondément à ce vaste mouvement.

Les travailleurs dynamisés par cette combativité, ayant pris conscience de la nécessité impérieuse de créer une société nouvelle et de leur possibilité de vaincre, lancèrent alors spontanément une grève générale illimitée d'une ampleur sans précédent. Revendicative et politique à la fois, elle tendit rapidement à devenir gestionnaire, et le terme AUTOGESTION lancé par les étudiants devint familier à tous. Chacun n'avait pas encore pleinement conscience de toutes les implications d'un système autogéré, mais il ressentait cependant le besoin profond de pouvoir être le maître de son travail et de sa vie, dans une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité.

En fonction de la relation dialectique entre la Société et l'Ecole, il était logique qu'une critique profonde de l'Ecole se fasse, tant chez les enseignants que chez les ouvriers et les agriculteurs.

Une question se posait à tous : L'Ecole actuelle est-elle compatible avec la revendication d'une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité ?

Bien avant les événements de mai, les syndicats enseignants, les syndicats ouvriers et les syndicats agriculteurs avaient dénoncé l'école comme une entreprise de mise en condition, au service d'une société fondée sur le profit. Chacun savait que l'expression « démocratisation de l'enseignement » dont se parait chaque nouvelle réforme, n'était qu'un leurre, et que les enfants d'ouvriers et de paysans avaient toujours aussi peu de chances d'accéder à la faculté.

Dans une remarquable étude sur l'enseignement, le Centre Départemental des Jeunes Agriculteurs (C.D.J.A.) de Loire-Atlantique écrivait notamment :

« Les «bonnes études » sont-elles réservées aux « bonnes familles » ? Ce qui est certain, c'est qu'à l'école les enfants n'ont pas les mêmes chances de réussir, selon la classe sociale qui les a vus naître, et les différences se manifestent dès le primaire. Une enquête de l'institut National d'Etudes Démographiques démontre que, parmi les élèves que l'on peut classer comme « médiocres » ou « mauvais » à la fin du Cours moyen 2e année, il y en a 30 % chez les enfants de salariés agricoles, 29,6 % chez les enfants d'ouvriers, 23,5 % chez les enfants d'agriculteurs, mais seulement 9,9 % pour les cadres supérieurs.

« Quelles sont donc les raisons de cet état de chose ?

« «Rien n'autorise à conclure que les enfants de condition supérieure soient nécessairement plus doués intellectuellement que les enfants d'ouvriers. Il faut donc chercher d'autres explications, et parmi celles-ci, l'ambiance familiale, l'éducation reçue dans les familles, qui prépare et soutient (ou ne soutient pas) le jeune dans sa scolarité, les conversations familiales, les livres, les jouets reçus depuis l'enfance, le niveau culturel des parents, sont des éléments importants dans la réussite ou l'échec du jeune.

« Par ailleurs, l'organisation actuelle de l'enseignement n'est pas faite pour compenser les handicaps des enfants d'agriculteurs... Les méthodes d'enseignement font le plus souvent appel à la mémoire et aux notions abstraites sans relation avec la vie des enfants... »

Les pédagogues modernes ‑ et Freinet en particulier ‑ avaient déjà dénoncé depuis de nombreuses années un enseignement inadapté aux enfants du peuple et complètement détaché de leur vie. Mais leur action n'avait pas encore réussi à influencer la grande masse des enseignants, qui demeuraient prisonniers de pratiques pédagogiques traditionnelles dénoncées par tous, et cependant toujours fidèlement transmises par les Ecoles Normales.

La contestation estudiantine, l'engagement profond de nombreux enseignants dans le mouvement de mai et la communication rétablie avec les ouvriers et les paysans, ouvrirent la voie à une brutale remise en cause de l'organisation de l'enseignement qui perpétuait l'injustice sociale, et des méthodes pédagogiques incompatibles avec les aspirations à la liberté d'expression et à l'autogestion exprimées par les étudiants, les lycéens et les collégiens. Tous les travailleurs exigeaient l'abrogation de la réforme Foucher, élaborée pour les besoins en main-d’œuvre de l'économie capitaliste moderne :

30 % de manœuvres et d'ouvriers spécialisés fournis par les classes pratiques ;
40 % d'ouvriers et d'employés qualifiés fournis par les cycles courts et les C.E.T. ;
30 % de dirigeants moyens et supérieurs fournis par les lycées et les Universités.

Chef-d’œuvre de la ségrégation sociale, le plan Foucher était l'objet d'une unanime réprobation, et les commissions élèves-enseignants-travailleurs oeuvraient avec enthousiasme à la mise sur pied d'un projet fondé sur les principes du plan Langevin-Wallon. L'école nouvelle apparaissait à l'horizon de nos espoirs...

QUE SERA CETTE ECOLE ?
Une ECOLE UNIQUE,

-          car elle seule peut permettre à tous les enfants de se rencontrer, de se connaître, de s'apprécier, de se comprendre ;
-          elle seule peut être le fondement d'une société socialiste authentique, en apprenant dès l'enfance aux hommes à vivre ensemble, à prendre des responsabilités ensemble, à être heureux ensemble ;
-          elle seule peut être la garantie du respect des Droits de l'Enfant, dont l'art. 10 de la Déclaration des Droits de l'Enfant, adopté par l'Assemblée Générale des Nations-Unies le 29 novembre 1953, dit :

« L'enfant doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à la discrimination raciale, à la discrimination religieuse et à toute autre forme de discrimination. »

L'Ecole Unique ne pourra être étatique, mais elle sera une Ecole Nationale, gérée par les élèves, les éducateurs, les parents, les représentants de l'administration et par les syndicats des travailleurs. Elle apportera une solution définitive à l'opposition école pratique-école privée, si préjudiciable aux enfants des campagnes. Ecole de tous, elle ne pourra être qu'une ECOLE LAIQUE. Car la laïcité seule peut garantir la liberté pour chaque enfant de se déterminer lui-même, et assurer le respect de la démarche religieuse des consciences. Mais la laïcité ne se définit pas seulement par la neutralité religieuse, car elle est aussi synonyme de progrès humain.

Etre laïque, c'est lutter contre toutes les forces économiques, sociales, politiques, philosophiques, religieuses, adversaires du progrès et de la liberté ; c'est choisir des valeurs humanistes : paix, justice sociale, liberté d'expression, solidarité humaine.

L'éducateur laïque est en plein accord avec la Charte des Educateurs adoptée à Moscou par des représentants des grandes organisations internationales en 1955, qui dit dans son art. 1er : « Les devoirs essentiels des éducateurs sont le respect de la personne humaine chez l'enfant, la recherche et le développement de ses aptitudes, le souci d'éduquer en instruisant, le dessein permanent de former la moralité de l'homme et du citoyen futurs et d'éduquer l'enfant dans un esprit de démocratie, de paix et d'amitié entre les peuples ».

La laïcité suppose aussi l'égalité et la justice entre les hommes c'est pourquoi l'école unique laïque sera

une ECOLE DE JUSTICE SOCIALE, « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d'autres limitations que celles de leurs aptitudes » (Projet de réforme Langevin‑-Wallon).

L'Etat devra assumer entièrement la charge financière de la scolarité des enfants, de la maternelle à la faculté, et permettre à toutes les familles de créer un milieu affectif, moral, intellectuel et vital, qui soit totalement épanouissant.

L'Ecole Nouvelle, école du travail créateur, donnera une égale valeur aux activités manuelles et aux activités intellectuelles ; ainsi chaque enfant, quelles que soient ses possibilités, pourra trouver une voie pour se réaliser et réussir. D'ailleurs, dans la société socialiste disparaîtra le préjugé antique d'une hiérarchie entre les tâches et les travailleurs : chacun sera un homme libre et un travailleur responsable.

Seule, une ECOLE DEMOCRATIQUE peut assurer la formation d'un tel homme.

Cette formation doit être basée sur l'AUTOGESTION qui, en germe à l'école primaire, pratiquée au lycée et surtout à l'Université, permettra un véritable changement dans la mentalité des individus.

Il est essentiel déjà que les enfants :

-          prennent le maximum de responsabilités
-          puissent s'exprimer librement et à propos de tout
-          apprennent à critiquer à propos de tout, et des institutions internes de la classe.

Dès l'école primaire les enfants doivent être maîtres de leurs initiatives et décider de leurs conditions de travail et de vie. Ainsi l'éducation sera épanouissement et élévation, et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition.

Opposé à tout endoctrinement, l'éducateur se refusera à plier l'esprit de l'élève à un dogme infaillible et préétabli quel qu'il soit. Mais il s'appliquera à faire de ses élèves des adultes conscients et responsables, qui bâtiront un monde d'où seront proscrits la guerre, le racisme et toutes les formes de discrimination et d'exploitation de l'homme.

L'école laïque, démocratique et ouverte à la vie, sera aussi

une ECOLE DE LA TOTALITE HUMAINE. Par ses techniques éducatives modernes, elle permettra aux enfants de se former sur tous les plans : intellectuel, manuel, physique, esthétique, moral et civique.

Une reconversion des structures, des techniques, des outils, des programmes, une reconsidération des examens, seront fondées sur une telle perspective.

Certes, la réalité d'aujourd'hui est encore éloignée de cette école nouvelle prolétarienne. Déjà cependant de nombreux enseignants formés à une pratique pédagogique traditionnelle fondée sur une relation autoritaire maître-élèves, sont parvenus à ouvrir leur classe à l'auto-discipline, puis à la cogestion et à l'autogestion. La plupart sont regroupés au sein de l'Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, fondé il y a plus de 20 ans par Freinet et ouvert à tous les éducateurs désireux d’œuvrer coopérativement à la construction d'une école laïque populaire, moderne et libératrice.

Pour cette vaste entreprise révolutionnaire, les éducateurs de l'Ecole Moderne, là où ils se trouvent, se sont mobilisés, car leur expérience et leurs classes sont deux éléments majeurs de la victoire des enseignants qui ont commencé leur remise en cause pendant les journées exaltantes de mai 1968.

Depuis l'école du village jusque dans les campus de l'Université, les enseignants sont condamnés à devenir ensemble les inventeurs de l'avenir. L'homme n'est pas seulement celui de notre passé ; il est en avant de nous, et nous n'avancerons qu'en le cherchant avec le désir ardent de le faire. Ceux qui sont enlisés dans les sécurités du passé ne sont pas des têtes chercheuses d'humanité nouvelle.

Plus nombreux seront les enseignants à établir l'autogestion dans leurs classes, mieux ils prépareront l'école nouvelle libérée. Demain, l'autogestion à l'école sera le système d'éducation du Peuple au Pouvoir. Déjà dans nos classes en autogestion se préfigure la société socialiste et libre de demain. Si nos buts ne sont pas encore atteints, nous sommes sur la bonne voie. Que se joignent à nous ces hommes dont parle J. Rostand, « ces hommes qui ont dans l'âme ce grain de folie nécessaire pour secouer les sages inerties ».

P. YVIN ‑ J. LE GAL