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Un peu de lumière, s'il vous plaît

Décembre 1960

La recherche d’une « technique de vie » nous impose une meilleure connaissance de l’enfant et de l'homme. Or cette connaissance n’est pour nous un « aliment digéré » que si elle s’appuie sur des faits. Elle peut certes venir d’autrui, et fort heureusement, mais nous désirons connaître les faits observés qui ont conduit à échafauder une théorie

Malgré une vingtaine d’années passées avec des enfants nous devons avouer que si nous les connaissons mieux, nous les connaissons encore très peu. Je dois reconnaître que notre lanterne s’éclaire lorsque les enfants vivent avec nous et non lorsque nous leur imposons « nos » leçons et « nos » exercices. Nous recevons des lettres. Il faut y répondre. Le journal scolaire reçu fait s’écarquiller les yeux, avive les esprits. La promenade fait se délier les langues ; les jeux de la cour révèlent des traits de caractère, ainsi que le travail en équipe, pour l'imprimerie par exemple. Et l’on se confie au maître qui ne punit plus et qui sait pardonner en exigeant l'ordre et l’effort.

Mais nous ne connaissons un enfant que dans ses rapports avec un certain milieu qui dépend de notre comportement et de conditions matérielles. Si nous le connaissons dans un milieu aidant et calmant nous ignorons ses réactions possibles devant un milieu énervant ou contrariant.

Trouve-t-il dans le milieu familial un enrichissement intellectuel, un élargissement de vie par les relations, les voyages, la télévision ? Quelles seraient ses réactions dans un milieu banal, insignifiant ? Ne serait-il pas stimulé, porté vers l’évasion dans les lectures ou le rêve ? Ce mal apparent n’est-il pas un bienfait ? Le seul mal, n’est-ce pas l’étouffement d’une personnalité par une contrainte inacceptable ?

Mais alors, que faisons-nous dans nos classes, nous les spécialistes en éducation, soucieux de rester conformes aux normes ?

N’est-ce pas l’instituteur quelconque ou limité par sa santé qui, en aidant l’enfant ou en suscitant ses efforts, lui rend les plus grands services ?

Un trop bon maître, très dynamique, ne risque-t-il pas de briser l’évolution d’un enfant s'il rompt celui-ci à ne compter que sur lui comme il a pu compter sur papa et maman. Un être perpétuellement emmailloté, charmant peut-être, s’en ira désarmé vers la vie ! Ce n’est pas ce que nous désirons.

Si l’on ne considère qu'un seul enfant avec ses possibilités propres nous nous trouvons devant un problème complexe. Que dire de l’éducateur qui vit avec un groupe ?

Eh bien ! il ne fait que ce qu’il peut ! à l’aveuglette ou en s'appuyant sur des « méthodes éprouvées » comme le paralytique sur sa canne. Il apporte aux uns des bienfaits ; des autres il ignore les vrais problèmes.

Non, rien ou presque rien n’a été dit de la nature de ces êtres fragiles qu’on nous confie par fournées et avec lesquels nous devons vivre, obligatoirement.

Nous vous crions, messieurs les psychologues, psychiatres ou professeurs : « Venez-nous en aide ».

Nous n’avons pas le temps, nous, la fatigue et l’âge aidant, d’approfondir des théories qui sont parfois, ou le paraissent, trop éloignées, détachées de notre terre à terre quotidien. Vous sera-t-il possible de descendre jusqu’à nous pour étudier la nature de ces enfants ? Pour réviser peut-être des théories que nous- même avons toujours ignorées, pour nous faire éviter les plus grosses erreurs ?

Fort heureusement, malgré notre ignorance, nous sentons quand cela va, et nous tâchons de recréer les conditions qui ont fait tourner rond : emploi de matériel, exploitation d’un intérêt réel mais toujours fugitif, réaction de l’instituteur devant l'individu et dans le groupe, recherche constante de la sincérité...

Cette mystérieuse antenne, tout intuitive, nous préserve des plus grands dangers mais nous pensons que vos lumières peuvent nous être fort utiles.

Il faudrait que notre revue Techniques de Vie, qui se veut d’un niveau élevé, vienne puiser aux sources de la vie pour confirmer certaines théories existantes ou nous amener à découvrir de nouvelles lois.

 

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