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Octobre 1965

Nos techniques sont en train de se développer sur une large échelle et la pédagogie officielle en sera sous peu profondément influencée.

Si notre but était seulement de trouver de nouveaux adhérents et de placer du matériel et des éditions, nous pourrions nous montrer très satisfaits. Mais il nous faut éviter en même temps que se pervertisse sous le nombre une pédagogie que nous voulons obstinément libératrice.

La chose serait relativement facile si nous possédions des organes de presse à grande diffusion susceptibles de contrebattre la presse de fa pédagogie traditionnelle, et surtout si nous avions des possibilités de recyclage à la mesure de nos besoins : stages de plusieurs semaines pour responsables à l'institut Freinet de Vence, très nombreux stages d'une semaine pendant les vacances, stages départementaux et régionaux officiellement organisés avec des instructeurs Ecole Moderne, visites presque permanentes d'Ecoles-témoins, expositions et démonstrations, films, radio et télévision. Comme, à ce jour, nous ne bénéficions d'aucun avantage officieux ou officiel pour ce recyclage, nous ne pouvons compter que sur la bonne volonté à peu près sans limite de nos adhérents, et la compréhension intelligente d'un nombre croissant d'inspecteurs, de Directeurs d'Ecoles Normales et de chercheurs de tous niveaux.

Et, dans l'ensemble, les progrès enregistrés sont réconfortants.

Notre progression se fait exclusivement par tâtonnement expérimental. Nous n'avons jamais pensé que, tout d'un coup, comme par miracle, 100, 1 000, 50 000 écoles vont, à un moment précis, adopter les techniques Freinet de l'Ecole Moderne pour lesquelles toute une organisation spécialisée les aurait systématiquement préparées. Non, les choses ne se passent jamais ainsi dans la vie ; on ne change pas brusquement de technique de vie et de travail. Nos réussites — et elles sont aujourd’hui nombreuses et spectaculaires — ont, du seul fait qu'elles sont réussites, une résonance certaine dans les milieux enseignants et même hors de l'Ecole. Une brèche a été ouverte dans le vaste complexe de formation de l’enfance et de la jeunesse ; le mouvement en avant qu’elle suscite agite de ses vibrations et de son appel la masse croissante des hommes inquiets devant les problèmes nouveaux qui s'imposent à eux. Il y a comme une lente imprégnation qui se produit. On adopte rarement en bloc notre pédagogie. On ne veut pas se lâcher des mains tant qu’on ne touche pas des pieds. On commence par une technique, celle naturellement qui apparaît comme la plus évoluée et qui semble répondre au mieux aux plus pressants besoins. Ce sera la plupart du temps le texte libre, les fichiers autocorrectifs ou la correspondance. Si ce premier tâtonnement réussit on ira ensuite plus avant.

Mais ce progrès nécessaire suppose des exemples et des témoins. Si, dans la famille, les parents parlent une langue pure, l’enfant qui commence à jaser s'efforcera de les imiter et il parviendra immanquablement à parler parfaitement leur langue. S’il n'avait autour de lui que des personnes employant une langue incorrecte, il se satisferait d’une pratique insuffisante. Telle est la loi du tâtonnement expérimental.

Il est normal que les éducateurs débutent dans nos techniques par des ersatz gravement imprégnés encore de scolastique. Ils s'y scléroseraient s’ils n’avaient pas l’exemple encourageant de meilleures réussites.

Cette réalité nous dicte notre tâche actuelle : offrir à cette masse d’éducateurs qui éprouvent le besoin de changer leur technique de travail :

— un réseau de classes-témoins qu’ils pourront visiter, où ils pourront voir notre matériel et nos techniques en action pour s’imprégner de leur exemple ;

— l’appui et les conseils de nos groupes départementaux ;

— le cours par correspondance ;

— nos livres et revues ;

— nos films.

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Nous mettons en garde les nouveaux venus qui croient pouvoir aborder nos techniques sans ce nécessaire tâtonnement contre certaines erreurs — de jeunesse — qui risquent de compromettre la portée générale de notre pédagogie.

1i°. Les jeunes réagissent trop souvent en face de nos techniques comme les écoliers qui, comprimés pendant plusieurs heures de classe, contraints à des devoirs contraires à leurs aspirations, voient s'ouvrir à onze heures les portes de l’Ecole. Ils explosent. Ils se livrent à une série d'actes et de gestes sans autre raison que celle de se détendre de l’oppression qu'ils ont subie.

Ils ne sont plus opprimés mais ils ne sont pas encore vraiment libres. Ils subissent le contrecoup de l’oppression ; ils n'ont pas encore trouvé le comportement qui, hors de cette contrainte, pourra asservir leur autorité. Le mot liberté est certes comme un flambeau dont nous connaissons la portée sociale. Mais le mot ne suffit pas. La liberté n'est pas seulement l'absence d'oppression ; elle doit être surtout une réalité sociale constructive et dynamique.

Cette notion de liberté n’est d’ailleurs pas la même dans un régime — qu'il soit scolaire ou social — conçu sur l'autorité et la servitude, ou dans un milieu coopératif avec ses limitations humaines et ses exigences.

Vous ne vous contenterez pas de dire aux enfants : Vous êtes libres ! et de leur laisser faire anarchiquement tout ce qui leur plaît. Vous organiserez le travail nouveau à base coopérative ; vous serez vous-mêmes non plus le maître omnipotent mais le coopérateur, le travailleur conscient de l’équipe. Au fur et à mesure que se fera cette transformation, naîtra la liberté, et cela sans passer par ce vide dangereux où l’individu libéré de ses chaînes n'a pas encore su se forger les règles naturelles d’une vie harmonieuse et efficace.

2°. Une autre erreur de jeunesse qui risque de vous ramener à la scolastique dont vous avez voulu sortir : les exploitations abusives.

Après en avoir lancé l’idée il nous faut maintenant nous défendre contre cette manie de l'exploitation,

A l’origine, nous recommandions d’exploiter le texte libre, c’est-à-dire d'en tirer le maximum dans le sens de l'intérêt de l’enfant et de l’acquisition des connaissances qu’il souhaite parce qu'il en sent la nécessité. Le texte libre ouvre des pistes, et c'est une de ses éminentes fonctions. A nous d’aller le plus avant possible vers ces pistes où nous progresserons avec un maximum de profit.

Mais il y a deux travers qu’il nous faut éviter :

a) Ne pas se contenter de tirer du texte libre tout ce qui peut servir la vie, mais en extraire surtout ce qui peut servir la scolastique, le texte d'enfant étant seulement substitué au texte d’adulte dans le déroulement des leçons.

C’est, hélas ! la tendance presque générale : on «fait» texte libre une ou deux fois par semaine. Les autres jours sont consacrés à l’exploitation méthodique du texte dans tous les domaines.

Certes cette technique n'est pas totalement condamnable. Elle est peut-être même recommandable pour les débutants à la condition qu’ils sachent plus tard aller plus loin hors de la scolastique. Elle réalise en somme les centres d'intérêt decrolyens avec cette amélioration qu’ils sont fondés sur les véritables besoins des enfants,

A généraliser cette pratique on court le risque que cette exploitation comporte une telle part d'exercices scolastiques qu’elle repousse au second rang, au rayon des accessoires, les vertus vivantes du texte libre.

C'est pourquoi nous recommandons un texte libre le plus fréquent possible, avec seulement une rapide exploitation en chasse aux mots (vocabulaire) et en grammaire.

En tous cas, ne jamais tirer cette exploitation par les cheveux.

b) Et nous mettons en garde contre l’exploitation immédiate et profonde d'un centre d'intérêt, technique idéale certes, mais que ne peuvent pratiquer sans risques que les éducateurs exceptionnellement habiles dans l’improvisation nécessaire, et qui bénéficient d'une organisation très poussée du matériel de travail.

Cette exploitation peut être possible au CP. Passé ce degré nous recommandons aux maîtres de noter les pistes à exploiter, cette exploitation pouvant faire l'objet ensuite d’une préparation technique sérieuse, avec fiches-guides et bandes.

3°. Il faut surtout vous efforcer de modifier votre attitude et votre esprit.

Vous avez été formé à l’obéissance d'abord, au commandement ensuite.

Vous avez tendance à commander vos élèves, à leur donner des devoirs dont vous contrôlez et sanctionnez l'exécution ; vous expliquez autoritairement et vous êtes persuadé que c'est l’enfant qui est coupable s’il n’a pas compris. Il en résulte que l'enfant reste mineur et asservi et que de ce fait il ne peut pas éclore normalement. L’opposition persiste, toujours perturbante entre les maîtres et les élèves, entre l’Ecole et le milieu.

La nouvelle conception de l'Ecole nécessite que le maître descende de son piédestal et que, à même le travail collectif, il sache s'intégrer à la communauté, pour en accepter la loi.

S’il est un bon ouvrier, s’il parvient à situer correctement la part du maître, il gagnera en considération et autorité.

Vous ne parviendrez jamais du premier coup à une pratique totalement satisfaisante de nos techniques. Il suffit que vous ayez conscience de ces insuffisances et que, sans hiatus dangereux, dans l’ordre et l'efficience, vous substituiez à la classe traditionnelle l’éducation du travail.
C. F.

***

P.S. J'en étais là de mes conseils quand j’ai reçu un Guide pédagogique rédigé par les IP Mareuil, Legrand et Cruchet, et édité par Hachette à l'intention des débutants.

Disons tout de suite que nous avons là un travail honnête et sage où, sans parti pris, les auteurs ont examiné le problème complexe de la conduite d'une classe et les conseils qu'on peut donner à des jeunes pour qu'ils puissent y réussir sans drame. Nos techniques et notre pédagogie y ont d’ailleurs la place importante qu’elles méritent. Certes, ce guide a l'inconvénient de tous les guides encyclopédiques. Pour rester impartiaux, pour permettre aux jeunes de choisir eux-mêmes la ligne de leur activité, les auteurs croient nécessaire et utile de présenter tout l'éventail des méthodes, du matériel et des livres actuellement à la disposition des éducateurs.

Nous craignons que la plupart des jeunes s’y noient, qu'ils voient tant de méthodes et tant de matériel côte à côte, également vantés, également recommandés, qu'ils en arrivent à croire que toutes les pistes sont également valables et qu'ils peuvent à leur gré choisir les unes ou les autres.

Nous préférerions que dans un tel guide qui doit malgré tout orienter vers les solutions souhaitables, apparaissent certaines lignes majeures, ostensiblement soulignées, accompagnées de lignes accessoires également signalisées. Les auteurs nous répondront qu'ils ont voulu s’adresser à la masse des éducateurs, sans aucune présentation partisane, ce qui est tout à la fois, pour l'œuvre réalisée, une force et une faiblesse.

Ce sont là critiques relatives à la conception générale de l'ouvrage, Si nous entrons quelque peu dans le détail nous signalerons qu’un oubli a été commis au chapitre de l’apprentissage de la lecture au CP. Les auteurs parlent de trois méthodes en concurrence ;

— la méthode synthétique (ou syllabique) ;

— la méthode globale ;

— la méthode mixte.

Ils ont oublié notre méthode naturelle qui a maintenant droit de cité.

Nous pourrions dire que ce guide est strictement informatif mais nullement «directif». Les auteurs sont certainement conscients de cette tare presque inévitable puisqu’ils ont tenu à préciser au début du livre quelles sont, aujourd'hui les fins nouvelles de l’Education, en vertu desquelles le maître devra œuvrer, en choisissant lui-même les méthodes el les outils qu’il jugera souhaitable,

« En forçant un peu les réalités, on pourrait dire que la vérité scientifique d’aujourd'hui sera dépassée demain ; donc qu'il ne sert « rien d'apprendre la science d’aujourd'hui. Comme la science de demain n'existe pas encore, les jeunes esprits ont seulement besoin d'acquérir, sous notre direction, avec des connaissances de base, des méthodes de travail ». Et le Guide se termine par ces conseils :

« Gardez votre personnalité, travaillez, restez étudiant. Voyez clair en vous. Prenez conscience, de l’importance de la mission acceptée. Soyez optimiste ! ».

Ce sera aussi notre conclusion pour les jeunes qui auront intérêt à se munir de ce guide.