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Le développement de l'expérience canadienne de modernisation de l'enseignement

Dans :  Formation et recherche › 
Novembre 1965

Nous avons rendu compte, en son temps, de la publication au Canada de l’important rapport de la Commission Parent, qui concluait à l’introduction des méthodes actives — de notre pédagogie et de nos techniques en particulier — dans toutes les écoles des divers degrés.

 
Mais un problème s’est posé lorsqu’il s’est agi de passer à l’action. Pas celui des fonds puisque le Canada semble disposé à l’important financement nécessaire pour une modernisation qu’on estime inéluctable.
 
Le problème, plus difficilement soluble encore, a été, comme en France pour les classes de transition, celui du recyclage des maîtres et leur préparation idéologique et technique à la pédagogie recommandée. Quand on aborde ce problème, on s’aperçoit que le recyclage des instituteurs suppose le recyclage des professeurs qui les forment, et que le recyclage de ces mêmes professeurs est fonction du recyclage des professeurs du secondaire et des grandes écoles, qui auraient besoin eux-mêmes d’être recyclés, mais par qui ?
 
Les organismes responsables avaient formé le projet d’envoyer instituteurs et professeurs à recycler en France. Mais la venue de ces professeurs en France s’est effectuée dans les services d’échanges culturels, réglés par des services en général ignorants du mouvement de l’Ecole Moderne en France. Il n’y avait guère que nos écoles, et l’Ecole Freinet en particulier, où un recyclage effectif aurait été possible. Nous n’avons pas été compris dans le circuit officiel.
 
Au Congrès de Brest on avait contacté quatre camarades — les meilleurs de notre mouvement — pour aller assurer un stage au Canada. Il n’a pas été donné suite à ce projet.
 
Les dirigeants pédagogiques du Canada semblent avoir pris leur parti de cette impossibilité de recyclage, et paraissent abandonner leurs projets d’amélioration rapide de leur enseignement.
 
Par un discours prononcé le 27 avril 65, M, Paul Gérin-Lajoie, Ministre de l’Education, annonce un certain nombre de mesures importantes.
 
— Jusqu’à présent, les éducateurs canadiens n’avaient pas, comme en France, la liberté du choix de leur méthode d’enseignement. Si les choses étaient restées en l’état ces éducateurs auraient été contraints d’adopter des méthodes pour lesquelles ils n’étaient nullement préparés, ce qui aurait été désastreux. « Pour accomplir la tâche qui lui est désormais confiée, l’enseignant est désormais libre de choisir le type de pédagogie qu’il juge le plus en accord avec sa préparation et ses capacités... »
 
Mais 2e point important : « La liberté de choix de l’enseignement est toutefois conditionnée par l’option collective qu’a prise l’équipe de professeurs dont il fait partie ».
 
Ce qui constitue, explique le Ministre, une sorte d’autogestion pédagogique de l’école.
 
« Ce règlement doit permettre “chaque école de devenir une unité vivante, un milieu dynamique cohérent, auquel le Ministre de l’Education n’entend pas imposer de conformité ‘un stéréotype établi d’avance’.
 
Certains groupes resteront fidèles aux méthodes traditionnelles ; d’autres opteront pour une transformation radicale. ‘D’autres enfin, tenant compte des risques que comportent les mariages hâtifs entre méthodes traditionnelles et méthodes modernes, adopteront une démarche progressive par l’introduction de techniques nouvelles, par la mise sur pied d’une classe-pilote…’
 
Nous ne savons pas ce que peuvent donner ces décisions au Canada. On me dit que les changements de postes ne sont pas là-bas subordonnés à des règles et barèmes et que les éducateurs s’agrègent mieux comme ils l’entendent aux écoles de leur gré et qu’il est possible de ce fait, que les nouvelles dispositions facilitent l’instauration d’écoles témoins. Une telle décision serait catastrophique pour la France puisque l’action de francs-tireurs de nos camarades serait radicalement proscrite, partout, par l’unité pédagogique souveraine.
 
En fait, le destin pédagogique de ces équipes d’enseignants sera toujours fonction du recyclage de la majorité d’entre eux. Tant qu’ils ne se sont pas initiés aux techniques modernes, tant qu’ils ne les ont pas pratiquées pour s’en pénétrer, les éducateurs sont hostiles à la pédagogie moderne. Et ils n’ont pas tort : comment abandonner une pédagogie qu’on a pratiquée de tout temps, pour une autre qu’on ne connaît pas et où l’on risque trop d’échouer lamentablement ?
 
Favorable ou non, la décision du Ministre canadien laisse absolument intact le problème du recyclage. Et ce recyclage ne peut se faire que par l’organisation de stages accélérés où les éducateurs pourront s’entraîner à une pédagogie nouvelle qui pourra alors montrer dans la pratique sa supériorité.
 
Quant à nous, conscients des difficultés mais aussi des possibilités de ce recyclage, nous restons à la disposition des responsables de la modernisation canadienne pour aider pratiquement et techniquement à la délicate évolution de l’enseignement canadien.
 
C.F.