Raccourci vers le contenu principal de la page

Les techniques FREINET ferment de la pédagogie contemporaine

Dans :  la Société › Mouvements › mouvement Freinet › 
Octobre 1965

Après un long mûrissement, fruit de quarante années d'expériences, nos techniques sont aujourd'hui invoquées partout où l'on considère objectivement la situation difficile de la pédagogie contemporaine, et la nécessité urgente de rattraper un retard qui risque de compromettre à jamais l'éducation démocratique.

Malgré l'acharnement avec lequel les éducateurs en exercice se cramponnent aux vieilles méthodes, nos idées gagnent du terrain à une allure réconfortante : l'expression libre, dont nul n'envisageait la possibilité lors de nos premières réalisations il y a trente et quarante ans, est désormais un élément nouveau de l’éducation ; les fichiers documentaires et autocorrectifs se substituent peu à peu à la vieille pratique des devoirs et des leçons ; les journaux scolaires et la correspondance sillonneront bientôt le monde des enfants ; par les plans de travail et les conférences, les élèves ont désormais la parole et se préparent pratiquement, expérimentalement, à leur fonction d’hommes. Notre obstination à défendre l'esprit libérateur de nos techniques et à condamner du même coup l'abêtissement de la scolastique a aujourd'hui ouvert une brèche. Le problème est posé — officieusement hors de l'Ecole, et même officiellement dans les diverses instances pédagogiques — de la prédominance des éléments culturels sur les acquisitions techniques. Au verbalisme séculaire, on tend à substituer l’expérience individuelle ou en équipe, et le travail.

Or, ces idées ne sont pas nées — elles ne pouvaient pas naître — de spéculations théoriques sur les données stériles d'un passé condamné, Elles ont pris corps parce que, les premiers dans la pédagogie mondiale, nous avons apporté les outils et les techniques qui permettent des formes nouvelles de travail mieux adaptées à notre milieu : imprimerie et journal scolaire, limographe, peintures, fichiers, bibliothèque de travail, magnétophone, bandes enseignantes, etc... Tant que ces outils n'existaient pas, force était aux éducateurs de se contenter des explications intellectuelles et des démonstrations dont ils nourrissaient leurs savantes leçons. Un progrès technique est aujourd'hui possible dans la masse des écoles.

Ce ne sont pas les seules théories qui ont enrichi et modernisé l’équipement industriel de notre pays. Il a fallu certes des recherches théoriques : elles ne sont devenues efficientes que dans la mesure où elles ont débouché sur des réalisations pratiques conséquentes. L’organisation ménagère est en pleine évolution, non par le fait de discours et d’explications mais grâce à la fabrication et à la vente en grande série du matériel nécessaire. Et les campagnes les plus reculées s’équipent de faucheuses et de tracteurs, là même où l’Ecole en reste le plus anachroniquement aux pratiques de 1900.

Par le biais des outils et des techniques de travail au service d'une pédagogie moderne, la rénovation scolaire est commencée parce qu’elle est une impérieuse nécessité, elle peut évoluer désormais à un rythme surprenant. A nous d'orienter cette évolution. Nous n’avons hélas ! que fort peu d’appuis dans le développement de notre action.

Pour des raisons diverses, qu’il ne serait pas inutile d’analyser, notre expérience se développe dans une période de vide pédagogique national et international surprenant. Il y a trente ans seulement, notre pédagogie, si elle avait alors pris forme, aurait pu se confronter à celle d’une quinzaine de grands psychologues et pédagogues qui étaient l'honneur et la promesse d'une époque : Decroly et ses centres d'intérêts, Maria Montessori et ses innovations pour la première enfance ; Cousinet et son travail par groupes ; Ferrière et son Ecole Active ; Pierre Bovet, Claparède et Dottrens, de l’Ecole de Genève ; Miss Pankurst et Washburne aux USA, sans oublier John Dewey, le théoricien d’une conception nouvelle de l'Ecole, Wallon, Piaget, Dalcroze, Freud, Paul Gheeb, avec le prestigieux cortège des grands penseurs qui, à l’époque suivaient de près tous nos travaux : Romain Rolland, Barbusse, Jean-Richard Bloch, Gandhi, Gorki, Tagore.

Comment et pourquoi ce feu dévorant qui nous encourageait et nous nourrissait s’est-il subitement évanoui, et la théorie psychologique et pédagogique vidée de ses prestigieux chercheurs? Faut-il voir là le fait peut-être que les nouvelles générations se sont rendu compte qu’il était vain de suivre les voies du passé, alors que rien ne dessinait encore les chemins de l'avenir? Et serait-ce parce qu’elle s’est attaquée au problème par un biais nouveau, selon des données non encore entrevues, que la pédagogie Freinet, seule dans les perspectives actuelles, porte les espoirs du renouveau?

Les problèmes du recyclage

La rénovation scolaire suppose une reconsidération en profondeur de la pédagogie, un changement radical dans les techniques de travail et de vie, un recyclage, pour employer un mot à la mode, sans lequel la réforme scolaire restera velléité et illusion.

Il ne saurait s’agir en effet d'un simple recyclage technique. S’il suffisait de changer de manuel ou de reconsidérer la forme des leçons, l'opposition des maîtres pourrait n’être que formelle et passagère. Mats c’est toute la conception de l'apprentissage qu'il nous faut changer. Nous devrons mettre au rebut tout ce qu’on nous a appris sur la façon d'aborder la classe et nous engager dans une nouvelle formule de travail et de vie. Pensez à la difficulté que rencontrent les maîtres à formation autoritaire pour reconsidérer sur des bases plus humaines et plus démocratiques la nature des rapports maître- élèves. Que sera-ce quand nous conseillerons aux éducateurs de partir de la vie de l'enfant dans son milieu, et de savoir aider et se taire au sein de l’équipe fraternelle?

Pour les justifications qui s'imposent, il faudrait que nous ayons à côté de nous des intellectuels, des chercheurs, des psychologues, des professeurs aux divers degrés, prêts à étudier psychologiquement et pédagogiquement les problèmes nouveaux qu'ont fait surgir nos techniques : le problème de l'expression libre, celui de la création dans tous les domaines, de l'invention permanente, et partant de l'exaltation de l’imagination, des processus d'apprentissage pour lesquels nous présentons notre théorie du tâtonnement expérimental ; la place de l’enfant et de l’adolescent dans la société nouvelle, et donc à l’Ecole ; le rôle possible des techniques audiovisuelles dans le cadre d'une pédagogie efficiente, l’incidence des films et de la TV.

Tout est à reconsidérer. Des idées très anciennes et solidement assises dans la tradition et les livres sont désormais ébranlées. L’exemple hardi des mathématiques modernes doit nous encourager dans notre effort iconoclaste. Mais il y faut des ouvriers à l'esprit libre et capables de s'attaquer à ce qui est pour faire naître ce qui doit être, et qui sera.

Nous avons l’avantage de présenter une théorie psychologique et pédagogique cohérente, fondée sur une expérience aujourd’hui concluante. Il faut que les plus clairvoyants parmi les éducateurs et les parents d'élèves prennent conscience de l’impasse où se meurt l’Ecole et de la possibilité d’en sortir par une action à la mesure de notre époque dynamique. Il faut, coûte que coûte, rompre le total silence que les livres et les revues font autour des problèmes d’éducation, pourtant si vitaux. Quel bien est plus précieux que l'avenir de l’enfant !

Nous avons créé à Vence un Institut Freinet pour susciter et coordonner les recherches en vue de la formation en profondeur des éducateurs français et étrangers qui y auront recours. Nous donnerons ici une chronique régulière de nos travaux. Mais nous serions heureux que nous écrivent dès maintenant tous ceux qui seraient désireux de participer à cette large confrontation d'expériences et—d’idées—dont—nous tirerons ensemble les conclusions nécessaires.

C.F.

P.S. Je venais de terminer la rédaction de cet article quand j'ai reçu le numéro de L’Ecole Libératrice, consacré aux travaux pédagogiques du SNI.

Après les démêlés de ces derniers mois je m'étais promis de ne rien dire d'une revue qui continue à nous ignorer systématiquement. Mais il y a pourtant des faits que nous devons relever si nous ne voulons pas nous trouver un jour devant des malentendus plus dangereux encore.

Je ne vais évidemment pas produire ici des contre-rapports sans utilité. J'attirerai seulement l’attention des camarades sur quelques points qui ne devraient pas les laisser indifférents : 1°. Comment se fait-il qu'aucun des 70 rapports départementaux que disent avoir reçus les responsables ne fasse état de l’opinion des camarades de notre mouvement? Y a-t-il eu carence totale des nôtres, ce qui m’étonnerait, ou, ce qui est plus probable, les rapporteurs se sont-ils contentés de s’approprier une partie de nos idées et de nos réalisations sans évidemment en citer les auteurs?

La seule mention que je relève c'est : « Les méthodes actives ont la faveur des rapporteurs qui souhaitent un enseignement faisant appel à l'intelligence ».

2°. Tous les rapports, comme sur un mot d'ordre, présentent les « méthodes primaires », qui s’opposent dans l'esprit du SNI aux méthodes modernes que nous avons mises au point. Pourtant le rapport de l’Oise avertit fort justement : « Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises méthodes primaires ; il n'y a que de bonnes et de mauvaises méthodes tout court ».

Or, les rapporteurs ont le front d’affirmer : «Telles que, sur le métier, les maîtres les ont faites, les méthodes en usage dans l'enseignement primaire répondent mieux que jamais à ce que notre époque attend de son école ».

Et c’est avec cette « méthode primaire » éprouvée, que les attardés scolaires atteignent le pourcentage de 53,7% au Cours Moyen (chiffre cité par un des rapporteurs). Les effectifs, les locaux, l’absence de personnel remplaçant sont certainement pour quelque chose dans cet échec — nous avons été les premiers à en dénoncer l'incidence. Mais les méthodes archaïques en usage, même si on les dit éprouvées n’y ont-elles pas leur grande part de responsabilité? Non, de cet échec, les éducateurs ne peuvent pas se laver hypocritement les mains.

3°. Les Instructions récentes recommandent notre pédagogie pour les enseignements spécialisés. Cela n'est pas du goût des rapporteurs qui préconisent à la place : « un esprit et des méthodes inspirées des nôtres» (celles du SNI), on peut aller loin dans ce domaine lorsqu’on ose écrire que les « méthodes primaires » sont des méthodes d'orienteurs, C'est un titre de gloire au moins imprévu pour les méthodes traditionnelles du SNI.

4°. Le problème des classes de transition et terminales embarrasse les rapporteurs. Que n'a-t-on pas dit quand, à la publication des circulaires, nous nous sommes ingéniés à aider les instituteurs inquiets devant leurs nouvelles responsabilités pour lesquelles ils n’étaient pas préparés. Et voilà que le SNI nous imite maintenant. Il s'en excuse : « En mettant à l'étude la pédagogie de ces classes le SNI n’apporte aucune caution à la réforme gouvernementale. Il ne s’installe pas dans les structures actuelles du premier cycle. Il fait face aux responsabilités normales en apportant une aide sur le plan pédagogique aux instituteurs des classes de transition en leur permettant par une adaptation de leurs techniques et de leurs méthodes d’orienter leur effort dans un sens positif qui ménage des possibilités ultérieures de réinsertion ».

C'est là notre propre programme.

5°. Les rapporteurs — et plus spécialement Edmond Mouillet — nous présentent de beaux morceaux de littérature pédagogique et nous ne pouvons que louer leur talent. Mais Montaigne, Rabelais et Rousseau, pour ne citer que nos grands classiques, avaient déjà parlé aussi éloquemment de la fonction éducative ; cela n’a pas empêché notre enseignement de prendre un demi-siècle de retard. Ce qu'ils ont dit, ce que disent les rapporteurs est juste, mais le progrès scolaire nécessite une autre forme d'action sans laquelle la théorie reste théorie, sans action décisive sur la pratique. Jamais on n'avait tant loué ces « méthodes primaires « traditionnelles. Pour les besoins de la cause, elles ennoblissent l'école, et ennoblissent les maîtres aussi, Et nous qui avons osé dire, documents en mains, que les «méthodes traditionnelles» abêtissent! Ah ! qu'elle est belle et efficiente la méthode du SNI ! Et que nous sommes humbles à côté de tant de vertus, nous qui, en maîtres d'école de la base, en avons assez d'être bernés par les belles paroles des théoriciens et des politiciens. Nous qui nous préoccupons, à même nos classes, d'améliorer pas à pas nos techniques de travail, avec le regret seulement de ne pas y être aidés davantage. Surtout par ceux qui prétendent sauver l’Ecole Laïque par une pédagogie primaire dont tout le monde reconnaît aujourd'hui l'insuffisance et les échecs.

C. F.

Thème du prochain congrès de Perpignan :

LES EXAMENS

Il est de notoriété publique que les examens constituent en France le but essentiel de toute scolarité, à tous les degrés.

Le problème vaut d'être étudié. Nous ouvrons une chronique régulière dans L’Educateur pour :

— une étude critique des examens actuels ;

— la recherche expérimentale d'autres techniques, relation d’expériences ;

— techniques employées dans les autres pays ;

— les tests ;

— les brevets et chefs-d’œuvre dont nous étudierons plus spécialement la mise au point ;

— l'activité créatrice de l’enfant dans tous les domaines.

Nous demandons à nos lecteurs de nous envoyer dès maintenant toute documentation utile.

C. F,