Raccourci vers le contenu principal de la page

Regard d'artiste sur le monde végétal ou "c'est quand on a le cul dans l'herbe qu'on voit le mieux le monde"

Avril 1999

 

 

 D’où te vient ce plaisir ?

Je trouve que les textures se révèlent plus intéressantes que celles des végétaux frais. Je découvre les torsions, les transparences, les veines ; tout ce qui ressort par le séchage jaillit au regard et le retient. Et la couleur bien sûr ! Elle change complètement et ça me plait. Par exemple, si on prend les fleurs de dahlias, le charnu, le criard, la lourdeur, disparaissent complètement au profit de toutes ces couleurs du « fané » qui me conviennent plus.
 
Du végétal frais j’élimine l’anecdotique ; la forme vivante de la fleur ne me branche pas.
 
Un autre élément intervient souvent dans mes choix de cueillette : en plus des lignes, des torsions, des couleurs évoluant au fil du temps, il y a aussi l’odeur particulière du végétal qui sèche.

« Graines d’étoiles »

Pourquoi l’odeur ? Ne sommes-nous pas dans le contexte de l’image ?

Certaines plantes m’attirent par l’odeur, alors je suis amenée à les cueillir et à les traduire par l’image. En fait, c’est complexe, c’est un tout. Il y a aussi l’aspect "papier" des végétaux qui m’intéresse. La couleur et la texture des plantes séchées, desséchées, et du papier, ont une certaine correspondance. J’utilise comme matériau le papier collé, le papier chinois, c’est peut être un peu une façon de boucler la boucle. D’ailleurs le papier chinois a une odeur qui n’est pas sans rappeler celle des végétaux séchés : papier de riz, papier de soie…
Un autre aspect entre en ligne de compte dans le choix de mes toiles et de leur modèle. C’est la fonction du végétal que je vais peindre : le petit fagot de bois, le maïs, le piment, l’eucalyptus, le tournesol. Ils ont une fonction liée à la vie : alimentaire, médicale, de reproduction… Ce sont des critères qui ne me motivent pas a priori mais qui jouent dans la cohérence entre mon travail et ce que je suis, sans doute.
 
Comment utilises-tu ces cueillettes ? Quelle démarche adoptes-tu pour entrer en création ?
 
Je ne travaille pas forcément tout ce que j’ai cueilli, ce que j’ai pourtant choisi ; même si ça m’a attirée, sur le moment, ça ne déclenche pas forcément une production. Je le ressens au moment de "la mise en scène". En fait le plus important de mon travail se passe au moment de cette mise en scène ? J’aime quand même les végétaux frais, c’est leur évolution que j’observe qui m’intéresse.
C’est un rapport au temps que je vis à travers une pivoine qui devient de la soie au moindre contact de ma main, disparait en brisures éphémères sous les doigts.

Eucalyptus

Maïs. Travail en cours

 

 

Cela signifie-t-il que tu fais une interprétation de ce monde végétal qui te sert de modèle et que tu le recrées ?
 Oui, bien sûr. Il y a toute la part de l’interprétation, ce qui fait qu’il y a un travail d’artiste. Je ne suis pas botaniste, ça ne m’intéresse pas. En effet, ce que je livre est différent de ce que c’était au départ. Si je peux faire en sorte que le regardeur "identifie" ce que je lui offre par son imaginaire, j’utilise ce biais, c’est important pour moi qui travaille par rapport à la réalité. Son interprétation est importante, c’est une évasion. Par exemple, les petites jonquilles, auxquelles j’ai consacré plusieurs tableaux, deviennent oiseaux, danseuses de flamenco lorsque je les livre au regard des autres. Ce retour des regardeurs m’apporte beaucoup, et je me surprends à utiliser l’ouverture qu’ils m’offrent ainsi. Il m’arrive d’anticiper sur l’effet produit en étant moi-même, le temps d’un flash, le regardeur de mes propres œuvres. Cette "conversation" me plait bien. C’est souvent une lecture anthropomorphique du monde végétal. Même si ce n’est pas fait dans cette intention, lorsqu’un "accident" de ce genre apparait fortuitement au cour de la "mise en scène", je l’exploite, je l’amplifie. Souvent quand je peins, je navigue dans un monde imaginaire qui me vient facilement à l’esprit.

 

 

La première partie de mon travail est déjà dans la cueillette, mais aussi dans les cadeaux que me font des amis qui prennent un peu part à mon œuvre en m’offrant des végétaux séchés qu’ils ont gardés pour moi.
S’il y a présence d’une tige, je pratique une mise en séchage la tête en bas ou la tête en haut, c’est encore un choix, mais je ne pose pas en appui sur une table, je protège tout le volume de l’élément au cours de ce temps de séchage.Si c’est une fleur, elle peut croupir dans son vase d’abord, puis, soumise à mon regard, selon son évolution sous l’effet du temps ou au gré de mon intervention par rapport à l’aspect qu’elle prend, je décide de la garder ou de la jeter. Parfois, l’objet de départ et ce qu’il advient n’a plus rien a voir, moi seule le sait, mais ce n’est pas important pour le travail final.

 

 

 

 



  sommaire " Naturellement créateur"  début de l'article page suivante