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Deux classes, deux profs

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Janvier 1979


 

DEUX CLASSES, DEUX PROFS

 

 

Deux enseignantes de la Sarthe racontent le travail d'équipe qu'elles ont mené - en Français et Dessin - avec deux classes de sixième, suivies en cinquième, jumelées à leur demande.

 

Interview réalisée en octobre 1976 par des collègues du groupe girondin.
 

 

 
1 - LES CONDITIONS MATÉRIELLES
 
Ginette Poupard "le véritable travail d'équipe, de manière décloisonnée, a eu lieu en 1974-1975 et en 1975-1976.Mais déjà, depuis deux ans, avec ma collègue, on travaillait en très étroite collaboration, c'est-à-dire qu'on faisait nos préparations ensemble, nos corrections aussi et qu'on essayait de faire échanger les productions de nos classes (poésies - saynètes qu'ils se jouaient les uns aux autres, etc..). Mais il n'y avait pas encore de travail commun; chaque classe réalisait des travaux dans son coin, on se bornait à les échanger. .
 
Il faut dire que dans l'établissement chaque division avait sa salle, équipée de vastes surfaces d'affichage, aménagée par les élèves, avec le concours des professeurs, comme bon leur semblait. C'était très important.
 
En 1974, nous demandons chacune une classe de sixième, donc vingt-deux, vingt-trois élèves, deux salles contiguës et un maximum d'heures parallèles dans ces classes. Nous avions les élèves en Français et en Dessin donc sept heures par semaine. Et nous avions quatre heures parallèles : trois heures d'ateliers et une heure de présentation au cours de laquelle les groupes présentaient leurs productions aux deux classes réunies.
 
En 1975, nous avons demandé à suivre ces élèves en cinquième. Nous nous sommes arrangées pour qu'il y ait peu de redoublements, mais il y a quand même eu un apport d'éléments nouveaux puisque, cette année-là, sous la pression du Ministre, toutes les classes de cinquième étaient bourrées à 35. Nous avons donc eu, douze, treize élèves venus d'autres classes de sixième.
Cette année-là nous avons réussi à obtenir les deux plus grandes salles du collège, séparées par une réserve, ce qui nous faisait en fait trois salles pour deux classes.
Dans cette salle qui communiquait avec les deux autres, nous avons aménagé un coin bibliothèque avec un meuble en épi et des coussins. Le limographe y était installé et il y avait le matériel de dessin (peinture, craies, feutres, papiers) , des chutes de tissu récupérées dans les usines, etc... Ce matériel était toujours à la disposition des enfants.
 
Nous fonctionnions en parallèle durant quatre heures cette année aussi, mais de façon un peu différente de l'année de sixième: certaines heures, le lundi et le mardi, deux groupes étaient parallèles, c'est-à-dire que nous avions trente-quatre élèves pour deux (je rappelle que ces cinquièmes étaient dédoublables) ; durant les deux autres heures, nous avions cinquante élèves pour deux, car à ces moments-là, l'une avait sa classe entière et l'autre avait un demi-groupe ; on appelait ça nos heures à cinquante, en fait nous avions cinquante-deux élèves.. et toujours trois salles.
 
Marie-Claire Dubosq : - Jamais vous n'aviez ensemble, les deux classes au complet ?
 
Ginette Poupard: - Non... on avait bien ces classes en parallèle, mais on ne se servait pas de ces heures ; faire du travail de groupe à soixante-dix, c'était pas possible, c'était dingue.... Concrètement, durant les heures à cinquante, nous offrions quatre ateliers - deux chacune ­et durant les heures à cinquante nous en offrions six - trois chacune -.
 
Janine Lehoux : - Ces conditions matérielles me paraissent très importantes, il faut insister sur ce point; en plus des salles contiguës, du maximum d'heures parallèles, nous avions demandé aussi, sur notre fiche de vœux, !a même demi-journée de liberté afin de pouvoir travailler ensemble, la possibilité d'utiliser les coins de l'établissement disponibles (réserves, paliers, couloirs, lavabos ou W.C des étages, salles libres pour le travail en petits groupes des élèves. Cela n'a pas posé de problème. Point important: nous habitions toutes les deux sur place, ce qui nous permettait des rencontres et des échanges fréquents.
 
2 - L'ORGANISATION DU TRAVAIL EN ATELIERS :
 
J.L : Nous voulions offrir aux élèves davantage de possibilités que dans une classe habituelle, leur apprendre à organiser et à évaluer leur travail, les amener à une vie et à un travail de groupe conduisant à des échanges et rompre l'isolement de l'enseignement en travaillant avec quelqu'un qui partage les mêmes idées et qu'on aime bien.
 
G.P : la première année nous avons réuni les deux classes et nous avons expliqué aux élèves que nous les mélangerions pendant un certain nombre d'heures.
Nous leur avons expliqué que ça multipliait les moyens, que nos compétences s'ajoutaient et que ça leur offrirait un plus grand choix au niveau des ateliers proposés.
Puis nous leur avons demandé leurs propositions : bien sûr, un certain nombre de choses sont arrivées parce que, sur le secteur scolaire, des instituteurs avaient une certaine ouverture d'esprit et certains enfants avaient l'habitude des marionnettes, des jeux dramatiques, du texte libre, des expositions, etc... Nous leur avons expliqué aussi que nous allions travailler sur la quinzaine et nous avons défini nos exigences en particulier en français, en orthographe, en grammaire, et en travail sur le texte. Que ça n'allait pas être, comme certains auraient pu le croire, des jeux, mais que ça allait être aussi un moyen de multiplier leurs expériences de langage et d'enrichir leur langue.
 
J.L : - Il s'agissait d'abord pour nous d'expliquer noue façon de travailler aux enfants et de les sécuriser dans la mesure où chacun d'eux n'avait pas l'expérience du travail décloisonné. De la même façon, il a fallu expliquer ce mode de fonctionnement aux parents... C'est aussi pourquoi nous avons mis en place une organisation du travail assez stricte.
 
G.P : - Chaque élève en début de quinzaine, en sixième, indiquait sur une feuille les ateliers qu'il choisissait et ses projets de réalisations ; à la fin de la quinzaine, il présentait le bilan.
 
M.C.D : - Cette feuille-là, c'est une sorte de plan de travail ?
 
G.P. : - Oui, c'est ça. Sur un planning, on avait noté auparavant les possibilités d'ateliers. Bien que ceux-ci ne soient pas fixes, il y avait un certain nombre de points de repère pour les enfants. Il y avait, de toute façon, des ateliers obligatoires par lesquels il fallait passer : grammaire, orthographe et travail sur le texte. En plus, il y avait toutes les propositions des enfants : si un groupe avait envie de réaliser des marionnettes, il le disait ; si un autre voulait faire du jeu dramatique, c'était possible en plus des ateliers obligatoires. Cette façon de procéder nous permettait, à partir du moment où on avait les propositions des enfants, de nous organiser, de voir qui allait s'occuper de tel ou tel atelier .
 
M.C.D : - S'il y avait trop d'élèves inscrits à un atelier que faisiez-vous ?
 
G.P : - On leur demandait de différer d'une quinzaine.
Ils le comprenaient très bien parce qu'ils savaient très bien dans quelles conditions on travaillait ; ils savaient très bien qu'au-delà d'un certain nombre, on ne pouvait pas s'occuper valablement d'eux, surtout au début.
 
Au fur et à mesure que l'année s'avançait, on a constaté que les enfants maîtrisaient de mieux en mieux les moyens matériels (magnétophone par exemple) ils savaient où étaient les disques, les électrophones, etc... Ils devenaient critiques les uns par rapport aux autres, par exemple au niveau du jeu dramatique. Notre intervention se réduisait d'autant, ce qui nous permettait d'être plus disponibles pour de nouveaux ateliers ou pour les ateliers obligatoires, pour aider ceux qui étaient le plus en difficulté, pour donner un coup de pouce à ceux qui en avaient besoin.
 
M.C.D : - Quand ils étaient en ateliers obligatoires, ils ne faisaient que ces ateliers-là ou bien la notion d'ateliers obligatoires s'étalait-elle sur la semaine ?
 
G.P : - C'était sur la quinzaine. Sur la quinzaine, il était obligatoire de passer à ces trois ateliers.
 
M.C.D : Ah bon! Donc, tous les ateliers fonctionnaient en même temps ; il n'y avait pas des jours avec ateliers obligatoires et d'autres sans...
 
G.P : - Non... du moins l'année de sixième. Parce qu'en cinquième, on a changé notre mode de fonctionnement.
D'abord à cause du nombre, ensuite parce qu'on s'était rendu compte que nous ne pouvions assumer le suivi du travail de plus de trois groupes à la fois ; quelquefois, il y avait bien des élèves qui se détachaient pour aller s'installer dans le coin bibliothèque mais on ne les comptait pas comme un atelier... Cela explique notre limitation du nombre des ateliers à six en cinquième,
 
Voilà concrètement, comment nous étions organisées : lorsque trois ateliers fonctionnent en même temps, un exigeait notre présence vraiment active, effective, un fonctionnait en semi-autonomie et le troisième devenait pratiquement autonome au fur et à mesure que l'année s'avançait. Cela nous permettait de travailler plus particulièrement avec une dizaine d'élèves... Par exemple, lorsque je m'occupais des ateliers orthographe/conjugaison (atelier obligatoire), théâtre et atelier écriture, je travaillais effectivement, de façon presque directive avec les premiers. J'étais de façon moins continue avec les seconds mais lorsqu'ils avaient besoin de moi ou lorsque ça coinçait, je passais un moment avec eux, on essayait d'analyser ce qui les arrêtait, pourquoi ça n'avançait pas, etc..
Les enfants qui écrivaient, écrivaient pratiquement seuls, c'était vraiment de l'écriture libre. Ils savaient que le matériel de poésie, les "Gerbes adolescents" les spécimens, les livres de bibliothèque étaient à leur disposition... Ils se débrouillaient pratiquement seuls, ce qui nous permettait d'aider spécialement ceux qui avaient le plus de difficulté, par exemple en grammaire, en orthographe, au niveau du travail sur le texte ou au niveau de l'apprentissage de la recherche.
 
André OVIEVE : - Quand vous fonctionniez à six ateliers, trois et trois, les trois ateliers dont s'occupait chacune étaient-ils dans la même salle ?
 
G.P : - Non, dans les trois salles...
 
A.O - Et vous vous baladiez, vous. vous croisiez ?
 
G.P : - Oui, c'est ça. Au cours de ces heures, nous n'avions pas de lieu géographique précis.
 
A.O : - Mais alors, pendant une semaine ou plus, certains de tes élèves étaient pris en charge, au niveau du travail, par ta collègue.
 
G.P : - Oui, et de ça, certains ont su user, à certains moments.
 
J.L : Il fallait parfois être vigilants pour que les élèves n'essaient pas de nous "rouler", de dire à l'une qu'ils travaillaient avec l'autre et vice-versa. Cela nous demandait un sérieux effort de vérification, de contrôle. Au début, faire confiance aux élèves ne suffit pas.
 
M.C.D. - Tu as parlé des ateliers obligatoires en sixième. Et en cinquième ?
 
G.P : - Sur la quinzaine, il fallait être passé en orthographe-conjugaison, en lecture (être passé à la bibliothèque, avoir fait de la lecture en classe) et en grammaire ou en travail sur le texte, selon les quinzaines... et aussi les enfants : si le gamin avait un gros travail sur son texte à effectuer, il allait plutôt à l'atelier obligatoire texte qu'à l'atelier grammaire.
 
M.C.D : -Ces ateliers duraient combien ?
 
G.P : - Une heure.
 
M.C.D : - Donc, sur une quinzaine, les enfants devaient avoir fait une heure de lecture, une heure de grammaire ou de texte et une heure d'orthographe.
 
G.P : - Oui, c'est ça...
 
M.C.D : - Et pour les autres heures, ils choisissaient...
 
G.P : - Oui, ils choisissaient et le contenu des ateliers évoluait selon les souhaits et en fonction des besoins.
 
M.C.D : - Comment s'est faite cette évolution ?
 
G.P : - Ceux qui ont tenu toute l'année ont été dessin, marionnettes, poésie, recherche. Les élèves de Janine allaient le plus souvent à l'atelier recherche que les miens: ils pouvaient faire des recherches d'histoire-géographie puisqu'elle les avait dans cette matière et même de math, puisque la collègue de math travaillait avec elle. Mes propres élèves ont surtout fait, étant donné que je ne les avais qu'en français, que je .travaillais davantage seule, de la poésie, du dessin et beaucoup de marionnettes. C'est moi qui avais lancé cette idée : un jour, je suis arrivée avec les marionnettes de mes gamins, ça leur a plu, ils en ont fait beaucoup, ils ont joué, ils ont écrit des pièces  ils ont aussi fait beaucoup de jeux dramatiques.
 
M.C.D : - Au fil de l'année, d'autres activités sont-elles nées ?
 
G.P : - En cinquième je n'ai pas le souvenir qu'il en soit arrivé tellement d'autres, sinon le journal. La machine était là : on faisait journal à la place de dessin. Janine l'a tiré au limographe. Les miens l'ont tiré à la machine à alcool, faute de temps; Janine avait deux heures (T.M.et Dessin) dont je ne disposais pas.
 
3 - PROBLÈMES ET DIFFICULTÉS
 
 

- COHABITER :

 

 
G .P - Au niveau des sixièmes nous avons eu des problèmes car nous n'avions que deux salles ; nous avons eu des problèmes de cohabitation puisqu'il y avait quarante-cinq, quarante-six élèves qui travaillaient ensemble, par petits groupes. Nous avons vite trouvé les salles trop petites et nous avons émigré dans les couloirs. Il y a eu des réalisations intéressantes au niveau des montages, des jeux dramatiques et beaucoup d'enfants se sont débloqués au niveau des dessins. Il y a eu, par exemple, une immense fresque sur les animaux de l'Afrique...
 
 

- APPRENDRE A S'ORGANISER :

 

 
J.L - Le problème en sixième surtout, a été d'arriver à ce que les élèves se répartissent harmonieusement dans les divers ateliers en fonction des places, de leurs souhaits et de leurs besoins. Il a fallu leur apprendre à se servir du plan de travail, à ne pas suivre systématiquement toutes leurs impulsions, à être constants dans leurs efforts et à finir le travail commencé... A cause de la diversité des ateliers, il y a eu risque d'éparpillement, d'émiettement.
 
 

- CONTRÔLE DU TRAVAIL :

 

 
G.P - C'est un problème important; on faisait un bilan de quinzaine qui devait montrer la production. Ces bilans nous étaient remis pour que nous les voyions, pour que nous y mettions notre griffe. Les parents tenaient à avoir notre signature... Sur ce bilan apparaissaient les réalisations et puis ce qui est habituel, à savoir leurs impressions sur la quinzaine, leurs suggestions, leurs propositions, leurs critiques, etc... Ce n'est pas nouveau ça.
 
A.O - En fait, cet espèce de contrôle, de point qui se faisait au bout de 15 jours, forcément il se faisait à deux ? Ce devait être très lent comme travail ?
 
G.P - Oui, c'était très lourd. Notre problème c'était ça, le contrôle parce que ça nous prenait beaucoup de temps.
 
M.C.D - Et la notation ?
 
GP - A l'intérieur du collège, nous avions abandonné la notation chiffrée il n'y avait donc pas de moyenne, ce qui nous laissait une grande autonomie au niveau de l'appréciation qu'on pouvait porter sur les travaux.
Sur le bilan, il y avait une double appréciation, celle de la classe et la nôtre, en tant que profs. Au niveau de l'évaluation du travail, ça ne m'a jamais posé de problèmes, ni aux élèves d'ailleurs, ni aux parents, étant donné qu'ensuite, sur le bulletin, l'évaluation se faisait par niveaux, au moyen de lettres. Si tu regardes le bulletin du collège, tu vois qu'apparaissent des notions comme raisonnement, esprit inventif, etc... Nous avions réussi à quelques-uns à faire adopter ce nouveau type de bulletin. On n'allait aucun problème pour s'insérer dans cette structure : à la rubrique Français il y avait grammaire-orthographe, expression écrite, expression orale, travail de textes, horizontalement. Verticalement on retrouve attention, travail, raisonnement, logique, résultat. Nous pouvions donc jouer horizontalement et verticalement. Par exemple, en expression écrite, un élève pouvait avoir A en travail, Ben invention, C en logique si on s'était rendu compte qu'il avait pu bâtir certaines choses, et, en résultat global, B... ce qui permettait aux parents d'avoir une vue assez détaillée des différentes possibilités de leur enfant...
C'était pareil pour toutes les disciplines... Notre évaluation du travail de chacun était assez facile : on récupérait les bilans des élèves pour faire nos bulletins. Il reste qui! notre gros problème était de voir toutes les productions et de noter sur notre classeur tout ce qui avait été fait... Toutes les réalisations, dans tous les domaines; ça représentait un fort volume à contrôler. Il y fallait beaucoup de temps.
 
 

- RELATIONS ET COMMUNICATION ENTRE LES ÉLÈVES

 

 
G.P - " Les relations entre les deux groupes-classes, la communication des travaux à tous nous ont aussi posé des problèmes, surtout en cinquième. Du fait des apports d'élèves nouveaux, Janine s'est retrouvée avec une classe d'élèves plutôt jeunes, d'un bon niveau scolaire. Moi, j'ai eu des élèves plus âgés, ayant des préoccupations de pré-adolescents, et pas mal de problèmes familiaux, sociaux, etc... Il y a eu des différences très nettes au niveau des poésies, notamment des thèmes. Les plus jeunes ont refusé les préoccupations des miens. A certain moment il y a eu des clivages, et même des passages difficiles puisque certains des élèves de Janine s'étaient moqués des productions des plus âgés des miens.
 
M.C.D - Cela veut dire qu'en cinquième, dans les ateliers, les élèves des deux classes ne se mélangeaient pas ?
 
G.P - Oui, sauf pour les jeux dramatiques... Il y a eu beaucoup de réalisations dans chaque classe : des pièces des poésies, des montages poétiques, des dessins, des montages de lecture, etc...
 
M.C.D - Par rapport à la sixième, il y a eu un recul au niveau des relations entre les élèves.
 
G.P - Oui, ce décloisonnement au niveau des relations l'an dernier, ça a peut-être été un échec, mais pas au point de vue productions, ça a été une année très riche.
 
- Et en cinquième comment s'est faite la communication de ces productions aux autres ? Avez-vous réuni les deux classes comme en sixième ?
 
- Non, nous avons abandonné la communication collective avec deux classes réunies. Réunir soixante-dix gamins, c'était pas possible, à cause des locaux, du bruit que ça entraînait, des problèmes inévitables que nous ont posés les nouveaux qu'il fallait intégrer. Si tu veux, la communication ne s'est faite qu'à l'intérieur du groupe-classe : quand des élèves des deux classes avaient produit quelque chose ensemble, ils allaient le montrer aux deux classes, séparément, durant les heures-classes, celles où on ne travaillait pas en parallèle.
 
4 - L'ÉQUIPE AU SEIN DU COLLÈGE
 
M.C.D - Et les collègues ?
 
G.P - Au niveau des locaux, notre envahissement progressif nous a valu quelques problèmes avec certains collègues...
 
J.L - Oui, il a fallu expliquer notre mode de fonctionnement, le défendre et discuter avec les élèves pour qu'ils veillent à ne pas être trop bruyants... Cela bien sûr, dans la mesure où les reproches ont été formulés clairement et directement... ce qui n'a pas toujours été le cas. C'était aussi très important, à mon avis, de discuter avec les élèves pour qu'ils se rendent compte qu'ils fouissaient, du fait de notre pratique quotidienne, d'un certain nombre de privilèges, de libertés que n'avaient pas tous leurs camarades, mais qu'ils ne devaient pas en abuser, et qu'il fallait aussi tenir compte des autres, apprendre à vivre avec eux.
 
M.C.D - Mais tu avais une administration favorable parce que certains n'admettent pas que les élèves stagnent dans les couloirs pendant les cours ou travaillent seuls dans une salle...
 
G.P - Effectivement.... Mais dans la mesure où les enfants travaillent pourquoi y aurait-il problème ?
Ce que j'ai toujours déploré dans les établissements scolaires, ce sont ces vastes espaces qui demeurent inemployés alors qu'ils pourraient être utilisés pour individualiser un peu plus le travail. Et ça permet aux enfants de se prendre en charge, de devenir un peu plus autonomes, un peu plus responsables.
 
M.C.D - Est-ce que vous avez discuté de votre travail avec d'autres collègues ?
 
G.P - Non, l'année dernière, il n'y a pas eu de communication extérieure. Cela venait d'une situation particulière à l'année dernière, qu'il serait trop long de raconter.
 
M.C.D - Et qui faisait que ni les élèves ni vous, n'aviez envie d'échanger ? ...
 
G.P - Ah non ! On n'avait pas envie. Quand tu t'entends remettre en cause dans la salle des profs sur le boulot que tu fais, ça ne te donne pas envie d'échanger... (Encore plus, si tu apprends qu'on t'a remise en cause en ton absence J.L). Des collègues sont venus voir ce qu'on faisait en curieux... il n'y a pas eu vraiment d'échanges. Pourtant, au début, on le souhaitait beaucoup.... Mais certains venaient, j'allais dire "pompaient" ce qu'on faisait... et c'est tout. Quand on a vu ça, on n'a pas eu envie de continuer.
Alors on nous a reproché de tourner en vase clos, et c'était vrai, mais il y avait peut-être des raisons.
 
A.O - C'était le problème de l'expérience-ilôt au sein d'un établissement. Je le vis en ce moment, parce qu'après les classes de neige, il y a eu une cassure au sein des profs et un certain nombre de liens qui étaient peut-être superficiels se sont brisés. Alors on dit "merde, je fais mon truc dans mon coin" ou on compose. y -a-t-il une stratégie ? Faut-il penser une stratégie ?
 
G.P - Nous, l'an dernier, nous avons vécu ce problème de manière assez aiguë dans la mesure où nous allions assez loin, en particulier en grammaire. Nous avons fait un gros travail de recherche, donc de préparation: en lecture, nous avions fait des fiches, etc... Au début de l'année en conseil d'enseignement, nous avions proposé qu'on les fasse à plusieurs, qu'on fasse un certain nombre de choses ensemble, les quatre profs de cinquième. Tant qu'on en est resté au niveau des intentions, ça a marché. Quand il s'est agi de se colleter avec les difficultés, plus personne n'est venu. Les gamins, ils nous poussaient aux fesses : il fallait bien faire le boulot ; on l'a fait seules,.. mais quand on est venu nous solliciter pour qu'on passe nos fiches, on a dit "non, pas d'accord, les fiches ont été faites dans un certain esprit, en relation avec les élèves ; les fiches, on les passe si on vient travailler... on peut pas faire autrement". Ce qui fait que l'an dernier, on est arrivé à des situations de conflit assez violentes... Les autres années on avait sauvegardé effectivement, comme tu le dis, des relations assez superficielles : on se disait rapidement, à la récréation, ce qu'on faisait, ce qu'on avait fait. Mais pour nous, travailler en équipe, c'était aller plus loin, c'était tout le travail concret qu'exige une classe, la recherche de documents, d'idées etc... qui permettront de coller aux préoccupations des élèves...
 
 

5 - DES NÉCESSITÉS DU TRAVAIL EN ÉQUIPE

 

 
A.O - Il y aune question que je me pose: la coordination, la concertation avec ta collègue... Peut-on mesurer ça en temps par semaine ? C'est difficile, je sais bien...
 
G.P - Nous n'avons eu ni l'une, ni l'autre aucune véritable formation pédagogique : notre seule formation elle s'est faite, elle par l'ICEM, moi par les CEMEA où je me suis engagée depuis l'âge de dix-huit ans. Notre apprentissage du travail en équipe s'est donc fait dans des secteurs péri-scolaires... Travailler en classe avec quelqu'un, j'en éprouvais vraiment le besoin. Mais ça a mis trois ans à démarrer vraiment même avec Janine... Et ça n'a démarré vraiment qu'à partir du moment où nous avons eu totalement confiance l'une dans l'autre. Janine, c'est ma meilleure amie. On a pu travailler en équipe parce qu'on n'avait pas peur de se dire ce qui n'allait pas.
 
M.C.D - Vous vous connaissiez bien en somme ?
 
G.P - Oui, c'est ça. On savait chacune comment réagissait l'autre. On savait que si on faisait une bourde, on en discuterait sans jugement de valeur : on essayait d'analyser les raisons de la bourde et puis on essayait de ne pas la refaire... C'était tout, en toute ;'honnêteté et en toute amitié... Cette confiance, c'est très important : si avec d'autres collègues, des choses n'ont pas marché, c'est qu'elle n'existait pas.
 
Au niveau du temps, pratiquement, notre demi-journée de liberté, comme on l'appelle, nous la passions ensemble. Essentiellement à faire des préparations, de grammaire surtout, à chercher des poésies, à les polycopier, à faire des fiches, etc... Il y avait aussi tous les moments informels : le soir, après la classe, s'il y avait quelque chose qui, chez l'une ou chez l'autre, n'avait pas marché, on en discutait.
 
A.O - Vous n'aviez pas les enfants à aller chercher ?
 
G.P - Si, on en a deux chacune. On avait aussi nos préoccupations de mère de famille. Mais on avait la chance d'habiter sur place et ça, c'est un facteur très important : si quelque chose nous tracassait, on pre­nait la voiture et on allait en discuter tout de suite.
Cela pouvait être une discussion sur le contenu, mais aussi sur quelque chose qui s'était passé en classe, qui nous tracassait, qu'on avait pas pu élucider. Ou alors quelque chose qui s'était passé pendant qu'on était seule dans la classe. Tout ce travail de réflexion qu'il est difficile je trouve, de faire seul - je m'en rends compte cette année, parce que je le vis - on le faisait à deux. Et les moments de découragement qu'on rencontre inévitablement on était deux pour les supporter. Et ça, t'est irremplaçable parce que, à certains moments, tu cales et tu sais pas pourquoi: \ça marche pas, les élèves refusent,
toi, tu te sens pas à l'aise, etc... Du fait qu'on peut en parler; essayer de déballer tout, analyser ce qui se passe, on arrive plus facilement à surmonter ces passages. Après en classe, on est d'autant plus disponible. Maintenant, ça ne nous empêchait pas d'avoir nous aussi nos problèmes personnels: aussi bien l'une que l'autre, on a habitué nos enfants à être aussi indépendants que possible, mais, certains jours c'était pas facile. Il y avait un seul impératif : on se gardait les week-ends ; ça c'était sacré. Autrement le soir, iI nous arrivait de discuter jusqu'à sept heures et demie de quelque chose qui nous avait préoccupées; mais je peux te dire que je ne le ferais pas avec n'importe qui..
 
A.O - Et la correspondance ? Vous n'avez jamais pensé à correspondre avec d'autres classes, en dehors de l'établissement ?
 
G.P - Ah si ! Nous avions chacune une classe à laquelle nous étions jumelées. Non, moi, l'an dernier, je n'en avais pas, car, l'année d'avant, ça avait foiré. Mais Janine correspondait avec une classe.
 
M.C.D - Est-ce que ça rejaillissait sur la tienne ?
 
G.P - Non, l'année d'avant, la correspondance avait été ratée : le collègue n'avait pas répondu. Les gamins, dégoûtés, n'ont plus voulu entendre parler de la correspondance ; pour eux, c'était fini.
 
M.C.D - Je voulais te demander : vous avez essayé d'instituer quelque chose entre les deux classes, une institution genre conseil de coopérative ?
 
G.P - Ce n'était pas institué, c'était informel. A certains moments, effectivement, les deux classes se sont réunies, une ou deux fois je crois, pour se dire des choses, parce qu'i I y avait des conflits. Autrement, ça se disait de façon informelle: au moment où on les avait en groupe, on se disait des choses: les uns disaient ce qu'ils allaient faire, leurs projets; et l'autre classe disait "Vous venez nous montrer ça" etc. Mais il n'y avait pas d'institution. Peut-être que notre système péchait par là, mais personnellement je vis mal toutes ces institutions, je les trouve assez pesantes quelquefois. On le faisait quand on en éprouvait le besoin.
 
6 - ESSAI DE BI LAN
 
M.C.D - Quel bilan tu tires finalement ? Tant au point de vue des élèves qu'au point de vue pédagogique, organisation de la classe, et qu'au point de vue personnel ?
 
G.P - Je crois que les élèves, même ceux qui n'étaient pas motivés particulièrement par le français, y ont trouvé un certain plaisir, ont écrit, se sont exprimés, ont été capables d'organiser seuls ou en petits groupes une production, de la prendre en charge. Je pense essentiellement à des jeux dramatiques, des pièces de marionnettes ou des montages audiovisuels ou poétiques qui ont été réalisés sans que j'y mette mon nez.
C'est déjà un point positif, me semble-t-il.
Au niveau des connaissances, on a fait un bilan : en quatrième, les collègues n'ont eu aucun problème, ni en grammaire, ni en orthographe, ni en rédaction. Ils se sont bien adaptés. Pour les enfants, il y a eu quand même cette prise en charge de leur expression pour la rendre plus percutante, plus précise aussi, et puis l'organisation de leur travail.
 
M.C.D - Mais là, est-ce la dimension travail en équipe, ou travail Freinet simplement ?
 
G.P - Je pense que c'est la dimension travail Freinet. Mais j'essaie de faire la même chose dans ma classe cette année et ça ne marche pas aussi bien, parce qu'il n'y a plus cette dimension d'échange de réflexion à deux, cette réflexion à deux était finalement bénéfique aux élèves puisque, malgré nos moments de fatigue, on était plus disponible finalement.
Le travail en équipe ajoute une autre dimension au travail en ateliers.
 
Au niveau pédagogique, l'avantage essentiel, c'est qu'on n'est plus solitaire dans sa classe avec ses élèves ; c'était NOS classes, NOS élèves avec des projets qu'on essayait d'harmoniser aussi bien que possible. Il y avait ce travail commun de réflexion et de dédramatisation. Et puis, on avait pris l'habitude, pour faire une fiche par exemple, d'essayer d'analyser vraiment le pourquoi de la fiche, son but, donc de bâtir à partir des difficultés que nous avions rencontrées. Je me rends compte cette année, qu'à certains moments, pour préparer du travail pour les enfants, je bute parce qu'il n'y a pas cet échange. Je fais quelque chose, mais j'en suis moins sûre car je ne peux pas communiquer avec quelqu'un, savoir ce qu'il en pense avant de l'élaborer.
 
Au niveau personnel, c'est difficile de dire ce qu'apporte le travail en équipe. Dire que tout a été rose à certains moments, non ; il ne faut pas qu'il ressorte un tableau idyllique, on en était loin. On a eu des problèmes avec les élèves, comme tout le monde. Mais ce qui était important, c'était de pouvoir en discuter à deux adultes, d'essayer d'y voir plus clair. Pour les enfants, ça permettait aussi, lorsqu'il y avait un petit accrochage avec l'une de nous de prendre du large: à certains moments, je ne voyais pas certains de mes élèves, et inversement. Cela aussi, c'était positif pour les enfants, je crois.
 
J.L - Je voudrais ajouter qu'au niveau des élèves, grâce à la diversité des pistes de travail, des possibilités d'ateliers dues à notre travail en commun, grâce aussi à la valorisation des productions, personne ne s'est senti en situation d'échec.
Et puis, finalement, travailler en équipe, ça apporte une certaine sécurité par rapport à soi, aux enfants, aux collègues, à l'administration, aux parents. On se sent plus forte et donc on peut aller plus loin.
 

M.C.D : Marie-Claire DUBOSQ

 

 

A.O : Andrée OVIEVE

 

 

J.L : Janine LEHOUX

 

 

G.P : Ginette POUPARD

 

 
REFLEXIONS DE GINETTE POUPARD
 
Octobre 1978 :
Ce travail est daté dans ma pratique, je n'ose pas dire dans notre pratique. Comme tel, je voudrais y apporter des critiques et peut-être tracer de nouvelles perspectives que j'explore timidement ailleurs.
 
Il me semble que la perspective de donner une cohérence au milieu éducatif n'était pas présente dans notre travail. Nous demeurions trop isolées et n'avons pas œuvré suffisamment (le pouvions-nous ? ) à la construction d'une "action éducative commune".
La dimension de la vie coopérative et de l'autogestion était-elle prise en compte, par nous d'abord, par les enfants ensuite ? Avons-nous œuvré suffisamment à l'élaboration d'objectifs concrets, à leur mise en œuvre et à leur évaluation ? Avons-nous su avec les enfants, formuler le(s) projet(s) au(x) quel(s) nous souhaitions parvenir ?
 
Il me semble que nous n'avons pas suffisamment créé de motivations nouvelles afin de faire naître une dynamique des besoins. D'autre part, la non définition avec les enfants d'objectifs très clairs n'a pas permis une acceptation de rôles actifs et la naissance d'un véritable sentiment de co-responsabilité au-delà du plaisir d'un cadre autre; il me semble que nous aurions dû davantage :
- pratiquer la communication véritable
- analyser cette communication
- installer l'égalité des statuts
par une définition claire des objectifs, afin de permettre une véritable auto-évaluation, c'est-à-dire celle qui apporte à l'enfant une liberté d'un tout autre ordre.
 
Cette pédagogie de la communication qui me semble la seule véritablement démocratique, doit favoriser, au sein
du groupe, la confrontation entre les besoins, leur prise de conscience et leur traduction en objectifs du groupe.
Elle doit être aussi une pédagogie de la négociation et du contrat. La visée doit être explicitée pour que puissent
être mises en œuvres des stratégies diversifiées, ainsi que des critères d'évaluation pertinents. Ce n'est qu'ainsi, me semble-t-il, que l'enfant acquerra une véritable liberté qui n'est pas soumission au désir momentané. mais désir de progresser, et, pour cela, de se forger des outils pour atteindre le but visé. Ce n'est que par une évaluation constante et méthodique de la démarche, des finalités et des objectifs poursuivis, que l'enfant pourra construire cette distance critique par rapport au monde et à lui-même qui est, me semble-t-il la véritable libération.

 

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