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Quelques précisions sur les mathématiques modernes

Mars 1966

Un journal local, Nice-Matin, a interviewé M. J. Dieudonné, doyen de la faculté des Sciences de Nice.

 

Pourquoi Mathématiques Modernes? M. Dieudonné en dit d'abord la nécessité :

 

«  L'inadaptation des élèves à renseignement supérieur est une catastrophe ». Comme nous le faisons souvent nous- mêmes, M. Dieudonné s'applique à faire admettre que ses critiques ne sauraient être prises pour une offense par les professeurs. « Si les résultats sont fâcheux, ce n'est pas du tout leur faute; on leur fait enseigner une programmation absurde ».

 

« La science se développe à une allure vertigineuse, Nous devons enseigner à nos étudiants la science la plus moderne, celle qui se fait... Il faut donc que nom tâchions de réduire nos cours à l'essentiel, de supprimer tout ce qui est fioriture, tout ce qui est inutile ».

 

Et M. Dieudonné cite « un exemple typique d'exercice stupide qu'on fait faire aux élèves. Voilà le type même de la connaissance inutilisable ». Il condamne « les formules qui ne servent qu'aux astronomes et aux arpenteurs ».

 

Ces critiques excessivement graves, radicales, nécessitent un changement de front : les Mathématiques Modernes. J'ai personnellement gagné à la lecture de cette interview une idée beaucoup plus logique du problème.

 

1°. D’abord une idée dont, à notre connaissance, on n'avait jamais fait état dans les discussions qui se sont instituées.

 

« Pour en venir à cette fameuse théorie des ensembles sur laquelle on dit tant de sornettes, on ne se rend absolument pas compte qu'il s’agit, en tout et pour tout, d'une sténographie pour expliquer des vérités de bon sens. Pour comprendre de quoi il s’agit en réalité, il faut revenir quelque peu sur l’histoire des mathématiques que les Français ne connaissent pas plus que l’histoire de leur pays ». Et M, Dieudonné explique alors, et c'est très important, que les Algébristes du Moyen Age et du début de la Renaissance n’avaient pas de symbolisme commode à leur portée. Ils écrivaient tout dans le langage courant. Il leur fallait deux cents pages pour définir et résoudre l'équation du second degré. Ils ne possédaient ni le signe + ni —, ni le signe de puissance. Ils écrivaient tout en texte.

 

« La grande réforme qui s’est faite en Algèbre à la fin du XVIe siècle a été l'introduction des signes que tout le monde utilise aujourd’hui ».

 

« Eh bien ! on s’est aperçu quand les mathématiques ont progressé qu’il y avait des quantités d’autres choses qu’il était aussi essentiel de pouvoir exprimer sténographiquement. Ainsi, au lieu de dire : tel objet appartient à tel ensemble, par exemple, Jean-Claude appartient à l’ensemble des garçons de moins de 13 ans, on prend le signe petit “a” pour Jean-Claude, le signe grand “A" pour l'ensemble des enfants de moins de 12 ans et au lieu de dire appartient, on écrit un petit epsilon entre les deux signes, exactement comme les gens du XVIIe siècle avaient pris le signe des deux barres pour écrire l’égalité. Les mathématiciens se sont aperçus à l’usage qu’il existe une dizaine de signes indispensables pour avoir une sténographie convenable et l’on considère comme tout à fait normal que cela soit enseigné aux enfants de 12 ans, parce qu'ils sont capables de les comprendre aussi bien que le signe = ou le signe +. Mieux dirais-je, parce que ce sont là des choses beaucoup plus élémentaires. La fameuse théorie des ensembles qu’on leur enseigne consiste en l'introduction de ces signes et d’un langage correspondant ; par exemple au lieu de dire : une bille appartient à l’ensemble des billes blanches et elle appartient à l’ensemble des billes de deux centimètres, on dit qu’elle appartient à l/'intersection de l’ensemble des billes blanches et de l’ensemble des billes de deux centimètres. Il y a' un certain nombre de notions analogues et on les écrit avec des signes très simples parce que c’est bien plus commode ; on voit beaucoup mieux ce qu’on fait que lorsqu'on s’exprime en langage, comme les algébristes du XVIe siècle qui ne pouvaient écrire de formules. Ces formules ne présentent aucune difficulté de compréhension, ce sont des vérités de bon sens et il est plus facile de les utiliser que de comprendre le calcul des fractions.

 

II est donc grotesque de considérer qu'on a accompli une révolution en introduisant ces malheureux petits signes. Les parents qui se trouvent si désarçonnés n'ont qu'à prendre un livre quelconque de leurs enfants et ils se rendront compte, s’ils veulent bien y passer seulement quelques minutes, qu’il s’agit d'écrire des relations évidentes en langage sténographique. Il n’y a rien de plus à ce niveau élémentaire ».

 

Ceci est la technique ; c’est ce qui correspond, pour notre pédagogie à la composition, à l'imprimerie, au tirage d’un texte, à la polygraphie d'une page, moyen simple et pratique de diffuser la pensée de l'enfant.

 

Mais autre chose est la compréhension de la mathématique moderne des axiomes plus pratiques que ceux d’Euclide : les principes de l'algèbre linéaire.

 

M. Dieudonné n'entre pas dans le détail parce qu’il estime que cette nouvelle mathématique n'est pas du niveau des, enfants de nos classes.

 

« Les professeurs de l'enseignement secondaire les plus jeunes, les plus actifs et les plus compréhensifs se rendent bien compte de la situation ; ils sont intelligents, ils savent assez de mathématiques puisqu'ils ont au moins la licence et souvent l'agrégation pour être capables, eux, d'assimiler mon livre. Ils voudraient eux aussi essayer d'introduire quelque chose de nouveau, mais les résistances viennent des dirigeants, c'est-à-dire des Inspecteurs de l'Enseignement secondaire qui sont tous des gens d'un âge assez avancé et qui, n'ayant pats suivi le développement des mathématiques, n'imagine pas que ces méthodes nouvelles puissent être utiles et font une obstruction systématique ».

 

Si même nous ne sommes pas appelés à comprendre au niveau du secondaire cette révolution mathématiques, du moins pouvons-nous y préparer nos élèves. L’auteur en est persuadé puisqu'il vante l’expérience belge. « Pour les élèves de 13 ans, il faut s'y prendre autrement, en introduisant les notions de base d'une manière concrète. Les opérations ça se dessine, ça se voit. On peut faire des expériences avec une règle, du papier quadrillé, C’est ce qu’a fait Papy. Papy (professeur belge ) a développé cette mathématique d'esprit moderne en la mettant à la portée des élèves ".

 

Dans ce domaine, nous avons la prétention, surtout avec nos bandes atelier de calcul qui vont sortir, d'avoir réalisé les véritables fondements des mathématiques modernes. On va peut-être encore une fois, chercher hors de chez nous, ce que nous avions déjà, et à de multiples exemplaires.

 

Certes, tous les problèmes posés par les mathématiques modernes sont loin d’être résolus. L’interview de M. Dieudonné doit du moins contribuer à démystifier cette fameuse théorie des ensembles dont M. Dieudonné fait à peine mention et qui est loin donc de constituer l’essentiel des mathématiques modernes.

 

M. Dieudonné se plaint de l’impossibilité où se trouvent les professeurs français d'expérimenter les méthodes nouvelles et il envie leurs collègues belges. Notre expérience nous conduit à être moins radical. Si une équipe de jeunes était disposée en France à aller de l’avant, il n’est pas certain qu'elle ne trouverait pas les résonnances nécessaires, Seulement, ce sont ces équipes de travail qu’il faut constituer. Le temps de la recherche individuelle est révolu, et plus que jamais on a senti l’impérieuse nécessité d'un renouveau dans tous les domaines.