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Septembre 1966

Au moment où j'écris ces lignes se tiennent en France une quinzaine de stages de l’Ecole Moderne, organisés par les responsables de notre mouvement. Et, au même moment, nous reviennent du Canada vingt de nos meilleurs camarades qui ont assuré là-bas d'importants stages de formation à l'Ecole Moderne.

Pour la préparation de ces stages s’est posée à nouveau l'éternelle question : faut-il enseigner les techniques en priorité, avec l’espoir que l’esprit Ecole Moderne que nous jugeons primordial naîtra d’une façon nouvelle de faire la classe? Ou bien faut-il au préalable mettre l'accent sur l'esprit sans lequel le travail nouveau risque de redevenir scolastique? Faut- il enseigner l’esprit de l’Ecole Moderne, ou risque-t-il de naître, à plus ou moins long terme, de nos techniques? Contrairement à ce qu’on pourrait croire peut-être, l’esprit ne s'enseigne pas. Il ne peut résulter d'une explication, si éloquente soit-elle. Il est une conception trop abstraite par nature pour qu'on puisse l'expliquer d'une façon convaincante par de simples mots. Il naît des situations nouvelles que nous créons et des réponses que nous donnons aux problèmes qui nous sont posés.

Si même tous les professeurs d'Ecoles Normales expliquaient ainsi, abstraitement, l'esprit Ecole Moderne, l’éducation elle-même n'en serait pas changée si n’était modifiée, pratiquement, techniquement, la façon nouvelle de vivre et de travailler dans nos classes. Et cette façon nouvelle est fille des outils nouveaux et des techniques qu'on introduit dans les classes. Il ne peut pas y avoir esprit Ecole Moderne dans les classes où subsistent les manuels et l'usage des leçons et des devoirs. Les outils de l'Ecole traditionnelle sont par eux-mêmes destructeurs de l'esprit Ecole Moderne,

Il faut donc introduire dans les écoles le matériel et les techniques de l'Ecole Moderne. Mais cela suffit-il pour qu’y pénètre l'esprit et que faut-il faire pour que naisse vraiment cet esprit? Cela suffit si le matériel et les techniques sont bien employés, selon les principes et les règles qui ont présidé à leur conception et à leur emploi. Il en est ainsi d’ailleurs de tous les outils.

Si vous maniez la bêche maladroitement, coupant les tiges naissantes ou les premières racines des plantes à biner, le résultat sera certainement désastreux. Est-ce à dire que la bêche est un mauvais outil? Non, mais on ne l'a pas employée conformément à l'usage qu'on en devait faire.

Le sécateur est une belle invention, II faudra certes qu'on vous apprenne à le tenir aiguisé et à le manœuvrer pour que la section soit nette — ce qui sera relativement aisé à acquérir. Mais si vous coupez les pousses porte- fruit, le résultat sera déplorable. Faudrait-il, avant de diffuser le bon usage de ces outils, les faire connaître théoriquement, ou les montrer en action pour en assurer l’usage? C'est évidemment le bon usage de nos outils que nous devrons enseigner.

Il faudra montrer qu’il y a un usage du texte libre qui, comme le coup de bêche maladroit, risque de détruire les bonnes pousses, et qu'il est des exercices scolastiques qui ne sont que des coups de sécateur maladroit et détruisent les velléités d’action au bénéfice des gestes morts et des pensées stériles. Si nos adhérents pouvaient montrer à la masse des éducateurs comment ils emploient leurs outils — et cela sans aucune considération abstraite d’esprit — les éducateurs parviendraient par cette voie à un usage excellent de la pédagogie moderne.

Bien sûr, on nous dira : oui, mais si les éducateurs achètent le matériel de l'Ecole Moderne sans connaître l'esprit de notre pédagogie, ne sera-ce pas regrettable?

Ce qui serait regrettable, c’est la manœuvre à contresens des outils et des techniques. Ce n’est que dans notre métier d’éducateurs que des usagers se lancent dans la manœuvre d’une mécanique sans la moindre initiation, Il n’en est jamais ainsi dans la vie : vous recevez une machine à laver, vous attendez que vienne l’installateur, ou bien vous allez vous renseigner chez un voisin qui a la même machine. Le paysan qui achète un tracteur ne le mettra jamais en marche sans initiation, parce qu’il serait assuré de l'échec, L’éducateur a perdu cette notion capitale de l'apprentissage, Ne s'est-on pas plaint bien souvent qu’on demande un CAP à la jeune fille qui va coudre des habits et qu’on n’en demande point à qui va former les petits d’hommes? Le résultat, c’est évidemment que, dans notre métier, on agit trop souvent à contresens, sans initiation technique et qu’on s'étonne ensuite d'échouer. Alors ceux qui échouent chez nous croient qu’ils ont été mal initiés à l’esprit de notre pédagogie : ils ont tout simplement été mal initiés à l’usage de nos outils et de nos techniques.

On vous dit que vous pouvez, sans initiation, enseigner la lecture ou l’écriture à vos enfants. Cela est faux. Ou alors cet apprentissage se fera aux dépens des apprentis eux-mêmes, avec le risque grave que vous restiez à mi-chemin de l’apprentissage et que vous vous contentiez en définitive de faire faire à vos apprentis ce qu’on vous a fait faire à vous-mêmes étant jeunes — ce qui est la négation du progrès.

Si on m'offrait un jour, que ce soit en France ou au Canada, ou ailleurs, l’occasion d’opérer le recyclage d’une portion importante de maîtres, je prendrais justement le contrepied des stages officiels actuels — pour classes de perfectionnement ou classes de transition — qui assènent aux auditeurs une série débordante de considérations théoriques : je partirais avec des équipes d'artisans qui connaissent à la perfection l'usage de nos outils et ils montreraient aux maîtres comment on prépare et met au point un texte libre, comment on l'imprime pour avoir un beau journal, comment on pratique la correspondance, comment on fait du calcul et du chant libre, comment avec les bandes programmées on s’enrichit en histoire, français, calcul, géographie, sciences, comment on fait une conférence.

Le jour où nos stagiaires sauront manœuvrer ces techniques conformément à leur conception et à leur objet le but sera atteint : il sera facile alors d'étudier toutes questions psychologiques et pédagogiques qu’aura soulevées ce travail nouveau et 011 le fera avec entrain, ferveur et profonde compréhension.

Si, un jour prochain, la masse des éducateurs travaillait selon nos techniques, alors, sans aucune leçon, l’esprit de nos classes serait changé. On ne vit pas et on ne pense pas dans une classe qui s’exprime librement, qui pratique la correspondance et travaille coopérativement, comme on vit dans une classe traditionnelle. Et nous pouvons aujourd'hui assurer, comme résultat de notre longue expérience, que les enfants qui ont travaillé selon notre pédagogie deviennent des hommes et des citoyens capables de contribuer à réaliser la démocratie du travail que nous souhaitons.

Cette conception de l’apprentissage de nos techniques explique ¡’attention toute particulière que nous portons, depuis toujours, à la préparation de ces outils et techniques. Nos réalisations dans ce sens — surtout après la mise au point de nos bandes enseignantes — permettent aujourd'hui d’envisager pratiquement, pour la masse des écoles et des éducateurs, une pédagogie tout à fait nouvelle, basée sur l'expression libre, le travail coopératif, l’individualisation de l’enseignement et l’autocorrection. Nous expliquons plus en détail cet aspect nouveau de notre travail — pour le premier et le second degré — dans un livre à paraître très prochainement, comportant une importante contribution de notre ami Berteloot : " Travail individualisé et programmation

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Le centre international de programmation de ¡'Ecole Moderne a travaillé à Vence du 16 au 28 août pour la mise au point de :

— 30 bandes français et sciences, 2d degré,

— 30 bandes atelier de calcul,

— 30 bandes supplémentaires de grammaire,

— 30 bandes d’histoire,
et surtout :

— 30 bandes de sciences (1er degré).

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Le travail continue et continuera en cours d’année. L’Ecole Moderne en effet un chantier permanent de plusieurs milliers d’éducateurs. Nous poursuivons ce travail :

— par notre revue L’Educateur magazine et technologique ;

— L'Educateur 2° degré et classes de transition,

— par nos Bulletins départementaux et régionaux,

— au sein de nos commissions qui travailleront (en histoire, étude du milieu, archéologie, sciences, classes de transition, terminales pratiques, de perfectionnement, d'application et maternelles) par bulletins spéciaux auxquels les camarades intéressés pourront s’abonner;

— par nos innombrables réunions régulières de groupes départementaux et régionaux ;

— par nos stages et nos Congrès.

L'œuvre considérable réalisée à ce jour est garante de l'importance et de la qualité du travail à venir.

Nous aurons à parler notamment dans les prochains mois de la vaste entreprise de modernisation de l'Ecole canadienne (des stages importants ont été assurés par nos camarades) et de l'action que nous entreprenons pour l'alphabétisation dans les pays en voie de développement, par les Techniques Freinet de l'Ecole Moderne.

Joignez-vous à nous.