Raccourci vers le contenu principal de la page

Quand donc le Ministre finira-t-il de parler de l’instituteur freudien ?

Mai 1933

Au cours de la séance du 12 mai (Officiel du 13 mai), le Ministre de l’Education Nationale a été amené à répondre sur notre cas à divers interpellateurs. Voici ses paroles et actes.

M. Anatole de Monzie. — A St-Paul de Vence, un instituteur pratique des méthodes freudiennes. Je l’ignore jusqu’à ces derniers mois ; je n’ai pas de rapport ; rien ne me le signale ; un scandale me l’apprend. Je demande une enquête. Aux fins de quoi ? Aux fins de censure. Une enquête portant sur quoi ? Sur des méthodes pédagogiques. Pourquoi la censure ? Parce que, pendant des années, l’instituteur a mis en pratique ses méthodes, au vu et au su de tout le monde, qu’il a été encouragé et félicité par des personnes dont le nom fait autorité, et qu’il a été, dans la grande presse de gauche et du centre, l’objet de véritables louanges pour la mise en œuvre de procédés pédagogiques dont l’originalité et l’efficacité auraient dû susciter des réserves.

Ce maître d’école était hissé sur une espèce de pavois d’admiration corporative. Si, pendant les trois années précédentes, il avait bien été visité par l’inspecteur primaire, il n’avait jamais été régulièrement inspecté parce que la gloire locale lui servait de bouclier. C’était une espèce d’idole primaire de la Côte-d’Azur à laquelle on n’osait pas toucher. — (Hilarité).

Je l’ai donc déféré au Conseil départemental pour des faits relatifs il sa classe, vous m’entendez bien, pour des motifs tirés de son enseignement, ainsi que j’en ai le droit et le devoir. Croyez-vous qu’à partir de ce moment j’ai été l’objet d’attaques plus vives à l’extrême-gauche ? En aucune façon. Tandis que M. Gautherot, avec beaucoup de bonne grâce et de bienveillance flatteuse, parle de mon humanisme (on l’appelle humanisme et on traduit dilettantisme). On prétend que je n’ai pas exercé les rigueurs de mon contrôle et que j’ai réglé l’affaire aux moindres frais de sanction.

Alors que pendant tant d’années, on a ignoré, j’ai, moi, signalé, j’ai poursuivi, j’ai fait censurer ce que je trouve regrettable et faux du point de vue pédagogique, parce que tel était mon devoir. Et c’est moi qui y aurais manqué ? Non ! il y a une limite ».

Nous soulignons, dans cette déclaration, deux faits capitaux, dont le premier surtout a une importance exceptionnelle :

1° Le Ministre demande une enquête : avant même d’en connaître les résultats, il en fixe la sanction : la peine de la censure.

« J’ai fait censurer », dit-il, tout comme un ministre de la justice dirait : « J'ai fait infliger 6 mois de prison ».

Mais alors, que devient la souveraineté du Conseil départemental ? Que vaut cette parodie de justice, cette illusoire garantie ?

Nous nous demandons d’autre part quelle est la pression scandaleuse qui a contraint un directeur d’Ecole Normale se déjuger à trois semaines d’intervalle. C’est avec quelque peine que nous constatons que c’est le Ministre lui-même qui a donné des ordres précis à mes juges.

Et quand nos amis demandaient au Ministre de rapporter la peine de la censure, le Ministre objectait que c’était le Conseil départemental statuant souverainement qui avait jugé.

2” La peine de la censure contre moi aurait, aux dires du Ministre, été accepté sans récriminations par la gauche et critiquée seulement par la droite. Quelle gauche, quels groupements, quels partis ont ainsi, tacitement, approuvé le Ministre ? Les journaux se sont tus certes, mais que ne fait-on état de tous les ordres du jour votés, de toutes les interventions suscitées ?

Quant ii la droite, certes, elle ne sera contente que lorsque, après avoir cédé, tant dans l’Affaire Freinet que dans les affaires semblables, le Ministre de gauche lui-même aura cédé sa place, ou changé à nouveau d’étiquette.

En face de semblables procédés, ce n’est plus seulement le cas Freinet qui est posé, mais toute la légalité administrative des instituteurs.

Ceux-ci se doivent de réagir !