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Le travail à l'Ecole Freinet selon la nouvelle technique des bandes enseignantes

Dans :  Techniques pédagogiques › 
Octobre 1964

Nous n'allons pas vous présenter le travail en ce début d'année comme une solution idéale, si parfaite qu'il vous sera difficile de l'imiter. Nous ne travaillons jamais dans l'idéal mais bien dans la réalité de nos classes, cette réalité que nous savons complexe et ardue et qu'il nous faut tâcher d'améliorer.

Et les conditions de travail à l'Ecole Freinet sont particulièrement délicates. Notre nouvel instituteur, André Bonbonnelle, venu d'un petit village de Seine-et-Oise en a été étonné. Il avait une classe où les enfants s’intéressaient en travaillant volontiers, où il sentait tout de suite de la résonance, et il trouve ici une classe d'enfants fatigués, laissés pour compte de toutes les écoles, qui non seulement n'aiment pas le travail scolaire, mais chez qui on semble avoir tué tout élan de vie. Je demande d'ailleurs à Bonbonnelle de nous dire lui-même ce qu'il pense de sa nouvelle classe.

Parmi sa vingtaine d'élèves, la moitié environ sont des anciens de l'an dernier et même de plusieurs années. Nous les rattraperons assez vite après les mois de vacances qui les ont replongés bien souvent dans les milieux qui leur ont été funestes. Quant à l'autre moitié c'est une sorte de total repêchage qu'il nous faut faire.

Mais nous sommes partis tout de suite avec les techniques maintenant définitivement assises : le texte libre et son exploitation rapide journalière, l'imprimerie à l'Ecole, le journal et la correspondance, le plan de travail annuel et hebdomadaire, les conférences. Tout ceci est aujourd'hui admis, et plus ou moins même recommandé officiellement. Nous en avons pendant des années, étudié dans nos revues l'adaptation à nos classes de divers degrés. Un livre va paraître aux Editions Armand Colin-Bourrelier : Les Techniques Freinet de l'Ecole Moderne, qui sera comme une synthèse, comme le point actuel de nos techniques.

Nous n'y reviendrons donc pas dans notre Educateur Technologique où nous nous appliquerons à étudier tout ce qui en est encore au stade expérimental et qui a besoin d'un rodage à grande échelle avant de pouvoir pénétrer de plain-pied dans les classes.

La grande nouveauté — et qui semble devoir tenir ses promesses — ce sont les bandes enseignantes.

Dans ce domaine, l'Ecole Freinet sera encore une fois en avant-garde. Elle fait ce qui n'a jamais été fait — ce qui suppose bien entendu des tâtonnements dont nous nous efforçons d'analyser objectivement les péripéties. Et surtout elle doit donner le branle pour la mise au point du matériel nécessaire. Nous n'avons pas la prétention de penser que nos lecteurs lisant notre pratique des bandes, vont s'y engager tout de suite à 100%. Ils ne le peuvent pas parce qu'ils n'ont pas pour l'instant le matériel nécessaire, puisque nous avons seulement :

— édité (il reste encore une dizaine de bandes à tirer) notre cours de calcul en 100 bandes.

— prêt à l'édition qui va se faire incessamment notre cours de Français en 60 bandes.

— Un certain nombre de bandes de travail parues dans L'Educateur.

Et nous ne pouvons pas demander aux instituteurs de faire les 100 ou 150 bandes dont ils auraient un urgent besoin. Ce serait un peu comme si nous les lancions dans l'imprimerie à l'Ecole en leur disant : vous devrez au préalable fabriquer votre presse ; voici comment vous pouvez vous y prendre.

Mais l'Ecole Freinet, qui joue en l'occurrence son rôle important d'Ecole expérimentale peut déjà réaliser une forme d'Ecole que vous pourrez adopter sans risques dans un ou deux ans et pour laquelle nous préparons la technique qui vous permet dès maintenant de vous engager prudemment.

A Vence, nous disposons en effet :

— Des 100 bandes de calcul.

— Des 60 bandes de français que nous sommes en train de contrôler à l'usage.

— Et quelques 100 à 150 bandes bis qui nous restent de l'année passée. Tout cela nous fait un fonds suffisant pour démarrer dans de bonnes conditions. Et nous nous préparions à pratiquer la classe selon la formule que j'ai déjà indiquée.

— Travail vivant le matin avec texte libre, exploitation, correspondance, calcul vivant.

— Le soir, dans la dernière heure : comptes rendus, leçons a posteriori, synthèse et conférences.

Entre ces deux extrêmes, le maximum de travail libre rendu désormais techniquement organisé avec les Bandes enseignantes.

Ce sera là notre sujet d'études et de recherches pour l’Educateur Technologique de cette année.

Et voilà qu'en préparant nos premiers Plans de Travail nous nous apercevons que les Bandes nous donnent une possibilité nouvelle.

J'ai déjà dit dans mon livre (1) comment les Bandes permettent pratiquement le calcul vivant qui, sans elles, ne peut être qu'accidentel, surtout dans les grandes classes.

Nous venons de faire une découverte : les bandes enseignantes permettent, pratiquement, dans toutes les classes, l'étude du milieu que nous placerons probablement bientôt au centre de notre activité scolaire.

Nous n'avons certes pas à faire ici l'éloge de l’étude du milieu, dont tous les éducateurs s'accordent aujourd'hui à reconnaître les vertus pédagogiques. La nécessité s'en imposait moins cependant il y a quelques années seulement, et l'on voyait mal alors comment, dans la pratique les divers enseignements classiques (histoire, géographie, sciences, calcul, langues) pouvaient se concevoir sur la base de cette étude.

Il y avait, à ce doute, le fait technique et sociologique. Quand j'étais jeune encore, dans mon village du début du siècle, une étude du milieu bien comprise aurait permis d'étudier la vie, riche il est vrai, de ce village aujourd’hui abandonné. Mais cette étude n’aurait absolument pas débouché sur les autres milieux dont nous étions pratiquement isolés par suite du manque total de moyens de communication. Force était alors aux maîtres de susciter artificiellement, ou d'imposer scolastiquement l'étude des milieux environnants ou éloignés. Les leçons d'histoire, de géographie ou de sciences avaient pour but d'y pourvoir.

Il n'en est plus du tout de même aujourd'hui. Tous les faits, même les plus simples, de notre vie ont leur résonance naturelle dans les villes et les régions voisines, et, par la radio et la TV dans les pays proches ou éloignés qui nous deviennent familiers, et bientôt jusque vers les autres planètes. Quand on installe à l'Ecole le chauffage central au mazout, nous ne nous contenterons pas de regarder le plombier à ses travaux de raccords et de soudure. Naturellement — et non plus scolairement — les enfants pensent aux systèmes de chauffage à travers les siècles, aux mines et aux sources de gaz, aux principes de l'éclairage et du chauffage, à la production du pétrole et du charbon dans les divers pays.

Vous penserez que cela a été dit depuis longtemps par Decroly, et que nos complexes d'intérêt étaient axés sur cette résonance. Mais il fallait alors que le maître aiguille lui-même l’attention des élèves sur ces données, ce qui ne se faisait jamais sans une part dangereuse de scolastique.

Ecoutez vos enfants parler aujourd’hui. Ils abordent tous les sujets proches et lointains, du présent, du passé et du futur. Ils savent tout. Ce qui leur manque, c’est seulement les liaisons indispensables entre les choses, les faits et les événements, ces racines souterraines, ou parfois à fleur de terre qui constituent comme une filiation secrète, le fil d’Ariane qui nous permet de nous conduire avec efficience dans la complexité de la vie contemporaine, de comprendre et d’agir en conséquence. Cette filiation souterraine, c’est la culture, qu'elle soit historique, scientifique, mathématique, littéraire ou artistique. Et tout le monde comprend aujourd'hui
— et les Instructions Ministérielles insistent sur cette nécessité — que la culture doit désormais prendre le pas sur la connaissance.

On s'aperçoit en même temps d'une autre réalité : la séparation en branches d'étude est désormais dépassée : à aucun degré, ni au primaire, ni au secondaire, il ne saurait y avoir cloisonnement entre les diverses disciplines. Ce cloisonnement est spécifiquement scolaire, entretenu par les programmes, les manuels scolaires et la spécialisation des professeurs. Mais on sait partout hors de l'Ecole que les sciences sont générales et complexes : le lancement d'un vaisseau spatial nécessite la collaboration des techniciens en calcul, en électronique, en géographie, en sciences, en histoire qui est connaissance de ce qui a été fait avant nous.

L'étude du milieu, impératif de notre époque peut être désormais au centre de notre pédagogie.

***

Cette étude du milieu, prônée par les pédagogues, n'était pas totalement inconnue dans nos classes. Mais elle n'était abordée jusqu'à ce jour que par des spécialistes.

Voici ce qu'en dit Bonbonnelle, après lecture de mon brouillon d'article :

« En effet, cette étude du milieu n’était le fait que des spécialistes.

Un tel éducateur a la passion des plantes, tel autre collectionne les insectes et les fossiles et sait mettre en valeur dans sa classe l’étude de ces spécialités,

Aux yeux de la masse, cette étude du milieu restait donc une spécialité, qu’on sait enseigner quand on l’aime, comme les artistes enseigneront le chant ou la peinture.

Bon nombre de nos camarades Ecole Moderne en soupçonnent pourtant toute la richesse, au fur et à mesure qu’ils s'approchent de la Vie, en s’éloignant de la scolastique. Alors ils se lancent dans cette étude du milieu mais... il y a la grande peur dont parle Le Bohec. Chacun pense aux programmes, aux Inspecteurs, aux examens, aux parents, et finalement il sacrifie ce qu’il y aurait de meilleur dans cette étude du milieu qu’il oublie seulement de placer au premier plan.

Par peur de l’aventure on avale avidement le programme et l’on garde pour le dessert, pour la bonne bouche, cette étude du milieu qui devrait être le plat de résistance. On n’en tirait pratiquement rien parce que manquait la technique adéquate ».

Cette technique, les Bandes enseignantes nous l’apportent.

Nous n'aurons plus à improviser travaux et exercices quand surgissent des centres d'intérêt. Nous discutons de ce centre ; nous voyons les pistes diverses à explorer et puis, avec la collaboration des maîtres :

— nous cherchons les bandes existantes se rapportant à ce thème.

— nous préparons des bandes de travail nouvelles. Désormais, sans heurt, sans incertitude, avec un maximum d'ordre, les points désignés seront ainsi étudiés librement, dans le cadre du plan de travail.

Mais n'anticipons pas. Selon notre pédagogie nous allons présenter d'abord notre travail. Chemin faisant, ou après publication, nous ferons le point de ce que nous aurons réalisé pour aller plus avant.

***

Nous commençons donc par une présentation du plan de travail que nous avons réalisé au cours des deux dernières semaines et pour chacun de ces plans, nous présenterons les bandes que nous avons utilisées.

Nous ne vous offrons pas des modèles.

Nous vous disons seulement : voilà comment dans notre période d'essai nous avons démarré pour l'étude du milieu. Nous serions heureux que vous critiquiez notre travail, et nos bandes en particulier, et que vous nous en donniez de meilleures. C'est par notre vaste collaboration que nous mettrons ' au point cette nouvelle conception d'une pédagogie basée sur l'Etude du milieu.

Nous ne nous contenterons pas de publier ces bandes d'étude du milieu. Nous ferons la part la plus large aux œuvres de nos camarades dans les divers domaines. A vous de nous envoyer vos travaux.

C. FREINET

P.S. Jusqu'à ce jour nous donnions nos bandes par séquences encadrées pour bien montrer comment se présentent en réalité les bandes que nous éditons. Mais, dans la pratique ces documents ne peuvent pas être utilisés tels quels. On est toujours obligés de les recopier sur bandes.

La présentation actuelle est techniquement compliquée, et surtout elle tient trop de place. Nous allons donc désormais donner nos séquences à la suite, simplement séparées par un intervalle. Nous pourrons aussi vous en donner deux fois plus.

(1) Bandes Enseignantes et Programmation - BEM n° 29-32 CEL Cannes.