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Le temps de la patience

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Janvier 1979

 

Notre pratique quotidienne
LE TEMPS DE LA PATIENCE
Notre pratique quotidienne : espoir, satisfaction, découragement, déception. En classe de mathématique, créer des moments de libre recherche n'est pas toujoursfacile. Mais quand ça marche ....
 
 
Le 23. 1.78
"J'en ai marre, je n'arrive pas à provoquer des moments de libre recherche cette année.
Je dois mal me débrouiller ... Je ne possède pas assez les nouveaux programmes (chacun sait que le programme de math a encore changé en Vlème cette année). La formation en primaire est mauvaise, le niveau baisse.
J'ai l'impression de faire marche arrière cette année. Je n'arrive pas à faire passer ce que c'est vraiment que chercher. Tels sont mes propos aujourd'hui dans la cour cl u CES, avec les collègues qui comprennent mon langage.
 
Le lendemain matin, 24.1.78
En classe de VIème 1
Nous travaillons à partir de fiches-guides que je fabrique, mais, somme toute, assez traditionnelles. Nous fai sons un travail de conversion dans les mesures de surface et nous trouvons que, pour passer des
m2 aux dam2, il faut multiplier ou diviser par 100,
m2 aux cm2, il faut multiplier ou diviser par 10.000,
m2 aux mm2, il faut multiplier ou diviser par 1.000.000,
et ainsi de suite ; entre les km2 et les mm2, il y a un suivi de 12 zéros. Rien de passionnant.
J'introduis alors la notion de puissance d'un nombre et j'explique comment cela simplifie l'écriture des grands nombres. Je répète une fois deplus mon leit-motiv, maintes fois jeté depuis le début de l'année : "vous avez le droit de poser des questions, c'est même recommandé; les mathématiques, ce n'est pas de la mécanique, c'est chercher". Et, cette fois, mon appel est entendu.
Une gamine crie : "Et 23 millions, on peut l'écrire avec des puissances ?
- Qu'en pensez-vous ? Cherchons ! ".
 Et voilà , c'est parti ! Des yeux s'illuminent, des hypothèses fusent de partout.
- " Moi, je crois que j'ai trouvé, ça doit être 100.000 23
- Ah! Vérifie d'après la définition : cela veut dire :100.000 x 100.000 x 100.000 ... 23 fois.
- Ah ! non, moi j'ai trouvé : ça doit être 130.000 +105
- Ah ! vérifions .... Non .. ".
Bref, le dialogue s'établit.
Puis découragement et référence au maître
- "Mais Madame, vous, vous savez si c'est possible, de trouver, vous nous le garantissez ?
- Oui, oui."
Réflexion de la gamine ayant posé la première question : Eh bien, si j'avais su, je n'aurais pas poma question ! ".
Les autres de répliquer: "Mais tu n'y penses pas, c'est intéressant de chercher".
 
Le même jour en Vlème 4, classe un peu privilégiée - c'est la classe où nous sommes six professeurs à réaliser un rêve en gestation depuis quelques années : nous formons une équipe pédagogique et les élèves fonctionnent en réunion de coopérative depuis le début de l'année scolaire, au rythme d'une réunion toutes les trois semaines.
Dans cette classe, depuis novembre, j'invite à aller fouiller dans le fichier "qui donne des idées" (il y a des fiches OCDL, des fiches du SBT Freinet, des fiches fabriquées au fil des ans par les élèves ou moi-même). Jusqu'à maintenant, quelques élèves m'avaient écoutée,mais il n'y a pas eu de prolongement dans la vie de la classe.
Ce jour-là, plusieurs élèves sont allés "fouiner" et m'ont dit :"On peut préparer un exposé surles arbres et les jeux de cartes, demander aux autres d'en inventer". Vous devinez ma réponse :
"Mais oui, bien r", avec un sourire plus qu'encourageant - et, à la fin de l'heure, l'exposé était prêt.
Une autre élève :"J'ai trouune fiche on demande de faire un graphique montrant l'évolution de la population lynx et lièvres, en fonction des années : je peux le faire et en parler aux autres - Mais oui, bien sûr", et voilà une liaison biologie-math qui sans doute s'établira ... ??
Le même jour dans cette classe, je relève les plans de travail chaque élève met son appréciation pour une durée de trois semaines et je lis :
"Les maths me passionnent, au début vous me faisiez peur, maintenant beaucoup moins". aussi, un cheminement a été fait depuis octobre.
 
Mes réflexions :
Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas ...
Banalité ... J'ai eu la dose qui me permettra de continuer à croire à ce que je fais, instant privilégié, rare. Le maître n'a-t-il pas d'abord à attendre, à apprendre la patience du déconditionnement, afin de ne pas se décourager ?
En relatant ce moment de la classe, je réalise combien les outils sont indispensables pour que les enfants puissent exercer leur liberté et la prise en charge de leur travail. Il s'agit bien pour nous de "pratiquer" la pédagogie Freinet, en fabriquant nos propres ·outils, et non d'avoir des idées sur la pensée de Freinet.
Janine HUCHET - CES
81160 SAINT JUERY