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Juin 1999

CréAtions n° 87 - Traces - publié en mai-juin 1999

Annie Solas - Entretien avec Thierry Savini

 publié avec l'aimable autorisation de l'artiste

 

               

               Thierry Savini
 

                                                Regard sur mon travail

 

 


 
 
 
Annie Solas
 

* Quand je regarde ce que tu peins actuellement, j’ai envie de te demander par quels cheminements, quelles étapes, quelles recherches tu es passé pour en arriver à celle-ci ? Et comment le perçois-tu en tant que créateur ?


Thierry Savini
 
- Avoir un regard sur son travail enclenche dans la plupart des cas une pensée proche du jugement sur soi. Lorsque je travaille, j’essaie d’être le plus en retrait possible. Je vois sans regarder, donc sans penser. Dans cette action, je me fie plus à mon corps : accélération du cœur, respiration, tremblements, etc. Pour moi, ce sont des indicateurs plus importants que mon regard, du moins pendant le travail.
Après cela vient la constatation qui nécessite ou non rectification, reprise, évolution. C’est comme un dédoublement. J’agis, et je laisse en arrière une enveloppe de moi-même constituée de mon regard et de ma réflexion; la partie agissante n’est constituée que d’émotions pures. Mais cet acte, s’il est facile à décrire et somme toute assez connu, ne se déclenche pas à la demande.
 

 
 
  
Etude sur le corps. Huile sur toile, 1991.

 

* Peux-tu exprimer quand, comment se déclenche ton désir, ton besoin de peindre ?


- Le travail que j’effectue en amont d’une peinture n’est pas nécessairement matérialisé par nombre de croquis, dessins ou autres exercices de recherche. L’acte de peindre, chez moi, découle souvent d’une accumulation de pensées, d’émotions. A mes yeux, elles ont autant de valeur que des dessins préparatoires, puisqu’elles font naitre en moi la nécessité de les exprimer picturalement. Personnellement, le seul véritable déclencheur que je me connaisse, c’est cette nécessité intérieure de faire.
 
 

* Je note le mot « nécessité » que tu emploies à la place de besoin, désir. Etablis-tu une relation intérieure privilégiée avec tes œuvres ?

- Ma relation avec les œuvres terminées est toujours capricieuse. Certaines m’enchantent tout de suite, tandis que d’autres me laissent perplexe, presque méfiant. D’autres encore sont résolument écartées, voire détruites. Je ne détruis pas systématiquement les peintures que je juge mauvaises. Elles sont de côté, je les regarde de temps en temps avec un mélange de gêne et de fierté. Gêne parce que j’en suis l’auteur, et fierté parce que je ne suis pas tombé dans leurs pièges ; humilité aussi, car je sais que ces pièges sont sans cesse tendus.

 
 

* Te laisses-tu parfois totalement séduire par une de tes œuvres ?


- Dans ce rapport de séduction avec l’œuvre, je constate que, bien souvent, celles qui ont éveillé en moi une satisfaction quasi immédiate, sont celles envers lesquelles je suis le moins fidèle aujourd’hui. Tandis que celles dont je ne reconnaissais pas la paternité, dans la durée, réussissent à apprivoiser mon regard et, finalement, à envahir mon esprit jusqu’à l’obsession. De là nait cette nécessité d’en savoir plus.
 
 
Sans titre. Acrylique, huile et cire sur toile. 0,80 x 0,60, 1998.

 

* As-tu une intention de messages ou restes-tu en seule relation avec toi-même ?

 
- Je vis mon travail un peu comme une énigme, quelque chose à résoudre sans pouvoir dire quoi. D’où la nécessité de continuer à chercher toile après toile jusqu’à épuisement de celle-ci. L’énigme résolue, je ne peux pas la formuler par des mots. Elle est là, sur les toiles, et ça me suffit. Ce qui est tracé sur la toile n’a qu’une importance relative, même si son choix trouve une explication dans mon subconscient. Personnage, animal, objet peuvent à mes yeux ne faire qu’un.
L’essentiel pour moi se trouve dans l’énergie qui anime mon expression et le dépouillement dont je vais être capable pour cela.
C’est dans cette condition que je me mets au travail, sans désir conscient d’exprimer quelque chose de précis et pourtant le thème de la condition humaine y revient de façon éloquente. Je fuis la narration et j’ai pourtant l’impression de toujours raconter. Ces contradictions restent pour moi un mystère que je ne vais pas chercher à élucider autrement que par la peinture. Sans doute existe-t-il en moi, et malgré moi, un besoin vital de témoigner. La création m’en fournit la possibilité.

artiste, peinture
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