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L'organisation de notre travail coopératif

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Octobre 1963

NOUS expérimentons, nous organisons et nous produisons.

Notre travail complexe, nos « techniques de vie » bénéficient d'une unité de conception et d'action qui est sans doute un des éléments du succès croissant de notre pédagogie. Et qui est parvenu à sentir profondément cette simplicité et cette unité possède la clef de toute éducation valable.

Nous avons, en techniciens conséquents, délivré notre métier de la scolastique intellectuelle qui le paralysait. Nous plaçons à la base l'expérimentation, l’observation et le travail, et c’est pour le travail que nous devons nous préparer.

Il en est de même dans notre activité plus spécifiquement pédagogique : nous ne nous attardons plus à discuter abstraitement des diverses disciplines. Nous organisons notre travail et individuellement et collectivement nous « produisons ».

Les années de prospérité sont celles où nous avons le plus produit, et les étapes de nos progrès sont jalonnées par nos découvertes et l’adaptation que nous en opérons, techniquement, à nos besoins et à nos possibilités.

Nous avons créé ainsi un certain nombre d’outils qui sont désormais à la disposition des éducateurs. Nous sommes en train de roder nos Boites enseignantes et nos bandes. Notre limographe 21 X 27 automatique va sortir. Nous préparons une amélioration importante de nos couleurs CEL. Là, nous l'avons dit bien des fois, est l'essentiel de notre apport pédagogique, celui qui restera attaché à l'histoire de notre mouvement et qui, peu à peu, en changera les données et l'esprit.

Changer les outils et les techniques de travail scolaire c'est nécessairement modifier l'esprit de notre enseignement. Cette modification n’est pas nécessairement bénéfique ; il nous appartient à nous et à ceux qui en useront de la rendre telle. Il en est de cette modernisation comme de l’invention atomique : elle peut être utilisée pour un immense progrès social comme, aussi bien pour notre universelle destruction, mais ce qu’on ne peut nier c'est que cette invention influence profondément les modes de vie et de travail et déjà les processus de pensée et de comportement des individus.

Les encouragements des administrateurs

Le plus grave c’est que nous avons affaire à une population d'enseignants qui, pour diverses raisons s’obstinent à ne rien changer de leurs techniques de travail et considèrent comme non déterminants les progrès, pourtant méthodiquement constaté que nous leur offrons. Nous en sommes encore à 1910, à l'ère où nous regardions avec curiosité et crainte, circuler les premières autos qui nous apparaissaient comme des engins diaboliques et où l’on considérait comme fous ceux qui s’y embarquaient.

Mais l'inadaptation actuelle de la vieille pédagogie est telle que nous nous trouverons bientôt dans une impasse où des techniques plus modernes s’imposeront. Ce qui explique que les éducateurs et les administrateurs qui réfléchissent prônent aujourd’hui les méthodes modernes et que les instructions ministérielles récentes sont pour les éducateurs, un encouragement très net à s’engager dans la voie que nous avons ouverte.

Il résulte de ces considérations, qui ne sont pas nouvelles, mais qu’il n'est pas mauvais de rappeler sans cesse, que nous avons un double rôle à jouer :

1°. - Parfaire nos outils, mettre au point les techniques pour leur emploi bénéfique, les produire ou les éditer pour que les éducateurs puissent les acquérir.

C’est ce travail de pionniers que nous continuerons par le travail intensifié dans notre vaste équipe ICEM.

2°. - Faire connaître nos techniques par des stages, des visites d’écoles, des classes expérimentales et des classes d’application qui initient les jeunes éducateurs par la propagande sous toutes ses formes, qui entraînent instituteurs et professeurs à lire notre littérature, à s'abonner à nos revues, et peu à peu, à s’essayer à nos techniques.

Je crois qu’il nous faut aujourd'hui distinguer ces deux phases de notre mouvement. La première est très avancée et nous allons nous organiser encore mieux pour la parfaire. Mais nous nous égarerons et nous perdrons toute efficience si nous mélangeons les deux options, si nous croyons que c'est par le spectacle de nos recherches et de nos tâtonnements que nous rejoindra la masse des éducateurs. C'est ce que nous avons cru longtemps en offrant aux nouveaux venus une revue qui est un organe de chercheurs et d’ouvriers et qui rebute naturellement ceux qui en affrontent la complexité. C’est cette erreur qui explique que tous nos efforts et nos sacrifices depuis vingt ans n’aient pas augmenté sensiblement le nombre de nos abonnés à l'Educateur. N'y viennent et n'y restent que ceux qui, par des voies diverses, se sont agrégés matériellement et spirituellement à notre équipe.

Organisons notre chantier

Alors, désormais, sans aucun souci de propagande nous allons organiser notre vaste chantier de travail.

Nous étudierons séparément, besogne également urgente, comment entraîner la masse à s’engager dans nos techniques.

En considération de cette nouvelle prise de conscience de nos réalités pédagogiques, nous allons mieux organiser, pour la rendre plus efficiente, notre activité.

C’est dans cette optique que nous avons déjà dit dans nos précédents numéros que nous n'allions pas continuer à rabâcher dans L'Educateur un B-A BA que tout le monde chez nous connaît et dont nous sommes plus ou moins rassasiés.

Nous continuons encore nos plans de travail pour certaines matières mais nous les établissons surtout par références. Et si un jour prochain, nos outils sont suffisamment rodés, nous établirons un recueil détaillé de plans de travail que nous éditerons pour le mettre à la disposition de ceux qui éprouvent le besoin de les utiliser. Autrement dit notre moteur est prêt : il est fastidieux de continuer à le démonter et à le remonter pour montrer aux nouveaux venus comment il est fait. Ce qui leur faut c’est un moteur qui tourne et qui puisse servir vraiment pour aller plus avant.

C’est sur ce qui nous reste à faire que nous allons axer notre travail de l'année.

Nous allons opérer deux innovations dont les camarades comprendront l’importance.

 

La Chronique de l'ICEM

1°. - Une équipe comme la nôtre, d'ailleurs essentiellement répartie à travers la France, et, même à travers le monde et ne pouvant se réunir que deux ou trois fois dans l'an, a besoin d'un organe de liaison et de travail.

Notre revue L'Educateur joue partiellement ce rôle. Mais les conditions même de sa rédaction et de son édition ne nous permettent pas de faire connaître dans le détail nos divers travaux. La chronique de l’ICEM restait plutôt un lien administratif. Nous voudrions en faire une véritable édition de travail, comme nous l’avions réalisé d’ailleurs il y a 6 ou 7 ans.

Nous la ferions beaucoup plus copieuse et nous en assurerions le service régulier, le service gratuit, non seulement aux Délégués Départementaux et responsables de commissions mais à la masse de nos travailleurs les plus actifs, au total peut-être 5 ou 600 — ce qui constitue un chantier unique dans la pédagogie mondiale. Nous y donnerons les comptes rendus de travail des commissions, les textes d’enquêtes, des questionnaires, et aussi les comptes rendus d'expériences et les essais qui pour diverses raisons ne peuvent trouver place dans L'Educateur.

Nous demandons dès ce jour aux camarades qui désirent travailler dans l’une des diverses branches de l’ICEM de nous écrire en nous disant leurs préférences. Nous organiserons dans le détail le travail commun.

Le service sera supprimé aux camarades qui ne manifesteront aucune activité.

Notre chronique paraîtra tous les quinze jours environ sur un nombre de pages variable selon les besoins.

Les dossiers de l'Ecole Moderne

2°. - Nos BENP (Brochures d’Education Nouvelle Populaire) ont joué pendant vingt ans un rôle décisif dans la diffusion de nos techniques. Nombreux sont les camarades qui nous disent encore aujourd’hui tout ce qu’ils en ont tiré pour la pratique efficiente de notre pédagogie.

Or, ces brochures (nous y avons 80 titres) étaient quelque peu démodées parce que imprimées pauvrement, à la mode d'avant-guerre. Et le prix en était trop bas pour la vente en librairies (0,25 F).

D’ailleurs, l’incendie d’il y a deux ans les a détruites presque en totalité.

Notre collection Bibliothèque de l’Ecole Moderne était, dans notre esprit, destinée à remplacer nos BENP. Mais l’édition telle que nous l’avons conçue est trop chère pour de vraies brochures de travail, de sorte que nous y étudions un certain nombre de problèmes pédagogiques mais que nous n’y abordons pas le côté vraiment technique : imprimerie, limographe, travail dans les différents cours, calcul vivant, expériences et observations scientifiques, etc...

Notre collection BEM est nécessaire. Nous devons la continuer mais il nous faut sortir une série de brochures « populaires » qui seront comme un bilan de tous les travaux qui, à même les classes, nous ont conduits où nous nous trouvons. Il nous suffira souvent de puiser dans les anciennes BENP et dans nos riches collections d'Educateurs pour offrir aux nouveaux venus une documentation de tout premier choix.

A partir de ce numéro nous publierons tous les mois, en supplément de L'Educateur une brochure de 12 à 16 pages, illustrée si possible, que les abonnés à L'Educateur recevront gratuitement en encart et qui sera ensuite mise en vente au prix modique de 1 F.

Les nouveaux venus auront ainsi, à bas prix, l’aliment simple et pratique dont ils ont besoin, ce qui facilitera aussi la tenue de nos stages et l’organisation de nos cours par correspondance. Nous comptons étudier ainsi : Exploitation des textes libres - classes uniques - classes de villes - maternelles - Comment je pratique dans ma classe aux divers cours - Les techniques d’illustration, etc...

Nous croyons avoir trouvé ainsi une solution à ce problème délicat qui se posait à nous : nécessité de ne pas faire piétiner nos lecteurs et nos ouvriers - et pourtant nécessité aussi d’offrir aux nouveaux venus les documents et outils fruits de notre longue expérience.

C.F.