* Peux-tu nous parler du sens que tu donnes à l’acte créateur ? Et comment ressens-tu le regard des autres ?
- Je trouve beaucoup d’analogie entre le processus de création et le rapport amoureux. Il y a les faillites, les peurs, les doutes, les solitudes, mais aussi de grands moments de vérité. Sous cet angle, créer, c’est d’abord vivre, en ce sens que l’art et la vie paraissent ne faire qu’un. Ma source principale d’inspiration, c’est la vie, la mienne et celle des autres. Quant au regard des autres, je ne peux rien en dire si ce n’est que j’ai rarement été confronté à la demi-mesure. Soit on adhère, soit pas du tout.
* Tes traces semblent venues de ta mémoire profonde, du fonds de tes temps. J’y retrouve en continu ces êtres réduits à l’essentiel et dont la silhouette évoque ce vieillard décharné de tes débuts. As-tu tenté de retrouver l’origine de cette mémoire ?
- Oui, mais je ne peux pas la formuler. L’exprimer, c’est la peindre ! Il faut parfois accepter que l’essentiel d’une œuvre peut se trouver au-delà du regard, au-delà même des mots, il existe, c’est tout.
Le chien s’ennuie.
Acrylique, encre et pastel sur toile. 0,80 x 0,60, 1997.
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On peut aussi rappeler la part de responsabilité du public quant à l’interprétation d’une œuvre. Il appartient à chacun d’éduquer son regard de sorte qu’il dépasse la première lecture de la simple surface du tableau pour en saisir l’insaisissable.
La charge mystique que transporte la peinture se vide à force d’explications comme pour beaucoup d’autres choses. Sans vouloir faire de l’anti-progressisme primaire, la peinture semble être une activité vaine pour l’art à l’heure où l’informatique devient le langage universel rationnel. Mais j’aime que la peinture soit une activité vaine, ce qui lui donne de la force et la situe à contre-courant d’une société trop axée sur les technologies de pointe.
* Penses-tu que la peinture soit à contre-courant ? N’est-elle pas plutôt une trame dont l’utopie clairvoyante anticipe tout progrès et prépare l’homme à recevoir l’évolution technologique ? Ne joue-t-elle pas un rôle double et paradoxal : déséquilibrer l’homme pour provoquer une quête continue tout en étant un repère constamment présent ?
- Bien sûr, la peinture est un élément d’équilibre justement parce qu’elle va en sens inverse de la société ; elle n’est pas source de rentabilité, de productivité. Du moins, elle n’est pas créée comme telle. Elle est un contrepoids sûrement indispensable.
* L’objet, les matériaux ont une grande place dans ton expression, mais comment nourris-tu ta nécessité ?
- Je peins de façon régulièrement irrégulière justement à cause de cette nécessité intérieure qui a des sources et des nourritures diverses. Il m’est nécessaire de poser mon regard sur autre chose que la peinture. J’ai physiologiquement besoin de la nature et la société m’interpelle avec ses problèmes que je tente de comprendre pour mieux les combattre ou m’y impliquer, qu’ils soient politiques ou autres. J’ai trop souvent, quand je peins, cette désagréable impression d’être inutile, ce qui est faux sans doute. Mais créer ne me suffit pas. J’ai besoin d’agir plus concrètement.
Série : Fantômes. Acrylique et huile sur toile ; 0,20 x 0,20 – 1196.
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L’autre facette de mon travail, l’enseignement, me permet d’être en communication quasi constante avec des gens très divers, un véritable échantillon de la société. Avec eux, j’écoute, j’apporte, je transmets. Bien souvent, avec certains élèves, la peinture nous amène à aborder des sujets qui paraissent « sortir du cadre » ! L’expression est véritablement exacte ! Ces échanges m’apportent beaucoup, au point qu’il m’arrive de me demander qui, de l’enseignant ou de l’élève, a le plus appris de l’autre lors d’une séance. Car parler de la vie ou de la peinture, c’est bien la même chose.
Cette notion, je la vérifie dans mon couple avec ma femme, Isabelle Gomond, peintre, elle aussi. Nos échanges sur l’art, l’expression, nous permettent de délimiter nos espaces communs et nos territoires individuels.
* Quelle importance donnes-tu à la technique ? As-tu eu des étapes différentes ?
- Les conditions techniques que j’utilise actuellement sont volontairement limitées : peu de couleurs, pas de composition réfléchie, pas d’autre organisation que celle imposée par les temps de séchage. Mon travail procède plus d’une anarchie contrôlée que d’une organisation technique. J’ai eu besoin à un moment précis d’utiliser des matériaux qui m’aidaient à retranscrire plus directement mes émotions en simplifiant mes gestes. L’exécution d’une toile est très rapide, mais je n’en fais pas pour cela un plus grand nombre. Je peins quand je sens que je dois peindre et jusque-là mon travail a été constant. Je suis « pressé » quand je peins, mais nullement pressé de peindre. La sacro-sainte idée de productivité a davantage servi les marchands que l’art et finalement que le peintre lui-même.
Sans titre. Plâtre moulé, gravé. 0,70 x 0,22 - 1198
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