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Malgré tout : espoir et réconfort !

Juillet 1933

Pendant sept ans, humblement, patiemment, nous avons travaillé à perfectionner nos techniques, à les adapter aux nécessités scolaires et sociales contemporaines.

Nous n’avons jamais crié au miracle. Nous n’avons jamais eu la prétention à aucun moment de présenter l’imprimerie à l’EcoIe ou telle autre technique nouvelle comme la baguette magique qui allait transformer l’école et la société.

Nous avons parfois encouru le reproche contraire : celui d’accorder une importance prédominante au milieu économique et social qui met sans cesse un dangereux obstacle à la réalisation de nos projets pédagogiques.

Nous allions donc, nos camarades et nous, disant simplement l'enthousiasme de nos enfants en face du travail nouveau ; nous montrions les résultats obtenus par une technique qui permet enfin de toucher l’âme et de la viriliser.

Que nous soyons parvenus, sans propagande spéciale, par le simple désir communicatif de sortir enfin de la routine et de se donner généreusement à un idéal, à grouper plusieurs centaines de camarades enthousiastes est une des plus réconfortantes victoires que nous ayons remportées sur la faiblesse et la tradition.

Et d’avoir vu, au cours des récents événements, ce groupe compact et uni se dresser spontanément pour la défense vigoureuse de l’œuvre attaquée, nous console de toutes les trahisons et de toutes les capitulations dont nous avons; eu, hélas ! aussi, le spectacle.

Trahison de l’administration et des pouvoirs publics chargés de notre défense.

Il fut un temps el nos anciens se plaisent à nous le rappeler — où l’administration, foncièrement laïque et républicaine, volait spontanément au secours de l'instituteur attaqué par la réaction.

Aujourd’hui, l’inverse se produit. Des diffamateurs me calomnient : l’administration s’applique à prouver que ces diffamateurs ont raison. Les pouvoirs publics me condamnent sans qu’aucun père de famille n’ait porté contre moi la moindre plainte signée.

Fait plus grave : sans connaître notre technique, sans se rendre compte qu’il allait sanctionner ce qu’il avait loué à Nice, le Ministre déclare qu'il doit mettre fin à ce qu’il considère comme des « errements pédagogiques.»

Nous prouvons alors que ce jugement partial et sans fondement ne peut être ainsi justifié, le Ministre prescrit une grande enquête nationale : tous les inspecteurs visiteront nos adhérents pratiquant l’imprimerie à l’Ecole

Besogne délicate, nous le reconnaissons : le Ministre demande une enquête. Il a d’avance, à la Tribune de la Chambre, indiqué le résultat de celte enquête : Il sera difficile de ne pas obéir.

Rappelons dédaigneusement, pour mémoire, les subalternes inspecteurs, dont nous avons donné quelques spécimens de rapport, qui n’ont su qu’obéir sans que leur conscience soit troublée par une criante injustice.

Considérons avec compréhension les inspecteurs opportunistes qui n’ont pas voulu désobéir au ministre et qui se sont refusés cependant à charger, par ordre, nos camarades. Ils ont fait semblant de ne pas voir l'imprimerie. Ils apprécient favorablement les résultats, mais ils ne disent pas un mot du matériel ni de la technique, espérant solutionner ainsi un conflit qui demande trop d’héroïsme.

Saluons et remercions les « hommes » qui, malgré les désirs non équivoques du grand chef ont osé dire ce qu’ils voient, ce qu’ils savent, cc qu’ils sentent, ce qu’ils comprennent. Nous admirons leur courage et leur loyauté.

Nous ne nous frappons d'ailleurs pas outre mesure de ce que peuvent écrire nos chefs. Malgré eux, et quelle que soit leur conduite, notre technique se développe, se répand et s’affermit. Il y a dans nos théories et dans nos réalisations, un progrès, une vérité qui, quelles que soient les oppositions officielles, iront s’affirmant dans les années à venir.

***

La conduite des journaux pédagogiques publiés par nos grands éditeurs mérite aussi d’être connue et, si possible, sanctionnée.

Depuis six mois, une attaque qui, au dire de nos vieux militants eux-mêmes, est unique dans les annales de l’enseignement, est menée contre un instituteur et contre l’école. Toute la presse, de droite et de gauche, les journaux étrangers eux-mêmes, relatent les événements de Saint-Paul : partout l’affaire Freinet est connue et commentée.

Mais le Manuel Général, l'Ecole et la Vie, le Journal des Instituteurs, la Collaboration Pédagogique, et même cc vieux Journal Scolaire que nous croyions plus honnête, tous ces journaux dont une des raisons d’être est d’informer impartialement les lecteurs. tous se sont tus. (1)

Pourtant leur devoir n’était-il pas de raconter au moins l’affaire, d’essayer de faire la lumière ?

Comment expliquer ce silence délibéré ?

Ont-ils craint de faire de la réclame à une technique qu’ils abhorrent parce qu’ils commencent à en sentir les effets : ou bien, et c’est probable, ont-ils compris l’impossibilité où ils étaient de suivre la presse de droite dans ses attaques immondes, sans risquer de mécontenter des lecteurs qui, d’instinct, se rangent à nos côtés.

Ou bien, encore, comme tous les journaux de gauche, ont-ils reçu la consigne on devine de qui — de faire la conspiration du silence ?

Toujours est-il que ces journaux peuvent parler de leur service d’information et de leur désir de défendre l’école et les instituteurs. On finira bien par comprendre un jour, tout de même, que ce qu'ils défendent, c'est leur commerce et le coffre-fort des firmes qui les commanditent.

***

C’est sans grande surprise et même sans rancœur que nous assistons à des spectacles depuis longtemps prévus et attendus.

Mais ce que la réaction n’avait certainement pas prévu, c’est cette gigantesque propagande dont la violence même nous attire d’instinct la sympathie des ouvriers, des fonctionnaires et des intellectuels qui s'initient ainsi, brusquement, à des questions dont nul à ce jour n'avait daigné s’occuper.

Ce n’est pas seulement l’imprimerie à l’Ecole qui étend son rayonnement, ce sont nos principes même d’éducation nouvelle prolétarienne. Des problèmes jusqu’à ce jour agités dans notre groupe exclusivement sont portés d’emblée, et avec quelle passion ! devant le grand public : l’idée de l’expression libre, de l’éducation libérée au maximum de l'emprise politique el basée sur la vie et les besoins de l’enfant, ont fait et font, en quelques mois des pas de géant.

Seul un événement semblable était susceptible de remuer la torpeur cristallisée autour de l’école traditionnelle; seul il était en mesure d’imposer à l’esprit des parents la nécessité d’une lutte immédiate sur le plan éducatif, pour la rénovation sociale.

J’ai été amené à parler récemment à Marseille, à Paris, à Perpignan, à Lyon, à Lille, devant un public d'éducateurs, de fonctionnaires et d’ouvriers. Partout ce que j’ai dit de nos techniques a passionné l’assistance et c’est avec une joie spéciale que j'ai toujours constaté à quel point les ouvriers étaient frappés et intéressés.

Après avoir travaillé longuement à polir et perfectionner nos techniques, voici maintenant que, dépassant ce cadre étroit et toujours un peu décevant des éducateurs, nous les imposons à la grande masse des parents qui comprennent d’instinct les vérités simples et lumineuses que nous leur offrons.

Notre graine est lancée. Nous avons certes notre besogne à continuer malgré tout, mais il n’appartient plus à nos ennemis d’empêcher que la vérité et le progrès poursuivent leur chemin.

Il y a des chocs qui sont inévitables et salutaires. Qu’importent les vicissitudes de l’heure ? L’essentiel est que l’idée marche et que, par notre modeste effort, nous contribuions à la lutte décisive que l’histoire impose à nos générations.

C. FREINET.

(1) Encore une fois nous mettons à part l’Ecole Emancipée et l’Ecole libératrice, ainsi que les revues mensuelles dont nous reparlerons.