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Après l'orage, à pied d'oeuvre encore

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Octobre 1933

Qu’on le veuille ou non l’affaire Freinet est aujourd’hui virtuellement terminée puisque nous n’avons pu obtenir ni mon maintien à St-Paul, ni la moindre sanction contre les coupables des événements dont nous avons été victimes.

Nous sommes vaincus politiquement : c’est un fait que nous constatons sans aucune amertume ni fausse pudeur, car nous ne nous sommes jamais fait d’illusion exagérée sur l’énergie administrative de ceux qui devraient être les défenseurs naturels de l’école.

Aussi ne nous plaignons-nous pas d’avoir été mal défendus. Au contraire. Il est profondément encourageant de considérer le nombre impressionnant d’éducateurs, de fonctionnaires, d’écrivains, d’artistes, d’hommes libres qui ont courageusement fait leur notre cause, soit qu’ils sentissent spontanément tout ce que notre œuvre apportait au progrès pédagogique, soit qu'il fussent seulement révoltés par les procédés déloyaux et iniques par lesquels on essayait de nous abattre.

Hélas ! l'honnêteté, la droiture, la justice, la vérité, n’ont pas grand-chose à attendre dans nos sociétés soi-disant démocratiques, de la dictature de l’argent, du règne de la corruption au service des nécessités politiques et des plus viles préoccupations arrivistes. Notre affaire en aura fait la preuve éclatante, ouvrant à la réalité bien îles yeux pleins encore d'illusion, et contribuant à démasquer les hypocrites adversaires de notre idéal.

Pour servir de basses préoccupations électorales, tous les hommes politiques de gauche ceux du moins qui s’obstinent à rester gouvernementaux ont laissé les mains libres à un parti royaliste qui, s’appuyant sur toutes les forces réactionnaires, a, pendant plusieurs mois, violé ouvertement toutes les lois républicaines. Ah ! comme il avait raison cet avisé professeur parisien qui, au début même de l’affaire, nous disait : Ah ! mon pauvre... nous aurions un ministère Tardieu, je vous dirais : vous êtes sauvé... Mais avec notre ministère de gauche, vous êtes fichu. Pour faire taire la réaction, on vous livrera en pâture aux gueulards. Toute la gauche se taira.

Mais il y a plus grave : Pour la première fois dans les annales de l’enseignement une attaque violente, usant de tous moyens délictueux, au mépris le plus révoltant des lois, a réussi à punir et à faire déplacer un instituteur coupable de déplaire à la réaction el cela sans que la moindre sanction ait seulement été esquissée contre les coupables.

Eloquent exemple !... Il signifie pour les traditionnels ennemis de l'école : ameutez contre les instituteurs une partie de la population ; circonvenez quelques parents d’élèves qui refuseront d’envoyer leurs enfants à l’école ; organisez s’il le faut des manifestations violentes où le sang pourrait couler ; et vous vaincrez...

L'Ami du Peuple du 22 juin pouvait avec raison lancer l’appel suivant pour organiser d’urgence une Ligue de défense des pères de famille.

« But de la Ligue. — Faire reculer la horde des instituteurs insolents. Veiller à la stricte neutralité et à la bonne tenue morale de l’enseignement primaire.

Consigne. — Attendre à la sortie de l’école tout instituteur qui aura tenté d’empoisonner l'esprit de nos enfants et... (le reste de cette consigne n'a pas été indiqué mais vous le devinez).

Résultats à atteindre. — Sans doute l’instituteur portera plainte, mais que fera le ministre devant ces faits mille fois répétés ? Il tiendra compte de la réaction du peuple.

Saint-Paul-de-Vence a donné l'exemple. Il est d’intérêt public que cet exemple soit suivi. »

Les municipalités réactionnaires n’ont pas même attendu cet appel pour suivre l’exemple. On verra plus loin, par la relation de l’Affaire Boyau, la répercussion directe que les événements de Saint-Paul ont eu clans les localités ou se poursuit, aiguë, la lutte à mort entre l'école laïque et l’école cléricale.

Que ceux qui n'avaient pas encore vu le danger ouvrent les yeux et réagissent. Il n’est jamais trop tard.

***

Les menaces et les attaques, pour si brutales qu’elles aient pu être, n’ont cependant fait que renforcer la cohésion et le rayonnement de notre coopérative qui a largement bénéficié de la formidable campagne de presse déclenchée contre nous.

On nous avait, jusqu’à ce jour, négligés comme si nous n'existions pas, comme si l’imprimerie à l’Ecole n’était représentée par ci par là que par des expériences locales sans coordination ni portée générale. Et brusquement, à l'occasion d'un événement fortuit, se révèle une véritable organisation pédagogique, avec ses services, ses revues, ses éditions. La réaction crie au scandale, naturellement, sans rien connaître. La gauche hésite dans sa défense car elle croit entrevoir sur l'œuvre incriminée l’ombre inquiétante du bolchevisme.

De tout le bruit fait autour de cette œuvre, il résulte du moins que l'imprimerie à l’Ecole est aujourd'hui connue de l’immense majorité du personnel enseignant ; que de nombreuses revues ont parlé de nos publications, reproduit des pages de la Gerbe et des Enfantines. Tous les critiques de bonne foi louent l’originalité de l'œuvre coopérative et s’étonnent des attaques immondes dont nous avons été l’objet.

Les éducateurs sont conquis, dès surtout que nous les mettons en mesure de juger sur pièces. Beaucoup d'entre eux hésitent certes à nous rejoindre, car on ne rompt pas aussi facilement avec le passé : on ne tourne pas ainsi, en quelques jours, le dos à la vieille pédagogie pour s’engager dans les chemins malgré tout chaotiques de l’éducation nouvelle.

Pour excuser leur faiblesse ou leur répugnance à tenter l'effort que nécessite l'introduction de nos techniques, ils répètent parfois même avec empressement les calomnies lancées contre nous par ceux qui ont intérêt à nous desservir et qui, ne pouvant nous prendre en défaut ni pédagogiquement ni commercialement agitent à leur tour contre nous le spectre communiste.

En ce début d’année, nous tenons encore une fois à nous expliquer en toute loyauté à ce sujet, afin que nos adhérents — et ceux qui se préparent à le devenir —sachent exactement ce qu'ils peuvent attendre de leur Coopérative.

Notre Coopérative — comme toute Coopérative légale n’a, statutairement, aucune couleur politique. L’article 4 de nos statuts précise en effet : « La présente société reste neutre dans toute ce qui touche aux partis politiques et aux confessions religieuses. »

Ce qui signifie que, tant dans les assemblées générales que dans les organes de la Coopérative, il est interdit de discuter de questions politiques et religieuses. Mais nul d’entre vous, je pense, ne pousse le dogme de la neutralité jusqu'au point de demander aux administrateurs de rester en toutes occasions, hors de la coopérative, neutres socialement et politiquement. Nous prétendons rester à ce point de vue, comme tous les adhérents libres de penser et d’agir comme nous le désirons, sans avoir de comptes à rendre aux coopérateurs.

Avons-nous une seule fois, depuis que la Coopérative existe, violé les statuts ? Avons-nous introduit au sein de notre groupement les luttes politiques ou syndicales ? Une grande partie de nos adhérents appartiennent au Syndicat national ou aux partis philosophiques et politiques de leur choix. Ont-ils eu, une seule fois. à se plaindre de faits ou d’actes statutairement répréhensibles ?

La réalité est là encore, évidente et probante : nous connaissons de nombreux adhérents du Syndicat national qui comptent parmi nos plus dévoués collaborateurs. Et dans tous nos congrès, au cours même de discussions très délicates, nous avons toujours réalisé l’unanimité, toutes tendances politiques ou syndicales réunies, sur des motions qui orientent, d’année en année, l’activité de notre coopérative.

Quant au Conseil d’administration, il a toujours délibéré dans la plus parfaite et la plus franche camaraderie.

Peu importe donc que, au C.A. comme dans la Coopérative, X... soit communiste, V... socialiste. franc-maçon ou syndicaliste pur. Nous ignorons d’ailleurs, totalement, statutairement, ces étiquettes et nous collaborons au sein de notre société en coopérateurs consciencieux, mais aussi en hommes qui, par-delà les questions matérielles, par-delà les petites querelles de chapelle, savent entrevoir un but et marcher hardiment, mais pratiquement vers ce but.

•••

Oui, c’est vrai, constate le secrétaire de la section de l’Isère du Syndicat National. J’ai eu tort en disant que la Coopérative de l’Enseignement est communiste. C’est d’influence communiste que j’aurais dû dire. En effet, l’article 16 des statuts place la Coopérative sous le contrôle de la Fédération de l'Enseignement, affiliée elle-même à une C.G.T.U. contrôlée par le parti communiste. Cet article 16 stipule en effet que : « La société est administrée par un conseil d’administration de cinq à dix membres, choisis autant que possible parmi les adhérents d’un département ou de départements limitrophes et présentés par le S.M.E.L. auquel ils adhèrent ».

Eh bien ! oui, cela est exact, sauf qu’il soit difficile d'admettre, actuellement surtout, que la Fédération de l’Enseignement soit contrôlée par le parti communiste parce qu’affiliée à la C.G.T.U.

Nous n’avons jamais caché notre intention de placer notre coopérative sous le contrôle des Syndicats et de la Fédération de l'Enseignement. Nous avons toujours pensé, et nous pensons, encore, que la Coopérative reste une forme mineure d'organisation qui gagnerait à être placée sous la tutelle morale ou au moins sous la surveillance de cette organisation permanente qu’est le syndicat.

La Coopérative de l’Enseignement laïc est née au sein de la Fédération de l'Enseignement ; à l’origine ses adhérents appartenaient presque tous à celte Fédération. Il était donc normal que nous demandions cette surveillance à notre Fédération et à nos syndicats.

A cet effet, nous avons fait rédiger par votre avocat l’article ci-dessus qui est le maximum légal de liaison consenti par la loi. Nous n’avons jamais rien escamoté. L’article ainsi remanié a été statutairement soumis à la discussion de notre congrès de Marseille qui l’a adopté. 

 

Mais quand nous avons demandé aux Syndicats et à la Fédération de l'Enseignement de rendre effectif ce contrôle, nous nous sommes toujours heurtés à une opposition inexplicable. Il y a un peu plus d’un an, le secrétaire de la Fédération de l'Enseignement n’écrivait-il pas que la Coopérative avait toujours été autonome ?

Le congrès de Bordeaux fit un dernier effort : à l'unanimité moins une abstention, une motion fut adoptée pour essayer de jeter une fois encore des ponts sympathiques entre les deux groupements. La Fédération refusa l'insertion de cette motion dans l’Ecole Emancipée, ridiculisant ainsi tous les efforts de conciliation.

II ne s’agit pas ici de jeter de l'huile sur des feux qui couvent. Nous nous contestons de constater calmement des faits : la Fédération de l’Enseignement n’a jamais voulu user des droits que lui conférait l’art. 10 de nos statuts. Le S.N. nous dit inféodés à la Fédération de l’Enseignement : celle-ci nous accuse d’être autonome. Il y a là un malentendu qu’il est de l'intérêt commun de dissiper.

Au congrès de Reims, divers camarades ont demandé la modification de l’art. 10. La discussion est ouverte et nous publierons volontiers, en cours d’année, les articles que les camarades voudront bien nous adresser à ce sujet en attendant que le prochain congrès se prononce définitivement.

Qu’on ne croie pas que nous acceptons aujourd’hui cette proposition parce que nos espoirs ont été déçus. Si même la Fédération avait accepté notre offre, nous devons à la loyauté de répéter ici ce que nous avons dit dans divers congrès: le C.A. ne prétend imposer aucune dictature; il reste l’élu et le serviteur des adhérents de la Coopérative. Ce sont les assemblées générales qui restent souveraines : dans le cadre des statuts, ce qui a été créé par une assemblée générale peut être détruit par une A. G. Nous ne tenons nullement à avoir dans notre Coopérative des adhérents mineurs : nous vous demandons à tous, au contraire, d’agir énergiquement pour que la Coopérative réponde toujours davantage — et au maximum — à vos besoins et à vos désirs.

En attendant, appliquez-vous partout à rétablir la vérité des faits, persuadés que la Coopérative sera exclusivement ce que vous la ferez : nous savons que, en éducateurs conscients, vous en ferez une belle œuvre, au service de notre idéal éducatif et du progrès social.