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« Oui M’sieur l’inspecteur, je sais tout ça par coeur» - Le système éducatif peut-il se passer d’inspecteurs ?

Dans :  l'Education Nationale › 

Un billet de Bernard Collot paru dans "questions de classe"...

Ah ! L’inspecteur ! Quel enseignant n’a pas eu un petit creux au ventre à l’annonce de l’arrivée du personnage ? Branle-bas de combat dans toute l’école ! Rectification urgente de moult détails. L’emploi du temps est-il affiché ? Les derniers cahiers sont-ils bien corrigés ? Vite, rangeons le bordel créé par la création de marionnettes la veille ! Qu’est-ce qu’il va falloir que je dissimule ? Qu’est-ce que je vais faire, bien dans le programme, qui va lui en jeter plein la vue ? Notre personnage a d’ailleurs été le héros de bien belles pages de littérature. On a fait des florilèges des réponses au bac, on pourrait en faire d’aussi comiques ou de bien plus tristes des rapports d’inspection.

Entre collègues, il se prodigue des tas de conseils suivant la « bête » qui va débarquer dans le jeu de quilles. Le plus courant est celui-ci : « Fais, ce jour, ce qu’il attend, une fois passé, tu seras tranquille pour quatre ou cinq ans ! ». Les collègues et amis dont les pratiques sont notablement différentes, donc possiblement très troublantes, se trouvent devant ce dilemme : je triche ou j’assume ? Tricher dans leur cas n’est pas facile, assumer c’est souvent s’exposer à un matraquage, à une mise sous surveillance, voire sous tutelle, à l’épreuve de force s’ils ne se soumettent pas.

Certes, je caricature, amis inspecteurs différents ne vous offusquez pas. Il n’empêche que c’est toujours l’ambiance générale que vous provoquez. Suivant le bord pédagogique dans lequel l’enseignant est situé et les convictions pédagogiques de celui qui inspecte (ce peut être aussi son bord politique), c’est la chance de « tomber » sur un bon inspecteur ou de bons inspectés !

Le terme « inspection » est en lui-même inducteur de comportements. Inspecteur de police, inspecteur des douanes, inspecteur des impôts, inspection de la tenue ou du cartable avant de partir à l’école, inspection de la bagnole avant de partir en voyage… Qu’est-ce qui n’est pas conforme ? Qu’est-ce qui n’est pas normal ? L’inspection devant se traduire par une mise en conformité, une injonction au retour à la normal, un rapport, un jugement sur l’inspecté (rapport, sanction, note…). Surveillance !

Les pouvoirs d’un inspecteur de l’Education nationale sont pourtant relatifs, d’autant plus relatifs que la conformité est à géométrie variable suivant ce qu’elle est décrétée par sa propre hiérarchie, les ministres et leurs réformes. Ils sont surtout psychologiques. Il faut bien établir un rapport autre que seulement hiérarchique entre celui qui inspecte et celui qui est inspecté pour que le premier puisse être reconnu par le second, pour qu’il puisse avoir une emprise. Dans l’industrie, le contremaître peut se prévaloir de compétences acquises pendant une longue expérience avec ses pairs, si son autorité est acceptée, elle tient à cela, c’est l’autorité d’un pair (en idéalisant ! Quand il n’est pas que la courroie de transmission et le garde-chiourme de sa direction). Il n’en est pas de même pour nos inspecteurs.

Ceci explique (sans le justifier) que bien souvent c’est la personne de l’inspecté qui est visée et taxée d’incompétence plus que ses pratiques ou sa stratégie qui elles sont objectivables, donc discutables avant d’être contestables. D’où le nombre d’inspectés qui ressortent lessivés, parfois littéralement détruits, de ce qui n’est plus qu’une confrontation d’où ils ne peuvent ressortir gagnants.

Si de façon générale l’ensemble du corps enseignant voudrait bien que les inspecteurs soient autre chose, si beaucoup sont craints parce qu’exécrables, par contre beaucoup de profs leur accordent paradoxalement une fonction : celle de leur protection. De qui ? Des parents ! Vis-à-vis de qui un enseignant est-il responsable de ses actions ? D’une seule personne, son inspecteur. Même exécrable, on peut toujours faire le gros dos, voire tricher, de toute façon il ne vient contrôler que tous les 3 ou 4 ans ! Cela vaut mieux que de devoir assumer cette responsabilité régulièrement face aux premiers intéressés, élèves et leurs parents. L’école dès son origine s’est constituée comme un État dans l’État et s’auto-protège. Rompre ce ghetto symbolisé par l’inspecteur (pourtant simple rouage intermédiaire) et sa toute puissance (réelle ou attribuée) semble ouvrir la porte à tous les désordres. Il y a bien un problème de démocratie quand l’école exclut de ses finalités, de ses stratégies, de ses critiques et même de ses discussions les premiers concernés. Il est vrai que ces premiers concernés, les parents, n’ont pas forcément intégré ce qu’est et ce qu’implique de vivre une démocratie, encore plus une démocratie participative… d’où la nécessité d’un inspecteur devant lequel tout le monde se comporte comme des élèves. Le serpent qui se mord la queue.

Bien sûr il y a eu des inspecteurs qui, comme les praticiens, ont œuvré pour transformer l’école : Barthélémy Profit, Ovide Decroly, Roger Cousinet, Robert Gloton, Roger Ueberschlag, Louis Cros… et bien d’autres plus ou moins humblement.

Bien sûr il y a aujourd’hui des ex-inspecteurs comme Dominique Momiron, Pierre Frackowiak, Jacques Jourdanet, Jean-Pierre Lepri… qui s’élèvent vertement et publiquement contre cette école et en soulignent tous les méfaits. Mais il faut remarquer que s’ils appellent à une refondation de l’inspection, la fonction reste. Bien sûr ils demandent que la fonction soit exercée sur d’autres principes, avec une autre éthique, ils font en somme appel à la vertu de ceux qui l’occupent. « Vertu : Habitus de la volonté, acquis par répétition des actes, et qui habilite l’homme à agir bien ». On sait depuis longtemps que la vertu s’accommode mal avec le pouvoir et ne pèse pas lourd face à l’Institution. On ne peut fonder un système sur la vertu de ceux qui y occupent une place et tiennent à leur place. On ne peut le fonder sur la « bonne » volonté que l’on peut traduire par bienveillance, que ce soit de la hiérarchie ou des enseignants. Des inspecteurs procureurs sous la droite, des inspecteurs paternalistes sous la gauche ?

On se focalise sur les personnes. On souhaite avoir un « bon inspecteur », un « bon prof », si possible charismatique. Ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, c’est le système qui induit des comportements de par la place qu’il attribue à chacun. Chacun y fait ce qu’il peut ou ce qu’il croit devoir y faire avec le pouvoir qui lui est donné ou qu’il prend.

Le système éducatif est immuablement tenu par le trépied : programmes, évaluation… et inspecteurs. Je me répète, mais tout se tient. On cherche à aménager isolément chacun des trois éléments sans s’interroger sur leur nécessité. Une école sans programmes (dans leur définition actuelle), sans évaluations et sans inspecteurs est encore inimaginable.

Allez ! Nouvelle question : pourrait-on se passer d’inspecteurs ? Imaginez !(*)

(*) CATORIADIS, « L’Institution imaginaire de la société » - 1975, Seuil

Bernard COLLOT