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Comme je te le dis, poèmes d'enfants

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Octobre 1978

 

COMME JE TE LE DIS !
 
Devant la vie
Derrière les mots
Poèmes d'enfants. Pédagogie Freinet
Un fort volume paraissant chez Casterman, de 248 pages, composé en corps 14, aéet très lisible.
Il rassemble des poèmes de soixante classes dans trente-sept écoles différentes ce qui fait que près de mille cinq cents enfants ont été concernés par la publicationde ce livre. Un beau témoignage pour une pédagogie qui se veut populaire et qui le prouve !
 
 
Ont déjà paru dans la même collection·
POÉSIES D'ADOLESCENTS
Avec ces quelques mots, qui enfantent le jour
( 4ème édition, 32ème mille)
 
POÈMES D'ENFANTS
La porte de la clé perdue par l'École Freinet de Vence
(3ème édition, 24ème mille)
 
Avec "COMME JE TE LE DIS ! " nous achevons la présentation d'oeuvres de jeunes, nous clôturons momentanément le témoignage de nos productions. Déjà nous avons mis en place une équipe qui, dans un ouvrage collectif, tirera les conclusions et mettra en lumière les processus de la méthode naturelle et ceuxd'une pédagogie du développement de la personnalité dans le domaine particulier de l'expression poétique, depuis le cours préparatoire jusqu'à la terminale.
 
Un large travail coopératif a présià l'élaboration du manuscrit. Tout d'abord, il faut dire que la volonté de faire un livre n'est pas à l'origine de l'entreprise :
"faire un livre »; c'est une idée d'homme ... Mais faire paraître son poème, oui, c'est une idée d'enfant !
Donc, des poèmes à publier, ce n'est pas ça qui manque ! La difficulté commence au moment de les dénombrer, de les rassembler, de les sélectionner (!!!) de découvrir des thèmes, d'en limiter le nombre, de trouver un titre ! Cela ne peut se faire que lentement, au sein de circuits dans lesquels chacun doit se plier, faute de temps et de moyens pour se rencontrer, à une discipline stricte, en accumulant dans le seul souci d'être positif et aidant c’est ce que nous appelons, nous autres, être coopératifs - les gestes etl'expérience issus de la pratique de la classe, du compagnonnage quotidien avec l'enfant ou l'adolescent au sein d'un travail à l'école, mené de front et géré ensemble par élèves et éducateurs.
Alors tout a été rassemblé - toutes les enveloppes parties de tous les lieux de France et de où, dans le monde, on parle français - dans le département du Bas-Rhin. Une équipe s'est organisée autour de Monique Bolmont, avec Roland Bolmont, Marie-Jeanne Bothmer, Hélène Buessler, Michel Forget, Anne-Marie Mislin, Mireille Morgen, Claude Reitter et René Reitter, elle a travaillé des mois. Et voilà que naît "COMME JE TE LE DIS ! "
Et voilà que sont réunis les poèmes de ces soixante classes de trente-sept écoles - car, de plus en plus, nous pratiquons la pédagogie Freinet en "équipes scolaires", qui assurent la continuité pour l'enfant et renforcent l'action pédagogique pour les maîtres. Cela concerne donc près de 1 500 enfants engagés, au sensl'engagement est participation profonde et totale.
C'est cette part de travail apportée à des moments divers, en des lieux différents, c'est cette coopération et ce compagnonnage que le public découvre souvent avec étonnement, mais jamais avec suspicion, celle-ci étant réservéesoit aux critiques Littéraires soit aux "professionnels de l'éducation"
Le principe essentiel qui guida cette équipe a été de s'en remettre aux enfants et de respecter profondément, puisqu'ils'agissait ici d'une "oeuvre collective" - sans sacrifier à aucune mode - une expression personnelle, en courant même le risque de publier deux textes opposés et contradictoires : il y a dans "COMME JE TE LE DIS" tous les visages de l'enfance. Connaître leurs choix donc, respecter leurs émotions et leur sensibilité aux poèmes -leur esthétique quoi !- Mais c'est une voie dangereuse.
Car si ce sont les enfants qui écrivent et qui font le livre, ce ne sera pas l'enfance qui assurera le succès dulivre, qui l'achètera et, malheureusement, qui constituerala majorité de ses lecteurs !
Dans notre monde de 1978, tout est brouillé : force nous est de reconnaître que les gens de la rue n'accordent guère d'importance à un travail d'enfants. Qui- plus est, des poèmes ! la poésie de leur enfance, aux gens de la rue, ce ne sont que les récitations et pire, La Fontaine ... Un "travail" d'enfant ne peut être que "devoir" ; une oeuvre d'enfant ne peut qu'avoir été commandée, dirigée et, en définitive, notée et jugée par un "maître". Et, en bout de course et très paradoxalement, le poème d'enfant n'est qu'un ensemble de mots très innocents et sans importance ("ça leur passera si vite !) ou, inversement, que supercherie et singerie des adultes (car les adultes, enfin, voilà des gens rieux !).
C'est la confusion.
Ce qui est clair, au contraire, c'est d'une part le succès des poèmes et la renommée grandissante de la poésie des enfants et des adolescents. Ce qui affirme sur le terrain, ici et maintenant, envers et contre tous critiques et maîtres d'école - que la littérature des jeunes, enfants et adolescents, est un fait culturel inéluctable et sans aucune innocence, sans aucune suspicion, en pleine responsabilité. En définitive, l'existence de ces livres est la raison d'être même de notre volonté de prouver l'appartenance à notre culture de l'expression de tous les jeunes et d'affirmer leurs droits inaliénables à cette expression et à sa diffusion. ·
D'autre part, ce qui est clair, c'est l'existence d'une "parole" des jeunes - parole au sens l'entend la "psychologie des profondeurs".
Ce compagnonnage avec l'enfant nous assure - oh ! non pas la connaissance de ce qu'il est, nous n'en avons pas l'outrecuidance (nous que pourtant , dès l'origine et encore aujourd'hui on ne destine en hauts lieux qu'à la transmission des "connaissances" - mais un dialogue, un échange de paroles, une communication avec l'enfance. Ce dialogue suit les thèmes retenus pour construire les "chapitres" de ce livre.
 
J 'ai vu tout vert
J'ai vu tout rêve
La porte à pousser
pour voir ...
Voici serpent
Voici clochette
Un arbre de ficelle ...
On a pris le soleil
Un arbre énorme
avec une fenêtre
comme sommet
Trois nuages dans le paysage
trois visages dans un nuage.
Chaque jour laisse une trace ...
Je me demande pourquoi ...
Rêve d'écume
Je les appelle hommes ...
... Je les appelle aussi orages ...
Dans la nuit noire, noire, ...
Le soleil est plus grand que l'hiver.
 
Ainsi notre dialogue, comme à bâtons rompus, saute du rêve au cri, de l'angoisse ù la joie, de la peur à la révolte : de toute manière il est mêlé du calme de l'instant, du regret de l'avenir ("ça ne sera rien du tout") du vertige de l'horizon, de l'inconscience du présent, de la précarité de l'homme, comme de son éternité, résidant dans ses questions et ses interrogations.
Mais jamais de futilini d'innocence !
Poèmes d'enfants - donc de "petits" ? Comme pour la connerie dans la chanson de Brassens, "le temps ne fait rien à l'affaire" et l'âge des poètes n'est, à vrai dire, pas en compte : ou bien, comment expliquer la présence des deux dernières parties dans lesquelles à sept ans, à neuf ans, à dix ans, d'emblée, un être contemple toute sa vie ?
 
Le ciel brille
sous les étoiles
et papa
prend maman
dans ses bras
pour l'embrasser
Nathalie 6 ans
 
Vivre
Un mot que l'on ne doit
jamais oublier
Un mot respectable
Un mot qui respire
Un mot, on est
Slim 10 ans
 
Le soleil est plus grand
que l' hiver
René 7 ans
 
Moi, dans mes pantoufles
je suis tellement bien
qu'elles me font courir ..
Alexandre 7 ans
 
Une tombe abandonnée
au cimetière
Il y pousse du trèfle
C'est la tombe porte·bonheur
Christophe 7 ans.
 
L'importance de cette "parole" réside à la fois dans son contenu même - et se justifie par le plaisir qu'on a de participer à son ex pression et de vibrer dans ses résonances mais aussi dans le simple fait qu'elle ait existé, qu'elle ait pris naissance et qu'une trace et un souveniraient lieu. On ne peut jamais, comme le soulignait lestin Freinet, oublier "d'avoir vu briller le soleil" et Nicolas ajoute
"Des fois
j'ouvre au soleil
pour qu'on parle
tous les deux".
MEB
Dans un prochain "Éducateur" paraîtra, en guise de présentation, la préface de "COMME JE TE LE DIS ! ".