Raccourci vers le contenu principal de la page

Pour la préparation du congrès d'Annecis (1er- 5 avril 1964)

Décembre 1963

L'école traditionnelle est-elle efficiente?

Nous avons choisi comme thème de notre prochain Congrès d’Annecy, le thème très vaste de l’Ecole traditionnelle est-elle efficiente ? et nous avons publié dans Techniques de Vie des questionnaires :

1. - Les besoins culturels des enfants et des adultes en 1964.

2. - Le procès de l'Ecole traditionnelle.

3. - Scientisme ou tâtonnement expérimental.

4. - Qu'est-ce que le sens scientifique, littéraire, mathématique ou artistique?

5. - Les examens.

6. - L'Ecole doit-elle faire une large part à la culture civique et coopérative ?

Un certain nombre de camarades nous ont déjà répondu. Des questionnaires circulent dans les groupes et chez les étudiants. Il était bon que nous posions ainsi le problème dans son ensemble pour servir aussi de préface et de toile de fonds à nos séances plénières.

Ce n'est pas en séance plénière en effet, que nous pourrons en présence de 1000 délégués, discuter du tâtonnement expérimental, du sens scientifique, ou de la culture civique et coopérative. Ce sont des questions à débattre en commission ou dans des colloques en préparation du Congrès. Ce débat continuera d'ailleurs dans Techniques de Vie.

Il nous faut pour le Congrès, non pas des sujets à conférences qui ne sont que de mornes monologues, mais des thèmes qui intéressent directement la masse des congressistes, qui suscitent réactions et interventions pour que nos séances plénières soient de vrais débats.

La question des examens serait certes d'actualité. Mais elle nécessite des études précises, une documentation nationale et internationale sûre, des expériences concluantes permettant de proposer des solutions nouvelles. Car la critique des examens serait vaine si nous ne proposions des solutions. C'est une question à poursuivre, pour l’année prochaine sans doute, mais pour laquelle il faut dès maintenant organiser recherches et expériences (nous reprendrons notamment l'étude systématique de nos expériences de Brevets et Chefs-d’œuvre) qui pourraient bien être l’apport le plus original et le plus efficient à l’étude de cette question plus que jamais d'actualité.

Par contre un point de nos questionnaires peut être l’objet d’intéressants débats au cours de nos séances plénières du Congrès. Nous allons commencer donc le Procès de l'Ecole traditionnelle.

Le procès de l'Ecole traditionnelle

A l’aube de cette campagne nous prenons à nouveau les précautions oratoires susceptibles de répondre d’avance aux accusations qu’on ne manquera pas de porter contre notre action vigoureuse et décidée.

Par une sorte de solidarité exagérée et d’un esprit de corps qui a de meilleures occasions de se manifester, l'ensemble des éducateurs se considère comme attaqué quand nous exprimons nos réserves et nos critiques sur les pratiques de l'Ecole traditionnelle. Comme si les ouvriers d'une entreprise se tenaient pour offensés si on change leurs vieilles machines — même si elles leur ont rendu tant de services, et s’ils y sont si totalement habitués — par des machines modernes à plus fort rendement.

Critiquer les outils et les techniques de travail ne signifie nullement sous- estimer l’application et le dévouement des ouvriers eux-mêmes, qui ont, au contraire, beaucoup plus de peine il fonctionner normalement dans des installations déficientes qu'avec des installations adéquates aux buts visés.

C’est que critiquer l’école traditionnelle, c'est critiquer leur art, leur artisanat.

Ils n’ont pas, les instituteurs, conscience d’appliquer une pédagogie scientifique qui aurait des règles et des lois, mais plutôt de faire chacun une classe selon leur conviction et leur conscience avec leurs « trucs » dont ils sont si jaloux, la méthode de leur choix parmi toutes celles qui leur sont proposées à l’EN ou par leurs chefs, leur jugement...

Nous souhaitons au contraire que, en toute objectivité, l’ensemble des éducateurs se joigne à nous pour améliorer tout ce qui peut l’être dans les conditions difficiles d'un métier plus que tout autre dépendant des installations et des matériaux qui lui sont imposés.

Nous acceptons de même qu’on critique nos techniques, qu’on nous en signale les imperfections ou le mauvais emploi. Cette critique est une condition indispensable du progrès.

Et l'Ecole laïque ?

Et on ne manquera pas de dire qu'en critiquant ouvertement l'Ecole laïque nous en atteignons le prestige auprès des parents, en face de l'Ecole libre, son ennemie.

Ce qui fait, et fera, la force et le succès de l’Ecole laïque, ce n'est pas une certaine tenue de façade qui masque les réalités dont elle souffre, et dont personne n'est dupe ; ce qui fait sa force c’est le perfectionnement nécessaire de son organisation et de ses méthodes, c'est son rendement non seulement scolaire, mais social et humain, auquel nous sommes tous, directement ou indirectement, intéressés.

L'action que nous entreprenons sert l'Ecole laïque, mieux : elle est indispensable à son succès que nous voulions décisif.

Ce faisant d’ailleurs, nous prouverons la nécessité et l'urgence des diverses campagnes pour la modernisation de l'Enseignement : 25 enfants par classe — meilleure préparation du personnel, et donc d'abord meilleurs salaires — construction et équipement fonctionnels, pour les buts de formation que nous avons à poursuivre.

Il y aurait danger, dans cette campagne à nous attaquer seulement à la forme, à laisser croire qu’il suffit d’interdire les lignes, les verbes, le piquet ou même le bonnet d’âne, pour que l’Ecole fonctionne dans de meilleures conditions. Les parents vous répondront volontiers que, ma foi, ils ont subi ces mêmes punitions, mais que cela ne les a pas tués, et que les classements, les notes et les bons points sont nécessaires pour stimuler des enfants dont on connaît la désaffection pour l’Ecole.

Oui, nous aurons à dénoncer ces pratiques moyenâgeuses, d’ailleurs interdites par les règlements, mais qui n’en persisteront pas moins tant que les éducateurs n’auront pas d’autres possibilités pratiques de maintenir l’ordre nécessaire au travail.

C’est toute la mécanique qu’il nous faut dénoncer, avec ses moyens et ses conséquences : il nous faut montrer qu’elle fonctionne mal, ou tourne parfois même à l’envers, ce qui rend non seulement inefficiente mais dangereuse l’action actuelle de l’Ecole traditionnelle.

De nombreux camarades, notamment dans les classes de perfectionnement, recueillent des dossiers et établissent des statistiques qui disent la valeur thérapeutique de nos techniques (1). Mais, s’il faut une thérapie, c’est que nos enfants sont malades. Quelle est leur maladie, comment se manifeste-t-elle, où prend-elle naissance, où en sont les responsables ?

C’est ce travail que nul n’a fait. On préfère ignorer la maladie, comme si elle n’existait pas, ou si elle n’était qu’un accident, l’effet d’un quelconque virus, introduit dans l’organisme par génération spontanée.

L'Ecole n’a certes pas toutes les responsabilités, mais elle en a sa part. Il nous appartient d’en opérer loyalement le bilan.

C’est ce que nous allons essayer de faire.

Il serait peut-être bon, au préalable, de voir les maladies diverses (au point de vue éducation et culture) dont souffrent les enfants de notre époque.

Nous verrons ensuite la genèse de ces maladies.

Les connaissant et en ayant détecté l’origine, nous serons mieux en mesure de mener alors, dans tous les domaines, l’action thérapeutique.

Quelles sont donc les maladies ou les déficiences dont se plaignent le plus couramment maîtres et parents?

J’essaie d’établir aujourd’hui une liste provisoire. Il faut que vous soyez nombreux à en étudier le contenu pour m’aider à le compléter. Nous engagerons alors l’action contre les causes scolaires et extrascolaires des déficiences constatées.

MALADIES ET DÉFICIENCES

La virulence d’une maladie est fonction du climat et du milieu dans lesquels elle peut se développer ou s'atténuer. Il est ainsi des règles de vie familiale ou des pratiques scolaires qui n’étaient pas profondément perturbantes, il y a trente ou cinquante ans, et qui sont aujourd'hui dangereuses en raison de l’évolution sociale ou technique intervenue. Qu'on ne dise donc pas : on l'a toujours fait. Ce qui était autrefois sans danger peut être cause aujourd'hui de complications dont on ne saurait négliger la portée.

1. - Les enfants d'aujourd'hui sont particulièrement instables. Ils ne parviennent pas à fixer leur attention, ce qui se traduit notamment par l'aggravation incontestable de l’orthographe.

2. - Les enfants n’aiment pas le travail, ni le travail scolaire, ni le travail familial ou social.

3. - Ils sont beaucoup plus énervés, plus déséquilibrés (dans le sens seulement d'une insuffisance d’équilibre et d'harmonie) qu'autrefois.

4. - Ils savent moins qu'autrefois penser par eux-mêmes.

5. - Ils sont pourtant aussi intelligents qu’autrefois — d'aucuns disent qu’ils le sont plus — mais, pour tout ce qui concerne l'Ecole, ils sont éteints et fermés, allergiques même à tout enseignement scolaire.

6. - Le nombre va croissant des enfants normalement intelligents qui ne parviennent pas à lire couramment et à s’exprimer par l’écriture.

7. - Le nombre va croissant des enfants perturbés, c'est-à-dire dont le comportement est troublé, jusqu'à devenir anormal, inquiet, peureux, hésitant, toutes tares qui constituent de graves causes d'échec à l'Ecole et dans la vie.

8. - Les enfants sont plus passifs qu’autrefois, à l’Ecole du moins. Et ils s'en défendent par des réactions agressives violentes, en récréation ou dans la rue.

9. - Les enfants sont aujourd'hui informés de toutes choses, mais ils les connaissent rarement en profondeur, ce qui est cause d’une superficialité, d’une détérioration du bon sens qui sont un grave danger.

10. - Ces diverses faiblesses, apparemment intellectuelles et morales, se traduisent bien souvent :

— par un affaiblissement dangereux du tonus vital ;

— par diverses maladies dont les médecins nous diront l’origine et les incidences ;

— par des anorexies ;

— par des névroses dont on connaît les terribles conséquences.

11. - Les conditions défectueuses de vie et de travail en commun perturbent gravement le comportement social des enfants (voir blousons noirs).

12. - Les examens, notamment, ont des conséquences que psychologues, psychanalystes et médecins nous aideront à dénoncer.

13. - L’autorité formelle du maître suscite elle aussi bien des complications.

14. - En définitive, il faudra voir si certaines pratiques scolaires ou extrascolaires ne sont pas « abêtissantes » (voir télévision, images et pédagogie traditionnelle).

Faire les envois d’urgence avec tous documents, extraits de livres et de revues, etc, à Freinet, Cannes.

C.F.

(1) Collection Bibliothèque de l'Ecole Moderne n° 6 : La santé mentale des enfants.