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L'exploitation du texte libre

Dans :  Français › Techniques pédagogiques › 
Février 1964

Comment le travaille dans ma classe

 
L’exploitation du texte libre
 
par L.Deltombe
 
Pas daccord !
 
Je termine à l’instant la lecture de l’article de G. Paya : Les techniques modernes - La quartette des techniques Freinet ou la pédagogie Freinet - Educateur n°6.
Je ne m’étendrai pas sur les qualités et l’opportunité de cet article. je reprendrai simplement les propres termes de G.Paya : « Si j’écris ces lignes, c’est pour communiquer notre pensée, exprimer nos idées, provoquer d’autres réactions pour notre progrès commun dans la pédagogie ».
La réaction est venue : je ne suis pas d’accord sur cette affirmation de G. Paya : « Il ne faut pas tromper l’enfant et se servir du texte libre du lundi pour motiver tout le travail de la semaine... L’exploitation par toute la classe doit être accidentelle ».
 
Après quinze années d’expérience personnelle, j’oserais conclure : il faut se servir du texte libre pour motiver tout le travail de la semaine... et j’irai encore plus loin : tout le travail d’une quinzaine. je n’envisage donc pas une exploitation accidentelle.
 
Avant d’engager la discussion, je me permettrai de préciser un point important : je n’ai pas écrit qu’il n’y avait qu’un texte libre par quinzaine, mais seulement l’exploitation totale d’un texte une fois par quinzaine. Nous travaillons le texte libre trois fois par semaine nous l’exploitons, mais de façon plus superficielle, en vocabulaire, en grammaire, en conjugaison...
 
Ce texte libre choisi donnera naissance non pas à un centre d’intérêt, mais à un complexe d’intérêt. Aussi se pose avec acuité le choix de ce texte qui paraît jouir d’un destin vraiment privilégie. Il est indispensable que, le plus tôt possible, chacun de nos élèves choisisse ce texte en fonction de facteurs susceptibles de déclencher une activité générale de toute la classe. Habituer l’enfant à donner à son vote une motivation : voilà la difficulté essentielle. Comprenons maintenant pourquoi cet enfant, accoutumé à agir de la sorte, hésite au moment décisif du vote : ce texte que je vais choisir va-t-il me sortir des sentiers battus et des thèmes souvent répétés ? Sera-t-il assez solide pour permettre aussi bien dans l’espace que dans le temps une exploitation qui m’enrichira ? Autant de questions qui se posent à l’enfant et au maître, jaloux de l’épanouissement de ses élèves.
 
Comme le note Freinet, dans le supplément à L’Educateur n°6, l’enfant s’exprime d’abord par le texte libre, ensuite il s’exerce par l’exploitation en français du texte libre.
 
Le vote a eu lieu : le choix du texte est décidé démocratiquement, en toute liberté. Comment se manifestera, dès ce moment, la part du maître ?
 
Pendant la mise au net du texte, au cours de laquelle chacun apporte sa collaboration, le maître évite, avant tout, d’altérer la pensée de l’auteur : par petites touches délicates et subtiles, de manière que son apport personnel soit minime, il mène le débat, fait apprécier la qualité des améliorations apportées.
 
Le texte est mis au net...
 
Alors commence l’exploitation du texte libre.
 
* La chasse aux mots, suivant le sens (vocabulaire à même le texte libre).
 
Qui peut nier l’importance de cette leçon ? Bien pauvre est l’homme qui ne possède pas un capital-mots suffisant pour exprimer sa pensée. La connaissance de mots nouveaux ou imparfaitement connus donne un élan, une force nouvelle et plus directe à la pensée de l’enfant. Négliger cette chasse aux mots constituerait une faute très grave, incompatible avec nos techniques soucieuses de la libération et de l’épanouissement de l’enfant,
 
Le maître choisit trois ou quatre mots du texte, dont l’étude amènera un progrès enrichissant. Il prévoit un travail de recherche dans le dictionnaire. Comme l’utilisation des dictionnaires actuellement en circulation semble très délicate, sinon difficile, il faut préparer avec soin cette recherche. Une fiche polycopiée, distribuée à chaque élève porte tous les travaux à effectuer. Cette recherche individuelle se complètera par un travail collectif d’abord de synthèse, puis d’élargissement de l’étude des mots.
 
* La lecture correspondante de textes d’auteurs (cf. Freinet supplément Educateur n°6).
 
Dans le fichier, nous recherchons des textes d’auteurs correspondant à l’idée exprimée dans le texte libre. Pourquoi ? Il ne peut être que très dangereux d’éloigner l’enfant de la lecture de grands écrivains, de ne pas lui montrer comment, sous différentes formes de style, ceux-ci ont traduit la même pensée que la sienne. C’est cette confrontation permanente qui amènera l’enfant, peut-être d’une manière insensible mais profonde, à une extériorisation plus frappante et plus nette de ce qu’il voit, de ce qu’il entend, de ce qu’il pense, de ce qu’il ressent...
 
* L’expression libre orale : critiquer, c’est d’abord connaître. Laissons à l’enfant le temps de se documenter par la consultation des BT, du fichier, des documents de toutes sortes amassés petit à petit. je pense en ce moment à un texte libre : Le sauvetage des mineurs de Peine, dont l’exploitation a été menée par ma femme, dans sa classe (FE et CM2, 38 filles). Elles se sont inquiétées - oui, elles, des filles - du métier difficile de leur père, d’un oncle ou d’un cousin... Est-ce travailler en marge de l’esprit qui anime nos méthodes que d’entendre une élève conter à sa compagne « le roman d’un morceau de charbon », que de voir toute une classe « vibrer » pendant l’étude d’un tableau d’un peintre du nord « Visage de mineur », que de la voir s’émouvoir pendant le jeu dramatique ou le mime de la pénible agonie d’Etienne et de Catherine, personnages du roman de Zola. « Germinal », que de la voir sourire au récit d’anecdotes du fond de la mine, anecdotes que l’on a cueillies de la bouche de mineurs que l’on connaît ?
 
* Et la grammaire, et l’orthographe...
 
* Et la réalisation de l’album (sur la mine, si je reviens à l’exemple ci-dessus).
 
Amas de documents variés, coupures de journaux - même des journaux allemands qu’une maman connaissant l’allemand a traduits - photos récentes ou bien jaunies, cartes postales, etc... documents que l’on trie, que l’on classe.
Recherche dans les BT des outils du mineur d’autrefois et d’aujourd’hui, de la formation du grisou, etc...
 
Rappel des grandes catastrophes minières : Peine, Marcinelle, Courrières, etc...
 
Enquêtes : la vie au fond de la mine avec ses incidents comiques (la capture des souris), les ravages de la silicose.
 
Recherche de documentation sur les richesses du sous-sol : après envoi de nombreuses lettres, nombreux sont les documents nouveaux qui sont parvenus : Gaz de Lacq, Pétrole d’Aquitaine, Sel de Bex (Suisse)...
 
Et tout cela collé, noté, disposé, dessiné, écrit, sur des feuilles dessin grand format que l’on assemble en un album : notre album.
 
* Et le dessin...
 
Cette atmosphère de la classe, pendant l’exploitation du texte libre, nous l’avons vécue pendant de nombreuses années. Tous les enfants, même ceux qui avaient voté pour un autre texte libre mais qui savent, eux, respecter les lois de la démocratie, participent à l’exploitation du texte. Et reprenant l’expression de G. Paya, j’ajouterai : ils sont tous embarqués. Chacun a toute possibilité d’expression, soit au cours des enquêtes, des recherches, des travaux individuels, du dessin, de l’expression orale libre... Tout ce travail – faut-il le demander ? - exige beaucoup de temps. Est-ce du temps perdu, le temps passé à se documenter, à dessiner à rechercher, à enrichir ses connaissances ? je vous pose la question... Quant à nous, les progrès réalisés sont trop nets et trop frappants pour oser envisager l’idée d’abandonner cette façon de procéder.
 
Exploitation superficielle du texte libre, exploitation en profondeur, le débat reste ouvert !
 
DELTOMBE
 
Note de Freinet : Je donne rapidement mon point de vue qui ne vise nullement à apporter des solutions définitives. Il est souhaitable au contraire que la discussion continue sur un thème majeur de notre pédagogie.
 
La technique mise en valeur par Deltombe est bien la technique idéale, celle qui donnera le maximum d’efficience à notre pédagogie, et nous souhaitons que de nombreux camarades puissent y accéder.
 
Et pourtant, nous ne pensons pas que cette façon de procéder idéale puisse être recommandée à tous ceux qui sont encore en rodage.
 
Une telle exploitation des complexes d’intérêt suppose un fichier riche et ordonné et surtout une complète maîtrise de la classe par l’éducateur, car, préparée ou non, il s’agit là d’une improvisation à laquelle tout le monde n’est pas apte.
 
Voici donc notre opinion :
-          Dans un CP cette pratique peut être généralisée, car les instituteurs ne sont pas gênes par les programmes.
-          Dans un CE on peut opérer ce complexe toutes les fois que l’occasion se présente.
-          Pour le CM et FE, je recommande une technique qui demandera moins d’ingéniosité au maître :
-          Textes libres et exploitation ; chasse aux mots ; grammaire ;
-          Plan de travail ;
-          Comptes rendus et Conférences ;
Ce qui n’empêche pas d’exploiter certains complexes, soit dans le cadre du plan de travail, soit séparément.
Ce n’est là qu’une opinion. Nos lecteurs ont la parole.
 
C.F.