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L’Imprimerie à l’Ecole au second degré

Janvier 1934

L’Imprimerie à l’Ecole au second degré

(Cours Complémentaires» et écoles primaires supérieures)

A diverses reprises, des camarades travaillant dans ces écoles nous ont écrit pour nous demander s’il serait possible, à notre avis, d’y introduire nos techniques, et dans quelle mesure. Quelques expériences ont même été tentées ça et là et nous pensons en donner peut-être un jour prochain la relation.

Essayons dès aujourd’hui une mise au point.

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Une considération d’abord : les écoles maternelles dégagées de tout examen ont fait ces dernières années des progrès méthodologiques considérables. Dans nos écoles primaires nous sommes parvenus, dans une certaine mesure, à concilier nos techniques avec les nécessités d’acquisition scolaire. Les cours complémentaires et les E.P.S. sont presque exclusivement consacrés au bourrage formel et scolastique. Les examens encyclopédiques, toujours plus vastes et plus compliqués, constituent pour ces classes une obligation tyrannique qui rend presque impossible tout essai de pédagogie rénovée.

Pourtant, étant donné que nos techniques stimulent l’activité enfantine, réveillent certains intérêts et servent indirectement l’acquisition, une adaptation particulière de nos techniques pourrait être étudiée et expérimentée. Cette adaptation devra tenir compte naturellement des conditions spéciales de cet enseignement — comme nous l’avons fait pour l’enseignement primaire. Car, pour si radicaux et révolutionnaires qu'on nous tienne, notre principale caractéristique pédagogique est justement d’éviter tout verbiage gauchiste, de voir les faits en face et d’y adapter en toutes occasions notre action d’éducateurs d’avant-garde.

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Au moment où, à Pâques dernier, la réaction fasciste a attaqué mon école, j'étais en train de poursuivre une expérience nouvelle dont je n’ai pas encore rendu compte.

Dans le travail scolaire tel que nous l'avons conçu et réalisé, l’imprimerie à l’Ecole est parfaite et indispensable pour la publication du journal scolaire el les échanges. Aucun autre procédé mécanique et pratique de reproduction ne peut lui être substitué : la machine à écrire ne donne qu’un nombre très limité de copies insuffisantes ; la polycopie ne reproduit jamais un graphisme parfait, net et lisible ; les divers appareils de reproduction ont tous à ce point de vue, des vices majeurs : prix, maniement ou rendement.

Mais il n’y a pas que l’imprimerie dans nos techniques. Nous avons dû y ajouter notamment le fichier, les livres à feuillets mobiles, les journaux muraux, etc... Nous éprouvons très souvent le besoin de reproduire en un nombre réduit d’exemplaires, certains documents graphiques : La Géline peut être utilisée, mais le tirage en est encore trop long.

J’avais introduit dans ma classe une machine à écrire.

Je vois de nombreux camarades se récrier : parbleu ! mais l’argent.

Or, il s’agit d’une machine à écrire à barillet genre Mignon qui m’avait coûté 100 francs d'occasion. Celle machine a, pour le bureau, quelques défauts importants, mais pour la classe elle a cet avantage, outre le bon marché, d’être d’une solidité à toute épreuve et de permettre une dactylographie assez rapide après quelques heures d’exercice.

J’avais mis cette machine entre les mains des enfants. Et qu’on ne se soucie pas ou temps nécessaire à l’initiation : pendant les récréations, de 11 h. à 13 heures, c’était une dispute incessante pour avoir la machine.

Voici donc l’outil. Voyons l’usage.

Parmi les rédactions journellement apportées, un premier choix, le plus important, était fait par les enfants eux-mêmes pour l'imprimerie. Mais les autres rédactions peuvent être très intéressantes aussi au point de vue documentaire : travaux des champs, observations atmosphériques, descriptions diverses, comptes-rendus de films, de lectures, etc... Nous faisons alors parmi ces textes un deuxième choix : l’auteur tapera son travail à la machine, grâce au papier carbone on peut très facilement obtenir jusqu’à 10 copies bien lisibles, suffisantes pour les élèves d’une division.

Nous avions un livre sous reliure mobile pour la lecture, un pour les sciences, un pour l'histoire, un pour la géographie.

Ces feuilles polycopiées, sur format fiche, allaient prendre place naturellement dans le livre correspondant. Quand un élève avait de même découvert dans un livre d'histoire, de sciences, dans des archives, des revues, etc... un document intéressant, il le polycopiait à la machine pour la même utilisation.

Cette technique offre des avantages considérables. Outre l’intérêt mécanique qu’elle présente et qui attire les enfants plus peut-être que l’imprimerie, elle est d’un grand profit scolaire et pédagogique : comme pour l'imprimerie, mais à un moindre degré, les mots, les phrases, les textes qui passent par les doigts lettre à lettre laissent une trace sûre au point de vue acquisitionnel.

Cette technique nous permet enfin de transformer totalement le travail scolaire, de le faire profiter des dernières découvertes adultes et de le baser entièrement sur l'intérêt fonctionnel des enfants. Dès lors les documents nés de la recherche individuelle ou collective mais toujours active et vivante ne restent plus éparpillés : ils sont immédiatement classés dans le matériel scolaire et les livres deviennent alors de véritables outils de travail, en création constante, et susceptibles de remplacer avantageusement, au point de vue acquisition, les manuels scolaires qui rejoindront leur place normale dans notre bibliothèque de travail.

L’emploi de ces feuilles ainsi polycopiées, combiné avec l’usage de la Géline pour les dessins, et par l’addition de documents imprimés et graphiques de notre F.S.C., complète merveilleusement notre imprimerie à l’Ecole. Les résultats obtenus étaient déjà très importants. En attendant de reprendre ailleurs, personnellement, cette expérience, j’ai tenu à signaler cet essai aux camarades qui désireraient s’orienter dans ce sens (Nous pouvons livrer quelques machines Mignon à 100, 150 ou 200 fr. selon état).

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Pourquoi ai-je parlé d'abord ici de cet essai ? C’est parce que je suis persuadé que c’est dans ce sens que doit s’orienter 1a nouvelle technique de travail au second degré.

A la base, nous placerons toujours, naturellement, l’expression libre des enfants et la correspondance interscolaire nationale et internationale. Nous toucherons ainsi les cordes humaines, extrascolaires, de la personnalité ; nous exciterons la curiosité et l’appétit au travail, fondements indispensables d’une pédagogie nouvelle active et féconde.

Quelle que soit la surcharge des programmes et la hâte des éducateurs, nous insistons sur ce fait que si on ne sait pas donner aux enfants une raison normale d’intérêt et de travail, il ne faudra pas attendre beaucoup de leur libre activité dans le cadre scolaire.

Comment permettre cette expression libre ? L’Imprimerie à l’Ecole telle que nous la préconisons ne peut pas être pratiquée à ce degré : la composition du texte serait, pour des enfants possédant totalement l’orthographe, une perte de temps, surtout pour la préparation de textes nécessairement plus longs et plus complets. Peut-être, dans certaines écoles à classes nombreuses, serait-il possible d'installer un véritable atelier d'imprimerie, avec même une petite machine à composer — matériel permettant la composition et le tirage rapides et pratiques.

Ceci est pour l’avenir — un avenir qui pourrait être prochain si les éducateurs voulaient entreprendre les recherches et les mises au point indispensables.

Pour l’instant, à défaut d’imprimerie — et comme pis-aller — force nous est de nous rabattre sur les autres procédés de reproduction.

L’écriture manuscrite n’est, elle aussi, qu’un autre pis-aller : toutes les fois qu’on le pourra, on devra acquérir une machine à écrire — à barillet ou à clavier — qui permettra le travail collectif sur fiches en même temps qu’une reproduction plus lisible et plus harmonieuse. Mais la machine à écrire n’est cependant pas indispensable pour un premier essai.

Ce qu’il faut, c’est un appareil de reproduction.

a) L’appareil de reproduction à peu près idéal serait, à notre avis, le Nardigraphe. L’original peut s’établir soit à la main, soit à la machine à écrire. Les dessins peuvent y être parfaitement incorporés. On reporte cet original sur une sorte de vitre magique. On frotte divers produits chimiques et le cliché de la feuille reste en relief et indélébile sur la vitre. On pose la feuille sur laquelle on passe un rouleau presseur et c’est fait. On peut imprimer en toutes couleurs comme en imprimerie, mais une seule couleur par tirage.

Avec cet appareil le tirage d’un texte sur feuille 21 X 27 peut être effectué en un quart d’heure (l’original est établi en quelques minutes).

Un inconvénient cependant : le maniement de cet appareil nécessite une certaine minutie. Si les produits chimiques nécessaires ne sont pas employés à bon escient et dans le temps strictement voulu, le cliché n’apparaît pas et il faut recommencer.

Mais avec des enfants de 14 à 10 ans, étudiant souvent les sciences, cette manipulation doit être un jeu et les résultats très satisfaisants. (Cette réserve faite l’appareil est absolument garanti comme donnant des résultats parfaits).

Le plus petit format d’appareil coûte 325 francs. Ajoutez à cela 2.000 feuilles double-fiche de notre stock à 10 fr. le mille et vous avez de quoi sortir plusieurs journaux scolaires qui ne vous auront pas volé un temps excessif.

b) A ceux qui craindraient cette délicatesse de manœuvre, nous recommandons le limographe.

On écrit avec une plume à molette ou avec un poinçon sur un lime de façon à perforer une feuille de baudruche : texte ou dessin. Cette perforation se fait avantageusement avec la machine à écrire. On dispose cette baudruche perforée sur l’appareil. A chaque coup de rouleau sort une feuille imprimée qui peut avoir un excellent aspect si la préparation en a été faite avec art et soin — occupation bien à la portée de ces élèves.

L’appareil minimum coûte 185 fr. et emploie les mêmes feuilles 21 X 27 à 10 fr. le mille.

e) Les écoles un peu plus riches pourraient acquérir un appareil rotatif à reproduction. Il y en a de parfaits, genre Gestetner pour le tirage des circulaires. Mais ils coûtent plusieurs milliers de francs. Nous pourrions faire livrer un appareil semi-automatique pour 975 fr., donnant un rendement accéléré.

Toujours le même principe : on perfore un stencil ou baudruche qu’on dispose ensuite sur le tambour de l’appareil. A chaque coup de manivelle une feuille sort imprimée (l’encrage est automatique).

d) La Géline, pâte à polycopie, pourrait, le cas échéant, remplacer ces appareils au début. Mais, pour des tirages importants, les appareils ci-dessus décrits sont plus pratiques et plus économiques.

e) Il serait bon tout de même d’avoir un matériel d’imprimerie à l’école. Une belle page imprimée serait toujours un supplément apprécié au journal. Et surtout la presse permettrait le tirage de linos gravés qui illustreraient agréablement l’édition.

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Avec ce matériel l’édition d’un journal scolaire mensuel est pratiquement possible. Aux professeurs certes à établir l’horaire du travail. Nous savons aussi que les textes, à ce degré, n’auront pas le même contenu qu’au degré primaire : A cet âge on peut s’intéresser à des faits plus importants: jeux, concours, visites d’usines, travaux originaux, recherches dans divers sens : histoire, géographie, poésies — ce qui n’excluera pas le récit personnel ou les contes.

On le voit, par ce contenu même, le journal scolaire peut certainement être lié à l’activité scolaire et la stimuler. Les principales disciplines devraient en bénéficier: art, langues française et étrangère, sciences, histoire, géographie, calcul, etc.

Naturellement, dès que plusieurs classes de ce niveau pratiqueraient cette technique, nous les mettrions en relations suivies, et cette correspondance leur apporterait, comme à nous, des avantages pressants dont l’école n’a pas su jusqu’à ce jour, tenir compte et profiter.

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Lorsque le journal scolaire aurait ainsi suscité et stimulé dans votre classe l’activité personnelle des enfants, vous pourriez alors, progressivement, abandonner les méthodes dogmatiques, basées essentiellement sur l'étude des manuels, et inaugurer une forme du travail découlant de cet élan que vous avez su motiver.

De plus en plus, toutes les organisations administratives ou commerciales ne travaillent plus que selon deux principes qui se sont révélés supérieurs : la fiche et la reliure mobile. L’école secondaire les imitera avec profit.

Il est possible, sans retard, de travailler immédiatement à la constitution de fichiers.

Quelques-unes de nos fiches imprimées pourront déjà servir de base. Nous pourrons fournir surtout des fiches cantonnées, coupées soit à nos formats 13,5 x 21 ou 21 X 27, soit aux formats demandés. Tous les documents d'études, les résultats de recherches, les calculs réalisés devraient être sur fiches. Un élève trouve-t-il, dans la Bibliothèque de Travail une belle page littéraire, un document scientifique, une curiosité géographique : on colle ou on copie sur fiche. Au bout de quelques mois — et mieux certes au bout de quelques années — la classe doit avoir ainsi, dans ses fichiers, une documentation inégalable, et inégalable surtout par la commodité dans la recherche et l’utilisation.

Ceci constitue pour ainsi dire un deuxième degré dans l’application de la technique. Il peut aller de pair avec l’emploi des manuels qu’il complètera.

Un troisième degré serait la substitution des cahiers à reliure mobile au système des manuels.

Qu’on remarque bien que nous ne parlons pas, à l'origine, d’un changement radical dans la matière d'enseignement. Le commerçant qui remplace son vieux et imposant registre par un registre à feuillets mobiles ne fait d'abord qu'un tout petit changement. Mais c’est une méthode nouvelle de travail qui est amorcée et qui envahira peu à peu toute l’activité. Il s'agit pour la classe aussi d’une nouvelle méthode de travail, basée ici sur une conception nouvelle des aptitudes enfantines, sur la confiance que nous faisons à l’activité fonctionnelle et au besoin d’élévation qui anime tout enfant normal.

Plus de manuels scolaires, mais une Bibliothèque de travail très riche A la disposition des enfants. Chaque élève possède des dossiers sous reliures mobiles pour les principales activités scolaires : français, sciences, etc. Les cahiers de cours sont partiellement ou totalement supprimés.

Le cours du professeur sera polycopié ou tapé à la machine en plusieurs exemplaires et joint au dossier au jour le jour. Les travaux d’élèves les plus intéressants seront également reproduits et joints. Enfin, chaque étudiant complétera par son travail personnel, ses livres d’étude : d’où nécessité d'un travail sérieux et appliqué remplaçant les besognes bâclées pour la correction du maître.

Ces dossiers iraient s’enrichissant d’année en année, ils pourraient suivre l’élève dans les diverses classes et, malgré le changement de professeur, rester comme un témoin des efforts antérieurs, et un appui.

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Voici donc, pour résumer, ce que pourrait être la nouvelle technique de travail au degré secondaire :

A la base, l'expression libre des enfants par l’imprimerie à l’Ecole et les appareils divers de reproduction ci-dessus mentionnés :

Réalisation mensuelle d’un journal scolaire avec échange national et international.

Constitution d’un important fichier documentaire et d’une riche Bibliothèque de Travail ;

Remplacement des manuels et des cahiers de cours par des dossiers à reliure mobile pour lesquels seraient largement utilisés les appareils de reproduction graphique introduits à l’école.

Le tout devant permettre à l’enfant de se sentir vivre d’abord, de s’épanouir ensuite — et cela sans qu'en souffre le moins du monde l’acquisition prescrite par les programmes.

Au contraire : les manuels et les cahiers de cours sont des instruments de mort, de bourrage à rendement insignifiant par rapport aux efforts demandés.

Notre technique nouvelle sait mieux faire appel aux forces vraies de l'individu, à ces besoins fonctionnels qui, depuis toujours, soulèvent le monde. Son introduction au deuxième degré de l’enseignement serait certainement un pas immense vers la rénovation de cet enseignement, dans le cadre des nécessités actuelles.