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Ce que les techniques FREINET apportent de nouveau

Dans :  Mouvements › Techniques pédagogiques › 
Juin 1964

On nous a reproché très souvent de ne parler que de notre technique et de notre pédagogie, comme si rien d'autre n’existait ou n'avait existé.

Il nous serait facile de répondre qu’on peut trouver tous les renseignements nécessaires à cette étude dans les revues diverses et dans les livres. Tout au plus pourrions-nous conseiller nos camarades pour ces lectures. Mais il y a un travail que nul ne fera si nous n'y pourvoyons nous-mêmes : l’amélioration collective de notre pédagogie, à laquelle nous devons consacrer le maximum de pages. Mais on nous demande parfois, ce qui est différent, en quoi nous différons de Mme Montessori ou Decroly et des autres méthodes passées ou présentes, et ce que nous apportons de nouveau à leur enseignement. Une mise au point de notre part est nécessaire parce que les jeunes ont étudié à l’E.N. les diverses pédagogies et qu’ils situent volontiers nos techniques par rapport il des systèmes pédagogiques auxquels ils peuvent se référer.

Au cours de l’année à venir, nous donnerons chaque mois une étude qui nous définira par rapport à Decroly, Montessori, Makarenko, Cari Rogers, l’Ecole de Genève, la pédagogie soviétique, l’Ecole américaine, etc... Et nous répondrons aussi aux questions qu’on pourra nous poser à ce sujet.

Ce qui ne nous empêchera pas de continuer les recherches et les travaux concernant : l’Ecole de villes, l’enseignement audio-visuel en général, l’enseignement en URSS et les machines à enseigner et la programmation.

Pour ces diverses questions nous donnerons le plus souvent possible la parole à nos camarades.

LES NOMBRES EN COULEUR DE CUISENAIRE

Nous aurons aussi à préciser encore notre position vis-à-vis des nombres en couleur de Cuisenaire, qui, timidement accueillis en France, connaissent une grande vogue en Suisse notamment. Pour les non-initiés je précise qu'il s'agit d’un matériel simple où les nombres sont représentés par des réglettes de couleurs variables. La couleur s'associe ainsi, dans l'esprit de l’enfant, aux nombres et aux diverses opérations qu’on peut faire avec ces nombres. C’est un procédé parmi tant d'autres qui a certainement sa valeur, mais dont la réputation a été certainement surfaite, peut-être même parfois de bonne foi. Ce qui indispose de nombreux éducateurs c'est l'obstination de M. Gattegno, le supporter de la méthode, à vouloir présenter le matériel Cuisenaire comme une pédagogie nouvelle.

Certains camarades m'objectent qu'ils ont vu ce matériel en usage dans les classes, que les élèves étaient intéressés, et que les résultats étaient bons. Il paraît même que certaines démonstrations avec Gattegno sont tout simplement éblouissantes, ce qui est, évidemment tout à l'honneur du démonstrateur. J'ai, dans ce domaine, une expérience qui me permet de juger. Il y a quelques trente ans, je rencontrais Camescasse, un de ces vieux laïques républicains du début du siècle, enthousiaste du progrès que l’éducation vaudrait au peuple. M. Camescasse avait réalisé un matériel fort comparable dans ses principes aux nombres en couleurs — et qui leur était peut-être en certains points supérieur : avec des cubes blancs et rouges de 1 cm d’arête, munis de rainures qui permettaient de les fixer sur une réglette de 1 dm de long, on obtenait toutes les combinaisons rendues possibles par les nombres en couleur, avec peut-être une rigueur mathématique supérieure. Nous avions publié à l’époque une brochure, que nous livrions avec le matériel et qui permettait l’étude active et presque matérielle des problèmes de calcul les plus ardus, jusqu'à la matérialisation de la racine carrée et des problèmes d'algèbre.

Et pourtant, nous avons abandonné ce matériel pour les mêmes raisons qui nous incitent à ne pas nous joindre au concert de louanges en faveur des nombres en couleur.

La principale des raisons, c'est que, pour donner tout ce qu'il promet, le matériel Cuisenaire, comme notre Camescasse, suppose des leçons, et des leçons bien conduites. Il ne suffit pas de laisser les enfants libres de créer : ils feront avec les éléments, des chariots et des avions, ce qui n'est que d’un profit minime. Il faut que le maître organise une leçon en forme : élèves tous assis, obéissant strictement aux injonctions du maître qui est le Deus ex machina. Et c'est ce que nous ne voulons plus et ne pouvons plus faire.

On dira : pourtant les enfants sont intéressés. Comme ils peuvent être intéressés, dans toute classe traditionnelle, par une leçon bien conduite, où le maître sait donner l'illusion au moins de l'activité et procurer la joie de la réussite. Autrement dit le Cuisenaire, comme le Camescasse peut être un excellent matériel pour classe traditionnelle, complétant les leçons, à condition que le maître sache en user avec science et habileté.

Mais nous, nous devons aller plus avant et atteindre à une autre forme de calcul vivant, peut-être moins rapide et moins spectaculaire, mais qui sera davantage indélébile culture.

Un simple examen des livrets de Gattegno : L'arithmétique avec les nombres en couleur, édités par Delachaux, fera comprendre le sens de ma critique. Ils contiennent des problèmes du plus pur traditionnel, que les nombres ne peuvent parvenir à vivifier, ce qui nous ait craindre que les acquisitions obtenues avec ce matériel restent fragiles et aléatoires.

Le même auteur vient de publier un livre, édité lui aussi par Delachaux et Niestlé : Enfin, Freddy comprend l'arithmétique (l'emploi des réglettes Cuisenaire expliqué aux parents), qui peut rendre lui aussi des services aux enfants que les parents savent et peuvent diriger. Mais il ne s'agit pas là d'une vraie méthode d'enseignement du calcul. Nous pourrions d’ailleurs en discuter plus longuement si quelques usagers le jugent utile, notre but n'étant évidemment que de servir les maîtres — et leurs enfants — et le progrès pédagogique.