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La pédagogie Freinet

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Janvier 1963

« Quand, après avoir souri dédaigneusement de vos créations, de vos inventions, de vos tentatives, de vos échecs ou de vos succès, les baillis, les gouverneurs, les chefs, les Grands et les Pontifes s’aperçoivent que vos petites idées de manants ou d'artisans ont fait leur chemin malgré leurs railleries ou leur superbe indifférence, alors ils s'en accaparent...

A ce moment, ils réinventent ce que vous avez bâti, ils oublient jusqu’à votre propre existence et utilisent tout votre bien pour l’offrir, le prôner, l'imposer ou même le vendre comme la pierre philosophale sortant de leurs propres cornues ou de leurs cerveaux...

Ils rédigent de beaux mémoires dans les gazettes royales, fondent des cabinets spéciaux et des charges nouvelles et vous demandent même de répondre à leurs longs interrogatoires sur votre tâche plagiée, afin de présenter leurs écritures au Roi dans ses conseils, comme les prémices d'une activité géniale de leur ministère.

Certains en arrivent à oublier leurs larcins et leurs accaparements, leurs grimaces de moquerie pour se fabriquer même des faux souvenirs d'une lutte antérieure méconnue et comme pécheresse qu'ils n'ont soutenue que devant leur écritoire ou celui de leurs nombreux secrétaires».

METESA, moraliste hongrois (1711-1799)

 

Au cours d'un colloque international qui se tenait il y a quelques années à l'Ecole Freinet de Vence, un professeur étranger nous avait posé la question :

— Et si votre gouvernement déclarait un jour prochain les Techniques Freinet officielles ?

Ce serait, répondis-je, la plus grave affaire qu’on pourrait actionner contre nous, parce que, au lieu de commencer par le commencement : l'organisation matérielle et technique et la préparation du personnel, on lancerait les éducateurs dans l’aventure.

On verrait alors les administrateurs recommander nos techniques, sans les connaître, donc sans les apprécier ni leur faire confiance. Et les instituteurs achèteraient ou recevraient notre matériel pour en user à leur guise, sans aucune initiation pédagogique, en fonction seulement de leurs conceptions et de leurs habitudes traditionnelles.

Ils échoueraient naturellement, et on aurait beau jeu alors pour conclure :

« Voyez ce que donnent les Techniques Freinet! C'est une totale faillite!»...

Et on les interdirait, bien vite.

Tout nouveau tout beau ...

Or, ce n'est pas le gouvernement qui prend aujourd'hui semblable mesure mais les éducateurs eux-mêmes, qui, las d'un métier déconcertant, se jettent sur la nouveauté, avec l'illusion au départ que tout est simple, que tout est possible dès qu'on a rejeté le carcan et recouvré une illusoire liberté.

Il nous faut réagir contre des tendances qui, tout en témoignant de notre croissant succès, risquent de compromettre nos efforts.

Nous allons le faire avec le souci essentiel d'assurer pour notre école laïque un meilleur rendement technique et humain ; pour ne pas décourager les camarades enthousiastes qui se joignent à nous et que nous ne voulons pas décevoir ; pour tenter de dégager enfin notre responsabilité dans des essais qui n’ont souvent de notre Technique et de notre pédagogie qu'un nom qui risque de tomber trop vite dans le domaine public.

La technique tue l’esprit

Nous avons dit bien souvent, il est vrai, que les outils et les TECHNIQUES FREINET DE L'ECOLE MODERNE ont un aspect libérateur qui peut jouer dans la conduite d’une classe, même si on ne les emploie pas selon les recommandations de notre pédagogie.

Cela est exact.

Le texte libre, aujourd’hui officiel, est comme un appel d’air et de confiance, même lorsqu'il n'a qu'une résonance limitée dans le comportement des éducateurs. Les fichiers auto-correctifs, même sans leur compensation nécessaire de calcul vivant, libèrent techniquement les enfants de la surveillance tatillonne et des sanctions du maître. Le journal scolaire est, par lui-même, un essai d’affranchissement, dont la portée ne saurait en aucun cas être négligeable.

Mais ces tentatives, pour si méritoires qu'elles soient, ne sauraient donner, dans l'état actuel des choses, qu'un rendement très réduit. Notre pédagogie, ce n'est pas le Texte libre accidentel, non répercuté dans la technique de travail scolaire, ni les fichiers mécaniques, ni même un journal scolaire qui serait un recueil de rédactions libres plus ou moins traditionnelles, dans une classe qui continuerait inchangée avec ses limitations et ses interdits.

Il est relativement facile en effet, d’imprimer ou de tirer au limographe, pourvu qu'on en ait appris la technique dans un court stage ; de remplacer les exercices d’un manuel par ceux du fichier et même de mettre au point un texte libre. Ce qui est délicat, c'est d'utiliser ces nouveaux outils dans l'esprit d'expression libre, de création et de libération qui est seul capable de transformer nos classes en en modifiant les motivations et l'atmosphère.

Dans les études que nous poursuivons pour une méthode naturelle : de sciences, de calcul, ou d'expression artistique, nous nous rendons compte d'une réalité pédagogiquement révolutionnaire :

La TECHNIQUE TUE L’ESPRIT. SI ON COMMENCE L’APPRENTISSAGE PAR LES ACQUISITIONS MECANIQUES, ON RISQUE DE NE JAMAIS ATTEINDRE A L'ESPRIT, PARCE QUE CE NE SONT PAS LES MEMES VOIES QUI Y MENENT. Les techniques évoluent en fonction de l'esprit qui les anime. Mais c’est cet esprit qu’il nous faut cultiver d'abord.

Cela ne signifie pas que nous allons faire des cours de spiritualité, mais que notre préoccupation principale doit être de replacer sans cesse nos techniques — nécessaires — dans le cadre de l’esprit FREINET DE L’ECOLE MODERNE.

Cette observation essentielle ne signifie nullement d’ailleurs que cet esprit nouveau tombe d'en haut sous l’effet d’une grâce ou par un acte de foi prononcé du bout des lèvres. Il est le résultat d’une reconsidération radicale de nos conditions de travail, de notre psychologie et de notre pédagogie.

Cet esprit, dont nous nous prévalons, nous le portons tous en nous parce qu’il est l’esprit de vie et de progrès. Il nous suffit de ne pas le laisser se pervertir et disparaître sous l’effet des méthodes traditionnelles, de le retrouver si l'enseignement que nous avons reçu nous l’a fait oublier ou perdre.

C'est une nouvelle conception de la vie du travail scolaire qu’il nous faut promouvoir.

Une réelle formation de base

L'idéal, serait certes, que tous ceux qui s'engagent dans nos techniques puissent en être informés d’une façon précise et profonde, soit dans les Ecoles Normales, dont les professeurs devraient évidemment connaître nos techniques, soit au cours de stages spéciaux qui ne seraient pas de six jours comme ceux que nous organisons chaque année, mais de six mois à un an comme à Beaumont ; soit qu'ils aient — mais le cas est rare — personnellement réussi cet effort de libération de leur propre comportement sans lequel les progrès ne sauraient être qu'illusoires.

Il ne dépend pas de nous qu’il en soit ainsi. Mais nous devons tenir compte des impossibilités momentanées

Il ne s’agit pour nous, ni de faire connaître notre nom ou notre firme — ce qui n’est que très secondaire. Il ne s'agit pas davantage de vendre du matériel d’imprimerie, ce qui n’est que l'aspect accessoire — non négligeable cependant — du problème qui nous préoccupe.

Il nous faut étudier ce qu'il y a lieu de faire en cette période de diffusion accélérée de nos techniques pour éviter les dangers qu'elle comporte et voir ce que nous devons faire, individuellement et collectivement — coopérativement — pour le succès de notre pédagogie, au profit de l’Ecole laïque, au profit des enfants du peuple.

Pédagogie Freinet et non Techniques Freinet

Je propose d’abord un changement de titre. C’est peu, et c'est pourtant beaucoup parfois.

Dès les premières années de nos recherches, nous avions mis en avant le mot de techniques pour distinguer notre pédagogie à base d’expériences et de travail dans nos classes, des multiples méthodes verbales toutes théoriques qui étaient d'ailleurs sans influence sur les véritables processus scolaires.

Mais pour nous, nos techniques ont toujours été subordonnées à l'esprit.

Si notre mouvement est si solidement soudé, s’il suscite tant d'enthousiasme et tant de dévouement ; si nos Congrès sont devenus comme une émouvante rencontre de famille, ce n’est certes pas parce que nous vendons des presses, des limographes et des fichiers. Les instituteurs sont tous de si piètres commerçants ! C'est qu’il y a un esprit, un idéal qui nous unit. Quiconque n'en a pas senti le souffle n'est pas encore totalement des nôtres. Et c'est pourquoi nous reconnaissons si facilement comme nos meilleurs disciples les camarades qui ont lu notre ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE APPLIQUE A L'EDUCATION, dont il nous reste encore quelques exemplaires et I’EDUCATION DU TRAVAIL, tout aussi important à notre avis.

Dans l'état actuel de la conception de plus en plus scolastique qu'éducation et revues se font de la dénomination de Techniques, nous allons modifier notre titre et ne plus parler seulement de TECHNIQUES FREINET mais de PEDAGOGIE FREINET.

Les TECHNIQUES FREINET risquaient d’être prises seulement sous leur aspect technique. Le mot de PEDAGOGIE comporte tout à la fois pédagogie et techniques.

Dans nos revues donc, nous parlerons pédagogie, et on saura aussi, dans nos réunions de travail, et dans les stages, qu’on doit s'informer et informer sur la PEDAGOGIE FREINET et non seulement sur les TECHNIQUES. Nous espérons éditer à l'intention de nos propagandistes, des disques microsillons qui donneront l’essentiel de cette pédagogie.

Ainsi, peu à peu, notre PEDAGOGIE FREINET DE L’ECOLE MODERNE prendra sa vraie place dans le complexe éducatif de notre époque.

Propagande ou exemple ?

Je voudrais mettre aussi l’accent sur notre conception de la propagande en faveur de notre pédagogie.

Nous sommes contre toute propagande-propagande, c’est-à-dire contre tout effort pour pousser ou entraîner des éducateurs dans une voie dont ils ne sentent pas la nécessité. Cela ne sert en définitive pas à grand-chose. Nous y gagnons de mauvais adhérents, qui compromettent notre renommée, facilitent, en les authentifiant, les attaques qu'on monte contre nous ; des collègues qui tireront de nous le maximum sans rien nous apporter et qui ne feront en définitive que compliquer notre tâche.

Il nous faut maintenir, cohérente et solide, notre équipe de camarades travailleurs. C’est cela qui compte. D’abord parce que nous continuerons à parfaire notre œuvre, et il reste tant encore de découvertes et de mises au point à opérer ! Ensuite parce que, dans la période que nous traversons, il nous faut à tout prix éviter que les ersatz de techniques FREINET donnent un jour le ton. Il faut que ça et là, puissent s’organiser et prospérer nos écoles — témoins qui resteront comme l’exemple vivant de ce que peut notre pédagogie. Un jour viendra — et il n’est peut-être pas loin — où éducateurs et parents seront dans l’obligation de prendre conscience de l’impuissance, sinon de la nocivité de leur école. Il leur faudra trouver d’autres solutions. Nous serons là pour les leur offrir.

Nous aiderons nos amis à assurer le meilleur fonctionnement possible de leurs écoles-témoins. Nous continuerons à opérer, par le travail, la sélection des camarades sur lesquels nous pouvons compter en toutes occasions. L’essentiel pour nous est que nous maintenions intacte, que nous renforcions si possible cette cohorte de milliers de camarades, œuvrant techniquement, dans un esprit généreux et sûr, pour la réalisation toujours plus parfaite d’une des grandes œuvres éducatives et pédagogiques de notre époque.

Le travail et la camaraderie seront en l'occurrence nos meilleurs éléments de réussite. Tout le reste viendra par surcroît.

Droits d'Auteurs

Ce n’est donc pas le spectacle d'un nombre croissant d'ersatz de nos techniques qui assure notre propagande, mais l'originalité, la valeur et la portée de nos réalisations. Ce sont les chefs-d'œuvre de tous les hauts-lieux de notre pédagogie, qui sont désormais nos impérissables titres d'honneur.

Et ce sont ces chefs-d'œuvre aussi qu'on commence à nous piller et que nous voudrions bien garantir. Les plus beaux de nos contes passent ou passeront dans un certain nombre d'éditions, à la radio et à la télévision. Nos bandes magnétiques seront démarquées et utilisées. On s'emparera de nos BT Sonores et nous serons les derniers à être informés de ces faits.

Quand il s’agit d’œuvres d'adultes, on respecte la loi selon laquelle « toute production intellectuelle quelle qu'en soit la nature, est propriété de l'auteur et que nul ne peut se l'approprier sans autorisation et sans paiement éventuel de droits d'auteur ».

Mais encore faut-il que quelqu’un puisse nous tenir informés des emprunts faits à notre œuvre commune. C'est le rôle des diverses associations de Droits d’auteurs d’y pourvoir : Société des gens de lettres — Société des photographes — des musiciens etc...

Il faut que nous puissions disposer aussi de notre organisme de surveillance.

Voici ce que nous vous proposons :

1° - Les éditeurs de journaux scolaires qui désirent se garantir contre le pillage de leurs œuvres devront remplir et nous retourner l’adhésion suivante qui habilite l’ICEM à les représenter.

2° - L'ICEM sera l'organisme qui représentera les milliers de journaux scolaires.

3° - Nous signerons un accord probablement avec la Société des gens de Lettres pour la surveillance,

4° - Les droits d'auteurs seront payés selon des modalités à intervenir,

5° - L'instituteur sera considéré de ce fait comme un responsable d'une collection. Le cas est prévu par la loi. Nous faisons confiance à l’instituteur qui réglera comme il l'entendra, la rémunération de ses collaborateurs.

Nous vous demandons de nous retourner la fiche ci-jointe dûment remplie (ou que vous pouvez recopier) :

INSTITUT COOPERATIF DE L'ECOLE MODERNE - CANNES

Délégation de Droit

Je soussigné : Nom :

Adresse :

Editeur du journal scolaire (titre) :

Délègue à l’ICEM ta défense de nos droits d’auteurs.

Date et signature :